La peur

La peur est considérée, notamment par les psychologues, comme une émotion. Pourtant, à bien des égards elle un instinct qui participe d'un instinct plus général, primaire, essentiel et, je dirais même volontiers, essenciel : l'instinct de survie. En effet, chez les animaux comme chez les tout jeunes humains, la peur relève d'une pulsion de conservation qui consiste à se préserver des dangers en les évitant, en les fuyant. Ainsi, chez les jeunes enfants, la peur du noir est instinctive et donc universelle car le "noir" est ce qui se situe en-dehors du monde appréhendé, maîtrisé et donc rassurant. De même, par exemple, des singes nés et élevés en captivité et d'une descendance de même nature ont une peur instinctive des serpents et même de tout objet dont la forme peut évoquer un serpent et ce, alors même qu'ils n'ont jamais vu de serpent et qu'ils ne l'ont donc pas intégré dans leur "connaissance" du réel.

La peur la plus élémentaire, la plus animale est donc la peur de… l'inconnu. Cette peur recule au fur et à mesure que le monde réel est connu, maîtrisé, intellectualisé (du moins, pour les humains) ou que l'on s'imagine le connaître, le maîtriser.

Chez les humains, appliquée au réel, la peur de l'inconnu est inversement proportionnelle au degré de connaissance du réel. Que cette connaissance soit objective et, singulièrement, scientifique ou subjective, pour ne pas dire chimérique et, en l'occurrence, primitive, magique ou religieuse. En effet, cette connaissance permet d'expliquer l'inexpliqué – voire, l'inexplicable -, ce qui ne peut que rassurer car cela chasse autant les mauvais esprits que les fantasmes mais elle permet aussi de se prémunir contre un danger (la foudre, le débordement d'une rivière, le venin d'un serpent…), de supprimer ce danger (paratonnerre, digue, vaccin…) et, à la limite, de l'éviter en sachant comment agir à bon escient à cette fin.

Ainsi, la peur de l'enfant va en diminuant avec l'âge en raison de l'apprentissage qu'il fait du réel à l'instar de n'importe quel autre animal.

Le développement des sciences et techniques mais également de l'instruction, de l'éducation s'accompagne donc d'une diminution régulière des facteurs de peur en raison de la non moins constante diminution de l'inconnu.

Pourtant, à l'évidence, la peur subsiste. Et même relativement au réel dans la mesure où l'accroissement des connaissances, en particulier celles concernant l'univers, ne manque pas de soulever des questions que l'on pourrait qualifier de métaphysiques qui sont généralement des questions de… sens, c'est-à-dire aussi bien de signification que d'orientation. Ainsi, la question du sens de la vie - ou, plus simplement de sa vie – posée par rapport non pas à sa quotidienneté, son immédiateté peut donner à avoir peur du fait de l'absence de réponse satisfaisante. Cette peur métaphysique peut alors devenir une angoisse existentielle que l'on tentera :

Ø      d'apaiser par des dogmes, exclusifs de toute question, de tout questionnement, que ces dogmes soient religieux ou politiques ;

Ø      d'oublier en procédant, par exemple, à un long et méthodique dérèglement de tous les sens (démarche esthétique par excellence : surréalisme, dadaïsme, cubisme, fauvisme... mais aussi recours aux drogues, à l'alcool…) ;

Ø      de contourner par l'affirmation d'un non-sens absolu (nihilisme, fanatisme…),

Ø      de taire définitivement en… se suicidant.

Mais, le réel est également fait… d'humains et, s'agissant de ceux-ci, force est de constater que la peur est loin de régresser malgré les avancées prodigieuses de la science et de la technologie, malgré la progression exponentielle de la diffusion des connaissances, malgré le recul que l'on peut avoir par rapport à l'instant et à son coin de terre en raison d'une Histoire de plus en plus longue, de moins en moins ignorée, malgré le rétrécissement constant de la terre du fait du progrès des techniques et moyens de transport et de communication…

Oui, la peur humaine d'autres humains est toujours présente. Cette peur de l'Autre ou, du moins, de… certains autres, qui a été le creuset des pires ignominies (croisades, inquisition, chasses aux sorcières, pogroms, guerres, expulsions…) est toujours bien présente,… omniprésente.

Cette peur de l'Autre, de certains autres se fonde toujours sur l'ignorance de l'Autre, à ceci près que, compte tenu des progrès évoqués précédemment, cette ignorance est… volontaire. Elle est la négation de l'altérité, que cette altérité soit proche (les homosexuels, les sans papiers, les précaires, les gens du voyage, les immigrés…) ou lointaine (les Africains en… Afrique, les Asiatiques… en Asie…).

Certes, l'altérité qui fait peur connaît toujours ses exceptions et, à l'instar de l'esclavagiste du Sud des États-unis qui n'avait pas peur de son (bon) oncle Tom, dans l'entourage de ceux qui ont peur de l'Autre, il y a toujours un autre qui, dérogeant à l'altérité à laquelle il appartient et qui fait peur, ne fait pas peur parce que, en définitive, il est nié dans son altérité et objectivé dans un statut de paria, c'est-à-dire d'autre… autorisé (l'Arabe qui tient l'épicerie arabe du coin ; le manouche de scène ; l'homo artiste…).

