Les
Droits de l'Homme : pour ou contre les droits des humains ?
Un
rappel historique :
On a coutume de considérer que
les Droits de l'Homme sont une conceptualisation moderne qui remontrait, au
plus, à la Déclaration d'Indépendance des États-Unis d'Amérique et à la Révolution
française.
En fait, les Droits de l'Homme, tels que nous les
connaissons sous la forme des différentes Déclarations, plus ou moins
Universelles, qui les ont proclamés et institués en droit (notamment
international), sont la résultante de nombreux et longs combats menés, parfois
gagnés puis perdus pour être regagnés, dans le sang et dans les larmes,
qui ont ponctué pratiquement toute l'Histoire de l'humanité ou, du
moins, toute l'Histoire écrite.
Ainsi, en 1 700 avant notre ère, le Code dit
d'Hammourabi représente le premier embryon de Droits de l'Homme puisque, dans
ses considérants, il est exposé que le propos est de "faire éclater la
Justice pour protéger l'individu contre 'arbitraire du pouvoir".
Au moment même où ce premier jalon était posé, un
commentateur notait que si le droit est l'antidote du pouvoir en ce qu'il lui
est opposable comme norme, les lois peuvent aussi créer de l'arbitraire et
qu'il fallait donc, pour éviter ce risque, affirmer une loi supérieure aux
lois des hommes et, notamment, celles prises sur l'initiative des souverains, au
nom d'un "droit naturel ou divin" !
Au Vème avant notre ère, l'Antigone de
Sophocle proclame la supériorité de la conscience individuelle sur la loi
humaine.
En 300 avant notre ère, c'est Meng-Tseu, en Chine, qui
écrit que "l'individu est infiniment important" tandis que "la
personne du souverain est ce qu'il y a de moins important". Le siècle
suivant, Sium-Tseu abonde dans ce sens et à la question "Qu'est-ce qui
rend la Société possible ?" répond : "Les droits de
l'individu".
Au premier siècle, Sénèque, dans la lignée de l'École
stoïcienne, affirme que "L'homme est une chose sacrée pour l'homme".
Toutefois, et hormis la première tentative de
codification avec le Code d'Hammourabi, pendant longtemps, les Droits de l'Homme
– et donc les droits des hommes au regard, notamment, des souverains et, plus
généralement, de toute autorité – ne sont évoqués, préfigurés, imaginés…
que sous la forme de considérations philosophiques avec il est vrai, parfois,
une valeur et une force de "sentence morale" opposable, il est vrai,
qu'aux seuls tenants de la Morale concernée.
La première réelle préfiguration juridique ayant force
de loi de ces Droits peut être datée avec précision : 1215, date de
publication de la Magna Carta – Grande Charte – rédigée en France
par des Anglais ayant dû émigrer de leur pays en raison de leur révolte
contre le roi Jean sans Terre. C'est ainsi que cette Charte se propose d'impose
au pouvoir politique – le roi et, en tant que système, la monarchie – de
garantir et de protéger les droits et les libertés des individus : présomption
d'innocence, liberté de circulation, liberté d'association, liberté de
conscience…
Un mouvement est alors initié qui va se perpétuer
avec la "Pétition des Droits" de 1628 – requête adressée au roi
Charles 1er par le
Parlement pour lutter contre ses prétentions absolutistes - et l'Habeas
Corpus en 1679 – nouvelle requête du Parlement ayant la même finalité
mais, cette fois-ci, contre Charles II, fils du précédent et qui abouti à la
promulgation d'une loi au terme de laquelle toute personne arrêtée a le droit
d'être présenté immédiatement devant une instance judiciaire afin que
celle-ci statue sur la légitimité de son arrestation, à peine de nullité de
l'arrestation -.
En 1689, toujours an Angleterre, le Bill of Rights
proclame les bases de la "constitution" anglaise en définissant les
droits du Parlement et des sujets (nous sommes toujours en monarchie et non en république
!), consacrant ainsi la victoire définitive sur l'absolutisme des Stuart[1].
