Contre
le droit d'ingérence
De nombreuses O.N.G., nationales ou
internationales, à but humanitaire ou dont l'objet est la défense et la
promotion des Droits de l'Homme, sont traversées par un débat qui est celui de
savoir si, en modifiant au besoin leurs statuts, elles peuvent - voire doivent -
approuver ce que l'on nomme désormais le droit d'ingérence qui est le
recours - légitime parce légitimé sinon par le droit international, du moins
par la morale internationale - par un ou plusieurs États agissant de
sa/leur propre initiative ou sur mandat donné par une communauté
internationale d'États (O.N.U. en particulier) ou par une communauté
internationale (idem) ou un regroupement organisationnel (exemple : O.T.A.N.) d'États
à la force armée, nationale ou internationale, pour contraindre un État
à cesser de porter atteinte aux Droits de l'Homme, que cette atteinte soit
exercée contre ses propres citoyens ou contre ceux de pays tiers.
Dans la plupart des cas, ces débats
n'ont pas émergé à l'interne du fait des militants ou des dirigeants mais ont
été introduits pour répondre à une double pression, celle de l'opinion
publique et celle de gouvernements.
Avant de donner mon point de vue
personnel sur ce débat, j'examinerai d'abord la légitimité de son émergence
et, plus précisément, sur la pertinence à répondre à une pression externe,
autrement dit, à la pertinence même de cette pression.
Rappelons d'abord que l'opinion
publique, en politique comme en philosophie, ne saurait être une source ni
de Droit positif, qu'il soit national ou international, ni de morale ou
d'éthique. Elle ne saurait non plus instituer une quelconque vérité,
notamment d'un point de vue scientifique et historique.
En outre, une opinion publique
n'est jamais l'expression directe d'une position citoyenne prise et exprimée en
pleine et entière responsabilité au regard d'un objet politique. Elle est
toujours médiatisée par des acteurs (des comédiens ?) occupant
le devant de la scène et parlant au nom d'autres ou affirmant que
leurs propos sont le reflet des pensées, jugements, demandes… de ces autres
(qu'ils qualifient alors, bien entendu, de majorité dont ils rompraient
le silence dans laquelle elle est enfermée), les médias (Presse et, notamment,
au sein de celles-ci, ceux qui se sont auto-proclamés experts) et, de
plus en plus, organismes de sondage.
Dés lors, et en raison même de
sa médiatisation, on peut – et on doit toujours – s'interroger sur une
intention de (dé)faire qui se fonderait sur une opinion publique, même
– et, peut-être, surtout – qualifiée de majoritaire : est-elle réellement
l'expression d'une prise de position collective au regard d'un objet politique
pleinement identifié ? cette prise de position est-elle réellement citoyenne,
c'est-à-dire résulte-t-elle réellement d'un choix opéré selon des critères
de raison ? si cette opinion est la réponse à une question qui
lui aurait été posée, peut-on pour autant être sûr de la validité de l'énoncé
de cette question et donc de la réponse elle-même et, a contrario,
considérer que la question ne contenait pas en elle-même… ladite réponse
? est-ce que cette opinion est universelle ou, bien au contraire, particulière,
pour ne pas dire partisane ? est-elle une réaction à un fait donné avec tout
ce que cela peut impliquer de charge émotionnelle, passionnelle… et donc
d'absence de raison… ? quels sont les intentions et intérêts réels de ceux
qui véhiculent cette opinion ?…
En matière d'opinion
publique, il importe par ailleurs de rappeler que bon nombre de décisions
politiques - que je qualifierais
volontiers tout autant de progressistes que de courageuses – ont été prises contre
certaines pensées dominantes (généralement de type uniques, dogmatiques… ),
c'est-à-dire contre une ou plusieurs opinions publiques. Il en est
ainsi, par exemple, de l'abolition de la peine de mort, de la légalisation de
la contraception et de l'interruption volontaire de grossesse, de nombreuses révisions
de procès (exemple : celui de Dreyfus)…
Enfin, je rappellerai qu'en matière
d'opinion publique ce qui est vrai en un lieu et à un moment donnés
ne l'est/était pas en d'autres lieux et moments et que, la mémoire collective
étant de plus en plus courte, les fluctuations d'opinion publique sont
elles aussi de plus en plus courtes. Comment fonder un Droit positif ou un
principe moral sur une "assise" aussi fluctuante, évanescente, réversible…
?
