Les choses étaient si simples

 

 

Avant que je te rencontre, que je te connaisse, que je découvre et que… je t'apprécie, les choses étaient simples. Ma vie, tout naturellement, avait un terme connue : celle de Karma.

 

Il y a peu, le terme de la vie de Karma s'est considérablement rapproché, pouvant même survenir de manière… subite. Alors, je me suis préparé à, moi aussi, non me coucher, mais, tout simplement, m'arrêter sur le bonne d'une route qui, menant nulle part, ne valait plus la peine de continuer d'être suivie,…"emprunté"e.

 

Et puis, nous nous sommes vus et revus. Nous avons parlé. Nous avons partagé ensemble le rire, l'insouciance de l'instant, la bière, le "calumet de la paix"…

 

Et, je me suis mis à rêver à nouveau. Pour tout dire, même, à… espérer, à imaginer, à attendre, avoir… envie, à… vouloir.

 

Mais, entre vouloir et pouvoir, il y a un gouffre : celui de la réalité. De ma réalité.

 

Une réalité qui est celle d'un… vieux débris. D'un mec, d'une banalité affligeante, d'une insignifiance… totalitaire, d'une insipidité aussi totale que son invisibilité, qui est, comme son compagnon le chien, en… bout de course.

 

La réalité d'un vouloir qui n'a pas-plus les moyens de… pouvoir. Or, qu'est-ce qu'un vouloir sans pouvoir, si ce n'est une… utopie ? Et, mécréant, ne croyant en rien, n'adhérant à rien, je ne sais pas croire en une utopie – aussi belle qu'elle puisse être, belle comme… toi -, je ne sais adhérer à un… projet qui est d'autant plus absurde qu'il n'est pas forcément partagé car, d'ailleurs, comment voudrais-pourrais-tu partager un projet qui n'a pas en lui la force de l'élan pour… tenir, pour être à l'image de cette force de vivre – force d'autant plus puissante qu'elle est… joie – qui t'anime et te rend si belle, si attirante, si… désirable de ce désir d'aller toujours plus loin, sans fin dans l'intense vécu d'un instant sans fin ?

 

Même si le cœur dit, hurle le contraire, la raison appelle à ne pas rêver quand on n'a pas les moyens – de toutes natures – de ses rêves.

 

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours suivi mon cœur plus que la raison. Cela m'a fait commettre pas mal d'erreurs mais je les ai toujours assumées. Sans regret. Mais, à présent, peut-être parce mon cœur a trop souvent battu la chamade et qu'il est… fatigué, la raison se fait, sinon encre plus convaincante, du moins plus tentante.

 

Sans doute que le vieux débris que je suis aspire encore rêver à ce bateau qu'il a été et qui osait, sur un coup de tête, un élan du cœur, s'aventurait dans des mers inconnues mais il faut se faire à la raison : un tas de morceaux de bois disparates, vermoulus, moisis… ne peuvent plus faire quelque embarcation que ce soit.

 

Il y a des rives que l'on n'aborde jamais, des mers que l'on ne sillonne jamais, des montagnes que l'on ne gravit jamais, des paysages que l'on ne contemple jamais, des saveurs que l'on ne savoure jamais, des mets que l'on ne mange jamais, des contrées que l'on ne visite jamais, des lits que l'on ne partage jamais… et aussi des personnes que l'on ne rencontre jamais ou que, du moins, une fois rencontrées, on ne "fréquente" jamais…

 

Et, pourtant, qui, malgré ces certitudes, ces évidences, cette… réalité, n'aspire pas à enfreindre ce mur de l'impossible qu'est ce "jamais" ?

 

Envie de donner, envie de recevoir, envie de partager. Envie de… vivre une vie qui, en somme, serait une sorte de rêve incarnée par le seul frottement de l'Autre comme il suffit de la simple friction de deux silex pour que naisse l'étincelle et que de cette étincelle naisse le feu. Le feu, source de vie, d'émergence de l'animalité mais aussi de… mort, de chute dans la bestialité.

 

Ma tête est comme un ring où s'affrontent le cœur et la raison.

 

Anar, je n'ai jamais… pris, même si, heureusement, j'ai souvent reçu, ayant donné sans mesure en ce qui me concerne. Que puis-je recevoir que je ne prendrais pas ? Rien, parce que, toujours anar, je n'ai aucun désir de prendre. Alors, que puis-je rêver de… recevoir ?