Cette peur de l'Autre, aujourd'hui comme hier, justifie tous les excès, à commencer par la négation de l'Autre dans son essence humaine et, partant, dans ses droits et libertés fondamentales. Cette peur de l'Autre, qu'elle soit théorisée ou dogmatisée, malgré les oripeaux idéologiques, religieux, politiques, (pseudo) scientifiques, juridiques, moraux…de légitimité dont elle peut se vêtir, a pour nom véritable, le racisme, c'est-à-dire l'a-humanisme, l'anti-humanisme.

Cette peur là est un cancer qui ronge l'espèce humaine. Car, comme le cancer de la médecine, elle ronge l'espèce humaine de l'intérieur même, se propage par métastases ; et si, parfois et même (trop) souvent, elle tue l'Autre qui fait peur, elle déshumanise celui qui accepte de s'en laisse posséder quand, faisant le choix de ne pas naître à son humanité et de ne pas reconnaître en l'Autre son alter ego, il se déshumanise, il… s'avilit et se fait non pas animal mais… bête, bête immonde.

Comme la peur instinctive d'un réel inconnu, la peur de l'Autre entraîne les mêmes comportements :  

·        l'apaisement : l'Autre est nié dans son humanité au motif, par exemple, qu'il n'est pas du peuple élu, qu'il est un mécréant, un hérétique, un traître, un apostat, un… étranger, bref un exclu du cercle restreint d'une élite. Dés lors, apaisé, on peut maltraiter cet autre puisque étant des non-moi, il n'est pas… humain ;

·        l'oubli : les non-moi n'émargent pas aux bonnes consciences égoïstes : ils peuvent souffrir, mourir, pleurer, appeler au secours… dans la plus totale indifférence puisqu'ils n'existent pas, puisqu'ils ne sont que des ombres, des fantômes ;

·        le contournement : l'Autre est purement considéré comme inexistant. Il est d'un autre monde, d'un ailleurs perpétuellement (re)modelé au gré de besoins. Il est sans Histoire, sans réalité, sans intérêt… Il est le néant, le trou noir.

·        la solution… finale : parce qu'il gêne, dérange, importune, incommode… l'Autre est tout simplement… liquidé comme on liquide des comptes pour apurer un passif !

La F\M\se revendique philanthropique, philosophique et progressive. Ce faisant, elle aime l'espèce humaine sans exclusive ; elle aime et pratique la sagesse et se refuse à se cantonner dans le passé. Parce qu'elle a pour principe la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même et la liberté absolue de conscience, elle s'attache à travailler à l'amélioration matérielle et morale ainsi qu'au perfectionnement intellectuel et social de l'homme.

La F\M\ se reconnaît pour devoir d'étendre à tous les membres de l'humanité les liens fraternels qui unissent les F\M\ sur toute la surface du globe et recommande à ses adeptes la propagande par l'exemple, la parole et les écrits. Elle se donne donc pour mission de faire en sorte que sa devise "Liberté - Égalité – Fraternité" soit celle de tous les humains.

La F\M\ ne peut ignorer cette peur de l'Autre qui est l'obstacle majeur à l'avènement d'une société enfin libre, égale et fraternelle. Elle se doit donc de la combattre par ses armes. Ses armes qui ne sont pas d'acier et de feu mais d'éducation, d'instruction, de propagation des connaissances, de pédagogie, de réflexion, de parole, d'écriture…, bref de propagande non de discours et de belles intentions mais d'actes, de comportements, d'actions posés et inscrits dans le réel pour le réel, autrement dit au sein des humains, pour les humains, sans la moindre exception, sauf à trahir sa revendication d'un humanisme universel.

La F\M\, dans ses L\comme dans la Cité , tels les explorateurs des mondes inconnus (qu'ils soient terrestres ou non), doit donc s'efforcer de faire reculer l'inconnu afin que la peur de l'Autre - la peur du plus infime autre - soit privée de tout terreau de telle sorte que, faute de pouvoir continuer de faire souche, cette peur, négation même de l'humanité, soit enfin mise à la poubelle de la préhistoire et que, enfin, tous les humains, sans aucune exception, puissent librement, également et fraternellement naître à leur humanité.

Ce travail accompli, les F\M\pourront se reposer et connaître d'autres joies que celles du travail car :

 "La création est une victoire sur la peur. C'est notre vraie destinée".

Francis Ford Coppola

Ils pourront même poser leurs tabliers et goûter avec leurs frères et leurs sœurs en humanité l'ivresse de la liberté puisque

 "Les peuples n'ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur".

Stendhal

Tâche impossible, perspective utopique diront certains ? Et pourtant :

 "Il n'y a qu'une chose qui puisse rendre un rêve impossible, c'est la peur d'échouer".

Paulo Coelho


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