Extrait d'une lettre à Georges Cipriani, prisonnier politique
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Il y a l'acharnement thérapeutique. Il y a aussi l'acharnement pénitentiaire, lequel n'est jamais que l'application particulière de celui de… l'État. Je note que l'État, sous quelque forme qu'il se présente, à travers le temps et l'espace, présente cette constante : celui de ne tolérer aucune atteinte à son intégrité, ses prérogatives, sa puissance, son autorité… mais aussi de ne "pardonner" aucune atteinte (ou même tentative et, désormais même, aucune idée de tentative, aucune éventualité de tentative, aucune possibilité de tentative…). Ainsi, on relève dans l'Histoire comme dans l'actualité que ce refus de tolérer et de pardonner se transmet de régime en régime, que le changement de régime se fasse par alternance ou renversement. Et, en corollaire, l'État, dans ses évolutions-transformations-mutations de régime, s'attache toujours à honorer, récompenser les fidèles serviteurs de sa "personne" (celles et ceux que l'on nomme les "grands commis de l'État]. Fouchet est assurément, en France, l'exemple le plus notoire du corollaire précité. Et, plus près de nous, il en existe un autre : Papon.
Sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, on peut rapprocher l'acharnement pénitentiaire de l'acharnement thérapeutique. En effet, dans le délire sécuritaire que porte le caporalisme de Sarko, il n'y a d'autre solution envisagée pour le "traitement" de la différence "a-normale" que… l'enfermement. Il en est ainsi des "malades mentaux" [le terme n'est aucunement scientifique, médical, mais j'en use car il est celui du langage courant, langage courant, parfois ordurier, qui est celui de p'tit caporal] qu'il ne s'agit plus de "traiter", de "soigner" mais d'enfermer, de "retirer du monde" comme cela se faisait dans les temps anciens avec les "asiles psychiatriques" [Voir à ce sujet le cas du divin marquis] au motif que la société doit être protégée de leur… dangerosité. Mais il en est aussi des "déviant(e)s", des marginaux(ales), des "sans norme" (comme els sans papier, les sans abri…), des (même tout jeunes) enfants dits "difficiles", "caractériels" et que l'on hésite pas à qualifier, comme dans els temps anciens, de "graines de gibet de potence" au motif qu'ils sont dangereux en puissance, voire en velléité ou même en envie !
Bien entendu, l'enfermement des "différent(e)s" ne concerne pas celles et ceux qui ont usage commercial, entrepreneurial ou… politique de leur "a-normalité" pour autant qu'ils-elles aient "pignon sur rue", c'est-à-dire que leur "différence" soit "reconnue" – j'oserais même dire… "sanctifiée" par le dieu-capital sous la forme vulgaire qu'il prend pour susciter, encourager, promouvoir, développer, entretenir… la dévotion de son troupeau : l'Argent. Ainsi, les peintres, les artistes… mais aussi les banquiers, les chefs d'entreprise, les "traders"… "normalement" qualifiables de malhonnêtes, de véreux…, ne sont pas voués à l'enfermement s'ils sont… établis, autrement dit s'ils-elles participent du système en place, de l'"entretien" dudit système et donc aussi de… l'État.
On peut toutefois se demander ce qu'il en serait de nos jours de ces artistes "maudit(e)s" comme Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, Van Gogh… qui, de leur vivant, n'était pas "établi's(es)" au regard du "sceau de la normalité" : le fric. Ils-elles seraient sûrement… enfermé(e)s… à vie ! Mais n'en serait-il pas de même pour les Luther King, Karl Marx, Michael Bakounine, Jaurès… ?
Je suis tout à fait d'accord avec l'analyse que tu fais du patriarcat dont la "naissance" est contemporaine de la première division du travail (qui ne fut pas seulement, à mon sens, celle entre les sexes mais aussi entre les classes d'âge et l'identité-alterité – au sens d'appartenance/de non appartenance à un "groupe", un "lieu"…) mais aussi de la première forme étatique d'organisation sociale. A ce sujet, je te joins ci-après quelques articles tirés de l'Encyclopédie Wikipédia [si tu ne sais pas de quoi il s'agit, je t'en ferai la présentation lors d'un prochain courrier].
