L'équerre et le compas

 

ou

 

Du grand chambardement de la verticalité et de l'horizontalité

au chaos de l'universalité symbolique

 

A Charles, mon grand-père

sans lequel, même si je ne l'ai pas connu,

je ne serais pas ce que je suis

 

 

A Pat et Claude,

FF...

en amitié, en solidarité,

en mécréance et en… anarchie

 

 

Préambule

 

 

S'inscrivant dans une démarche initiatique, un(e) maçon(ne) est un(e) éternel(le) apprenant(e). Apprenant(e) des autres mais aussi de soi-même. Un(e) apprenant(e), autrement dit, en somme, un(e) apprenti(e).

 

Selon le Robert, un apprenti, d'apprentez (1775), variation d'apprentiz (XIIème siècle) devenu apprentif (XIIIème), du Latin populaire apprenditum et du Latin classique appendere, est une personne qui apprend un métier et, par extension, s'instruit avec un maître.

 

L'origine latine classique du terme n'est pas sans intérêt. En effet, si apprendre signifie, notamment, 1°), sous sa forme transitive, acquérir le connaissance de quelque chose, être rendu capable de connaître, de savoir, s'initier (là encore à une connaissance, un savoir) et 2°), sous sa forme intransitive, faire connaître, enseigner…, autrement dit aussi recevoir un savoir, un savoir-faire, une connaissance, un art, appréhender – forme française du Latin apprehendere, de prehendere, prendre, saisir, en particulier, de ses mains, qui a donc donné apprendre – renvoie à deux notions conjointes : celle de saisir, prendre au  sens de s'accaparer, agripper, prendre possession, s'approprier, manier, manipuler… et celle de saisir au sens de concevoir de manière intellectuelle, voire philosophique et scientifique, c'est-à-dire ab-straire quelque chose de concret pour en faire un concept, une idée, un… symbole afin de le… maîtriser.

 

Ainsi, l'apprenti se retrouve dans cette situation paradoxale de tendre à maîtriser quelque chose qu'il ne connaît pas et, pour reprendre une image de la vie courante, de ne découvrir  les effets de l'eau bouillante qu'en prenant le risque de s'ébouillanter en saisissant cette eau bouillante !

 

Et, dans mon cas d'espèce, je me retrouve dans cette situation paradoxale de manipuler des objets, en l'occurrence des… symboles, pour les… appréhender, les saisir, les concevoir… alors même que mon passé profane fait que je les ignore – je ne les connais pas, faute d'avoir été enseigné,… initié – et que je ne peux donc les manipuler que dans leur forme – leur apparence – et non dans leur fond – leur sens - !

 

C'est pourquoi, en toute sincérité et pertinence, je ne peux apprendre – au sens d'enseigner à l'autre – une réflexion sur tel ou tel symbole maçonnique et ne peux, en toute humilité et, je dirais volontiers, intelligence qu'interroger des symboles au regard de mon extériorité, du doute qui, depuis toujours, est le moteur de ma curiosité intellectuelle, de mon apprentissage cognitif et opératoire, de ma découverte et, parfois, de mon invention du réel, de mon initiation à la vie… en assumant par avance, comme toujours, là encore, le risque d'être à vos yeux de maîtres un… impertinent ou même insolent, voire… un libertin mécréant !

 

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*  *

 

La planche sur laquelle je dois travailler est dite, me semble-t-il, symbolique au sens où elle doit être - ou se proposer d'être, restons modeste - une réflexion sur non pas tant la symbolique maçonnique, comme système de symboles, que sur un ou plusieurs symboles maçonniques. Quelques symboles, voir un seul symbole puisque l'appréhension de la symbolique maçonnique dans sa globalité nécessite sûrement le travail de toute une vie individuelle ou la solidarité de nombreux F...  partageant l'entrain d'une coopération aussi bien opérative que spéculative.

 

Selon le Robert, le terme symbole, issu du Latin chrétien symbolum – autrement dit d'église –, du Latin classique symbolus,  est apparu dans la langue française en 1380 pour désigner un signe de reconnaissance alors que, sous sa forme grecque ancienne de sumbolum, il désignait le morceau d'un objet partagé entre deux personnes pour servir de signe de reconnaissance.

 

Ainsi, chez les Grecs la re-connaissance de l'autre comme un pair – soit un égal, un semblable - supposait que l'un et l'autre – ou les uns et les autres - s'entendissent sur un objet commun et qu'ils le brisassent ou, mieux, le rompissent afin de pouvoir le re-constituer et, ainsi, établir leur communauté identitaire. Cette origine présente trois  intérêts conjoints ; en effet, elle montre que le symbole, du moins chez les Grecs anciens :

 

·        ne se rapporte pas à une extériorité avec tout ce que cela peut supposer d'altérité, d'étrangeté, de distanciation, d'autonomie, d'in-compréhension… mais à un intériorité, l'identité qui n'a toutefois véritablement de sens que lorsqu'elle est partagée ;

·        est l'incarnation d'une identité communautaire, celle d'hommes et de femmes ; il renvoie donc à l'humain  - même s'il s'agit d'une humanité sélective, pour ne pas dire ségrégationniste et donc non humaine et non pas à un ordre a-ou supra-humain ;

·        à l'intérieur d'une communauté – humaine -, atteste d'une parité dont on peut supposer qu'elle est d'égalité et de fraternité.

 

Ceci dit, des questions émergent aussitôt : faut-il rompre, même symboliquement, un objet… symbolique pour re-connaître l'autre dans son identité ? qui, de l'identité et de la communauté, précède l'autre dans une reconnaissance établie symboliquement ? peut-il y avoir re-connaissance sans… connaissance ? la reconnaissance de l'autre suppose-t-elle que, préalablement, on possède en commun – on partage – un objet commun ? mais alors, dans l'affirmative, comment partager ce qui n'est pas commun – la différence – sauf à admettre que l'identité commune n'est jamais que la somme d'identités individuelles, c'est-à-dire de… différences ? est-ce que le partage symbolique d'un objet commun implique nécessairement que cet objet soit rompu, autrement dit brisé ? est-ce que l'appropriation partagée  d'un objet commun ne peut se faire que dans la rupture, voire l'anéantissement ou même sa dévorestation de cet objet ?…

 

Ces questions, aujourd'hui, ne seront que posées puisqu'elles appellent des réponses et, assurément, d'autres questions qui dépassent la symbolique pour interroger… l'humain et, par conséquent, l'humanité, l'humanisme et, au-delà, la philosophie, l'éthique et le politique.

 

On notera que, sous l'impulsion religieuse, le symbole est devenu… religieux pour expliciter à la fois ou séparément un signe de religiosité, de foi – une pratique, un rite – et, bien souvent, d'identité communautaire comme preuve et marque d'allégeance et d'appartenance à un même troupeau et de soumission à un même berger ainsi que pour établir un rapport à l'autre et, plus exactement, à un Autre de nature a- ou-supra-humaine. Par ailleurs, en même temps qu'il scelle l'identité communautaire du troupeau, le symbole religieux scelle le destin d'un nouvel autre – l'hérétique, le mécréant, le relaps, l'athée… - en le vouant à l'exclusion du pâturage et, pour ce faire, à la mort. Dés lors, le symbole, devenu objet en soi et, avec certaines dérives fanatiques, pour soi n'a plus à être rompu puisque c'est l'humanité qui est rompue dans son universalité.