Examinons à présent l'autre source de pression : les Gouvernements.
Qui peut encore admettre que, en
matière d'ingérence dans les affaires d'autres États, les intentions et
actions n'ont d'autre atteinte à la neutralité et au désintérêt (reflet
d'un strict intérêt général, universel) que le souci de Justice - et, plus
précisément, de respect des
Droits de l'Homme -, de générosité gratuite, de moralité… ?
Et à supposer que les
intentions et actions soient réellement bonnes, comment expliquer le
fait qu'elles ne soient pas systématiques mais, au contraire, toujours sélectives
[1]?
Autre question : à l'intérieur
de leurs frontières, les États sont supposés (bien) servir l'intérêt général,
par delà les intérêts particuliers, voire partisans. En admettant qu'il en
soit réellement ainsi, il est/serait naturel qu'il en soit de même au
delà des frontières. Pourquoi donc avoir besoin de la caution d'O.N.G.
au delà des frontières alors même que, en deçà de ces frontières, non seulement ils ne sollicitent pas cette
caution mais en plus ils l'estiment inutile, voire tout simplement déplacée,
pour ne pas dire… illégitime ?
Est-il donc du rôle et du
devoir des O.N.G. de servir d'alibi (moral) aux décisions et actes des
Gouvernements ?
Par définition, les O.N.G.
sont… non gouvernementales parce que relevant de l'initiative,
individuelle ou collective, de citoyens soucieux de s'ériger sinon en contre-pouvoirs,
du moins en lieux de réflexion, d'analyse, d'observation, de
(contre)propositions, d'évaluation, de jugement, d'action… qui, en raison même
de la distance prise à l'égard des Gouvernements , garantissent l'exercice
effectif de ce Droit fondamental de
l'Homme et du Citoyen que sont la liberté de conscience et, partant,
d'expression de cette conscience et mais également la liberté d'agir en
conformité avec sa conscience dés lors que l'action en résultant n'est pas
contraire à la Loi ou ne porte pas atteinte aux Droits de l'Homme et du
Citoyen.
Quel recul, quelle
distanciation, quelle neutralité… quelle veille vigilante et
militante pourrait continuer d'avoir une O.N.G. qui, répondant à la
pression qui est exercée sur/contre elle, viendrait a priori donner sa
caution – un blanc-seing ! – à un État pouvant désormais se prévaloir de
ce que l'ingérence qu'il exerce contre un autre État est menée aussi
au titre du mandat moral délivré par cette même O.N.G. [2]?
Autrement dit, une Organisation
de citoyens pourrai-elle encore se poser comme non gouvernementale en
devenant le mandant moral d'un ou plusieurs Gouvernements ?
Allons encore un peu plus loin :
l'un des fondements de la Démocratie est la séparation des pouvoirs exécutifs,
législatifs et judiciaires. On peut considérer que, en matière de Citoyenneté,
notamment du point de vue de la morale ainsi que des principes politiques (au
sens premier du terme) et philosophiques, il existe une autre séparation de pouvoirs
(statut, rôle, finalité, modalités d'organisation et d'action…), celle qui
distingue l'État et les Citoyens (bien entendu, nullement réduits à la seule
fonction d'électeurs qui n'est jamais que l'un des rouages du précédent), le
premier étant institué, constitué, organisé… en un appareil d'État dont
la forme la plus immédiate est le Gouvernement tandis que les seconds sont
organisés – ou, du moins, peuvent l'être – en, notamment,…. des
Organisations Non Gouvernementales[3]. Dans ces conditions, en
donnant une suite favorable aux pressions qui sont exercées sur elles
par les Gouvernements, les O.N.G. ne manqueraient pas de mettre fin à cette
deuxième séparation de pouvoirs et, par conséquent, de porter
gravement atteinte au fondement même de la Démocratie et, ipso facto,
aux Droits de l'Homme et du Citoyen, dont, pourtant, elles se prévalent en tant
que défenseurs et éducateurs.