A la même époque (1689), Locke, sans sa "Lettre
sur la tolérance", estime que le pacte social n'annihile pas les droits
naturels des individus, qu'il doit y avoir séparation entre l'État et l'Église
au motif que le premier n'a pas à se mêler de la liberté de conscience des
individus et que la seconde n'a pas à s'ingérer dans les affaires civiles[2].
Et c'est ce texte qui exercera une forte influence sur
les auteurs du Virginia Vill of Rights (1776), texte étant lui-même la
préfiguration de celui de la Déclaration d'Indépendance du 4 juillet
1776 qui "considère comme des vérités évidentes par elles-mêmes que
les hommes naissent égaux, que leur Créateur les a dotés de certains droits
inaliénables parmi lesquels sont la vie, la liberté, la recherche du
bonheur" et que "les gouvernants ont été institués pour garantir
ces droits", leur force et leur pouvoir n'étant tirés que du seul
assentiment du peuple dont ils ont pour mission d'assurer le bonheur[3]
[4].
L'aboutissement le plus achevé de cette lente marche des
Droits de l'Homme et donc des Droits des Hommes en tant qu'individus[5]
sera, bien entendu, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août
1789.
La Déclaration de 1789, se veut universelle, en ce sens
qu'elle s'adresse à tous les hommes de tous les pays[6]
et de tous les temps et qu'elle proclame des "droits naturels, inaliénables
et sacrés" inhérents à la personnalité humaine – autrement dit, ils
sont constitutifs de l'essence, de l'humanité de chaque individu – et qui
n'ont pas besoin d'être octroyés, tolérés, concédés… par quelque
puissance publique (ou autre que ce soit) pour être fondés et, en même temps,
opposables à cette même puissance.
Ces Droits sont alors essentiellement de nature politique
et civile[7].
Ils sont réellement révolutionnaires en ce sens qu'outre leur caractère
universel et inaliénable ils se fondent sur le principe de l'égalité des
hommes.
Toutefois, il importe de souligner que ces Droits sont
proclamés par une Déclaration et non institués par une Constitution. Ils
n'ont donc qu'une valeur normative et, en France, il faudra attendre
qu'ils soient repris dans le préambule de la Constitution de 1946 pour acquérir
force de Loi fondamentale au regard de laquelle la validité –
constitutionnelle – de toutes les autres lois doit être examinée.
Toujours en France, si la Constitution de 1946 constitue
une véritable nouvelle déclaration plus étendue et ambitieuse
que celle de 1789, en affirmant des droits nouveaux dans les domaines économiques
et sociaux, interdisant la discrimination raciale, proclamant l'égalité entre
les hommes et les femmes, fondant le droit d'asile…, en revanche, le Préambule
de la Constitution du 4 octobre 1958, toujours et seul en vigueur donc, consacre
un recul certain par rapport à la Constitution de 1946 dans la mesure où il se
contente de faire référence à la Déclaration de 1789 même si celle-ci est
dite confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946[8].
Toujours en France, dés le XIXème siècle,
de nombreuses voix se sont élevés contre une Déclaration des Droits de
l'Homme (celle de 1795) réduits aux seuls droits civils et politiques à
l'exclusion de tous droits économiques et sociaux.
Ainsi, dans les années 1820, Charles FOURRIER dénonçait
cette Déclaration qui, selon lui, s'adressait plus "aux gens de bien"
qu'au peuple puisque "La politique vante les droits de l'homme et ne
garantit pas le premier droit, le seul utile, qui est le droit au travail".
Critiquant la notion de "peuple souverain", il ironisait sur ce
"souverain" – le peuple donc – qui… mourait de faim.