 

On relèvera également que, en tant que médiation du rapport à l'autre, le symbole, avec le temps, se dé-sacralisera pour, de religieux, redevenir profane, laïque et, ainsi, établir la reconnaissance de nouvelles identités communautaires : celles de la République, du Parti, de la Révolution, de l'Homme, de la Race, de l'Idée… même si on peut se demander s'il ne s'agit pas là d'autant de nouvelles religions qui, comme les précédentes, se com-plaisent  à rompre l'universalité de l'humanité et à inventer de nouveaux autres tout autant voués à l'exclusion et, pour beaucoup, à la mort.

 

De nos jours, les dictionnaires s'accordent à définir un symbole comme ce qui représente autre chose en vertu d'une correspondance, ce qui évoque une association d'idées "naturelles" dans un groupe social donné avec quelque chose d'abstrait, d'absent et en donnent pour synonymes les termes d'attribut, d'enseigne, d'insigne, de représentation, d'allégorie, de métaphore, d'image, de re-présentation. Ainsi, un symbole, bien que pouvant avoir une réalité, une concrétude palpables, saisissables, n'a pas de valeur ou d'efficacité en soi  - sauf pour certains, mais alors il convient peut être de lui donner d'autres noms comme ceux de grigri, de colifichet, de poudre aux yeux, d'artifice, d'objets magiques… - : son utilité est celle d'être le signe d'autre chose. Insignifiant ou, au contraire, significatif, il signifie une signification, un sens reconnu à un objet. Le symbole, selon cet usage, n'est pas un en soi mais un pour autre chose.

 

Pour ma part, et dans l'immédiat, je considérerai un symbole comme la représentation conventionnelle d'un objet, que cet objet soit réel ou non et que la convention relève de la coutume, de la tradition, de la loi, de la règle, de la routine, de la commodité, de l'agrément…, bref de tout acte positif  - expression prise dans sa triple acception éthique, scientifique et juridique – à l'exclusion de toute hystérie inconsciente qui, à mon sens, n'est pas accoucheuse de symboles mais de préjugés, de croyances, de phobies aussi diverses que malsaines, d'aliénations, de furies… et, pour tout dire, de tyrannies.

 

A l'instar de vérités révélées, de nombreux symboles prétendent à la révélation d'une universalité alors que les sciences humaines – histoire d'abord puis psychologie, sociologie, ethnologie, anthropologie… - disent au contraire qu'un symbole est toujours relatif à un domaine, un groupement, une époque, un système éthique ou politique, une culture, un lieu… et que les sciences naturelles le considèrent comme un algorithme, un alphabet, une notation, un signe, un caractère… qui n'a de valeur et d'effet que pour autant que la convention arbitraire qui l'a établi continue d'être admise.

 

 

Apprenti, il m'a semblé que je ne pouvais a-border que l'équerre et le compas puisque ce sont là les signes par excellence de l'apprentissage… maçonnique, ce qui ne m'empêchera pas de les extra-poler pour tenter de construire ou, plus précisément, d'initier non la construction et, a fortiori, l'achèvement d'une réponse mais l'architecture d'un questionnement plus étendu, ouvert… initiatique ou, pour le moins, initial.

 

Mais avant de vous faire le tracé de ce questionnement, avec le risque assumé qu'il soit celui d'errements ou même d'une divagation et d'un égarement dans le labyrinthe d'un chantier de fouille, je me permets un dernier liminaire qui sera comme un luminaire sur le seuil de mon itinéraire.

 

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Dans son ouvrage "Le livre de l'apprenti", le F... Gibet, rappelle que "le premier devoir de l'apprenti est d'apprendre à poser des questions" quand le F... M... "solidairement, ne doit pas oublier que le plus difficile n'est pas de résoudre rigoureusement un problème c'est-à-dire réduire une question à une réponse" puisque "[…] la question posée, il doit vivre avec elle sachant qu'un jour, solidairement, il pourra la résoudre".

 

Il rajoute que "La F... M... n'est pas une universalité [mais] une université" en ce qu'elle est "le lieu des questions, celles que l'on pose et celles que l'on ne pose pas" mais qui sont toujours des questions "qui jamais ne dérangent".

 

Pour lui, en effet, "Le monde profane s'imagine de résoudre des questions pour ne plus avoir à les poser, sans se douter que, au contraire, une question en conduit d'autres et que ces nouvelles questions sont précisément celles auxquelles on ne pouvait pas penser auparavant".

 

Dans ces conditions, pour ce F... , "Le F... M...  doit apprendre à poser des questions" tout en s'attachant, par ces question mêmes, à ne pas exercer son pouvoir sur les autres mais, au contraire, "la maîtrise sur lui-même" ; ainsi, "il ne sera pas dérangé par une bonne question car il n'a pas à imposer un savoir" mais à "participer à un enrichissement par le partage de ses connaissances".

 

A l'attention de ces nouveaux-nés que sont les apprentis, il ajoute : "Lorsque le jeune F... M...

entre en L... il se heurte parfois à un paradoxe fort curieux. En effet, il peut s'apercevoir que celui qui se déclare  étanche à tout symbolisme, et c'est son droit, mais qui, par contre, lutte sincèrement pour installer la justice sur un plan social dans un monde profane, peut se sentir mal à l'aise vis-à-vis  d'autres F... M... .Pourtant, le "nouveau" peut remarquer que ce "politique" conduit une démarche qui est plus proche de l'idéal maçonnique que certains de ceux qui s'évertuent à manier des symboles. C'est que ces petites images sont devenues bien stériles à force de ne plus être confrontées à la vie et vivent une espèce de sécheresse qui approche l'asphyxie. […] la tradition n'est pas la réaction, au contraire, elle se moque et se méfie des hermines, des bijoux et des dignités, tous ces colifichets qui encombrent la démocratie et dissimulent de bien noirs desseins".

 

Ces remarques à valeur de mise en garde, d'appel à la vigilance et à l'éveil, voire au… réveil faites, le F... Gibet exhorte le F... M... en L... à travailler "à devenir le "disciple-artisan" de son propre destin".

 

Et puisque je suis en tenue de travail, à présent,  je vais me mettre à travailler, modestement, à donner un destin – une destinée – à mon questionnement dubitatif de l'équerre et du compas, signes distinctifs et symboliques de l'apprentissage, autrement dit à vous en faire le tracé pour appeler non vos réponses mais de nouvelles questions, celles que, faute de recul et de réflexion éclairée et, en aucune manière,… illuminée je n'ai pu… apprendre à me poser.

 

 

A présent, V... M..., mes T... C... FF... permettez-moi de vous appeler un instant "mes compagnons" pour vous inviter à partager avec moi le pain de mon… labeur et de vous rassurer : je ne vais pas vous donner un cours de symbolique maçonnique, même du seul point de vue historique, puisque, humble par nature, je ne saurais avoir l'audace de seulement imaginer que je peux vous apprendre quelque chose en la matière et que, par ailleurs, le bref rappel auquel je vais me livrer – sans le moindre filet soit dit en passant – n'a d'autre but que d'ouvrir la voie du chemin que je veux emprunter et qui est, comme toujours, celui du questionnement.

