Chien (bientôt) perdu sans collier cherche niche

 

Le vieillissement est un processus vital enclenché dès la naissance (la conception ?) de tout organisme vivant. A l'instar d'une maladie incurable et mortelle, il frappe tou(te)s les humains, sans exception et participe donc d'une sorte d'"égalité naturelle", même si, bien entendu, il ne les frappe pas… égalitairement.

Avant le terme ultime, celui de la mort, le vieillissement, lentement, subrepticement mais inexorablement, fait accéder l'être vivant à un état particulier, celui de… la vieillesse. Quand devient-on vieux-vieille ? ou, ce qui revient au même, à partir de quand ou de quel "évènement" est-on vieux-vieille ? c'est difficile à dire. C'est comme pour savoir à partir de combien de cailloux il y a un… tas de cailloux ! La vieillesse, dans ce processus vital qu'est la vie, est cette "période", plus ou moins longue, qui se situe au-delà d'une asymptote invisible et qui se caractérise par un affaiblissement global des fonctions physiologiques et des facultés mentales et par des modifications atrophiques des tissus et des organes [On dit généralement que la vieillesse fait suite à la maturité, ce qui nous renvoie à l'image du fruit qui, après le mûrissement, connaît le… pourrissement].

Sans entrer dans le détail, car tel n'est pas l'objet de mon propos, si la vieillesse est un état physiologique et mental, "être vieux-vieille" est aussi le fait d'une "norme" sociale, culturelle, ce qui explique que cet "état" est sujet à de nombreuses variations dans le temps et dans l'espace. Ainsi, "on est vieux-vieille" du fait du "regard" de l'Autre mais également du regard que l'on pose sur soi, ledit regard ayant, bien entendu, valeur de jugement au sens d'une véritable "pesée de valeur".

Comme pour toutes les autres périodes de la vie - et comme pour la vie en général d'ailleurs -, il y a des vieillesses heureuses et des vieillesses malheureuses. Bonheur et malheur peuvent se définir à l'infini tant la part de subjectivité est grande ; toutefois, des conditions objectives président au sentiment et à la conscience que l'individu a – ou n'a pas – de son bonheur, de son malheur. De telles conditions objectives existent pour qualifier la vieillesse d'heureuse ou de malheureuse : il s'agit de la dépendance ou, a contrario, de l'indépendance.

En effet, on peut considérer que l'indépendance matérielle – ou bien encore socioéconomique - (avoir de quoi se loger, se nourrir, se vêtir, se soigner, se distraire…), physique (en particulier, mobilité, même si celle-ci est "assistée"), intellectuelle (jouir de ses facultés dites justement intellectuelles, autrement dit : avoir pleine et entière conscience, même si, par ailleurs, la mémoire peut être amoindrie, altérée) et affective (ne pas avoir de relation à l'Autre qui soit de subordination, de soumission…), parce qu'elle "garantit" l'indépendance sociale et culturelle de l'individu, est la condition objective d'une vieillesse…heureuse. A contrario, la dépendance matérielle, physique, intellectuelle et affective est génératrice d'une vieillesse… malheureuse. [Il est évident que nombre de vieillesses malheureuses ne font qui suivre des périodes de "maturité" elles mêmes… malheureuses. Et inversement].

Sans doute parce que ma "maturité", à bien des égards, est déjà, depuis plusieurs années, un lent pourrissement de légume, je sens monter en moi une colère indicible qui est le symptôme d'un mal profond : celui que j'ai à mon anarchisme, mon humanisme devant cette indifférence qu'ont beaucoup d'anars face au vieillissement et, a fortiori, à la vieillesse d'anars plongé(e)s dans la dépendance de l'isolement, de l'oubli de leurs frères et sœurs et qui sont donc livré(e)s, pieds et points liés, à l'univers carcéral de la prison, que celle-ci soit celle du silence de leur souffrance solitaire ou de ces mouroirs que l'on appelle "maisons de retraite".

Anars, nous pouvons être ce que nous avons fait le choix d'être parce des anars, qui ont vieilli à force de coups donnés et de mauvais coups reçus, ont payé le, prix fort pour nous. Quand donc assumerons-nous notre dette à leur égard ? Quand donc reconnaîtrons-nous que chacune de leur mort, silencieuse de ce silence terrible qu'est celui de la souffrance méconnue, ignorée, dédaigné…, est un peu – même beaucoup – notre propre mort ? A chacune de leur mort, c'est notre mémoire et donc notre identité qui meurt. A force de les laisser mourir dans notre indifférence, nous finirons par ne plus être que des zombies, des ombres sans passé ni avenir et donc sans… présent

J'ai honte de ces vieillesses qui sont autant de crimes et qui, au moment ultime, nous lancent cette accusation atroce, insupportable : nous sommes coupables de leur mort parce que nous avons rompu la chaîne de la solidarité, de la fraternité et que, ce faisant, nous les avons enchaîné(e)s de notre indifférence, de notre ingratitude, d'un égoïsme qui n'a rien d'anarchique mais qui, au contraire, pue la puanteur de ces charniers qui ne cessent de "parsemer" l'Histoire pour (tenter de) nous rappeler que l'Humanité reste à… inventer.

De nos jours, il est de bon ton de protéger les espèces, animales et végétales, en voie de disparition [Intention d'autant plus "pieuse" qu'elle s'inscrit dans un environnement en voie d'extinction pour cause de pollution, de gaspillage et, pour tout dire, de… bêtise]. N'est-il pas paradoxal que nous, anars, ne soyons pas capables de protéger les nôtres ? Quand pour reprendre le cri du cœur lancé il y a peu par un compagnon madrilène nous déciderons-nous à… rassembler la (notre) famille ?

 

Dans l'une de ces chansons Léo Ferré se disait... chien. Je suis un chien. Un chien vieillissant et, sans doute, déjà… vieux. Sous peu, je serai perdu, sans collier et je serai donc à la, recherche d'une niche pour pouvoir abriter ma… mort. Mais, pour moi, comme pour tou(te)s ces anars qui ne veulent pas finir dans la dépendance et, ainsi, connaître la souffrance indicible de la perte de sa liberté, on peut imaginer que, à défaut de leur tendre la… patte, par compassion (!?!) les (soi-disant) anars se lancent dans le reality-show médiatique et, comme dans une certaine nouvelle de Stephen King, organisent des chasses, histoire de faire dans l'écologisme ! Pourquoi pas après tout ? Personnellement, je suis partant, car je préfère crever abattu, debout que mourir croupissant, couché. Comme cible, je serai repérable : je porte un A cerclé sur le cœur.

 


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