De son côté, du fait de l'absence de toute référence
aux droits économiques et sociaux, Karl MARX a qualifié cette Déclaration de
"mystification" et écrit : "Ainsi, la liberté est le droit de
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut
se mouvoir sans préjudice pour autrui sont fixées par la loi comme les limites
de deux champs le sont par le piquet d'une clôture. Il s'agit de la liberté de
l'homme comme monade isolée et repliée sur elle-même" ou bien encore :
"Le droit de l'homme a la propriété privée, c'est le droit de jouir de
sa fortune et d'en disposer à son gré, sans se soucier d'autrui, indépendamment
de la société. C'est le droit de l'intérêt personnel. Cette liberté
individuelle, tout comme sa mise en pratique, constitue la base de la société
civile. Elle laisse chaque homme trouver dans autrui non la réalisation mais
plutôt la limite de sa propre liberté. Mais ce qu'elle proclame avant tout,
c'est le droit pour l'homme de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de
ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie"[9].
Patrick WACSHMANN, quant à lui, affirmait que : "Loin d'établir la liberté, celle-ci
ne ferait que sceller la domination de la bourgeoisie, en fixant l'émancipation
sur un plan purement politique, lieu d'une sociabilité vide et illusoire, en réalité
sous la domination complète de la société civile. Cette dernière est le
champ clos où s'affrontent les intérêts particuliers, à l'ombre des libertés
mises à leur service, c'est-à-dire au service des intérêts dominants.
Le 12 janvier 1918, le Gouvernement soviétique a proclamé
"la Déclaration des droits du
peuple travailleur et exploité" qui met principalement l'accent sur les
droits économiques et sociaux.
Dans ce contexte et sous la pression des luttes
syndicales et politiques, les démocraties libérales ont dû progressivement étendre
les Droits de l'Homme aux champs économique et social mais sous la forme de
droits collectifs et non individuels (droit de grève, congés payés, semaine légale
de travail…).
La Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen s'est faite
l'écho de ces revendications et dans son "Complément à la Déclaration
des Droits de l'Homme", élaboré lors de son congrès de juillet 1936, a
revendiqué une "démocratie économique" et précisé que "le
droit à la vie comporte : 1. le droit à un travail assez réduit pour laisser
des loisirs assez rémunérés pour que tous aient largement part au bien-être
que les progrès de la science et de la technique rendent de plus en plus
accessibles et qu'une répartition équitable doit et peut assurer à tous 2. le
droit à la pleine culture intellectuelle, morale, artistique et technique des
facultés de chacun 3. le droit à la subsistance pour tous ceux qui sont
incapables de travailler[10]".
La fin de la Seconde Guerre mondiale a conduit à une
prise de conscience mondiale : seul un droit international organisant les
relations entre les États et, en même temps, fixant les obligations des États
à l'égard des individus pouvait éviter à l'humanité de connaître une
barbarie comme celle qu'elle venait de subir avec les régimes totalitaires
d'Allemagne, d'Italie et du Japon.
En même temps, on assiste alors à l'émergence, de plus
en plus forte, de la revendication des peuples colonisés à l'indépendance et
à l'institution d'un "droit international des peuples".
C'est dans ce contexte que le Préambule de la Charte des
Nations Unies adoptée le 26
janvier 1945 à San Francisco affirme que le respect des Droits de l'Homme doit
être l'un des buts et principes fondamentaux de l'Organisation alors constituée
et que, au terme de longues négociations (souvent menées de bloc à bloc),
l'O.N.U. adopte, le 10 décembre 1948, au Palais Chaillot de Paris, la "Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme"[11]
(D.U.D.H.).
Selon René CASSIN[12],
généralement considéré comme le principal inspirateur de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme et, en tous les cas, rédacteur de son
avant-projet, cette Déclaration est comparable "au portique d'un temple…
Le parvis du temple, qui figure l'unité de la famille humaine a pour élément
correspondant le préambule de la Déclaration, dont les différents degrés
permettent de s'élever de la reconnaissance de la dignité humaine jusqu'à la
paix du monde. Le soubassement, les assises sont constitués par les principes généraux
de liberté, d'égalité, de non-discrimination et de fraternité proclamés
dans les articles 1 et 2. Des quatre colonnes égales du portique qui forment le
corps même de la Déclaration, la première représente les droits et les
libertés d'ordre personnel (articles 3 à 13 inclus) ; la deuxième, les droits
de l'individu dans ses rapports avec les groupements dont il fait partie et les
choses du monde extérieur (articles 12 à 17 inclus) ; la troisième, les
facultés spirituelles, les libertés publiques et les droits politiques
fondamentaux (articles 18 à 21 inclus) ; la quatrième, les droits économiques,
sociaux et culturels (articles 22 à 27 inclus). Le tout est couronné par un
fronton qui définit les liens entre l'individu et la société (article 28 à
30 inclus)".