Pour prendre une image, sans
aucune référence religieuse malgré son apparence, la spiritualité n'étant
pas le monopole des Religions : en devenant le mandant moral d'un
(quelconque) État, une O.N.G. ne perdrait-elle tout simplement son… âme ?
Énonçons à présent d'autres
arguments contre la transformation[4]
des O.N.G. d'organisations citoyennes indépendantes de la puissance publique en
mandants moraux de Gouvernements :
Ø
S'agissant des O.N.G. intervenant dans le champ de l'action
humanitaire ou des Droits de l'Homme, il convient de noter une antinomie
absolue, irréductible entre intervention armée et action humanitaire,
c'est-à-dire entre force armée (re)fondatrice d'un Droit positif quelconque -
et, en particulier, de Droits de l'Homme et du Citoyen -et défense d'individus
qui, à titre personnel ou collectif, se trouvent menacés dans leur intégrité
physique ou dans leurs libertés essentiels, ladite défense étant menée par
une action citoyenne s'inscrivant dans le cadre d'un Droit universel nullement concédé
par un quelconque pouvoir (politique, religieux…), et précédée/prolongée
par diverses actions de promotion et d'éducation.
En fait, plus qu'une simple opposition, il y a une contradiction essencielle,
catégorique entre Force – fût-elle légale et de nature policière
ou militaire, c'est-à-dire exercée par un État –, parce que nécessairement
synonyme de Violence, et Humanisme, entre recours à la répression[5]
et usage/respect de la Liberté.
Ø
Une intervention militaire n'est jamais improvisée même
si elle est décidée dans de courts délais. Elle implique une certaine préparation
qui passe par la collecte d'informations ou, plus précisément, de renseignements.
Mais elle suppose aussi que ces renseignements ne soient pas divulgués afin que
l'ennemi, ne sachant pas ce que l'on sait de lui et, a priori,
ignorant ce que l'on se propose de faire, soit pris au dépourvu et offre ainsi
une vulnérabilité plus grande du fait, notamment, de l'effet de surprise[6]. Sachant que, même entre
États d'une même coalition les renseignements militaires, frappés du secret
défense, ne circulent as facilement – et c'est un euphémisme ! -[7], il y a fort à parier que
les O.N.G. ne puissent pas y accéder et, en fait, ne disposent que
d'informations biaisées (pour ne pas dire manipulées et donc manipulatrices)
pour juger rationnellement des faits et (re)cautionner les États intervenant
ou de retirer leur caution accordée a priori.
Ø
En matière d'action humanitaire et de Droits de l'Homme, la
plupart des O.N.G., surtout celle d'envergure internationale, prennent un soin
minutieux à vérifier les faits avant de prononcer toute dénonciation et
d'engager toute action car il y va de leur crédibilité et donc de leur crédit
et de leur efficacité. De telles investigations prennent du temps. Un temps
plus ou moins long qui permet d'avoir le recul que requiert une démarche fondée
sur la raison. Or, en matière d'intervention armée, quand bien même labellisée
à but humanitaire, il ne leur sera jamais possible de disposer d'un tel
temps. Ainsi, outre le risque de ne disposer que d'informations ciblées,
pour ne pas dire orientées, les O.N.G., sous la pression d'une situation
nécessairement urgente, ne seront plus en action mais en ré-action avec
tout ce que cela implique comme charge affective, voire passionnelle et… de
perte de raison !
