La solidarité en question(s)

 

Pour moi, la fraternité se définit comme la reconnaissance respectueuse de l'humanité de l'Autre dans toutes ses différences. Elle est universelle (sans exclusive) et première (a priori) ou n'est pas.

 

La fraternité n'est pas nécessairement réciproque : je reconnais le "monstre" comme mon frère en humanité et celui-ci, en raison de sa "monstruosité" n'en fait pas de même à mon égard.

 

La fraternité est une relation de l'Un(e) à l'Autre. Elle se fonde donc sur l'Individu, lequel est unique et, en raison justement de l'unicité de cet(te) "autre", elle s'étend nécessairement, sans limite ni exception, à tout le genre humain. Je dirais donc qu'elle est une relation… singulière à propension, essencielle… universelle.

 

La fraternité se distingue de la solidarité, laquelle, selon le Petit Robert, de 1693; de solidaire, désigne :

 

1 Dr. Caractère solidaire d'une obligation. État des débiteurs, des créanciers solidaires. Solidarité stipulée, légale. La solidarité ne se présume pas.

2 Cour. Le fait d'être solidaire ; relation entre personnes ayant conscience d'une communauté d'intérêts, qui entraîne, pour les unes, l'obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance. Solidarité entre plusieurs personnes. Cohésion. Solidarité avec nos camarades ! Solidarité de classe, professionnelle (cf. Esprit de corps). Organisation de solidarité. Association, entraide, mutualité. Liens, sentiment de solidarité. Camaraderie, fraternité, sororité. Agir par solidarité (cf. Se serrer les coudes). "La solidarité profonde qui, du Nord au Midi, liait dès lors tout le peuple" (Michelet).

Spécialement : Le fait de faire contribuer certains membres d'une collectivité nationale à l'assistance (financière, matérielle) d'autres personnes (Redistribution, répartition). Système des retraites fondé sur la solidarité. Impôt de solidarité.

3 (Choses) Le fait d'être solidaire. Dépendance. "L'étroite solidarité qui unit l'œuvre d'art aux circonstances dont elle lui paraissait issue" (R. Huyghe).

CONTR. Indépendance, individualisme.

 

Sachant que, toujours selon le Petit Robert, solidaire, de 1462, repris 1611; du lat. jurid. in solidum (vx) "pour le tout" signifie :

1 Dr. Commun à plusieurs personnes, de manière que chacun réponde de tout. Obligation ou engagement solidaire. Responsabilité solidaire.

Par ext. (Personnes) Lié par un acte solidaire. Débiteurs solidaires.

2 Cour. Se dit de personnes qui répondent en commun l'une pour l'autre d'une même chose (responsable); qui se sentent liées par une responsabilité et des intérêts communs. Être, rester solidaire de qqn, avec qqn. Se sentir solidaire de qqn. "En toute coopération, on est en quelque sorte dépendant de ses collaborateurs et solidaires avec eux" (Sainte-Beuve). "Solidaire de tous et rejeté par chacun,… je suis comme tout le monde" (Sartre).

3 Se dit de choses qui dépendent l'une de l'autre, vont, fonctionnent ensemble dans une action, un processus. Problèmes solidaires. "Les manifestations de la vie mentale sont solidaires de l'état de l'encéphale" (Carrel).

4 (1861) Concret Se dit de pièces liées dans un même mouvement par contact direct, par engrenage ou par intermédiaire (entraînement, transmission). Bielle solidaire d'un vilebrequin. Pignons solidaires.

CONTR. Indépendant.

 

La solidarité me semble présenter deux distinctions essentielles par rapport à la fraternité :

 

 

Sans tomber dans l'excès d'une solidarité d'exclusion, voire de négation d'individus non membres du groupe ou d'autres groupes, on voit que la solidarité n'est pas acquise a priori et qu'elle est sélective à l'égard des personnes qui en bénéficie. Elle n'est pas un dû ex ante, elle est un… droit, lequel, parce qu'il est justement un droit, est… opposable aux non ayants droits et devient, à raison même de l'adhésion à l'association, un dû a posteriori, une… obligation au sens juridique du terme.

 

La solidarité  n'est pas un alors que la fraternité l'est, sauf à nier sa propre humanité puisque l'Un(e) est nécessairement l'Autre d'… un(e) autre.