 

A l'origine ils étaient vulgaires et… profanes…, de simples instruments ou outils

 

L'équerre :

 

Le mot équerre vient du Latin populaire (XIIème siècle) exquadro lui-même issu de exquadrare (rendre carré à ne pas confondre avec… à mettre au carré, surtout s'il s'agit d'une tête !) lequel est né de esquire (carré). Il s'agit d'une pièce, à l'origine uniquement de bois, dont la forme présente un angle droit, dont les branches sont inégales dans un rapport généralement de 3 à 4 et qui sert à tracer des angles droits ou à élever (certains dictionnaires disant à abaisser) des perpendiculaires ; par la suite, le terme équerre n'a plus désigné la forme d'une pièce mais, relativement à son usage resté le même, un instrument, un outil de maçonnerie, de charpenterie, de menuiserie…, bref de divers métiers de la construction. Dans ce sens précis, il s'agit d'une vraie équerre puisqu'il en existe une fausse, dite sauterelle, dont les branches sont mobiles et qui permet à l'architecte de donner une valeur quelconque à l'angle qu'il veut dessiner.  L'équerre est simple ou double. En forme de T ou de L et alors généralement en métal, il désigne non un outil mais une pièce servant à consolider des assemblages de charpente et de menuiserie.

 

Le terme a donné deux locutions : d'équerre ou à l'équerre pour désigner un assemblage, une position, un tracé (dessin) à angle droit.

 

Le compas :

 

De compasser (mesurer avec exactitude) issu du Latin passus (le pas) et compassare (mesurer avec le pas), il désigne un instrument de tracé ou de mesure qui, arc-bouté sur deux jambes ou branches composé de deux branches articulées à une extrémité et dont les formes sont adaptées à la mesure à effectuer et dans un rapport ou écart mis en regard d'une échelle de longueur, sert à mesurer des angles, transporter des longueurs ou tracer des circonférences. Il peut être à pointes sèches et, alors, jouer à la danseuses étoile ou, plus précisément, de maître à danser pour jouer la matrone et, tel un chaperon ou parangon de vertu, vérifier la conformité d'un assemblage, mâle et femelle, sans que l'on ait besoin de l'em-boîter. Avec des jambes résillées  de petites règles divisées, il devient de proportion ou de Libergier. Si, par excès de cavalcade ses jambes s'arquent,  il se fait d'épaisseur pour mesurer… l'épaisseur d'un corps ou la dimension d'un évidement, autrement dit… l'épaisseur d'un… vide. Lorsque, se remémorant un ancêtre chinois ou se prenant pour Marco Polo, il prend la mer, c'est pour devenir une sorte de bouquet de roses, non de terre mais des vents, et indiquer la direction du nord magnétique afin d'éviter au marin de… perdre la boussole et d'égarer son bateau, la marchandise et, surtout, les voyageurs. Si d'aventure ses jambes se prennent l'envie de coulisser l'une sur l'autre, il devient de réduction et permet de tracer des figures proportionnelles. Parfois, ivre d'encre de Chine, il s'imagine tire-lignes et, tel un violon d'Ingres, donne des morceaux d'architecture, de géométrie ou de dessin. S'il arrive que, sur les bancs de l'école de mauvais garnements le plantent dans les yeux de leurs camarades, de nombreuses personnes l'ont dans l'œil et sont ainsi capables, d'un simple coup d'œil, d'évaluer une distance, une mesure. Enfin, pour l'écolier-e il est une affaire de classe ou fourniture scolaire qui sort de temps en temps de la trousse ou du plumier pour, à l'invitation du maître ou de la maîtresse, tracer des cercles (et, parfois, des triangles et des angles droits) et c'est d'ailleurs pour cet usage qu'il a pris son acception courante.

 

Parce qu'ils sont de mesure et que, relativement au plan et au traçage, ils traitent de l'horizontalité et de la verticalité sur lesquelles je reviendrai plus loin, ces deux instruments sont souvent associés à deux autres outils, le fil à plomb et le niveau :

 

Le fil à plomb : c'est un instrument formé d'une masse de plomb fixé à un fil et servant à donner la verticale.

En géodésie (science de la forme et des dimensions de la Terre) et en gravimétrie (domaine technique de la première qui a pour objet la mesure de la pesanteur), la direction d'un fil à plomb indique la direction du champ de pesanteur terrestre g. Toutefois, l'expérience montre que, lorsque, pour s'arracher du niveau de notre horizontale condition humaine, celle des pâquerettes ou pour parler scientifique, de la surface de référence de la Terre, on s'élève il se révèle alors un écart (ou déviation de la verticale) entre la verticale du fil à plomb et la normale que l'on peut repérer sur un fond d'étoiles et géodésiquement mesurer. Comme si le fil à plomb pouvait aussi nous… plomber  et mesure notre déséquilibre pour nous rappeler à l'humilité et nous entraîner vers le bas, c'est-à-dire sur cette terre dont le poète a dit, à juste titre, qu'elle est parfois si jolie !

 

Le niveau : Le terme est apparu en 1311 sous la forme de nivel, altération de livel, qui n'est pas sans rappeler l'anglais… level (niveau au sens de hauteur, étage), du Latin populaire libellus et du Latin classique libello [lequel, sous sa forme féminine de libella a donné… libellule en raison du vol… horizontal de cet insecte]. Il désigne un instrument qui sert à donner l'horizontalité et à la vérifier mais également le degré d'élévation, par rapport à un plan horizontal, d'une ligne ou d'un plan qui lui est parallèle. Celui du maçon des temps anciens était constitué d'un châssis triangulaire ou rectangulaire auquel était suspendu un fil à plomb venant battre une marque fixe nommée ligne de fin) quand l'instrument était en position horizontale. Ainsi conçu, il servait à donner tout autant l'horizontalité que la verticalité. Avec le temps, il s'est… modernisé et transformé pour devenir un  tube de verre, enchâssé dans une pièce de bois, de métal ou de plastique et contenant un liquide très mobile (alcool ou éther) et une bulle gazeuse qui, une fois qu'elle s'est… élevée et qu'elle a trouvé place entre deux repères indique l'horizontalité mais, en revanche, reste coite quant à la verticalité ! Les topographes utilisent quant à eux un niveau à lunette instrument de visée constitué d'une lunette horizontale fixée sur deux colliers horizontaux formant alidade et dont on peut espérer que, grâce au progrès de l'optique il devienne à… lentille !