Ø
Aucune intervention armée, quand bien même elle se fonderait sur
des idéaux humanitaires, voire humanistes, ne saurait être… propre en
ce sens qu'elle fait toujours et nécessairement d'innocentes victimes et
qu'aucun champ de bataille – surtout lorsque, comme c'est le cas avec les
guerres modernes, il n'y a plus de distinction entre le front et l'arrière
front et que le champ de bataille, en fait, s'étend à la totalité des
territoires nationaux en conflit – ne permet de faire le tri entre les
combattants et les non-combattants, les innocents et les coupables. Quel
tenant de l'action humanitaire et de l'humanisme pourra se satisfaire d'excuses
- même dignement mises en scènes – fondées sur l'accident, le
(malheureux) hasard, la fatalité
et, en tous les cas, l'absence de mauvaises intentions… pour fermer les yeux
sur les dommages collatéraux et considérer comme juste et propre
et l'intervention et les intervenants au seul motif que ladite intervention aura
a priori été qualifiée de fondée en droit comme en moral ? Une cause
pourrait-elle être universellement juste si elle est éclaboussée de bavures
? et même d'une seule bavure ?[8]
Ø
Considérée comme la sanction d'une infraction caractérisée,
grave et persistante aux Droits de l'Homme toute intervention armée est un… échec.
En effet, est échec toute sanction (au sens de punition) qui vient en réparation
de ce qui aurait pu être évité par un long et patient travail d'éducation,
d'explication, de sensibilisation, de promotion… Est également échec une
intervention armée qui vient en substitution d'autres formes d'intervention,
non violentes (au sens militaire du terme), et qui, face à l'insuffisance du
travail précédent, auraient pu/dû éviter le recours à la force armée en
donnant un caractère plus contraignant à la persuasion mise en œuvre
pour qu'aucune infraction ne soit commise ou que cesse tout début d'infraction.
La guerre n'est pas le nécessaire prolongement de la politique et de la
diplomatie. Les États qui se rangent dans le camp des Droits de l'Homme ont
d'autres moyens pour contraindre ceux qui ne les respectent pas/plus à les
respecter : l'Éducation (avec tout ce que cela suppose comme aides à apporter
aux États ne disposant pas des
ressources nécessaires pour organiser une véritable École publique réellement
institutrice de Citoyens) ; les pressions et sanctions diplomatiques ; les
pressions et sanctions économiques et financières[9]
; la reconnaissance et le soutien des défenseurs des Droits de l'Homme[10]
; l'aide au développement ; la mise en œuvre non discriminatoire du droit
d'asile[11];
l'interdiction des armes anti-personnelles, des équipements de répression et
de torture….; la non-coopération avec les États et leurs Services,
organismes, personnels, officiels ou officieux… coupables d'atteintes
aux Droits de l'Homme ; l'interdiction du mercenariat…
Ø
Dans leur sollicitation des O.N.G. comme caution (alibi ?)
morale, ce sont bien entendu les États qui entendent se réserver le droit
de nommer les méchants, c'est-à-dire de désigner, juger et sanctionner
les coupables. Je ne m'étendrai pas davantage sur cet argument, me co,ntentant
de poser une question : chercher l'erreur ![12]
Ø
Force est de constater que ce sont les pays occidentaux – ou,
plus précisément, les pays capitalistes et, encore plus précisément, les
pays capitalistes sous domination ou, pour le moins, influence, américaine -
qui sont à l'origine de l'émergence jurisprudentielle de ce droit
d'ingérence. Deux autres constats sont à faire : ce droit n'est pas
revendiqué contre les pays du camp ainsi défini - comme s'ils étaient tous
indemnes de toute atteinte aux Droits de l'Homme ! – mais contre ceux de l'autre
camp – pour faire simple, tous ceux qui, géopolitiquement,
s'inscrivent dans l'ancienne sphère soviétique – ou du non-camp
(c'est-à-dire… le reste… les autres pays que, par pudibonderie, on nomme en
voie de développement pour ne pas les qualifier de ce qu'ils sont : des pays
pauvres dominés, exploités). Dés lors, deux questions se posent : les États-Juges,
à la fois garants et détenteurs exclusifs du droit d'ingérence,
accepteraient-ils que ce même droit soit revendication/exercé contre
eux par tel ou tel pays de l'autre camp ou, pire encore, du non-camp
? A supposer qu'un jour une telle revendication soit exprimée par un pays de l'autre
camp ou du non-camp contre un pays du camp des Droits de l'Homme[13]
quelle serait la position des O.N.G. occidentales ? ne se retrouveraient-elles
pas piégées par la stratégie d'alliance (même si seulement morale et
nullement juridique) conclue avec les États du camp des Droits de l'Homme et
dans l'incapacité de réaliser effectivement leur objet ?
