Amalgames

 

1 - Il y a peu, sur une  liste, un soi-disant "anarchiste" (il est facile de se prétendre d'un mouvement quand, dans le fond, on ne connaît rien de son histoire, de ses principes et valeurs, de ses objectifs, de ses méthodes...) s'est violemment élevé contre un appel à la solidarité en faveur de grévistes de Mac Do au seul motif qu'ils produisent et vendent de la "merde" (sic) et qu'être solidaires à leur égard serait aussi coupables que de l'être à l'égard de salarié(e)s de centrales nucléaires ! Ce genre de propos, constitutifs de ce que l'on appelle la pensée de café du commerce, surtout après beuverie, atteste d'une totale absence de conscience politique. Assimiler des salarié(e)s avec les patrons, c'est confondre le jour et la nuit, prendre des vessies pour des lanternes, assimiler bourreaux et victimes, exploiteurs et exploité(e)s.., se soumettre à la pensée unique faite de préjugés, d'ignorance (voire d'obscurantisme) et, je dirais même volontiers, de "bêtise et de méchanceté" si ce n'était pas là manquer de respect à la mémoire d'un certain journal.

C'est pourtant là un comportement courant de la part de celles-ceux qui, faute de conscience politique donc, sont incapables de procéder à une analyse historique, sociologique, économiques... (en somme... scientifique) du réel et, de ce fait, de "voir" qu'il y a une fichue différence entre patrons et salarié(e)s   à l'image de celle qu'il y avait entre serfs et féodaux, esclaves et maîtres ! Et qu'il existe une autre différence fondamentale, celle entre individu(e)s et structures, les premier(e)s n'étant pas forcément le reflet unidimensionnel de la seconde. Loin de faire avancer la cause de la Révolution, il sert la réaction et sombre régulièrement dans ce populisme poujadiste qui, régulièrement, se révèle pour ce qu'il est vraiment : le fascisme.

En outre, mais c'est accessoire par rapport au point précédent, qualifier la restauration rapide des Mac Do de "merde" relève d'une pure subjectivité, éventuellement gustative mais, aussi et surtout, culturelle. En quoi ce type de restauration, du seul point de vue objectif de ses composants et méthodes de cuisson, serait de la "merde" quand le sandwich (la tartine, dans le vocabulaire belge), le steak-frites, les moules-frites, la pita, le kebbab, le hot-dog..., que consomment allègrement les pourfendeurs-euses de la "cuisine yankee", n'en seraient pas ? Outre qu'il témoigne d'un "goût unique" (à l'image d'une pensée de même nature), ce dogmatisme cullinaire prétend, comme n'importe quelle secte, détenir La Vérité, oubliant que l'origine du hamburger n'est pas états-unienne,  faisant l'impasse sur le fait que les autres mets de restauration rapide précités sont tous d'origine étrangère (relativement au nombrilisme européen), et se révèle, lui aussi, pour ce qu'il est, un vulgaire chauvinisme dont on sait qu'il est la sauce accommodante du fascisme !

2 - Lors de récentes manifestations orchestrées par l'UMP et le Medef, des "patrons" - et, en fait, pour une large part, des "cadres" d'entreprise privée qui se prennent pour des patrons alors qu'ils ne sont que des salarié(e)s, c'est-à-dire, objectivement, des... prolétaires acceptant docilement, servilement de jouer les figurant(e)s - ont accusés les grévistes de sabotage et de fainéantise. C'est là aussi un amalgame autant courant qu'abusif.

La grève n'est pas un acte de sabotage, de destruction : elle n'est que l'un des rares moyens dont disposent les salarié(e)s pour résister à l'exploitation du capital et à l'oppression et à la répression conjointes du patronat et de l'Etat. Qualifier la grève de "sabotage", avec tout ce que l'acceptation péjorative du terme peut laisser entendre (terrorisme, vandalisme...), est une pratique courante de la part des capitalistes qui, comme tous maîtres, exigent une totale servilité de la part de la main d'oeuvre qu'ils exploitent. Un tel discours fait, bien entendu, l'impasse sur les pratiques maffieuses de ce même patronat (lobbying jouant l'intérêt privé, particulier contre l'intérêt général, pollution, abus de biens sociaux, escroquerie aux fonds de pension, violation du droit syndical et, plus généralement, des droits fondamentaux et des libertés individuelles, soutien actif aux dictatures les plus sanguinaires, production et commercialisation de produits cancérigènes, ventes d'armes...) qui, elles, ne sont pas considérées comme des atteintes à l'"économie nationale" et bénéficient donc du "label" patriotique et citoyen !