 

La solidarité est donc l'assistance… mutuelle (réciproque) que se porte des individus appartenant à un même groupe. La solidarité se fonde sur et se nourrit de cette réciprocité et le refus d'assumer cette obligation d'engagement emporte presque toujours la rupture du contrat d'association et donc l'exclusion du groupe.

 

La solidarité, parce qu'elle n'est pas unilatérale, se distingue donc notamment de la charité et, par… obligation, elle n'emporte le respect que des autres membres du groupe.

 

A mon avis, on peut et même doit distinguer deux types de solidarité :

 

 

La première ne s'impose pas forcément par la contrainte physique, violente, coercitive, externe et visible. Elle peut résulter de (com)pressions plus insidieuses : l'élevage des enfants, par exemple, qu'il se fasse dans le cadre de la famille latine ou du clan primitif, suscite une solidarité… naturelle entre les membres de ladite famille. Mais, plus les voies et moyens de médiation[4] se sont technicisées et, ainsi objectivées, matérialisées, instrumentalisées…, et plus le contrôle (moral, social, politique, culturel, médiatique, religieux…) a pu se développer, s'étoffer, se perfectionner… s'invisibiliser, se rendre anonyme, imperceptible, silencieuse, … et, ce faisant, s'internaliser, c'est-à-dire se substituer au libre choix de l'individu pour s'imposer à lui comme un choix fait par lui-même. Ainsi, la solidarité d'enrôlement, de troupeau a pu se substituer à la solidarité d'engagement, d'individu.

 

Il a existé et existe encore des solidarités actives que l'on peut considérer comme… légitimes en ce qu'elles correspondent véritablement aux intérêts particuliers de l'individu qui adhère à un groupe dont les intérêts collectifs sont en harmonie avec els siens : syndicats, associations, "corpos"…

 

Pourtant, de plus en plus, cette adéquation de l'intérêt de l'Un avec l'intérêt du Tout[5] est illusoire, pour ne pas dire fantasmagorique. Je citerai deux exemples :

 

-         celui du (de la)  syndiqué(e) de base qui adhère à un syndicat et qui, ce faisant, par solidarité, obéit à des consignes – pour ne pas dire des… ordres -, persuadé(e) qu'ainsi il-elle participe de la défense des intérêts des autres membres du syndicat et, partant, de ses propres intérêts alors que, en fait, les consignes données s'inscrivent dans une stratégie de conquête ou de conservation de pouvoir (et donc d'intérêts… matériels et, singulièrement, pécuniaires) des donneurs-euses de consignes[6] ;

-         celui du-de la franc-maçon(ne) qui, en  fait, en contradiction avec le serment qu'il-elle a prêté lors de son initiation, sélectionne sa solidarité en fonction de l'appartenance de sa sœur ou de son frère non à la Franc-Maçonnerie, mais à tel ou tel parti, tel ou tel lobby…

 

Une autre différence est à faire entre solidarité et fraternité : la solidarité, il me semble, peut jouer aussi entre espèces vivantes différentes avec, là aussi, les deux formes possibles de solidarité, la subie et la choisie. Ainsi, à mon sens, on peut parler de solidarité, au sens de véritable assistance mutuelle, réciproque, entre les humains et de nombreux animaux mais également entre des espèces différentes d'animaux, certains animaux et certains végétaux… Alors que la fraternité, prise dans son acception indiquée ci-dessus, ne peut être établie qu'entre des… humains, sauf à renoncer à son humanité.

 

Ces considérations générales faites, je me permets de rajouter quelques considérations plus personnelles.

 

Très tôt en âge, je me suis débarrassé de toute solidarité imposée, y compris celle qui peut paraître la plus naturelle, la solidarité familiale, pour ne mettre en œuvre que des solidarités choisies et donc librement acceptées. Considérant que la solidarité est un acte d'engagement et, ce faisant, la concrétisation de ma liberté et l'affirmation de mon humanité, je suis toujours allé au bout de mes solidarités choisies, même si, plus d'une fois, le prix à payer a été (et pour certaines, est encore) lourd à payer.

