Justice, vindicte populaire et lynchage[1]
Tout le monde, ou presque, sait
ce que "lynchage" signifie. Peu, en revanche, savent que ce terme
vient de William Lynch (1736-1796), juge de paix en Virginie, qui "réforma"
Mon propos, aujourd'hui, n'est pas tant de m'intéresser aux lynchages," virtuelles" (et, notamment, médiatiques) ou réelles, qui ont lieu, sporadiquement, en France et, régulièrement, dans certains pays comme, en particulier, ceux qui sont sous l'influence de la religion de soumission.
Non, mon propos est plus succinct. Il s'agit de m'intéresser aux personnes qui, simples spectatrices ou actrices, participent à un lynchage et, plus exactement, au(x) motif(e)s qui peuvent les amener à une telle participation.
Je noterai d'abord que le lynchage est toujours le fait d'une… foule, plus ou moins nombreuse. Une foule composée de deux catégories de personnes : celles qui ont appelé au lynchage et qui l'organisent, le concrétisent et celles qui y assistent et donc, même si elles sont "inactives", y participent.
Les premières agissent délibérément, en parfaite connaissance de cause, leur but étant de… lyncher tel ou tel individu, tel ou tel groupe d'individus. Ce sont ces personnes qui… ameutent[2] les autres et les conduisent tout à la fois à la victime, au lieu du lynchage et au lynchage lui-même.
On pourrait penser que les premières personnes n'ont pas besoin des secondes pour "rendre leur justice". Et il est vrai que, matériellement parlant, elles n'en ont pas besoin : flingues, bâtons, corde, bidons d'essence, pierres… suffisent et elles savent et peuvent s'en servir. Pourtant, il n'en est rien : la présence des secondes personnes, de la meute est… indispensable car la foule ainsi (r)ameutée est la "caution judiciaire" du lynchage : c'est parce que cette foule est présente, que le lynchage prend les allures d'un acte de justice et s'affirme "médiatiquement" comme tel, au-delà de son air de… vindicte populaire. La foule transforme le lynchage en… procès et le lieu du lynchage en… tribunal ainsi qu'en une sorte de "place de grève".
Dans la meute, on peut trouver des individus… "ameutés" alors même qu'ils ne savent rien du but du rassemblement, comme des individus "au parfum" du projet. Les seconds n'ont pas nécessité beaucoup d'efforts de la part des "émeutiers" [au sens de "qui appellent la meute] pour être (r)ameutés tant le "climat général" dans lequel va s'organiser le lynchage est propice au lynchage d'une victime… coupable désigné d'avance par la rumeur, la propagande, la "pensée dominante", la politique des "autorités" (politiques, religieuses…)[3].
Les seconds, en revanche, même s'ils n'ont pas dû être… violentés, contraints pour être… (r)ameutés, ne savent rien du "projet" [le lynchage] : ils suivent par réflexe… grégaire et que, n'assumant jamais leur responsabilité, leur liberté, leur conscience…, ils ne demandent qu'à… suivre[4].
Si les individus qui pensent et organisent le lynchage relèvent de la… bestialité, au sens de brutes animales, de "barbares"…, ceux qui y participent en se contentant de suivre la meute relèvent de… l'animalité en ce qu'ils ont renoncé à ce qui caractérise l'humanité : la liberté, la liberté de conscience et donc la liberté et la responsabilité, en pleine et entière responsabilité, de… choisir.
Ce renoncement à l'humanité est d'autant plus facile qu'il y a absence de… recul, autant intellectuel qu'affectif, par rapport aux faits reprochés au "coupable" voué au lynchage.
Je constate que cette absence de recul est beaucoup plus courant qu'on ne pourrait le penser et que, dans une affaire brûlante d'actualité, nombreux sont les individus qui sont prêts à participer au lynchage d'un "coupable" désigné par… la vindicte alors même que le lynchage proposé est appelé à intervenir dans un pays qui se veut la… patrie des Droits de l'Homme !