 

… et ils se sont élevés pour accéder à la dignité de… symboles

et de signifiants devenir signifiés

 

 

Très rapidement, il semble que les outils de construction, parce que, peut-être, les bâtisseurs qui les utilisaient érigeaient et, en même temps, instituaient les signes d'un pouvoir, qu'il soit laïque ou religieux, se sont dé-matérialisés, se sont extraits de leur gangue matérielle pour s'élever à l'immatérialité symbolique. Ainsi, pour en rester à l'équerre et au compas et nous en tenir principalement à la F... M... :

 

L'équerre, si elle a bien un usage attesté depuis la plus haute Antiquité, n'est pas donné comme un signe symbolique dans les Old Charges qui, en Occident du moins, sont les plus anciens manuscrits relatifs à la maçonnerie opérative, celle des bâtisseurs, et qui, du XIV au XVIIèmes siècles, fixaient les devoirs des maçons de métier. Sauf erreur de ma part, ce n'est donc que dans le Sloane que, pour la première fois, on en mentionne la qualité symbolique puisque, avec le soleil et le maître, elle est la lumière de la L...  et que, dans une variante de ce texte, on prête serment par dieu et par elle.

 

Ce même Sloane se veut rassurant : un M..pourra toujours se faire reconnaître et, en même temps, reconnaître ses FF ... : "[…] si un frère arrive quelque part où il y a des Francs-maçons au travail, il peut prendre quelques-uns de leurs outils et les disposer en équerre : c'est un signe pour se faire connaître".

 

Vers 1710, dans le quatrième manuscrit Dumfries elle devient l'une des trois colonnes de la L..., les deux autres étant le compas et la bible.

 

Dans l'Examen d'un maçon paru en 1723 elle est citée quatre fois, en particulier comme l'un des quatre bijoux précieux à la fois signes de la dignité maçonnique et objets de la méditation initiatique, les trois autres étant la pierre cubique, le parpaing et la planche à tracer.

 

Graham, dans son manuscrit de 1726 la désigne comme le septième joyau et l'un des "six outils sans la plupart desquels un maçon ne peut accomplir un bon travail". Ce même manuscrit rappelle aux F... M... que : "En premier lieu remarquez que tous nos signes proviennent de l'équerre quelle que soit la matière traitée. Ceci est prouvé par le Chapitre 6, Verset 9, du Premier Livre des Rois".

 

Avec le Wilkinson (vers 1727), elle devient un meuble de la L... avec le compas et la bible et l'un des trois bijoux mobiles avec le niveau et le fil à plomb.

 

Dans la Confession d'un maçon datant de la même époque l'équerre devient une sorte de symbole de soi, de signifiant-signifié puisqu'il est dit qu'elle est à cinq pointes et que l'une de ces pointes est "l'équerre, notre maître soumis à dieu" quand les autres sont, respectivement, le niveau, le fil à la plomb, la règle portative et la jauge un peu comme si l'équerre était une trousse à outils qui contiendrait les cinq outils nécessaires à l'accomplissement du travail du maçon dont… elle même.

 

En 1730, Samuel Prichard, dans son Mansory Dissected, et même pour beaucoup il n'a jamais été F... M..., précise que, si, avec la bible et le compas, elle est bien un meuble de la L..., elle appartient au compagnon de métier alors que la bible est à dieu et le compas au maître. En même temps, il la désigne comme l'un des trois bijoux mobiles de la L... quand les deux autres sont le niveau et le fil à plomb et que "L'équerre [a pour usage] de poser selon  des lignes justes et d'équerre, le niveau pour vérifier toutes les horizontales et le fil à plomb  pour vérifier toutes les verticales".

 

Ainsi, dés cette époque, l'équerre apparaît bien comme l'un des symboles majeurs de la F... M... au point que Dumfries disait d'elle qu'elle était "Une œuvre d'équerre". Impliquant l'idée de rectitude, de rigueur et de précision, elle sert de modèle à la tenue du F... M... et, plus particulièrement, à l'apprenti et au compagnon puisqu'elle définit la position et la marche dites à l'ordre et que, dans une certaine mesure pour les maîtres également, elle est un signe distinctif de la qualité.

 

A l'instar de l'outil profane, l'équerre maçonnique a des branches inégales dans le rapport de 3 à 4 et, comme signe, doit être portée de telle sorte que la grande branche doit être sur le côté droit, siège de l'activité, dominant sur le côté gauche. Ainsi portée par le F... M... elle atteste que les travaux sont conduits dans la régularité et la perfection puisque celui-ci, grâce à elle, peut diriger et, au besoin, rectifier tous les plans. Elle est le symbole de la rectitude, du jugement et de la conduite qu'un F... M... doit porter à ses semblables et, bien entendu, en premier, à ses FF... Pour certains et, notamment au Rite Français Groussier, elle est l'image de la Justice quand le compas est celui de la Vérité.

 

Dans les tableaux qui ornent de nombreuses L..., elle est souvent située à l'Occident à la tête du tombeau (ou du cercueil ou du cadavre) d'Hiram ; c'est pourquoi, lors de certaines initiations ou d'augmentations de salaire, le compas se trouvant à l'Orient, au pied de la sépulture, le F... qui enjambe ladite sépulture, à l'instar des Chinois, passe de l'équerre au compas, de la terre au ciel, de la matière à l'esprit. On notera toutefois que dans les tableaux des loges du "[Le] PARFAIT MAÇON OU LES VÉRITABLES SECRETS  des quatre Grades d'Apprentis Compagnons, Maîtres ordinaires et Écossais DE LA FRANCHE MAÇONNERIE" de 1744 le tableau de l'apprenti ne comporte pas d'équerre

 

Avec le compas, l'équerre permet à un M... de ne pas s'égarer puisque si, d'aventure il était perdu, tout F... saurait le retrouver… entre l'équerre et le compas comme… suspendu entre la terre et le ciel !

 

Si le cercle est, dés la plus haute Antiquité associé à la création et/ou à un dieu créateur, le compas, en Occident et dés le Moyen-Âge – et selon certains avant même cette époque -, se substitue au cercle : il est l'outil par excellence de l'Architecte lorsque celui-ci trace la création, autrement dit le monde. Parce qu'il est l'outil par excellence du Créateur, dés cette époque, il symbolise aussi ces vertus fondées sur la mesure que sont la prudence, la justice, la tempérance et, bien entendu, la sagesse. C'est ainsi que Dante, dans "le Paradis" (XIX,40-42), désigne le dieu-créateur comme : "Celui qui de son compas marqua les limites du monde et régla au-dedans tout ce qui se voit et tout ce qui est caché".

 

Ainsi, pour certains, le célèbre dessin de William Blake (1757-1827) représente le Grand Architecte qui, tenant le compas, dessine, trace le monde. Pour d'autres, cette œuvre, qui orne le frontispice de Europe A. Prophecy (1794), est l'illustration d'une vaste fresque, celle du combat entre les forces de l'oppression et celle de la liberté et en veulent pour preuve que l'ouvrage ainsi illustré forme avec La Révolution française (1791), America (1793) et Le Livre d'Rizen (1794) un tout anthologique qui est justement l'histoire de ce combat ; pour eux le compas est donc, en quelque sorte, le symbole de la naissance d'un nouveau monde de… liberté.

 

Ce glissement d'association, de dieu au G... A... D... L... U..., explique sans doute pourquoi, très précocement, le compas cesse de figurer dans les tableaux des L... d'obédiences restées fidèles à dieu.