Ø
Constituer et mettre en œuvre un droit d'ingérence,
c'est-à-dire reconnaître la capacité légale à un État d'intervenir contre,
voire dans un autre État au nom de la défense/restauration des Droits de
l'Homme n'est-ce pas jouer à l'apprenti sorcier et mettre le doigt dans un
engrenage infernal parce que sans fin ? Actuellement, les Droits de l'Homme sont
loin de constituer un corpus juridique véritablement universel et certains États
n'hésitent pas à les relativiser dans le temps et dans l'espace, en arguant en
particulier de spécificités culturelles ou religieuses, pour refuser de les
reconnaître à leurs propres citoyens et donc de les appliquer. Mais s'ils
s'assortissent d'un droit (international) d'ingérence, ces mêmes États ne
seront-ils pas tentés de les reconnaître pour, se saisissant du droit subséquent
d'ingérence, légitimer leurs interventions (leurs ingérences) dans d'autres
pays en expliquant, par exemple, qu'ils le font pour y
préserver/restaurer les Droits de l'Homme de la minorité ethnique
culturellement rattacher aux Nations dont ils sont l'émanation ? Hitler, de nos
jours, ne se saisirait-il pas de ce droit d'ingérence ouvert par les Droits de
l'Homme pour rétablir ceux des allemands des Sudètes (ou de Pologne,
d'Ukraine…) qui, selon lui, seraient bafoués ? Un droit d'agir ne génère-t-il
pas, de facto et de jure, un droit de… ré-agir ? Qui pourrait
prédire jusqu'où nous amènerait une telle spirale ?
Ø
En conséquence des droits de l'Homme et du Citoyen certains pays
ont reconnu le droit d'objection de conscience. Par rapport à une intervention
armée, même menée sous l'égide et en faveur de ces mêmes droits, rien n'empêcherait
de supposer qu'un citoyen revendique ce droit pour refuser de participer au
conflit armé : dans quelle situation se retrouveraient alors les O.N.G. qui, en
d'autres circonstances, auraient soutenu un objecteur de conscience ayant refusé
de participer à un conflit ordinaire ou qui aurait déserté face à cet
autre objecteur refusant, en sa conscience, de servir une armée pour les droits
de l'Homme ? le soutiendraient-elles mais
alors ne serait-ce pas une transgression du pacte conclu a priori
avec cet État ? refuseraient-elles de le faire mais alors ne se
mettraient-elles pas en contradiction avec leur propre objet, leurs propres
valeurs et principes ?
Ø Il est de coutume d'affilier un mouvement de pensée ou d'action à la paternité/maternité d'une grande personnalité (femme ou homme). Les O.N.G. se vouant à l'action humanitaire ou à la défense/promotion des Droits de l'Homme se retrouveraient-elles subitement orphelines au point de se chercher un nouveau père parmi les Machiavel, Clausewitz et, plus généralement, tous les pontifes (qu'ils soient politiques, religieux ou philosophiques) pour lesquels la fin justifie les moyens - la guerre est une forme particulière de la politique - il faut tous les tuer car seul Dieu (ou le Parti, le Chef…) peut reconnaître les siens - les bons sont X et les méchants Y – tous les hommes sont des chiens, seul le collier change – une sanction et une peine peuvent être collective parce que, en politique, il n'y a de responsabilité que collective et qu'il n'y a jamais d'innocent… ?