J'ajouterai que l'exemple de l'ère Meiji (明治) également appelée "restauration de Meiji", qui symbolise la fin de la politique d'isolement volontaire appelée Sakoku et le début de politique de modernisation du Japon mais qui, surtout, se caractérise par le fait que l'Empereur, dieu vivant et "père" du peuple japonais, a délégué ses prérogatives paternelles et, en fait, patriarcales, aux chefs d'entreprise.
Cet exemple montre, à mon avis, que l'on ne peut réduire l'analyse, historique, critique d'une société à son seul "fondement" économique et que les "facteurs" non économiques, c'est-à-dire culturels (religieux compris) sont tout autant… fondamentaux.
En ce qui concerne l'autorité paternelle, patriarcale, mon expérience de la vie m'a montré que, spontanément (cette spontanéité étant plus ou moins immédiate), tout groupe humain constitué autour d'un "projet"[1] tend à se doter d'un… chef pour diriger[2] l'action collective mise en œuvre en vue de la réalisation du projet commun. Ce chef, peut, à son corps défendant, se voir investi d'une… autorité [du latin auctoritas, de auctor "auteur", droit de commander, pouvoir (reconnu ou non) d'imposer l'obéissance], qui même si l'origine de sa désignation se trouve dans le fait qu'il faisait/fait autorité à raison de sa supériorité de mérite ou de séduction qui impose l'obéissance, le respect, la confiance et non d'un "pouvoir" – notamment de force mais aussi de droit divin, mythique, familial, communautaire, corporative, affinitaire… - de commandement[3] et, tout à l'image du père au sens du… pater familias romain, disposer d'un pouvoir absolu – de vie et de mort ! – sur le groupe qui l'a désigné[4] .
Cette évolution de la désignation choisie, voulue consciemment, en toute liberté vers un… établissement durable, non susceptible d'être (re)mis en cause, sauf à porter atteinte à une… autorité établie, "légitime"[5] et, tombant sous le coup de la Loi, devenir un(e)… hors-la loi, participe, de mon point de vue[6] d'un… penchant humain que l'on pourrait aisément qualifier de… naturel, tant il est répandu : la … paresse[7] mais aussi la… servilité[8], laquelle, comme on le sait, est la mère de la… servitude volontaire[9].
Paresse qui n'est pas ce refus de subir le travail[10] qui, comme l'a écrit-proclamé Paul Lafargue, est un droit que le prolétariat devrait légitimement revendiqué et instauré par la révolution[11] contre le pouvoir en place afin d'assumer pleinement son humanité et, ce faisant, abolir toute forme de servitude, d'asservissement mais, au contraire, le… renoncement à cette liberté que tout être humain se doit de choisir, de… gagner pour accéder à son humanité.
En ce qui concerne l'enfermement et l'acharnement pénitentiaire, je te joins ci-après un texte que j'avais écrit pour Alternative libertaire, journal anarchiste, édité et publié en Belgique, qui s'est sabordé parce que, porté depuis par sa création par des individus et aucune organisation, aucun parti, aucun mouvement structuré, il a préféré se saborder plutôt que de continuer de l'être par une sorte de "consulat", de "pluriumvirat"
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JC
22 janvier 2009
[1] Image d'une situation, d'un état que l'on pense atteindre. Idée de ce que l'on veut faire et des moyens pour y parvenir mais aussi, au sens philosophique, tout ce par quoi l'homme tend à modifier le monde ou lui-même, dans un sens donné. "L'homme est un projet qui décide de lui-même" (Sartre, lequel a aussi écrit par ailleurs : "L'être dit libre est celui qui peut réaliser ses projets
[2] Du latin dirigere "aligner, ordonner" : Faire aller selon une manière, un ordre, pour obtenir un résultat. ; conduire, mener (une entreprise, une opération, des affaires) comme maître ou chef responsable ; conduire l'activité de (qqn) ; Guider (qqch.) dans une certaine direction (avec une idée de déplacement, de mouvement, mais aussi : exercer une action, une influence sur.