La D.U.D.H. de 1948 pose deux novations majeures : d'une
part, l'affirmation de la détention en propre par chaque individu de droits
opposables tant aux autres individus qu'aux États groupes sociaux[13]
et, d'autre part, l'indivisibilité et la stricte égalité des droits
individuels – civils et politiques – et des droits collectifs – économiques,
sociaux et culturels -, étant toutefois précisé que les seconds sont la
condition des premiers dans la mesure où, par exemple, pour être en mesure
d'exercer ses droits civils et politiques un individu doit disposer de
l'assurance d'un minimum vital.
Pendant toute la période de la guerre froide, la
D.U.D.H. a fait l'objet d'un affrontement entre les tenants de la primauté des
droits civils et politiques (bloc occidental) et ceux de la suprématie des
droits collectifs (bloc soviétique). Ce n'est donc qu'en 1966, avec le
quasi-achèvement de la décolonisation et la détente Est-Ouest, que
'"ordre international de paix et de justice" fixé comme objectif par
la D.U.D.H. a pu commencer à connaître un (timide) début de mise en œuvre
lors de la ratification du "Pacte international relatif aux droits civils
et politiques" et du "Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels"[14].
Ces Pactes précisent bien entendu les droits individuels
et collectifs des hommes (au sens général puisque les femmes et les enfants
sont explicitement mentionnées) mais également les obligations pesant sur les
États pour permettre l'exercice effectif de ces droits. En outre, le premier a
institué un Comité des Droits de l'Homme[15],
pouvant être saisi par des particuliers, le second a installé un Conseil Économique
et Social.
Sous l'influence des pays du Tiers-Monde, la D.U.D.H. et les deux Pactes en découlant ont par ailleurs été prolongés par une Déclaration Universelle des Droits des Peuples (1976).
De nombreuses conventions sont venues compléter la
D.U.D.H. : Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(1948) ; Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de
discrimination raciale (1965) ; Convention sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination à l'égard des femmes (1980), Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984)
; Convention internationale des droits de l'enfant (1989)… Des conventions régionales
(Amérique et Europe) en ont fait de même.
En matière de Droits de l'Homme, le processus d'un Droit
Universel - et, a fortiori d'une Justice Universelle[16]
- initiée par la D.U.D.H. de 1948 est loin d'avoir abouti : de nombreuses
ratifications de conventions internationales font toujours défaut ; des
conventions ont été ratifiées mais avec des clauses de sauvegarde ; des pays
signataires de conventions ne les appliquent pas ; le droit d'ingérence comme
usage légitime de la force internationale pour faire appliquer ou respecter un
droit international en est encore à ses balbutiements ; si des Tribunaux
internationaux existent mais avec un champ limité dans le temps et/ou dans
l'espace, la Cour pénale internationale créée en 1988, bien qu'ayant vocation
à être universelle est encore
loin d'être opérationnelle puisqu'elle n'est compétente que pour les pays…
ayant ratifié la convention qui l'a instituée…
Toutefois, si beaucoup reste à faire, force est d'admettre que beaucoup a déjà été fait et que l'on peut donc, en toute pertinence, débattre sur la question de savoir si les Droits de l'Homme sont établis et mis en œuvre… pour ou contre les hommes !
Le débat :
Et, d'emblée, une affirmation qui, si elle est d'une évidence
criante, est souvent perçue comme provocatrice : l'Homme n'existe pas. Seuls
existent, ont existé et existeront, des hommes, des femmes, des enfants, c'est-à-dire
des individus – et, au-delà, des personnes - appartenant à une
espèce particulière, l'espèce humaine.