D'autres arguments pourraient être
avancés. Mais il ne me semble pas nécessaire de le faire car l'action
humanitaire et la défense/promotion des Droits de l'Homme et du Citoyen me
semblent tout simplement participer de principes politico-philosophique et de
valeurs morales et éthiques qui sont définitivement inconciliables avec la
simple idée de cautionner l'utilisation par un État de la force armée contre un autre État, c'est-à-dire
contre des femmes, des hommes, des enfants… des citoyens-nes.
Jadis, les conquérants avaient coutume de se faire précéder, accompagner et/ou suivre de religieux[14]. Cela ne rendait pas pour autant leurs campagnes moins cruelles et meurtrières mais cela avait le mérite de créer de la bonne conscience tant il est vrai que, parfois, l'humain arrive à remonter à la conscience de plus parfait sadique et qu'alors il a besoin d'être apaisé, blanchi, innocenté, rassuré, glorifié, sanctifié… pour retrouver le sommeil et se regarder à nouveau dans un miroir. N'est-ce pas pour assouvir ce besoin, parfaitement humain et tout à fait compréhensible, que les hommes (et les femmes, bien sûr) de pouvoir que sont les hommes (idem) et Chefs d'État et de Gouvernement sollicitent les O.N.G. ? En répondant à cette sollicitation, les O.N.G. ne feraient-elles pas plus que perdre leur âme : ne se rendraient-elles pas complices de crimes sinon contre l'Humanité, du moins contre des femmes, des hommes, des enfants… des citoyens-nes dont elles se sont pourtant données la charge de défendre/promouvoir les Droits. Des Droits inaliénables, inviolables et universels…
Pour ma part, il est clair que je ne saurai militer au sein ou pour une O.N.G. qui, sous prétexte de mieux ou plus défendre les Droits de l'Homme et du Citoyen, renonce à sa Citoyenneté et à son militantisme en cautionnant (à plus forte raison, a priori, sans aucun pouvoir de contrôle) les interventions armées de quelque État que ce soit.
Additif
Dans une note j'ai fait référence
au droit à l'insurrection ouvert par la Déclaration des Droits de l'Homme et
du Citoyen au profit de tout citoyen ou du corps social dans sa globalité dans
la mesure où l'État enfreindrait ses droits. C'est dire que je ne récuse pas
la violence quand celle-ci est l'ultime moyen de préserver ses droits
fondamentaux, élémentaires. En revanche, en tant qu'homme et citoyen, je ne
peux cautionner a priori l'utilisation par un quelconque État de la
violence contre un autre État et, nécessairement, contre d'autres hommes et
citoyens.
Refuser de cautionner un droit
conféré a priori, au nom du droit positif et de la morale, à un État
d'agresser[15] un autre État et donc de
porter la violence armée[16]
au sein de sa population ne relève pas d'un pacifisme exacerbé, désincarné,
a-social et a-historique, voire fanatique et de tomber dans le plus total défaitisme
mais d'une position humaniste qui est celle du refus du recours à la violence
comme moyen de (re)constituer un droit fondamental ou un corpus entier de droits
fondamentaux alors même que, auparavant, on s'est interdit d'utiliser d'autres
voies pour éviter d'en arriver à une telle situation.
C'est pourquoi, je suis
convaincu que, avant de se laisser aller à cette facilité qui est de rendre la
gifle reçue ou de poser comme interdiction absolue de la rendre, il y a nécessairement
des propos à tenir et des actes à accomplir pour éviter que cette gifle… ne
soit donnée, sachant que, bien entendu, comme moyen préalable, je ne range pas
le fait de mettre l'autre, présupposé agresseur potentiel, … K.O.
!
[1] Prenons le cas du Proche Orient : pourquoi la coalition occidentale a jugé légitime d'intervenir contre l'Irak quand elle s'interdit de le faire en Arabie Saoudite, dans les Émirats, au Koweït… dont on sait pourtant qu'ils ne sont pas des champions des Droits de l'Homme ?
[2] Pour être en mesure d'exercer une telle vigilance ne faut-il pas nécessairement être sinon dans l'opposition du moins rester en dehors du système que l'on se propose de surveiller ?