[3] De comander "donner en dépôt" Xème siècle et du latin populaire commandare, de commendare "confier, recommander", faculté, capacité d'exercer une autorité sur quelqu'un en lui dictant, ordonnant sa conduite
[4] Pour mémoire, chez les peuples "primitifs" la "chefferie", qui était élective, non transmissible par filiation (ou autre mode de transmission), n'était pas une… sinécure - de sinecura 1715; anglais sinecure, du latin. sine cura, abréviation de beneficium sine cura "bénéfice ecclésiastique sans travail", charge ou emploi où l'on est rétribué sans avoir rien (ou presque rien) à faire; situation de tout repos – puisque, souvent, son détenteur devait la "payer" de sa personne puisqu'il était mis à mort au terme de son mandat
[5] Voire légale au sens du Droit positif.
[6] Et cela me désespère !
[7] Petit Robert : de perece XIIème siècle, du latin pigritia, de piger "paresseux". Goût pour l'oisiveté; comportement d'une personne qui évite et refuse l'effort. Fainéantise, indolence, mollesse; familier : cosse, flemme. "Paresse : habitude prise de se reposer avant la fatigue" (Renard). Paresse par défaut d'énergie, de volonté. Apathie, inertie, langueur, négligence, nonchalance. Habitudes de paresse. Climat qui incite à la paresse. S'abandonner à la paresse. Paresser, se prélasser (cf. fam. Tirer au flanc, ne pas se fatiguer, se fouler, se casser; ne pas en ficher une rame, rester les bras croisés; se tourner les pouces; se les rouler; coincer la bulle, avoir les pieds nickelés). "il était d'une paresse incurable" (R. Rolland). "Vous connaissez l'homme et sa naturelle paresse à soutenir la conversation" (Molière). Il n'a encore rien fait, par paresse. Paresse intellectuelle, paresse d'esprit : absence ou refus de l'effort, goût de la facilité. Méd. Lenteur anormale à fonctionner, à réagir. Paresse intestinale. Atonie.
[8] Petit Robert : de servile : Caractère, comportement servile, bas. Bassesse, complaisance, obséquiosité. Servilité envers un supérieur. Absence totale d'originalité. Il imitait "avec une servilité naïve, jusqu'à sa façon de s'habiller" (A. Hermant).
[9] Cf La Boétie mais aussi, indirectement, William Godwin, Henry David Thoreau...
[10] Du latin tripalium, instrument de torture fait de trois pieux que les romains utilisait pour punir les esclaves rebelles. Selon le "Dictionnaire historique de la langue française" (aux éditions Robert) le tripalium est bien, pour le Romain, et c’est attesté au début du Moyen-Âge un instrument de supplice, dont dérive le terme " travail " désignant l’outil de contention familier aux éleveurs. Le dictionnaire rappelle l'historique et le croisement étymologique avec "trabicula", petite travée, poutre, désignant un chevalet de torture : (trabiculare signifie "torturer" et "travailler", au sens, de "faire souffrir"). Et c’est bien dans cette acception que s’utilise en ancien français le terme "travailler" et cela jusqu’au 12ème et 13ème[10] sièclse, et s’applique non seulement aux suppliciés, ou aux femmes en proies aux douleurs de l’enfantement [L’enfantement étant un "travail" non pas parce qu’on y re-produit la vie, mais en raison des douleurs de l’accouchement, au cours duquel sans doute, on devait - si elle était trop forte - immobiliser la mère...], mais aussi aux agonisants.
[11] Des mœurs autant que du système politique et du mode de production.