Si par Homme on entend, par convenance
scientifique– mais encore faudrait-il l'indiquer au préalable – l'espèce
humaine, alors oui, l'Homme existe par distinction de l'Animal, du
Végétal, du Minéral…
Si par Homme, toujours par convenance,
simplificatrice cette fois-ci, on entend tous les individus ayant vécu,
vivant ou appelés à vivre sur la Terre[17],
alors oui, l'Homme a existé, existe et… existera (?).
Hormis ces deux acceptions, l'Homme est… une idée
que l'on substitue (abusivement) à l'humanité[18]
(Cf. ci-après). Une idée, autrement dit un concept, une catégorie, une
essence, un objet ou une forme de pensée[19],
une représentation, une élaboration mentale… et, in fine, une… conviction
ou une non-conviction, une théorie ou une idéologie, un principe
(cause) ou une conséquence, une vérité ou un mensonge, une
valeur ou une non-valeur, un en-soi ou un pour-soi,
un objet ou un sujet, une affirmation ou une négation,
un absolu ou un relatif, une immanence ou une transcendance…
Les anglo-saxons, beaucoup plus pragmatiques que
(notamment, les français et, plus généralement, les latins), lorsqu'ils ont
voulu limiter le pouvoir de leur souverain, ont institué des droits en faveur
non pas de l'Homme mais… des sujets dudit souverain. Autrement dit, ils
ont fait référence à des individus et non à une abstraction : l'Homme
que ne pouvait pas connaître ce même souverain.
Cette distinction entre les humains et l'Homme explique
que les tenants des Droits de l'Homme n'avaient par ailleurs aucun scrupule à
maintenir un Code de l'esclavage qui excluait du champ des Droits de l'Homme
toute une catégorie d'humains – les esclaves – au motif que, en définitive,
ces individus étaient exclus du champ de l'humain en raison de… leur
statut d'esclave !
Rappelons que chez la quasi totalité des peuples primitifs
– et cela est encore vrai pour les Inuits, les Amérindiens, les Bochimans,
les Pygmées, les Papous… - les membres de la tribu et, plus généralement,
du peuple à laquelle la tribu appartient, se désignent sous le terme générique
d'Hommes par opposition aux non-hommes, c'est-à-dire aux étrangers.
Ce rappel historico-éthnologique permet de bien voir que
le concept Homme n'est pas aussi universel qu'on veut bien l'admettre et
que, en fait, il exclue tous ceux qui sont exclus du champ de l'humain,
de l'humain tel qu'il est spatialement et temporellement défini,
compris, vécu…
En se fondant sur une conception philosophique, idéologique,
morale, religieuse, politique… le concept de Droits de l'Homme, parce
qu'il renvoie à un abstraction, l'Homme, et non à une réalité, les humains,
justifie toutes les exclusions dont se prévalent des États, les sectes
religieuses et politiques… pour ne pas appliquer les conventions
internationales relatives aux Droits de l'Homme ou, plus exactement, pour
récuser, comme non fondées, les accusations de violation de ces conventions en
arguant de leur application effective alors que celle-ci, en réalité, est sélective
et nullement universelle puisqu'elle ne concerne – et encore ! – que les
seuls individus appartenant à l'abstraction Homme !
Le renvoi à l'abstraction et non à la réalité
explique deux exclusions universelles du champ des Droits de l'Homme :
· les… femmes (Rappelons que les Révolutionnaires français n'avaient aucun scrupule à exclure les femmes – mais aussi les esclaves - du champ de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen !)
·
et, de façon variable dans le temps et l'espace, l'Autre
ou, plus précisément, le non-quelque chose par opposition à ce qui relève
de la norme définie comme le champ desdits Droits: l'étranger (en terme
de nationalité), l'opposant politique, l'hérétique, l'apostat, l'homosexuel,
l'intouchable, l'asocial, le malade mental…
C'est ce même renvoi à une abstraction et non à la réalité
qui, au vu des nombreuses exactions commises, malgré l'existence d'une Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme, a suscité l'élaboration d'une.
Intention sans aucun doute louable – faire cesser
l'exploitation économique, militaire[20]…,
la maltraitance… des enfants – mais avec des effets concrets très limités
quand on regarde les statistiques officielles.