 

Karma, le boxer en fin de vie, me donne encore beaucoup. Il me donne chacun de ces instants de sursis – ou, plus exactement, de rab de vie - qu'il vit. Et je reçois ses dons avec bonheur. J'imagine que je lui donne encore à voir son petit bout de queue frétiller à ma seule vue, à ma seule voix, à ma seule caresse.

 

Mais, Karma est un boxer, un chien, même s'il est aussi un compagnon de vie, le compagnon de ma vie.

 

Ainsi, cette rencontre impromptue dans un square, rencontre plusieurs fois revécue à l'occasion de moments passés ensemble à deviser, de tout et de rien, à écouter de la musique, à boire, à rire…, m'a donné et me donne envie de vivre au-delà de la vie finissante de Karma. Rêve fou, insensé, irraisonné (mais je ne pense pas pour autant irrationnel) porté par le désir, tout aussi fou, insensé et irraisonné, de… voyager avec toi.

 

Le vieux débris qui se prend pour un navire !!!! Je ne sais s'il y a de quoi rire ou pleurer.

 

Des images cauchemardesques tourbillonnent dans ma tête : la main tendue qui finit par tomber de lassitude à force d'attendre et de ne pas être serrée ; les bras qui enserrent le vide quand les yeux de l'imagination pensaient – croyaient – l'être chéri, aimé ; le lit vide dans lequel on se réveille quand, la nuit, on l'a peuplé de ce même être et qui, par ce vide, se fait fosse commune dans laquelle on est enfermé… vivant ; l'illusion révélée, véritable jardin des supplices ; le miroir qui renvoie glacialement, implacablement, cruellement l'absence de l'Autre et le vide de soi ; le mot perdu dans le silence étouffant de sa solitude ; le geste esquissé et aussitôt assassiné par l'absence de l'Autre ; le vide d'une vie à l'égal de l'inexistence de l'Autre…

 

Avant de te rencontrer, les choses étaient simples, tellement simples qu'elles en étaient… évidentes.

 

Je ne soigne pas Karma pour le guérir puisqu'il est… incurable. Je le soigne pour qu'il puisse finir sa vie sans souffrir, aussi confortablement – et j'oserais même dire, joyeusement – que possible.

 

Lorsque l'on souffre du mal de vivre, ce mal qui naît de l'absence de plaisir à vivre une vie qui n'a plus de sens, il n'y a pas de traitement possible. Ou, du moins, il n'y en pas d'autre que la mort.

 

Et je m'aime encore assez pour ne pas avoir envie de continuer de souffrir de ce mal.

 

La raison me dit donc qu'il faut fuir cette souffrance qui sera la mienne lorsque le rêve s'achèvera dans le désenchantement du retour à la réalité : moi dans la réalité de ma solitude. La raison me pousse, m'invective, me bouscule, me violente presque  pour me ramener à mon seul pouvoir qui est celui de… de rien pouvoir et renoncer à tout vouloir qui, justement, est vide de la moindre parcelle de pouvoir.

 

Mais le cœur m'invite, au contraire, à espérer, attendre. Bref, rêver.

 

A mon mal de vivre, j'ai donc rajouté ce mal qu'est l'inconfort du dilemme, de l'alternative. Autrement dit, du… choix que l'on veut s'efforcer de ne faire que librement pour ne pas renoncer à son essence humaine, perdre sa dignité, se coucher.

 

Je tourne en rond dans la cellule de mes pensées. Mais, à tourner en rond entre quatre murs indestructibles, il m'arrive de passer devant une toute petite fenêtre qui, même si elle est munie de solides barreaux, n'en est pas moins une fenêtre sur l'envie, le vouloir, l'espérance. Une fenêtre sur… toi.

 

Pour la première fois de ma vie, je ne sais pas, je ne sais plus.

 

Et si j'écris ces mots de désarroi et les publie, ce n'est pas pour lancer une bouteille à la mer, c'est juste pour essayer de retrouver la sérénité d'un choix fait et assumé dans toutes ses conséquences, présentes et à venir, cette sérénité à laquelle on accède quand, calmement, lucidement, froidement, chirurgicalement on arrive à sortir de soi pour se regarder en face et faire, non plus ce que l'on peut – choix, en somme, par défaut -, mais ce que l'on… veut.

 

Alors, point d'advienne que pourra mais advienne que voudra.

 

9 juin 2009


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