Qu'en est-il de l'accusation de fainéantise ? Rappelons d'abord que, à l'origine, "fainéant", de l'ancien français faignant, de feindre, "rester inactif", signifie "ne rien vouloir faire" ou, plus exactement "feindre de faire pour… ne rien faire" [Rappelons aussi que l'Histoire a qualifié de "fainéants" les derniers rois mérovingiens, qui abandonnèrent le gouvernement aux maires du palais à partir de Thierry III (675) et qui refusaient donc d'assumer leurs "charges royales"]. A l'évidence, accuser quelqu'un(e) d'être fainéant(e) participe du préjugé judéo-chrétien qui considère que le travail (du latin tripalium, instrument de torture) est une condamnation divine qui serait tombée sur la tête de "certaines" gens (les non-propriétaires, que les propriétaires soient des esclavagistes, des féodaux ou des capitalistes) pour cause de… "péché originel" !?!.

Depuis l'essor commercial, puis industriel et financier du capitalisme, un(e) gréviste est un(e) salarié(e) qui a cessé de travailler pour appuyer ses revendications quand, au Moyen-Âge le terme désignait un(e) chômeur-euse, c'est-à-dire une personne sans emploi à la recherche d'un… "travail"[1]. Ainsi, pour ces accusateurs publics, variante moderne de (minables et petits) Torquemada, les grévistes ne seraient "fainéant(e)s que lorsqu'ils-elles cessent de travailler pour leur compte (et, surtout, pour leur profit, alors qu'ils-elle seraient de bon(ne)s travailleurs-euses et, qui plus est, de bon(ne)s citoyen(ne)s quand ils-elles acceptent docilement de travailler, c'est-à-dire d'être exploité(e)s !!!

Par ailleurs, cette référence religieuse à la "vertu laborieuse" me fait penser à ce royaume où les borgnes sont rois. En effet, si être fainéant(e) consiste à ne pas "aimer" le travail et donc à ne pas travailler, qu'en est-il des capitalistes qui… ne travaillent pas mais… font travailler ? qu'en est-il du capitalisme financier (l'actionnariat) qui consiste à ne pas mettre la main à la pâte (à l'outil, à la machine, à la terre…) mais à faire tourner ("travailler") des outils de production - mis en œuvre par des travailleurs-euses, qu'ils-elels soient manuel(le)s ou intellectul(le)s - ? Cette non-activité laborieuse délibérée n'est elle pas de… l'oisiveté ? Et l'oisiveté voulue, entretenue, n'est-elle pas de la… fainéantise et la "mère de tous les vices" ?

On notera que ce genre d'accusation utilise toujours le terme de "fainéantise" qui, culturellement et en raison de sa religiosité originelle a une forte charge péjorative, mais pas celui de paresse. Et pourquoi donc ? Et bien tout simplement parce que la paresse – l'oisiveté –, pour les tenant(e)s du pouvoir aristocratique, était un… "art de vivre" qui permettait de se livrer aux joies de la "création" intellectuelle (philosophie, morale, esthétique, mathématique, poésie…) alors que," naturellement", la classe laborieuse était condamnée à travailler et dépourvue de toute capacité créatrice, le travail n'étant pas considérer comme de la "création" mais de la "production" d'une part et que, d'autre part, même en ayant aboli (au besoin par la violence) le monarchisme, les bourgeois n'ont de cesse de se prendre et de se faire accepter pour des… aristocrates ![2]

 

3 – Une fois de plus, les médias – et, de ce fait, les "journalistes" qui, oubliant qu'ils-elles ne sont rien d'autres que des salarié(e)s, victimes de la même exploitation que les grévistes, s'empressent de faire de la surenchère dans la servilité à l'égard des maîtres dont ils-elles sont les chien(ne)s de garde -  ont qualifié de "gauchistes", de "casseurs", de "vandales", d'"anarchistes" les manifestant(e)s qui, pendant la manifestation ou à son terme, se sont livré(e)s à des "débordements", c'est-à-dire se sont affronté(e)s avec les "forces de l'ordre"[3].