[3] Rappelons que toute association, au regard de la Loi de 1901, est, par définition, une organisation non gouvernementale et que républicains et démocrates s'accordent à reconnaître que la Liberté d'Association en pleine et entière indépendance de la puissance publique, est l'un des fondements essentiels de la République et de la Démocratie.
[4] La… mutation.
Mutation. n. fém. 1. Vx ou litt. Changement, passage d’un état à un autre. Les mutations de l’histoire. / Mod. Changement important; transformation. Une société en pleine mutation. [...] 3. BIOL. Modification spontanée ou expérimentale de l’information génétique d’un être, se manifestant sur son phénotype et/ou sur celui de ses descendants. […].
ã Dictionnaire Hachette Multimédia. 2000.
La mutation est donc une transformation radicale entraînant un changement d'identité… d'Être.
[5] Même si, pour se légitimer, celle-ci est exercée de façon préventive, défensive ou curative.
[6] Ce secret militaire vise aussi, même si c'est accessoire par rapport à la victoire, à minimiser les coûts (humains et matériels) que l'on va subir en raison de l'intervention envisagée.
[7] Les récentes interventions occidentales dans le Golfe et les Balkans démontrent que, même entre les États (exemple la France par rapport aux U.S.A.) ne disposent pas d'une égalité d'accès aux renseignements militaires.
[8] Rappelons qu'en plus des dommages collatéraux, présentés comme de simples accidents, toutes les interventions armées à but (?!?) humanitaire ont donné lieu à des exactions de la part de la gente soldatesque alors même qu'elle était drapée de l'auréole virginale des Droits de l'Homme.
[9] Pressions et sanctions exercées non pas contre la totalité de la population du pays bafouant les Droits de l'Homme mais, de façon plus ciblée, plus intelligente et plus équitable, contre, par exemple, les avoirs personnels de ceux qui, du fait de leurs fonctions et de leur pouvoir, sont responsables de cette atteinte aux Droits de l'Homme. Un boycott étendu à tout un pays, comme c'est le cas pour l'Irak, punit aussi bien ceux qui dénient ces droits que ceux dont les mêmes droits sont atteints, voire niés. Même non armée, une intervention généralisée est fondamentalement contraire aux Droits de l'Homme puisqu'elle remet les principes de présomption d'innocence et d'individualisation du délit ou du crime comme de la peine.
[10] Rappelons trois articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1793 : 33 "La résistance à l'oppression est la conséquence des autres Droits de l'Homme" – 34 "Il y a oppression contre le corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé" (souligné par moi, JCC) – 35 "quand le gouvernement viole les Droits du Peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs". Certes ce texte est… révolutionnaire et les Déclarations ultérieures ne reprendront pas explicitement ce droit à l'insurrection (sauf, je pense, celle des U.S.A. ; toutefois, on est légitimement en mesure de considérer que ce droit est implicitement reconnu par les autres textes dès lors qu'ils posent comme principe universel… l'inviolabilité des Droits de l'Homme. Sur cette base, ne peut-on pas estimer qu'avant de se doter d'un droit d'ingérence les États respectueux des Droits de l'Homme et du Citoyen s'imposent un devoir d'assistance envers toutes les personnes, physiques ou morales, assurant la défense de tels Droits ?
[11] Article 14 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 : "Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays…".
[12] Par définition, un juge est celui qui juge les autres qu'on les appelle présumés innocents (ou coupables) ou mis en cause. Un juge ne se juge pas lui-même au sens juridique du terme. Or, en matière de droit d'ingérence, les États, outre qu'ils ont/auraient eux-mêmes institués ce droit, s'érigent/érigeraient non seulement en juge mais aussi en procureur (accusateur) et… exécuteur des hautes œuvres (autrement dit : bourreau) !
[13] Je m'excuse de l'indécence d'une telle supposition !
[14] Sans que l'on sache vraiment qui, en dernier ressort, étaient les alibis des autres !
[15] En matière d'intervention armée menée à l'extérieur de frontières nationales contre un autre pays, en droit comme en art militaire, c'est bien commettre une… agression.
[16] Celle d'une armée d'État.