 

Selon la légende, dans l'école d'architecture fondée par Salomon, les élèves sont dotés d'un étui mathématique ou étui de mathématiques contenant sept outils dont trois ou quatre compas, à savoir le compas simple, le compas à quatre pointes et un compas de proportion ou bien un compas de proportion et trois autres sortes de compas.

 

Le compas est par ailleurs, par référence à sa matérialité instrumentale, est fréquemment associé à deux couleurs, le jaune et le bleu qui sont celles du cuivre et du fer et, plus tard, de l'acier. Ainsi, dans le quatrième Dumfries, à la question : "De quelle couleur est son habit [celui du M...]" la réponse est : "Jaune et bleue, ce qui signifie le compas qui est de cuivre et de fer".

 

Pour le Massonary dissected  le compas est au M... alors que la bible est à dieu et l'équerre au compagnon, les trois étant les meubles, autrement dit les colonnes de la L... .

 

Dans la Confession d'un maçon (vers 1727) il est lié au serment de l'initié qui le tient alors "ouvert piqué sur sa poitrine". Dans le Régime Rectifié, le V... M... doit le présenter ouvert à 90° - qui est la mesure de l'équerre - à la poitrine de l'initié en lui disant : "Prenez ce compas ouvert en équerre et posez-en la pointe avec la main gauche sur votre cœur à découvert […] L'équerre[N.B. Il s'agit de l'angle du compas et non de l'équerre elle-même] vous désigne que, si vous remplissez avec exactitude et régularité tous ces devoirs, vous devez espérer de parvenir à la lumière du vrai Orient. L'interpellation qui vous a été faite vous apprend que si l'homme a perdu la lumière par abus de sa liberté, il peut la recouvrer par une volonté ferme et inébranlable dans la pratique du bien. Le compas sur le cœur est l'emblème de la vigilance avec laquelle vous devez réprimer vos passions et réguler vos désirs". Il en est de même lors du serment prêté au Rite Français.

 

Ainsi, parce qu'il est représentation de l'esprit quand l'équerre est celle de la matière, de la chair, le compas a cette faculté (symbolique ou magique), en se mettant à l'écart – à l'ordre ? – de l'équerre, d'être lui-même et l'équerre comme si, la sagesse acquise, la lumière révélée et atteinte, le F... M... avait le pouvoir de soumettre son corps et ses désirs charnels et matériels à la maîtrise de son esprit – sa raison/la Raison ? – et, ce faisant, d'accéder à la liberté d'une dignité véritablement humaine.

 

De son côté, le Wilkinson est rassurant : un M... ne peut jamais se perdre puisque l'on est sûr de toujours le retrouver sur l'équerre et à l'intérieur du compas.

 

Pour nous résumer, le compas est l'expression de la rigueur géométrique, des activités créatrices – voire de la Création ou même du Créateur -, du dynamisme entrepreneur – et entrepreneurial ? -, du temps, des cycles spatio-temporels, de la connaissance, de l'esprit – voire de l'Esprit -, de la Vérité, de la sagesse… puisqu'il est l'instrument de mesure par excellence et qu'il permet donc d'accéder à la mesure en toutes choses.

 

Dans la symbolique maçonnique, comme dans toutes les autres symboliques, les symboles sont souvent associés : ils se complètent, ils se ré-fléchissent tels des miroirs pour (se) renvoyer leurs vraies images, ils composent une œuvre et ils sont alors caractères d'alphabet ou notes de musique, ils se tempèrent…, bref ils se conjuguent, s'enlacent et, parfois, s'embrassent. Il en est tout particulièrement ainsi de l'équerre et du compas.

 

Interrogeons donc l'équerre ET le compas.

 

Ainsi, le mouvement de l'équerre au compas est la traduction du passage symbolico-cosmique de la terre au ciel, de la matière à l'esprit, de l'inconscient au conscient… et, selon le Rite Emulation,  d'une "surface horizontale à une vivante perpendiculaire" puisque l'équerre, instrument du M..., suggère l'espace, la rationalité et l'immanence tandis que le compas, instrument du G...A...D...L...U... évoque le temps, la spiritualité et la transcendance.

 

Lorsqu'ils s'enlacent, leur position l'un par rapport à l'autre varie au fur et à mesure que l'on… monte en grade et qu'ainsi on s'élève en progressant dans la découverte-construction de soi et dans la réalisation de son chef d'œuvre : sa propre vie. Ainsi, au grade d'apprenti, l'équerre est sur le compas, à celui de compagnon, l'équerre et le compas sont entrelacés et, enfin, au magister de la maîtrise, le compas est sur l'équerre. Ce cheminement va donc d'un esprit dominé par la chair à celui d'un esprit dominant la chair en passant par une sorte d'étape fusionnelle de (ré ?) conciliation.

 

La chair – l'équerre – et l'esprit – le compas – des humains seraient-ils donc deux réalités, deux principes, deux éléments , deux facettes, deux composantes… d'une même unité, l'être humain qui auraient cette particularité de voir la première dominer le second dans une espèce d'état naturel - celui du sauvage ? - ou pré-initiatique - le monde profane -  et, de ce fait, con-damnée à se soumettre à lui pour mettre à l'humain d'accéder à… l'humanité ou à la… sainteté, voire la divinité.

 

Mais alors des questions jaillissent aussitôt : est-ce que la finalité de l'initiation maçonnique serait de prendre conscience  de cette dualité, de la considérer comme antagonique et non complémentaire et de se révolter contre la tyrannie de la chair sur l'esprit pour la renverser et, au terme d'un long et dur labeur, instituer une domination légitime de l'esprit sur le corps ? et, dans ce cheminement, que signifierait cette phase intermédiaire d'entente entre le corps et l'esprit ? une… trêve ? l'ultime repose de… l'élève ? une telle dé-marche n'est-elle pas celle de l'ascèse ? mais une ascèse est-elle au service de l'ascète  pour qu'il accomplisse son humanité ou fait-elle de celui-ci le serviteur d'un maître en l'amenant à renoncer à sa duale condition… humaine ? une philosophie, une éthique peuvent-elles se dire… humanistes si leur art consiste à discipliner une par de l'humain au point de violenter ? cette dialectique du corps et de l'esprit n'est-elle pas à l'image de celle de l'esclave et du maître : peut-il y avoir de liberté dans un régime de tyrannie ? l'esclave se libère-t-il vraiment en renversant son maître pour l'asservir ?

 

Tout autant troublant : est-ce que cette ascension n'est pas un déracinement, un égarement quand de nombreux textes et rites estiment que la juste place du M..., au sens d'être humain (para)achevé, est entre terre et ciel, c'est-à-dire entre… l'équerre et le compas ?

À Pompéi, dans ce qui fut  vraisemblablement un collège de bâtisseurs, on peut voir le dessin  d'une équerre et d'un compas enlacés. A l'autre bout du monde, à l'époque des Hans, en Chine, de nombreuses gravures représentent entrelacés ceux dont on disait qu'ils étaient à l'origine du monde : l'empereur mythique et son épouse, l'un tenant une équerre, l'autre un compas. En mandarin, équerre se dit chü et compas se dit kuei et l'association des deux caractères correspondants donne kuei-chü qui désigne une personne du juste milieu, équilibré, libre et de bonnes mœurs.

