Anarchie, savoir et pouvoir

 

Le mythe de l'arbre de la connaissance dont il ne faut pas manger le fruit, sous peine d'engendrer un courroux divin est commun à de nombreuses impostures (autrement dit, religions). Il est significatif du tabou jeté sur la connaissance et de l'interdiction qui est faite d'y accéder.

Cette mise à l'index du savoir n'est pas spécifique aux religions. Même sous une forme embryonnaire, les Etats se sont empressés de contrôler l'accès au savoir, voire même la production du savoir. Ce contrôle a pris – et continue de prendre – plusieurs formes selon le temps et l'espace : entretien de l'obscurantisme, censure, instauration d'un savoir officiel, c'est-à-dire normé exclusif de tout autre savoir, codification des usages (cf. le rôle normatif, formateur des dictionnaires et des manuels scolaires), condamnation (à la prison, voire à mort) des producteurs et distributeurs de savoir ou, du moins, d'un savoir non-conforme, oppositionnel, subversif, immoral…, endoctrinement, abêtissement, interdiction de pratiquer certains savoirs (comme, par exemple, une langue, un art…), hermétisation ou ésotérisation de certains savoirs (langages –pseudo- scientifiques, techniques, bureaucratiques, professionnels…), récupération et détournement de savoirs indentitaires, acculturation des groupes sociaux comme des individus, ethnocide, marchandisation des savoirs et, en suivant, monopolisation avec, en particulier, l'établissement d'un droit spécifique dit de propriété intellectuelle qui, toujours, consacre une appropriation, une usurpation, un… vol, évidage sémantique, enfermement (dans des musées, des académies…), diabolisation ou psychiatrisation des déviances cognitives, symbolisation aux fins d'idéisation et donc d'extraction du réel, voire de désincarnation, c'est-à-dire de déshumanisation, ritualisation, idéalisation, divinisation, mortification

Une telle constance n'est pas innocente car le pouvoir, au sens d'autorité, est inversement proportionnel à l'ignorance du… troupeau. L'exercice du pouvoir suppose que celles-ceux qui le subissent soient exclu-e-s du savoir ou, du moins d'un certain savoir qui leur permettrait de prendre conscience de la fragilité et, surtout, de l'illégitimité dudit pouvoir dés lors qu'il n'y a de maître que dans le renoncement de l'esclave à sa liberté.

C'est pourquoi, il est du devoir des anarchistes de libérer le Savoir - tous les savoirs - en faisant sauter tous les obstacles qui en interdisent l'accès ou qui n'en autorisent qu'un accès élitiste. Les anarchistes du XIXème siècle avaient parfaitement compris l'enjeu révolutionnaire du libre accès et de la libre circulation du Savoir ; c'est pourquoi, ils-elles ont multiplié les initiatives favorisant l'apprentissage, le partage et la transmission des savoirs : écoles, cours du soir, publications, conférences, colonies, vulgarisation de textes et connaissances scientifiques, techniques, artistiques… Et c'est pourquoi aussi, les Etats ont combattu ces initiatives avec la même férocité, la même efficacité que celles de l'oppression et de la répression abattues sur les luttes syndicales, politiques, sociales…, sur les individus et les organisations…

Nul besoin d'avoir fait une école militaire pour savoir que l'un des éléments essentiels de l'art de la guerre consiste à se connaître mais aussi à connaître son ennemi. On ne peut combattre ce que l'on ignore, sauf à courir le risque d'aller au suicide. L'anarchie ne naîtra pas de défaites aussi glorieuses et nobles soient elles mais de victoires aussi anonymes et modeste soient elles ! L'anarchisme n'a pas besoin de martyrs mais… d'anarchistes bel et bien vivant-e-s ! Si la tyrannie naît et se nourrit de l'ignorance de la multitude, l'anarchie ne vivra que dans et par la lumière d'individus savant-e-s sachant partager leurs savoirs !

De nombreuses possibilités s'offrent aux anarchistes pour acquérir, transmettre, partager, propager… les savoirs anarchiques mais également pour accéder aux savoirs de l'ennemi (l'Etat, le capital, les capitalistes, les religions…) et, les ayant assimilés, le combattre avec une chance raisonnable de victoire. Or, je suis atterré de voir le peu de cas que font les anars de la question du savoir comme si elle n'était pas… révolutionnaire, comme si l'on pouvait ignorer, voire refuser le savoir au motif qu'il serait inutile, voire un ennemi ! Et lorsque je vois des colonnes d'anars ignorant-e-s monter au front (en l'occurrence celui d'une manifestation… policée, c'est-à-dire orchestrée par l'Etat), ce n'est pas l'image de la colonne de Fer ou de la colonne Durutti que j'ai (Pour mémoire, une des premières mesures prises par les révolutionnaires espagnol-e-s a été de libérer l'Ecole du carcan de l'Eglise et de l'Etat  pour en ouvrir les portes à tou-te-s les individus, les enfants comme les adultes), mais celle de ces troupeaux de poilus qui, en chantant, allaient à l'abattoir des tranchées !

S'il est vrai que, face à la tyrannie, la liberté est au bout du fusil, il ne faudrait pas oublier que, dans la vie quotidienne de chacun-e, la liberté est aussi au bout de son savoir ! Ne pas savoir ou, plus exactement, refuser de savoir, ce n'est pas une erreur mais une faute dont le prix est terrible puisqu'il est celui du renoncement à ou de la perte de sa liberté.

 


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