L'objectif de cet amalgame est clair : terroriser l'opinion publique pour justifier les formes les plus excessives de la répression, diviser le "peuple" en montant les salarié(e)s du Privé contre ceux-celles du Public, déplacer l'éclairage médiatique pour obscurcir, rendre plus discret le travail de casse générale du système de protection sociale acquis – conquis – de hautes luttes qui sera ainsi plus facilement mené à terme, discréditer le projet révolutionnaire – et, singulièrement, le projet anarchiste –en l'assimilant à une intention de "destruction" et non de "construction", isoler les éléments les plus actifs du mouvement social de contestation, de revendication… Pour ce faire, tous les coups bas sont permis : montage truqué d'images, commentaires incitant à l'affolement, voire à la panique s'adressant non à la raison mais à la trivialité d'un inconscient quasi anima, bestial, musique de fond faisant dans le dramatique…

Il s'agit là de mensonges éhontés car, hormis les agissements de quelques "casseurs" patentés[4], ces affrontements sont toujours des réponses improvisées aux charges des robocops, lesquelles sont opérées alors même que l'"ordre public" – la "sécurité" des biens et des personnes – est aucunement menacée[5]. Réponses qui ne sont jamais qu'un acte de résistance.

Ce faisant, nos capitalistes actuels, qui ne sont que les descendant(e)s des "bourgeois(e)s révolutionnaires" de 1789 oublient que, ayant dû se faire "terroristes" pour résister à la réaction, intérieure et extérieure, du monarchisme ils-elles ont proclamé en 1793 une déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen dont je rappelle les extraits les plus significatifs ci-après :

[…] "- Article 6 : La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui : elle a pour principe, la nature ; pour règle, la justice ; pour sauvegarde, la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu'il te soit fait ;

- Article 7 : Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s'assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. La nécessité d'énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.

- Article 27 – Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l'instant mis à mort par les hommes libres.

- Article 33 – La résistance à l'oppression est la conséquence des autres droits de l'Homme.

- Article 34 – Il y a oppression contre le corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.

- Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs". […]

Alors une question : pourquoi cette Déclaration, qui légitimait la résistance à la tyrannie et, de ce fait, les "débordements" à l'égard de l'appareil répressif monarchique, aurait été légitime, valable pour les bourgeois(e)s du XVIIIème siècle et ne le serait pas pour les salarié(e)s – les prolétaires – du XXIème siècle qui voudraient résister aux coups et du capitalisme – exploitation – et de l'appareil répressif d'État – répression – lesquels sont tous deux constitutifs d'un ordre oppression absolument contraire aux valeurs et principes de la (grande) Révolution, laquelle instaura universellement les droits fondamentaux et les libertés individuelles des gens et non des régimes ?



[1] Grève nom féminin (du n. de la place de Grève, à Paris, où se réunissaient les ouvriers au chômage) 1. Cessation collective et concertée du travail, décidée par des salariés dans le but d'appuyer une revendication professionnelle. Droit de grève. Être en grève, faire (la) grève, se mettre en grève.

– Grève du zèle, grève qui consiste à appliquer avec une minutie excessive les consignes de travail en vue de bloquer l'activité de l'entreprise.

– Grève perlée : succession de ralentissements du travail à différents postes.

– Grève sauvage, grève qui éclate spontanément en dehors de toute consigne syndicale.

– Grève sur le tas, grève avec occupation du lieu de travail.

– Grève surprise, grève qui n'a pas été précédée d'un préavis.

– Grève tournante, grève qui affecte tour à tour certaines catégories du personnel (horizontale) ou certains secteurs d'activités (verticale) d'une entreprise.

– Grève à la japonaise : mécontentement des salariés, des étudiants, etc., qui s'exprime par le port d'un brassard durant les heures de travail, par allusion à de telles grèves, quasi rituelles au début du printemps, au Japon.

2. Grève de la faim : refus de se nourrir afin d'attirer l'attention sur une revendication, en signe de protestation, etc.

– Grève de l'impôt : refus concerté d'acquitter l'impôt.

[2] Je rappellerai que, c'est par référence à cette conception aristocratique de la paresse et du travail que Paul Lafargue a revendiqué, pour le prolétariat, le droit… à la paresse et , en fait, au-delà de cette apparence provocatrice, l'abolition du salariat, autrement dit du capitalisme et de toute forme d'exploitation des gens.

[3] Et, en réalité, de l'appareil répressif de l'État gardien non pas tant de l'ordre au sens de "paix civile" que de ce règne particulier qu'est celui du capital – le capitalisme – l'exploitation de l'écrasante majorité par une infime minorité.

[4] Qui ne participent aucunement au mouvement social et qui ne sont là que pour se livrer à leur sport favori – la violence – comme le font les supporters de certaines équipes de football et qui, en cherchant l'affrontement pour l'affrontement témoignent de leur absence complète de projet révolutionnaire.

[5]  Du point de vue du pouvoir il y a pourtant bel et bien une "menace" : la contestation de sa "légitimité", autrement dit de son existence même. C'est pourquoi, il ne peut accepter d'être contesté que dans le cadre strict et exclusif d'un "défoulement" contrôlé, orchestré nécessairement limité dans le temps et dans l'espace.


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