Pour les bouddhistes, les taoïstes, les tantristes, les hindouistes, les shintoïstes…, bref, pour la quasi-totalité des systèmes philosophiques, éthiques et/ou religieux de l'Orient,  l'équerre est la base, la référence immuable. Son énergie est passive. Elle montre ce qui est droit, ce qui ne l'est pas. Elle permet de redresser ce qui ne l'est plus ou ce qui ne l'est pas encore. Elle est impartiale. Elle dit le droit à chaque instant. Elle permet de vérifier si la direction ou la décision prise est juste. Elle est le contraire de la fantaisie et pourtant, sans elle, la fantaisie ne pourrait pas danser. Elle assoit le monde sur la terre. Elle forme le carré, le fondement de l'existence sur Terre. Elle est le fondement de l'éthique bouddhiste puisqu'elle est l'octuple sentier de toute démarche vers l'éveil : parole droite, action droite, vie droite, effort droit, attention droite, pensée droite, compréhension droite, méditation droite.

De son côté, le compas est vif  et il faut s'entraîner pour le manier sans se blesser. Si la sagesse n'est pas présente, il peut être dangereux, car son énergie est active. Il mesure toute chose. Il permet les comparaisons, les évaluations, les calculs. Il trace les cercles, les arcs, les enchevêtrements, les labyrinthes. Plus les branches s'écartent, plus l'espace s'ouvre, plus l'esprit grandit. Toutefois, le métier de bâtisseur ne permet pas l'usage du compas à 180° et il est à la parfaite mesure, image de la mesure parfaite, lorsqu'il est à 90° comme en F... M... !

Dans ces systèmes, l'équerre et le compas – ou leurs avatars – sont toujours entrelacés ou re-unis dans une relation d'équilibre cosmogonique à l'image du Yin et du Yang ; appliqués aux humains, ils attestent de leur accomplissement qui est la sagesse du… juste milieu en toutes choses, autrement dit de… l'équilibre ou, pour reprendre une notion géométrique, du… centre.

D'aucuns considèrent que la voie du M... est celle du… juste milieu et que la F... M... est cet Art royal qui consiste à trouver le point de rencontre entre le concret et l'abstrait, l'ici et l'ailleurs, le hier et le demain, l'espace et le temps, l'unique et le multiple, le tout et l'élément, le simple et le complexe, le positif et le négatif, le soi et l'autre, l'identique et le différend…, bref à trouver en toutes choses l'harmonie dont les Anciens disaient qu'elle était la fille de la géométrie.

Pourtant mon questionnement ne portera pas sur la signification symbolique de l'équerre et du compas pris dans leur individualité propre ou leur couple – et, a fortiori, dans leurs relations adultérines, polyandriques ou polygames avec d'autres symboles -. Mon questionnement est ailleurs…

 

Du grand chambardement de la verticalité et de l'horizontalité

au chaos de l'universalité symbolique

 

A l'instar de bon nombre d'autres outils de bâtisseur  et à raison aussi bien de leur usage originel ou que de leur signification symbolique, l'équerre et le compas renvoie à deux notions essentielles à toutes les sciences de la mesure (géométrie, astronomie, géodésie…) mais aussi à tous les arts usant de la mesure comme outil et méthode (architecture, urbanisme, maçonnerie, menuiserie…): la verticalité et l'horizontalité.

Le terme vertical est apparu dans la langue française en 1545 venant du bas Latin verticalis de vertex, verticis, sommet. Il qualifie ce qui est dans une position, situation, plan suivant la direction de la pesanteur en un lieu – selon l'indication donnée par le fil à plomb – et qui se trouve donc perpendiculaire à un plan horizontal. Dans le langage courant, il a pris le sens d'aplomb, non de culot ou d'impertinence, mais de rectitude et de pertinence. La verticalité est donc la qualité, le caractère de ce qui est… vertical.

C'est également en 1545 que le Français s'est enrichi du terme horizontal – sous l'orthographe orizontal –du Latin horizon et du Grec hoziein, borner, pour désigner ce qui est parallèle à l'horizon, c'est-à-dire perpendiculaire à la direction de la pesanteur en un lieu, autrement dit perpendiculaire à un plan horizontal et, sous sa forme substantive, la milite circulaire de la vue par un observateur qui en est le centre ainsi que la ligne imaginaire qui sépare la terre du ciel et, par extension, le bas du haut, l'esprit de la matière . L'horizontalité est donc la qualité de ce qui est… horizontal.

[Une brève parenthèse : vers 1883, l'argot a attribué le qualificatif d'horizontale à la prostituée, ce qui est géométriquement blasphématoire puisque la péripatéticienne arpente le trottoir selon un plan perpendiculaire audit trottoir et que, avant d'aller s'allonger et se mettre à l'horizontal avec, sur ou sous le chaland, elle est bien à… la verticale !].

En astronomie, une verticale est le grand cercle de la sphère céleste, dont le plan contient la verticale du point d'observation et le premier vertical, le cercle, à 90 °C du méridien, qui coupe l'horizon astronomique aux deux points cardinaux est et ouest tandis que les coordonnées horizontales désignent la hauteur, c'est-à-dire l'angle de la direction d'un astre avec le plan horizontal du lieu d'observation, et l'azimut, qui est l'angle que fait le plan vertical passant par un point donné avec le plan méridien du lieu considéré, compté dans le sens des aiguilles d'une montre à partir du sud – mais à partir du nord en géodésie -.

Ce bref rappel pour faire une première remarque : la verticalité et l'horizontalité ne peuvent se définir que l'une relativement à l'autre comme si elles constituaient une sorte de cercle vertueux – ou vicieux ? – tracé par les traits, ubuesques ou kafkaïens, d'un géomètre lapalissant puisqu'est horizontal ce qui est perpendiculaire à une verticalité et vertical ce qui l'est par rapport à une horizontalité !

Ainsi, la verticalité et l'horizontalité ont une articulation commune, la perpendicularité qui, du Latin perpendiculum, fil à plomb, définit l'orthogonalité – du Latin orthogonus, à angle droit -
d'un plan, d'une droite ou d'une courbe à un autre plan, une autre droite ou une autre courbe, soit un point ou une séquence de points  de croisement, de coupure – le terme sécant venant du Latin secare, couper -, de communauté  quand la tangence n'est qu'une rencontre furtive, en un seul point, de deux plans, deux droites ou deux courbes.

Mais la pesanteur peut aussi être une force… d'inertie ; dans ce cas, elle ne renvoie pas à la verticalité mais à l'horizontalité ou, plus exactement, à une horizontalité particulière puisqu'elle est stationnaire, ré-actionnaire et hostile à) tout mouvement et, a fortiori, tout changement sans lequel il ne peut, pourtant, y avoir de progression et de… progrès !

