Échanges pas très nets… sur le net

 

"Il n'y a pas plus de science innée ou révélée que de privilèges innés ou de richesse tombée du ciel ; et que, comme tout doit s'obtenir par le travail, à peine de vol, de même toute connaissance doit être le fruit de l'étude, à peine de faux".

Pierre-Joseph Proudhon

De récents échanges au sein d'un groupe ont suscité ces quelques réflexions toutes personnelles et sans doute hérétiques, mécréantes...

Je ne vis pas dans un monde simple, duale, dichotomique, manichéen, bushien… où une ligne blanche (ou rouge, noire, verte…) séparerait les bons des méchants, la vérité du mensonge, la beauté de la, laideur, le vrai du faux… Je vis dans un mode complexe parce que… humain.

Dans ce monde, de "grands esprits" sont capables d'écrire des navets et d'obscurs écrivains, voire écrivaillons sont capables d'écrire des chefs d'œuvre. Dans ce monde, de "grands hommes" sont capables des pires bassesses et de simples quidams sont capables d'actes héroïques… dans ce monde, nul déterminisme bondieusard ou soi-disant économique qui fait que X naît, vit et meurt x.

Ce monde est un monde de liberté, de choix et d'erreur. Errare humanum est disait les Anciens. Je dis volontiers qu'il n'y a de monde humain que s'il y a erreur. La perfection n'est pas humaine et heureusement car c'est sa perpétuelle recherche, en toutes choses, qui font que les individus avancent, progressent et, ainsi, deviennent humains puis s'efforcent de le rester.

Ce préalable pour dire que, pour ma part, je fais la distinction entre une œuvre (intellectuelle, manuelle…) et son auteur. C'est pourquoi j'apprécie "Le voyage au bout de la nuit" mais n'apprécie pas certains écrits de Pierre-Jospeh Proudhon. Et je pourrai multiplier les exemples à l'infini.

Une histoire de l'anarcho-syndicalisme est toujours intéressante à lire car soit elle, apprend des "choses" que l'on ignore, soit elle fait réagir par les erreurs, voire les "mensonges" qu'elle colporte ; dans les deux cas, elle fait travailler l'intellect et un intellect qui travail est un intellect… vivant quand celui qui s'endort dans le conformisme de ses certitudes, pour ne pas dire de ses vérités est un intellect… mort.

Il est étonnant de considérer que la sortie d'un livre sur l'histoire de l'anarcho-syndicalisme n'a rien à voir avec la liste de diffusion de… [...] ! Sauf à dire que cette histoire n'est pas conforme aux canons de je ne sais trop quels dogmes et qu'elle est donc hérétique, renégate… Mais alors, j'étais dans l'erreur et m'imaginant être sur un liste anarcho-syndicaliste et, en fait, je m'étais fourvoyé dans une liste sectariste car seule une secte peut refuser l'a-normalité qui n'est jamais que l'Altérité, autrement dit, aussi, l'humanité d'un Autre !

Il est surprenant de rejeter cette histoire au motif que tel ou tel auteur est "ceci" ou "cela". Définitions déterministe, objectiviste, réifiante… d'individus qui sont étonnantes sous la plume d'un anarcho-syndicaliste en ce qu'elles participent d'une vision religieuse du "destin", une conception fataliste… et je dirais même volontiers absolutiste, totalitaire dès lors qu'elles condamnent un individu à être tel ou tel de ces actes.

Cela participe de cette logique religieuse, bourgeoise, communiste, fasciste… qui nomme criminel l'auteur d'un "crime" et, lui déniant toute possibilité de "réhabilitation", d'"amendement" ou, plus généralement, de changement, d'évolution, de construction, de devenir… de soi, le voue aux Gémonies ! Curieux, non ?

Selon cette logique, les éventuelles "canards boiteux", "brebis noirs" du collectif d'auteurs "vouent" et le collectif et l'œuvre collective à… la poubelle ! Quel sens de la critique, de la justice, de l'analyse, de l'Histoire, de l'éthique…! Quelle démesure de la… mesure ! à moins que cela ne soit le contraire.

Selon ce raisonnement, on ne peut lire aucun journal car il serait "miraculeux" qu'il n'y ait pas au moins un "jaune" (ou un "rouge", un "noir", un "bleu", un "vert"…, bref un…. "autre") signataire d'un article ; de même, c'en est fini des films, des pièces de théâtre… mais aussi des manifestations, des grèves, des luttes, des productions industrielles… au seul motif qu'il s'agit là de processus collectif et que tout collectif est nécessairement "pourri" du fait de l'inévitable présence d'un… "pourri"… Sauf à admettre un monde parfait où en-deçà de la frontière tout est pur, angélique, parfait, blanc… et au-delà tout est impur, diabolique, imparfait, noir…

Par ailleurs, il est curieux de constater que, à l'heure où la toile a virtuellement aboli les distances et permet des proximités affectives, intellectuelles… faisant fi de la géographie, le nombrilisme clochmerlesque continue de sévir en ramenant tout à soi et chez soi, ce qui atteste ainsi de la prégnance de la surdité et la cécité dont on sait qu'elles sont le lit du chauvinisme et du racisme.

Dans un autre registre :

J'ai donc décidé de quitter [...] car je ne supporte pas que l'on puisse douter de ma loyauté et que je n'ai pas du tout envie d'entrer dans le jeu-piège, parce que… piégé, de la justification…

Mais ma décision a un autre motif, plus sérieux : depuis toujours, je n'ai jamais voulu que les membres d'un groupe dont j'étais membre, aussi petit ou grand soit-il, se trouvent dans l'obligation de choisir entre un(e) membre du groupe et moi, du fait d'un conflit, d'une divergence entre ce membre et moi. Obligation qui, bien que non réelle puisque non imposée, non voulue, non appelée par moi, peut être ressentie comme telle par les membres du groupe. Ainsi, depuis fort longtemps, pour préserver l'unité, la cohérence, la cohésion, la… (sur)vie d'un groupe, je m'en vais… ailleurs, comme si mon destin était de faire de l'entrisme… ailleurs, dehors !

Un renoncement ? Cela peut être compris ainsi. De l'extérieur. Car, pour moi, il s'agit de rester fidèle à moi-même, de ne cesser d'être ce que j'ai choisi d'être, même si, pour ce faire, le prix à payer est lourd, cher, puisqu'il est celui de la… solitude.

Fourbir une accusation au sein d'un groupe, c'est nécessairement mettre ce groupe en danger car, dans l'immédiat, dans la spontanéité de l'affectif mais aussi, hélas, dans le confort routinier de la conscience pantouflarde et pantouflée, pour beaucoup le manichéisme est de mise, ce qui contraint, naturellement, à choisir entre le bien et le mal, selon la conception que l'on se fait – ou que l'on s'est faite faire – du bien et du mal.

Pour moi, la vraie question n'est pas de choisir entre le bien et le mal, mais de savoir si cette question, autrement dit cette dualité, cette opposition sont… vraies !

On l'aura compris, pour moi, le questionnement – le choix - n'est pas là mais… ailleurs. Et c'est donc cet ailleurs vers lequel, une fois de plus, je m'en vais…

 

9 mai 2004


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