Mais il est vrai que dans ce
pays que, par décence et par égard pour celles et ceux qui y sont morts pour
l'instauration et la défense de ces Droits de l'Homme, je ne nommerai point,
Le meurtre d'u(e)n Juif(ve) m'est autant insupportable que celui d'un(e) Noir(e), d'un(e) catho, d'un(e) Chinois(e), d'un(e) mécréant(e). Autant. Pas plus. Pas moins.
Quelle que soit la victime, jamais je ne me joindrai à une meute qui s'en va lyncher un(e) coupable prédésigné(e) ou même avéré(e) car, jamais, quel que soit le prix à payer, je ne renoncerai à mon humanité. Et si le prix à payer est celui de la solitude, de l'isolement par refus du… troupeau, peu importe : ma conscience est le seul tribunal devant lequel j'accepte d'être traduit (par moi-même d'ailleurs).
Pour moi, la seule qualification possible d'un crime est "humanicide" car au-delà des différences, des particularités il est la négation de l'humanité d'un individu, que cette ,négation soit "virtuelle" ou réelle. Je ne considère pas que cela serve la cause de l'humanité que de lyncher[7] l'auteur(e) d'un crime humanicide. Je considère au contraire que le lynchage, comme l'assassinat légal du reste, d'un humain est le renoncement à sa propre humanité. Jamais je n'accepterai de m'avilir au point de, renonçant à mon humanité,me vautrer dans l'animalité, la bestialité.
***
Un certain William Lynch (1736-1796), "patriote" de Virginie, décida de "réformer" la façon dont la justice était appliquée dans sa région durant les prolégomènes de la guerre d'indépendance.
"Juge de paix", il
instaura des parodies de procès menant parfois à des exécutions sommaires à
l'encontre des défenseurs de la couronne britannique. Il réunissait la cour,
recrutait les jurés et présidait à l'exécution. Quand la cour devait
ajourner, le prisonnier était exécuté. La "loi de Lynch" se répandit
dans les territoires de l'Ouest et s'y développa jusqu'à ce que la
civilisation s'y installe et la remplace par l'état de droit. Ses méthodes expéditives
et les erreurs judiciaires furent couvertes par
La "loi de Lynch" donna naissance au mot lynchage, vers 1837, qui désigne un déferlement de haine raciale à l'encontre des indiens, particulièrement en Nouvelle Angleterre en dépit des lois qui les protégeaient, comme à l'endroit des noirs poursuivis par des Comités de vigilance qui donneront naissance au Ku-Klux-Klan. Dans le Sud, c'est la méfiance vis-à-vis de la loi et la revendication d'anarchie qui favorisa son déploiement.
Malgré cette paternité reconnue à Charles ou John ou William Lynch ou encore l'origine du nom située dans le comté de Lynch Creek, on trouve des procédés de justice expéditive similaire au XIXe siècle en Irlande et en Russie qui consistent à faire subir une peine mineure à un suspect sans examen des faits devant un quelconque tribunal constitué selon les règles de procédures issues de la loi en vigueur dans le pays.
D'aucun voient une origine de ce procédé d'exception dans :
la procédure dite Vehmgerichte du Moyen Âge allemand,
les procédures dites Lydford law, loi du gibet ou Halifax law, Cowper justice et Jeddart justice en Grande-Bretagne durant la période révolutionnaire qui se caractérisaient par le fait qu'une partie de la communauté prenne en main ses propres idées de la justice et les mette en œuvre en dépit des lois du Royaume.
Toutefois, c'est la sanction de peine de mort par pendaison et quasiment sans jugement qui retint une telle dénomination.
Postérité
De 1882 à 1951 : 4 700 hommes, femmes et enfants - pratiquement une personne par semaine pendant quatre-vingts ans - furent ainsi victimes de ces pratiques aux États-Unis, perpétrées au nom d'une loi non écrite. Parmi ceux-ci, deux couples furent assassinés le 25 juillet 1946 à Monroe, dans le comté de Walton, en Géorgie. Leurs meurtriers échappèrent à la justice… Aujourd'hui, les descendants des lynchés, regroupés au sein d'un comité, demandent des comptes à leur pays afin d'obtenir réparation.