Mon émerveillement dubitatif est certes déjà attisé par cette quasi-tautologie : pourquoi différencier symboliquement ce qui, physiquement, géométriquement, astronomiquement, ne constitue jamais que des corollaires, autrement dit attribuer des valeurs, des vertus, des attributs, des intérêts, des significations distincts à des signes dont l'origine instrumentale renvoie, somme toute, à une indissociable figuration ? comment tracer un cheminement, celui de l'horizontalité à la verticalité, quand l'une ne peut être sans l'autre ? quelle solidité, sécurisante et rassurante, peut offrir un échafaudage dont on userait pour… s'élever quand on a recours à une charpenterie qui serait une sorte d'échelle paradoxale dont les montants seraient, en même temps, des barreaux et… réciproquement ?

Mais, à l'image de moi-même dans le voyage de ma vie, mon émerveillement est… ailleurs.

En effet, même s'il semblerait que le but du F... M... est d'être, en toute choses, au juste milieu et, notamment entre l'équerre et le compas, il n'en demeure pas moins que, parce qu'elle se veut progressive, pour ne pas dire progressiste, la F... M... demande au M..., pour lui-même comme pour l'humanité, d'œuvrer à… s'élever, ce qui se figure par le passage de l'horizontalité à la verticalité puisque, comme l'indique par exemple la constitution du G... O... D... F..., "La F... M..., institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale et la pratique de la solidarité ; elle travaille à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'Humanité".

Or, s'il est bien vrai que, par exemple, on dit des gratte-ciels, construction verticale s'il en est, qu'ils s'élèvent vers le ciel au point, justement, de le… gratter, il n'est pas moins vrai que, pour la Science, la verticalité est la direction de la pesanteur et que, sur cette terre qui est notre monde, notre… horizontalité écologique, faut-il le rappeler, la pesanteur est la résultante des accélérations exercées sur les diverses parties d'un corps au repos à la surface de la Terre et la force d'attraction qui en résulte. La pesanteur se traduit donc par l'existence d'une force verticale, le poids du corps, appliquée au centre de gravité, et proportionnelle à la masse de celui-ci. La pesanteur n'élève pas mais, au contraire, abaisse en une chute qui fait passer d'une position verticale – au sens d'élevée, supérieure – à une position horizontale – au sens de située en bas, inférieure -.

Dés lors, pourquoi et comment en référer à la verticalité comme projet de vie, objet de travail si celle-ci , d'un point de vue physique, n'exprime pas une élévation mais une chute à laquelle nul objet ne peut échapper sauf à s'exorbiter et sortir à la fois de sa gangue corporelle et de son milieu – la Terre – et à renoncer à sa nature humaine qui, soumise à la loi de la gravitation terrestre, ne peut être qu'… horizontale si cette horizontalité est, justement, l'expression d'une vie terrestre, c'est-à-dire sur la terre ?

Serait-ce à dire que l'horizontalité est l'attribut de l'humanité et la verticalité de la divinité et que le propos du M... est de s'élever à dieu ou aux dieux, soit pour le(s) rejoindre – mais alors au-delà de son horizontalité, c'est-à-dire de sa vie d'humain -, soit pour se substituer à lui(eux) et, tel les héros de l'Antiquité devenir l'égal des dieux ou un certain vizir, dont une certaine B.D dit qu'il n'était pas bon, devenir calife à la place du calife ? On peut en douter – et c'est ce que je fais – pour la F... M... ou, du moins, une certaine F... M... qui, laïque, parce que laïcisée et détachée de toute divinité, se veut humaniste pour prôner le parachèvement des humains, femmes et hommes, en leur permettant enfin de naître à leur pleine et entière humanité… sur la Terre ?

Mais, au-delà de ces interrogations, d'autres interrogations se pressent.

Est-ce que cette préséance de la verticalité sur l'horizontalité est vraiment universelle ? Ne peut/doit on pas en douter quand, par exemple, pour les Égyptiens, les Aztèques, les Toltèques, les Chinois…, les pyramides n'étaient pas une élévation par la verticalité mais par l'empilement d'horizontalités et que le cœur de ces édifices se trouvait à la base, voire sous la base elle-même et non au sommet ? que pour tous les peuples nomades il n'y a de normalité que dans l'horizontalité qui est l'étendue à la fois du temps et de l'espace ? que dans de nombreuses civilisations l'architecture des édifices et l'urbanisme des cités sont horizontales et non verticales alors même qu'elles disposent de connaissances et de savoir-faire scientifiques et techniques qui leur permettraient, si elles en faisaient le choix, de défier la verticalité ? que, sans remonter aux Rois fainéants qui ne se déplaçaient que couchés sans pour autant considérer que leur autorité royale était amoindrie, abaissée du fait de leur horizontale dignité, dans de nombreuses cultures l'art de (bien) vivre est… horizontale et que, pour satisfaire ce besoin élémentaire, essentiel qu'est la nourriture, on ne dresse pas mais on pose – voire couche - la table et que l'on ne se met pas mais s'allonge à table ? que, sauf pour certains loups aux dents longues  au point de rayer les parquets pour lesquels il n'y a d'avancement qu'ascensionnel, pour bon nombre de communs des mortels l'avancement est une progression, autrement dit un mouvement, une marche en avant à… l'horizontal ? Et ainsi de suite…

Ce que je veux dire – ou, plus précisément, questionner – par là c'est : peut-il y avoir une symbolique universelle si elle ne repose pas sur une convention universellement définie, admise, connue et reconnue ? comment une quelconque symbolique pourrait être désincarnée au point d'être détachée des références culturelles du lieu et du moment où elle est pratiquée ? en raison de ces différences culturelles inhérentes aux groupes humains et, au-delà aux individus eux-mêmes, comment est-il possible de s'entendre, de convenir pour, ensemble, partager la vision universelle d'un objet symbolique ? comment voir et entendre et donc comprendre le même objet quand chacun utilise un instrument optique et acoustique qui lui est propre, son cerveau, et que l'optique et l'acoustique démontrent que les perceptions que l'on peu avoir d'un objet sont nécessairement soumises à des… distorsions  en fonction de l'instrument de mesure que l'on utilise mais aussi des circonstances de l'émission du son ou de l'image, de l'environnement… ? n'est-il pas paradoxal de revendiquer l'universalité – et, en ce qui concerne la F... M..., l'amélioration matérielle et morale, [le] perfectionnement intellectuel et social de l'Humanité" et user de symboles qui, en tout état de cause, ne peuvent pas être universels[1] ?

Entendons-nous bien : mon propos n'est pas de remettre en cause la symbolique maçonnique et, à travers elle la F... M... [anti-autoritaire, comment pourrais-je me prévaloir d'une quelconque autorité, au double sens de maîtrise et de pouvoir, pour ouvrir le procès de qui ou quoi que ce soit, dresser un acte d'accusation et, last but not least, juger], mais de questionner.

Si une symbolique est un langage, à l'évidence, seuls ceux qui le parlent peuvent, malgré leurs accents différents,  se comprendre lorsqu'ils se parlent mais à condition, me semble-t-il, qu'ils prennent soin de définir le sens qu'ils donnent à certains signifiants comme les mots et concepts renvoyant à des idées abstraites (de nature philosophique, scientifique, éthique, esthétique, affective…) et, même, très souvent, à des vocables d'usage courant dés lors que, sauf convention préalable, il n'y a pas nécessairement une seule et juste place pour chaque mot et que, les goûts et les couleurs ne se discutant pas, chacun peut en faire l'usage, bon ou mauvais, pour dire ce qu'il peut, veut et sait comprendre.

