Le Droit contre les droits ou quand le Droit se fait hors-la-loi

 

Les philosophes des Lumières ont théorisé le Droit naturel, ensemble de principes et de valeurs supérieurs et, surtout, permanents relativement aux Droits contingents des Etats, comme fondement, philosophique, éthique du Droit positif moderne, c'est-à-dire à la fois un pouvoir judiciaire, séparé des deux autres pouvoirs, le législatif et l'exécutif, et le corpus de lois – la Loi – en résultant.. S'ils n'ont pas pour autant inventé le Droit naturel, puisque les Anciens y faisaient déjà référence, il n'en demeure pas moins qu'ils ont été à l'origine de cette légitimité dont les Bourgeois se sont prévalus pour abattre la monarchie et instaurer un (leur) régime démocratique et que certains révolutionnaires, en l'occurrence, les Montagnard(e)s, s'en sont inspiré(e)s pour inscrire dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1793 le droit – et même le devoir – de résistance à la tyrannie et donc de révolte contre un ordre qui, bien que légal, porte atteinte aux valeurs et principes qui lui sont supérieurs puisque inhérents au… droit naturel.

Ainsi, il fut un temps où les Bourgeois révolutionnaires, dont descendent nos actuels démocrates et républicain(e)s, estimaient qu'il y avait des droits, comme, par exemple, la liberté et l'égalité, qui étaient supérieurs au Droit en vigueur tels que pratiqué et appliqué par le régime en place. Certes, ils pensaient ainsi parce que les droits qu'ils cherchaient à faire prévaloir contre ceux du monarque, de l'aristocratie, de l'Eglise… étaient… leurs droits et que derrière l'intérêt général, universel qu'ils prétendaient promouvoir et défendre se masquaient leurs intérêts particuliers, de classe, mais il n'empêche que, pour pouvoir mobiliser la piétaille nécessaire à la prise (violente) du pouvoir, ce sont les Droits de l'Homme, comme entité sensée inclure toute la gente humaine - à quelques exceptions près comme… les esclaves et les… femmes ! -, qu'ils ont mis en avant.

En somme, les philosophes des Lumières n'ont jamais fait que permettre l'inscription dans la pierre des frontispices des bâtiments publics et dans la symbolique du rituel démocrate et républicain ce que la sagesse du bon sens savait depuis toujours : la Loi peut être illégitime et, en particulier, tyrannique ; le Droit n'est jamais autre chose que les droits que s'arrogent un pouvoir contre les droits fondamentaux et les libertés individuelles des gens ; l'éthique appelle à la désobéissance quand l'obéissance emporte complicité, active ou passive, de crimes…

Prenons quelques exemples historiques. Et commençons par ce fleuron de la démocratie, ce héros de la liberté (immuable), ce glaive de la justice (sans limite)… les U.S.A. Au XIXème siècle, certains Etats de cette fédération étaient esclavagistes et d'autres non mais tous les Etats, fédérés ou confédérés, comme l'État fédéral avaient la même protection légale de la propriété privée. Cela n'a pas empêché certaines personnes, pour des raisons philosophiques, éthiques, religieuses… estimées supérieures au Droit, de violer les lois relatives à la propriété privée et, ainsi, de faciliter la fuite d'esclaves, de protéger des esclaves fugitifs, autrement dit, sinon de voler des propriétaires, du moins de se rendre complice du délit de recel ! Plus tard, en France, en Belgique…, des résistant(e)s ont jugé qu'il était de leur devoir de désobéir aux lois mises en place par les autorités collaboratrices et de légitimer leurs actes terroristes alors même que, de nos jours, ils-elles considèrent comme un crime terroriste toute action ou même seulement toute expression contestant leur ordre. Un peu partout dans le monde, c'est au nom de convictions philosophiques ou religieuses, que des individus ont refusé de porter l'uniforme militaire, même au titre d'un service dit civil, et ont (parfois) réussi à faire légaliser l'objection de conscience. De nos jours, des personnes estiment que leur humanisme les oblige à enfreindre la Loi en portant une assistance fraternelle à celles et ceux qui, parce que, par exemple, sans papiers, sont en situation irrégulière.

On pourrait multiplier les exemples à l'infini : il existe bel et bien des principes et des valeurs dont les gens se réclament régulièrement pour refuser d'obéir à la Loi, considérant que leur conscience est un juge bien plus… légitime que le juge ou le policier du pouvoir en place.

Une telle désobéissance n'implique pas nécessairement de commettre un acte violent ; ce peut être, tout simplement, un refus de faire. Mais il n'empêche que, d'un point de vue strictement juridique, elle est… illégale, hors la loi !