Art
Littérature
Victor Hugo, dans Les Misérables
l'évoque ainsi à propos de
"Le zèle parfois allait jusqu'à l'extermination. Tel peloton de gardes nationaux se constituait de son autorité privée conseil de guerre, et jugeait et exécutait en cinq minutes un insurgé prisonnier. C'est une improvisation de cette sorte qui avait tué Jean Prouvaire. Féroce loi de Lynch, qu'aucun parti n'a le droit de reprocher aux autres, car elle est appliquée par la république en Amérique comme par la monarchie en Europe. Cette loi de Lynch se compliquait de méprises. Un jour d'émeute, un jeune poète, nommé Paul-Aimé Garnier, fut poursuivi place Royale, la baïonnette aux reins, et n'échappa qu'en se réfugiant sous la porte cochère du numéro 6. On criait : "En voilà encore un de ces Saint-Simoniens !" et l'on voulait le tuer. Or, il avait sous le bras un volume des mémoires du duc de Saint-Simon. Un garde national avait lu sur ce livre le mot : Saint-Simon, et avait crié : "A mort !""
Augustin Chevalier, "La loi
de Lynch, récit de mœurs anglaises", extrait de
Cinéma
Les westerns traitent généralement des rapports de l'individu citoyen et de l'État de droit selon une thématique bien rôdée : la culpabilité, la mise en accusation, la nécessité de justice. Sans humanisme aveugle ni dénonciation mécanique des institutions, ils explorent un rapport ambivalent dans lequel l'organisation communautaire peut aussi bien persécuter l'homme que le libérer quand l'engrenage hystérique des logiques de masse conduit les plus notables, mais aussi n'importe qui, voire chacun, à oublier les principes de la justice et de la citoyenneté.
Fury (Furie) : (États-Unis,
1936, durée : 90 min) réalisateur : Fritz Lang ; scénario :
Fritz
Lang et Bartlett Cormack d'après Mob Rule de Norman Krasna ;
interprètes: Spencer Tracy (Joe Wilson), Sylvia Sidney (Katryn), Bruce Cabot
(Dawson), Edward Ellis (le shérif) ; producteurs : Joseph Mankiewickz
et
C'est probablement avec les meilleures intentions du monde qu'un certain Charles Lynch, patriote de Virginie, décida, à la fin du XVIIIe siècle, de "réformer" la façon dont la justice était appliquée dans sa région.
Une réforme pour le moins expéditive, puisque ce juge de paix instaura des parodies de procès menant parfois à des exécutions sommaires. La "loi de Lynch" donna naissance au mot "lynchage", qui annonçait un déchaînement de haine raciale.
Au cours du XXe siècle, 4 000 hommes, femmes et enfants - pratiquement une personne par semaine pendant quatre-vingts ans - furent ainsi victimes de ces pratiques aux Etats-Unis.
Parmi ceux-ci, deux couples furent notamment assassinés le 25 juillet 1946 à Monroe, dans le comté de Walton, en Géorgie. Leurs meurtriers échappèrent à la justice...
Aujourd'hui, des femmes et des hommes, regroupés au sein d'un comité, demandent des comptes à leur pays afin que justice soit faite.
Reportage
"
Résumé :
Depuis quelques années, l’Amérique doit faire face à une mémoire brutale : celle des lynchages… Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants noirs massacrés tout au long du siècle, entraînant souvent l’exode de leur communauté là où la “ loi de Lynch ” frappait, terrifiée par la mort violente des leurs exécutions, exil forcé, spoliation, loi du silence…
Mais aujourd’hui, des survivants, des descendants des “lynchés”, des militants des droits civiques et des historiens reconstituent ce qui s’est passé, des témoins acceptent de parler, demandent des comptes à leur pays et à leur ville. Le début d’un combat qui bouleverse l’Amérique : dans des dizaines de villes, la mémoire resurgit, ici on exige un mémorial, là des réparations, ailleurs une enquête, que les coupables soient identifiés et, s’ils vivent toujours, jugés…
Justice, devoir de mémoire, indemnisations, l’Amérique ouvre depuis quelques années une page très sombre de son Histoire : la communauté noire et certains historiens sensibles à cette question n’hésitent pas à parler de "Black holocaust". Les chiffres sont accablants : de la fin du siècle dernier aux années 60, la démocratie américaine a laissé tuer près de 4 000 afro-américains, massacrés de toutes les manières possibles, partout où les Blancs avaient envie de se venger d’une population qui commençait à s’afficher, réussir, revendiquer…
Without sanctuary: Lynching Photography in America (Sans sanctuaire: photographies de lynchage en Amérique) présente la rare collection photographique d'un antiquaire d'Atlanta, James Allen, sur la pratique des lynchages dans le sud des États-Unis entre 1890 et 1930.