Bien évidemment, les choses se compliquent terriblement lorsque plusieurs personnes veulent se parler alors que chacune d'elle ne parle que son propre idiome et ne comprend pas celui des autres.  Nous sommes alors dans la cacophonie qui n'est que l'image musicale de monologues qui, comme les parallèles de la géométrie, ne se rencontrent jamais, du moins à l'échelle spatio-temporelle des humains !

Mais existe-t-il un langage qui soit véritablement universel ? Beaucoup considèrent que les mathématiques, la génétique, l'informatique…, autrement dit les signes scientifiques sont, en dépit de prononciations différentes, des langages véritablement universels au point que cette universalité s'étendrait à d'éventuelles vies extra-terrestre, d'où leur présence dans les message emportés par les sondes Voyager et, notamment, de cet archétype de l'universalité qu'est π alors que, de façon surprenante, ∞ ne le serait pas).

Mais alors une telle universalité, à supposer qu'elle soit vraie, ce qui reste à démontrer, n'est elle possible que parce que ces langues sont des langues froides, de pure raison et d'une logique absolue, c'est-à-dire les caractères d'une expression strictement cognitive, dénuée de toute affectivité ? A contrario, ne peut-il pas y avoir d'universalité signifiée par des mots aussi bien que des symboles dés lors que le signifiant est affectivement et culturellement chargé, affecté ? Mais ne dit-on pas que le fou est celui qui atout perdu sauf la raison ?

D'autres pensent que le langage des signes est construit selon une codification qui remonterait à un inconscient collectif commun à l'humanité et en ferait une langue universelle. Serions-nous condamnés à nous taire et à ne pas entendre pour… nous comprendre ?

Et si, en symbolique comme en toute chose, il fallait se mettre en l'équerre et le compas, dans le juste milieu et admettre qu'il n'y a d'universalité que… relative selon la portée de la convention auquel, dans un temps et un lieu donnés, on adhère librement, en toute conscience et, je dirais volontiers, en toute… intelligence ? Ainsi, l'amour, l'amitié, la fraternité, la solidarité, la maternité, la paternité…, attributs on ne peut plus humains, se déclinent en une quasi infinité de symboles. Pourtant, la non-universalité de ces symboles ne remet pas pour autant en question l'universalité de ces attributs.

N'est-ce pas être de raison, du juste milieu que d'admettre cette non-universalité et ne pas confondre le contenant et le contenu, le signifiant et le signifié pour admettre que, en F... M..., ce qui compte, ce qui est la vraie mesure, ce n'est pas le symbole mais l'idée, la valeur, la vertu, le propos, le projet… que l'on symbolise ?

Et n'est-ce pas encore être de raison, du juste milieu que de considérer que, la tradition n'étant pas "la tradition n'est pas la réaction [puisque], au contraire, elle se moque et se méfie des hermines, des bijoux et des dignités, tous ces colifichets qui encombrent la démocratie et dissimulent de bien noirs desseins" comme je le rappelais au début en citant le F... Gibet, il n'y a pas de tradition symbolique qui soit intégriste au point de vouloir rester figée dans un ailleurs spatio-temporel ?

Et si d'aventure "La F... M... [elle-même n'était] pas une universalité [mais] une université" n'en resterait-elle pas pour autant une belle école d'humanisme ? une école universaliste au sens où elle se proposerait de rayonner en dehors de son sein et d'éclairer aussi celles et ceux qui ne pratiquent pas son langage ou même qui n'adhèrent pas à ses valeurs dés lors qu'elles et ils sont… humains ?

Et si, par commodité, comme il existe, par exemple, des commodités typographiques qui sont des conventions d'écriture pour faciliter la lecture, la symbolique s'avérait nécessaire au magister maçonnique lorsqu'il se pratique en dehors des murs de la L... ne conviendrait-il de la moderniser pour, s'agissant de la France par exemple, l'inscrire dans un temps et dans un espace qui est celui, qu'on le veuille ou non, de l'inter- ou de la multi-culturalité ?

A défaut, ne court-on pas le risque de rendre la F... M... inintelligible et donc inaccessible et hermétique à un nombre sans cesse plus important de personnes, celles d'origine culturelle étrangère mais aussi à ces indigènes que sont les jeunes qui n'ont pour tradition que ce piètre vade-mecum linguistique, culturel, cognitif… que leur alloue la télévision et pour lesquels il n'y a pas de tradition antérieure à cette période de crise sociétale, voire civilisationnelle  qu'est l'espace de leur quotidienneté ? 

A entrechoquer l'horizontalité et la verticalité, pour s'en tenir à ces deux repères, le  M... ne risque-t-il pas de rendre son pas chaotique et, cahin-caha, s'en mener tout droit au chaos lui qui, par choix, a pris la mesure de l'ordre, au sens d'ordonnancement harmonieux et harmonique, et qui, pour ne pas s'égarer se doit de se tenir entre… l'équerre et le compas ?

Ces interrogations, T... C... FF..., ne sont pas forcément les vôtres. Elles sont, vous l'aurez compris, les miennes car, pour ma part, mon engagement maçonnique ne peut avoir de sens que pour autant qu'il est pris pou l'autre et, non, pour moi-même. Égoïsme versus Altruisme ? Non, simplement, un… juste milieu : je ne puis assumer seul mon humanité puisque celle-ci, pour être pleinement vécue en toute sérénité, en toute félicité, suppose qu'elle soit… partagée.

Une ultime question, du moins pour aujourd'hui, encore : et si la symbolique n'avait pas de sens en soi mais seulement pour soi et que sa seule vertu était d'être… esthétique, l'esthétique, du Grec aisthêtikos de aisthanesthai, sentir, étant le rapport au sentiment, à la perception du beau et, par extension, du beau, de la beauté en général et du sentiment qu'elle fait naître en nous, c'est-à-dire une philosophie et une éthique humanistes qui n'entendent ou ne voient pas mais… ressentent ?

 


 

[1] Pour la petite histoire : il existe des FF... M... qui, de culture, voire de pratique sont bouddhistes. Pour eux, l'équerre et le compas, pour ne s'en tenir qu'à ces symboles, s'assimilent à ou sont assimilé par la Cloche ou Drilbou, qui représente la connaissance, la vacuité, la sagesse du non-soi et le principe féminin, et le sceptre ou Vajra ou Dorjé -  foudre-diamant - qui figure l'aspect inaltérable de la réalité ultime (qui est vacuité) et de la nature de l'esprit, les moyens habiles et la compassion, soit le principe masculin. Assimilation qui n'a aucune connotation géométrique – en particulier, elle ne fait aucune référence à l'horizontalité et à la verticalité – et qui procède à une véritable distorsion - acculturation - de la symbolique maçonnique, au point que, même mis à l'équerre, un F... M... ne peut y voir un signe de… reconnaissance.


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