 

Les années passant, force m'est de me rendre compte que, souvent, très souvent, j'ai été… escroqué, abusé en ce que les solidarités n'étaient pas réciproques et qu'il n'y avait donc pas contrats d'association ou que, du moins, ceux-ci n'étaient que des lettres mortes, des pages déchirées à peine signées.

 

Certes, je ne regrette pas ces actes de solidarité et, malgré le recul, remis exactement dans les situations où je les ai choisies, je les choisirais à nouveau car mes choix ont toujours été des décisions… spontanées.

 

Cette spontanéité (éventuelle) de l'acte de solidarité met en lumière deux cas de figure de choix : le choix véritablement spontané qui participe, pour faire simple, de l'élan du cœur, de l'affectif, du sentiment, de l'émotion, voire de la… sensation et le choix… calculé, raisonné qui découle donc de la raison et, au-delà, de l'intérêt pris dans son acception économique et juridique.

 

C'est dans le premier cas que, à l'évidence, le risque d'escroquerie est le plus élevé car l'élan du cœur peut être suscité par un… stimulus calculé, raisonné d'un tiers cherchant à servir ses seuls intérêts sans intention de réciprocité ou, du moins, avec une intention de réciprocité qui assure un retour sur investissement rémunérateur, c'est-à-dire un produit, un gain plus élevé que la dépense, la mise. Il s'agit alors là d'une solidarité factice qui est peut-être plus courante que la solidarité spontanée, laquelle pourrait tout aussi bien être qualifiée d'héroïque en ce qu'elle ne poursuit pas un but et, notamment n'a pas comme motivation la recherche d'un gain, le désir de satisfaire un intérêt particulier, mais obéit à une motivation gratuite, celle de servir une cause, un idéal.[7]

 

Ces dernières considérations, si elles me font qualifier mes solidarités d'héroïques ne m'amènent pas du tout à estimer que j'ai été et que je suis un… héros. Non. Elles sont posées pour ouvrir une piste de réflexion : la solidarité spontanée, héroïque donc, est, j'en suis désormais persuadé, la résultante nécessaire d'un autre choix fait par la personne qui la pratique : celui de la… fraternité. Et, a contrario, j'en déduis que les solidarités intéressées, calculées se font déconnectées de tout sentiment, de tout choix, de tout engagement de… fraternité.

 

Et il s'ensuit que dans les confréries, les confraternités qui, comme la Franc-Maçonnerie, prônent une fraternité universelle, sans exclusive comme valeur fondatrice[8], l'accent de l'engagement ne devrait pas être mis sur la solidarité mais bel et bien sur la Fraternité afin d'éviter que des Frères et des Soeurs[9] participent activement d'une solidarité… intéressée au point qu'elle est en contradiction avec la Fraternité et que cette solidarité soit constitutive, au regard d'une fraternité ignorée, voire bafouée, d'une… monstruosité !

 

19 mars 2009


 

[1] Petit Robert : 1603; gr. sunallagmatikos, de sunallagma "contrat". Dr. Qui comporte obligation réciproque entre les parties. Bilatéral, réciproque. Contrat, convention.

[2] Laquelle, souvent, est de défense des intérêts du groupe.

[3] Au sens où elle est solidarité d'intérêt. Un intérêt particulier s'opposant à d'autres intérêts particuliers, voire même à l'intérêt général.

[4] Au sens de "relation entre".

[5] Au sens de collectif, de groupe.

[6] Et, à ce niveau, il faudrait souligner la contradiction qu'il peut y avoir – et qu'il y a presque toujours – entre solidarité et fraternité avec, par exemple, la défense solidaire de l'emploi lié au complexe militaro-industriel et, tout simplement, la paix entre les gens.

[7] On trouvera de nombreuses illustrations de cette solidarité héroïque dans guerres, les luttes armées où, par exemple, à l'appel manipulateur à une solidarité identitaire (nationale, communautaire, partisane…) répond des actes de solidarité d'individus qui sont autant héroïques, généreux, gratuits, désintéressés et, pour tout dire, sincères que… désespérés.

[8] Autrement dit, qui prônent… La Fraternité.

[9] Terme repris par référence à la "confrérie" ou, mieux encore, à la "confraternité" et pas seulement dans leurs acceptions maçonniques.


 

Pour revenir à la rubrique "Droits des humains" :

Pour revenir au Plan du site :

Pour revenir à la page d'accueil :