Sponsorisée par la prestigieuse Emory University, l'exposition est le cruel témoignage d'une des périodes les plus sombres de l'histoire américaine, au cours de laquelle environ 5000 personnes, la plupart noires, ont été lynchées par les foules.
Le lynchage public était une pratique d'intimidation courante à laquelle se livraient des blancs du Sud et du Midwest en toute impunité, parfois avec la complicité tacite des autorités locales et de la presse.
Ces lynchages faisaient l'objet de photographies, cartes postales, souvenirs largement diffusés parmi les blancs. L'exposition présente 150 de ces images collectées par un antiquaire blanc spécialisé dans les objets liés à l'histoire des noirs, James Allen.
On y voit par exemple un jeune retardé mental brûlé vif sous les yeux d'une foule de 15 000 personnes à Waco (Texas, sud). Sur bien des photos, les visages dans la foule qui assiste au sordide spectacle sont joyeux, parfois souriants.
L'exposition avait déjà
fortement frappé les esprits il y a deux ans à
Les organisateurs espèrent faire naître de cet événement un esprit de réconciliation mais parfois les réponses des visiteurs sont très émotionnelles.
La police a dû être appelée à la rescousse lorsqu'un homme noir bouleversé est sorti de l'exposition en hurlant: "Je vais tuer tous les blancs" !
ETATS-UNIS : Anne Chaon, "Sans sépulture : Le lynchage
comme art photographique", Le Monde Diplomatique, juin 2000 (lien vers
l’article du journal). Après l'exposition Sans sépulture de
[1]
On lira avec intérêt, disponible sur : http://fraternitelibertaire.free.fr/reserve/lorganisation_de_la_vindicte.doc
: Kropotkine Pierre : L'organisation de
[2]
ameuter
[amVte] v. tr. • XIVe; de meute.
1
Vén. Assembler (les chiens) en meute pour la chasse.
2
(fin XVIe) Cour. Attrouper dans une intention de soulèvement ou de
manifestation hostile. "On ameute la foule" (Hugo). — Par
exagér. Arrête de brailler, tu vas ameuter tout le quartier. Þ alerter.
— Pronom. S'attrouper dans une intention hostile.
CONTR. Calmer,
disperser.
rameuter
[YamVte] v. tr.
•
XVIIe; de re- et ameuter.
1
Rare Ameuter de nouveau, pour une nouvelle action.
Par ext.
Cour. Chercher à grouper pour faire nombre ou pour une action commune. Il a
rameuté tous les copropriétaires. Rameuter des militants pour une
manifestation.
2
(1763) Vén. Ramener (les chiens) en meute, en arrêtant ceux qui se sont écartés.
Þ ameuter.
— Pronom. Les chiens s'étaient rameutés d'eux-mêmes.
[3] Le cas typique est le lynchage du Noir accusé du viol d'une… Blanche, tant, dans certains endroits, on sait que les Noirs sont des sauvages qui n'ont d'autre envie que de violer les Blanches !
[4] Voir à ce sujet les différents ouvrages de Gustave Lebon sur la psychologie des foules. Voir aussi les manipulations de foule auxquelles les nazis se livraient avec une et une efficacité rigueur toute scientifiques.
[5] Pour mémoire, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire reste, cependant, le fondement de… la démocratie bourgeoise telle qu'instaurée en 1789 sous la bannière de la déclaration Universelle des droits de l'Homme et du Citoyen !
[6]
Et, singulièrement, par le Ministre de l'Intérieur, le Ministre de
[7] Et même tuer… légalement.
[8]
Source : http://www.epp.ch/travauxapprentis/MPC+1%20siteImages/Noirs/Loi_de_Lynch/lynch.htm