L'institution de Droits (universels) de l'Enfant
confirme le caractère sélectif et donc discriminatoire de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme, parce que fondée sur une abstraction et
non une réalité, car, étant admis que la catégorie Enfant fait partie
du genre Homme – autrement dit que les enfants sont des humains -, on
peut légitimement se demander pourquoi différencier des droits, à raison de
telle ou telle particularité – âge, sexe… - alors que les Droits de
l'Homme, prétendant à l'universalité, sont applicable… à tous
les humains, quelle que soit leur particularité !
L'origine de cette initiative – l'exploitation, la
maltraitance… des enfants – est fondée et légitime. La réponse apportée
n'est toutefois pas pertinente car elle n'est pas enracinée dans le réel et,
pour cette catégorie d'humains – les enfants -
autorise donc les mêmes exceptions et exclusions que les
États, les sectes… s'estimaient – et s'estiment toujours – en droit
d'apporter aux adultes.
Je rajouterai que le renvoi à une abstraction et non à
la réalité peut justifier le fondement d'un abus de droit et, in
fine, une injustice, quand, pour des raisons religieuses on ne peut
plus douteuses, tel État (les U.S.A. pour ne pas les citer) étend les Droits
Universels de l'Enfant aux… fœtus aux dépens d'une autre catégorie
d'humains : les femmes, désormais dépourvues du droit de disposer librement et
pleinement de leurs corps au motif qu'elles ne sont que… des ventres
dont la propriété revient à l'Enfant, que celui-ci soit une réalité
– le fœtus – ou une potentialité –. Ainsi, cette extension, on ne peut
plus abusive, même si elle participe d'un discours… logique[21],
dans sa forme du moins - revient à établir un Droit de procréation en
faveur de l'Homme, en tant qu'espèce, qui est une aliénation fondamentale
et universelle – juridique, morale, éthique, philosophique,
politique… - des femmes et l'anéantissement de tous droits
effectifs, réels des femmes - ! Quel progrès pour les femmes au nom d'un
progrès accompli pour… l'Homme !
Il est toutefois évident que la référence à des
Droits abstraits[22] peut souvent faire
avancer ou protéger, ici ou là, les droits réels d'un individu réel –
femme, homme ou enfant -.
Il serait donc stupide, pour ne pas dire… criminel,
au nom de la critique faite ci-dessus, de rejeter des droits abstraits et de
s'interdire ainsi de promouvoir ou de défendre des droits réels. Il n'en
demeure pas moins que cette critique doit être développée, systématisée
pour que partout dans le monde, en tous lieux et en tous temps, les droits
universels des humains – de tous les humains, quelles que soient leurs
particularité – soient réellement instaurés, respectés et, si besoin, protégés
et défendus et qu'il y a donc un combat à mener pour passer de l'abstraction
à la réalité, une réalité… véritablement universelle.
[1] Victoire ayant amené l'abdication de Jacques II le catholique et l'accession au trône de Guillaume III d'Orange, protestant, qui, lors de la cérémonie d'investiture, jure de respecter la Constitution telle que définie par le Bill of Rights ainsi que par les us et coutumes.
[2] Ce texte est, en quelque sorte, la première conceptualisation de la Laïcité dans son acception française !
[3] Thomas JEFFERSON a été le rédacteur principal de la Déclaration d'Indépendance ; il ne lui a pas semblé contradictoire de proclamer l'universalité des droits des hommes alors qu'il était propriétaire d'esclaves et que cette universalité était bien relative puisqu'elle ne s'étendait pas aux esclaves !
[4] Il convient de noter que les auteurs de la Déclaration d'Indépendance avaient plusieurs convictions spirituelles et que, pour faire consensus mais également en raison d'une forte prégnance maçonnique, c'est le terme de "Créateur" qui a été utilisé et non de "Dieu".
[5] Pendant longtemps encore l'acceptation du terme "homme" sera prise au sens strict puisqu'elle exclura les femmes et les enfants mais aussi ceux n'ayant pas le statut politique d'homme : les esclaves. L'esclavage ne sera aboli que le 4 mars 1848 en France et le 25 septembre 1926 au plan international !