Une telle désobéissance s'accompagne d'un respect scrupuleux des droits fondamentaux et des libertés individuelles des gens. Généralement, celles-ceux qui la pratiquent, bien que hors la loi à raison de leur désobéissance, ne sont pas des délinquant(e)s au sens pénaliste du terme. En fait, ils-elles en arrivent souvent à désobéir après avoir épuisé toutes les voies… de droit parce que leur légalisme s'est heurté au mur de la légalité qui, en dernier recours, a refusé de considérer la supériorité, l'universalité, la permanence… de leur humanisme.

La désobéissance à l'iniquité, aussi peu forte soit-elle, n'est pourtant pas une vertu courante : elle est un acte de liberté mais aussi de courage dont le prix, et pas seulement matériel, à payer peut-être élevé. C'est pourquoi, souvent, parce que, comme on dit l'union fait la force, et que le courage est plus facile à plusieurs que seul(e), les humanistes soucieux-ses de défendre les droits fondamentaux et les libertés individuelles contre des lois, des pratiques administratives et policières, des coups de force… iniques, pour ne pas dire… tyranniques militent au sein d'O.N.G. que d'aucuns n'hésitent à présent plus à qualifier de… terroristes (Amnesty International, Ligue des Droits de l'Homme…).

Or, pour pouvoir exister légalement et agir, ces O.N.G. sont contraintes d'être… légalistes et de respecter scrupuleusement la Loi. De ce fait, leur action n'est pas véritablement libre mais… tolérée puisqu'elle ne peut sortir du cadre légal : manifestations déclarées et autorisées, actions en justice, publication d'articles, de communiqués de presse…, conférences publiques…. Leur liberté d'action n'a d'amplitude que la franchise que les pouvoirs veulent bien leur donner ! Leur action, même ponctuellement couronnée de succès, n'est en définitive que dénonciation d'abus, appel à tempérance, amendement, correction, mesure, clémence, mansuétude… , pour ne pas dire… doléance, supplique… Elle est au plus invitation à réformer le système – ou un système particulier comme ceux de la procédure pénale, de la détention provisoire, de l'emprisonnement… -. Elle n'est pas véritablement contestation, opposition. Elle ne vise pas à abolir le système qui produit les violations des droits fondamentaux et des libertés individuelles des gens mais seulement les excès du système. Ses résultats dépendent du… bon vouloir du pouvoir !

Il n'est pas dans mon propos de suspecter ces O.N.G. et, plus généralement, toute action, individuelle ou collective, menée dans la même forme, dans le cadre du même fond. Encore moins de les accuser de quelque mauvaise arrière-pensée que ce soit. Une telle action me semble au contraire utile, ne serait-ce que pour que d'autres puissent mener des actions d'une autre forme, en dehors du cadre, car si le système n'est pas tant soit peu limité dans ses excès, alors c'est… la tyrannie la plus brutale, la plus totalitaire.

Non, mon propos est de (m'-vous) interroger sur le cas de figure suivant : comment mener une action légale contre (un abus de) pouvoir [comme si un pouvoir pouvait ne pas être… abusif !] qui ne respecte pas, non seulement les valeurs et principes du Droit naturel dont il se prévaut pourtant en tant que… régime démocratique, mais encore les règles du Droit positif qui sont les siennes, puisqu'ils les a ratifiées, en l'occurrence celles de la Déclaration Universel des Droits de l'Homme, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales dite Convention européenne des Droits de l'Homme, de la Convention internationale des droits de l'enfant et de l'ensemble des textes subséquents ? Quelle action légale peut-on engager contre un pouvoir qui met en détention, dans de véritables camps de concentration, hypocritement nommés centres de rétention ou centres… fermés, des enfants mineurs ? qui expulse des personnes dites en situation irrégulière alors qu'elles ont introduites un recours judiciaire contre l'arrêté administratif d'expulsion les frappant et que, sauf preuve contraire, un recours est… suspensif ? Que et comment faire légalement  contre un (pseudo) Droit qui est une violation des droits fondamentaux et des libertés individuelles des gens ? autrement dit quand ce (pseudo) Droit qui, en définitive, n'a de juridique et de judiciaire que l'habillage sémantique quand son fondement est l'exercice exorbitant de la puissance régalienne de l'État, se fait et s'assume hors-la-loi pour commettre des actes que l'on qualifiait jadis de… brigandage de grand chemin ?... Et au-delà comment être humaniste et poser des actes en conformité avec ses convictions sans enfreindre la Loi, sans devenir soi-même un(e)  hors-la-loi lorsque le pouvoir oppose un Droit qui est une atteinte aux fondements de l'humanisme ? Comment se vouloir libre quand la liberté et l'égalité sont refusées à beaucoup et que la fraternité est désormais légalement… condamnable au motif qu'elle serait… terroriste ?...

 


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