[6] Avec toutefois une "réduction" significative, celle indiquée dans la note précédente !
[7] La Déclaration de 1793 introduira de nouveaux Droits universels : les droits économiques et sociaux. Bien que pourtant jamais appliquée, cette seconde avancée révolutionnaire sera rapidement annulée par le Directoire avec la Déclaration de 1795 qui, revenant à une conception restrictive des Droits, exclura les droits économiques et sociaux pour se limiter, comme en 1789, aux seuls droits civils et politiques. Ce "retour aux sources" et à la nature profondément bourgeoise de la Révolution de 1789 se traduisent donc par un texte conforme à l'idéologie économique libéral , ce qui explique que, malgré les variations de régime, ce texte restera en vigueur pendant 151 ans et qu'il faudra attendre le "choc" de la Seconde Guerre mondiale – et, plus précisément, du nazisme avec son univers concentrationnaire et la violation systématique et scientifiquement organisée des Droits (basiques) de l'Homme – mais aussi la "pression communiste", tant à l'interne qu'à l'externe, pour que le flambeau révolutionnaire de 1793 (dépassant largement le cadre bourgeois de 1789) soit repris.
[8] Il existe en effet une différence fondamentale entre un texte qui se contente de faire référence à un texte antérieur et un autre texte qui reprend les termes d'un précédent en les complétant, précisant… Ainsi, pour de nombreux auteurs, la Constitution de 1958, "faite sur mesure" pour un homme et une conception personnelle du pouvoir politique, même si elle vise expressément la Déclaration de 1789, met les Droits de l'Homme en balance avec le principe de la souveraineté nationale – principe étranger aux Déclarations révolutionnaires de 1789 et 1793 – entendu comme l'affirmation de l'indépendance externe de la Nation et, de ce fait, a nécessairement engagé la dérive nationaliste et autoritaire de la Vème République.
[9] In "A propos de la question juive".
[10] Droit proclamé par la déclaration de 1793 !
[11] Cette adoption s'est faite par 48 voix sur 56, 8 pays ayant préféré s'abstenir, à savoir l'U.R.S.S., 5 pays du bloc soviétique, l'Afrique du Sud et l'Arabie Saoudite.
[12] Membre de la Ligue des Droits de l'Homme depuis 1921, il a participé au congrès de 1936 qui a voté le "Complément à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen" – Cf. ci-dessus – et dont il s'est largement inspiré pour la D.U.D.H. Vice-Président du Conseil d'État de 1944 à 1960, puis du Conseil constitutionnel, il a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 1968. Ses cendres ont été transférées au Panthéon. La référence à l'allégorie du temple est, à l'évidence, d'inspiration maçonnique.
[13] Ce sont ces droits sui generis, universels et inaliénables (y compris par l'individu lui-même) qui constituent, pour certains, le fondement de la légitimité et même du droit d'ingérence.
[14] Encore faut-il noter que l'universalité de ces Pactes - et donc leur effectivité – est d'autant plus réduite que chaque camp dispose de sa propre version !
[15] Dont les États-Unis, à la suite de l'Arabie Saoudite, de l'Iran… viennent d'être exclus !
[16] Universel(le) au sens d'international(e) et applicable, en tous temps, dans tous les pays, voire contre quelque pays que ce soit.
[17] Pour le moment, nous nous en tiendrons à la Terre mais, à terme, il faudra sûrement y ajouter d'autres planètes.
[18] La minuscule de "humanité" est importante car avec la majuscule l'Humanité est le synonyme de… l'Homme.
[19] Cf. XVIIème siècle : Descartes, l'idée innée ; Locke, l'idée représentative.
[20] Au passage on notera que l'exploitation religieuse des enfants n'est nullement citée dans ce texte !
[21] Ne dit-on pas que le fou est celui qui a tout perdu sauf… la raison ? Le raisonnement paranoïaque n'est-il pas d'une logique absolue ?
[22] Droits abstraits parce que renvoyant à une abstraction : l'Homme.