Libre
est la vie, interdite la mort ?
A l'occasion d'un récent fait divers, les chiens de garde de l'ordre bourgeois ont, une nouvelle fois, lâché le mot d'euthanasie comme une obscénité, un os à donner à ronger à la populace, une affaire publique destinée à distraire le troupeau, une affaire juridique mise en lumière pour mieux faire oublier les… affaires… Qu'en est-il exactement ?
Du grec eu (bien) et thanatos (mort) l'euthanasie désigne l'acte d'un médecin ou d'un vétérinaire qui soit provoque la mort d'un malade (humain ou animal) incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie, soit laisse venir la mort d'un malade (idem) incurable sans acharnement thérapeutique. L'euthanasie, étymologiquement, est dont une mort douce sans souffrance.
Pour beaucoup l'euthanasie est associée au régime nazi (à cause de l'homophonie "nazi" ?) alors que le régime nazi n'a pas pratiqué l'euthanasie, notamment des malades mentaux, mais bel et bien l'assassinat, la liquidation, la… solution finale.
Jusqu'au XIXème siècle euthanasie désignait uniquement une mort, douce et sans souffrance, naturelle sans intervention d'un tiers (médecin). Dans de nombreuses sociétés antiques, comme Rome, la Grèce, l'Egypte…, l'euthanasie, dans son acception moderne, était admise et même encouragée, tant légalement que moralement, aussi bien pour les personnes atteintes d'une maladie incurable, que pour celles (enfants compris) souffrant d'une malformation handicapante.
L'euthanasie a été, religieusement et moralement, condamnée par… les religions monothéistes quand celles-ci n'étaient encore qu'en voie d'établissement ; dès lors qu'elles ont été établies, la condamnation et l'interdiction légales ont invariablement suivi, même si, des particuliers comme des médecins, ont continué de la pratiquer dans la clandestinité plus ou moins totale.
A ce jour, peu de pays ont légalisé
l'euthanasie, les avancés significatives qui ont pu être faites en ce domaine
résultant à la fois d'une moindre emprise de la religion – autrement dit,
d'une laïcisation de la société – et de l'évolution de la définition médicale
et légale de la mort qui est désormais diagnostiquée
par l'absence de fonctionnement prolongé des centres supérieurs du cerveau (électroencéphalogramme
plat), même si, par ailleurs, une vie végétative
est mesurable (respiration, circulation sanguine…)[1].
Les arguments opposés à la légalisation de l'euthanasie sont de trois ordres :
Je ne vais pas entrer dans le détail d'une contre-argumentation et je me contenterai donc de ceci :
Le droit de vivre tel qu'il est posé par le Droit positif et, en particulier, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, est, fondamentalement, la liberté de vivre. Autrement dit, la faculté qu'à chaque individu de disposer pleinement de sa vie sans que celle-ci ne puisse être limitée, conditionnée et, a fortiori, supprimée par qui que ce soit. C'est au nom de ce principe que, par exemple, l'esclavage est interdit puisqu'il consiste à priver une personne de sa liberté, à l'objectiver au point de le déchoir de son humanité pour le réduire au statut de bien meuble sur lequel un propriétaire aurait un droit d'usus et d'… abusus.
Ainsi, selon le Droit positif nul(le) ne peut être déchu de son humanité et, inversement, nul(le) ne peut déchoir qui que ce soit de son humanité. Si l'on admet que la liberté est l'essence de l'humanité et que, là où il n'y a point de liberté, il n'y a pas (ou plus) d'humanité, force est d'admettre que refuser à un être humain d'assumer pleinement sa liberté, c'est nier, anéantir sa liberté et, partant, le déchoir de son humanité. Or, en certaines circonstances, un(e) individu(e) peut être physiquement dans l'incapacité d'assumer pleinement sa liberté et, par exemple, parce qu'il-elle est cloué(e) dans un lit par suite de la perte de ses capacités locomotrices ou encamisolé(e) (matriellement ou chimiquement), ne pas faire ce qu'il-elle pourrait faire s'il-elle jouissait pleinement de ses capacités locomotrices comme, par exemple, se suicider, c'est-à-dire mettre un terme à une vie dont il-elle ne veut plus.
En mettant cette personne dans l'impossibilité d'assumer sa liberté, on porte atteinte à son humanité et on la réduit à l'état d'objet sur lequel on revendique un droit de propriété, autrement dit d'usus et d'abusus, pouvant consister à continuer de le faire fonctionner pour en tirer un profit quelconque, que ce profit soit pécuniaire et/ou religieux, moral. Dès lors, on se met hors la loi éthique, religieuse, philosophique… dont on se réclame – l'amour du prochain, le respect de l'Autre… - pour justifier ce qui n'est rien d'autre qu'une… déshumanisation !
Pour moi, cet anéantissement de l'humanité de l'Autre par la privation délibérée de sa liberté est du même registre que l'esclavagisme, le proxénétisme, le nazisme, le fanatisme… dès lors que l'Autre n'est plus reconnu comme humain mais comme objet, qu'il est dépossédé de toute volonté propre et soumis au bon vouloir, aussi bien intentionné soit-il, d'un maître, d'un démiurge.
Celles et ceux qui se revendiquent de telle ou telle religion, de telle ou telle morale, de telle ou telle idéologie… pour justifier la privation de liberté d'une personne et la condamner à vivre à l'état de légume, d'objet dont on peut user et abuser à volonté affirment leur amour du prochain, professent la charité, voire même la solidarité ou bien encore la… fraternité. Or, me semble-t-il, aimer son prochain c'est aussi aider ce prochain dans la réalisation de sa libre volonté, dans le plein exercice de son humanité. Ce n'est donc pas seulement lui donner de quoi se nourrir, se vêtir, se loger…, c'est aussi l'aider à faire ce qu'il-elle ne peut plus faire, ponctuellement ou durablement : traverser une rue, monter des escaliers, porter une lourde charge, écrire une lettre, lire un papier administratif… mais aussi… mourir.
De quel droit puis-je me prévaloir pour refuser à l'Autre d'assumer sa liberté dès lors que lui seul est en jeu ? D'aucun droit si ce n'est celui du maître sur son esclave.
Quel droit puis-je opposer à l'Autre qui, au nom de la fraternité, fait appel à mon aide, autrement dit qui me sollicite dans ce qui nous unit – l'humanité - ? Aucun, si ce n'est celui d'un dieu sur sa créature.
Humaniste, je n'ai ni dieu, ni maître et me reconnais comme devoir premier de m'efforcer d'être… humain à l'égard tant de moi-même que de l'Autre. Je cesse d'être humain dès lors que je nie l'humanité de quelque individu que ce soit.
Humain, je revendique non tant le droit que la liberté de rester humain jusqu'à mon dernier souffle de vie, que ce dernier souffle soit expiré naturellement (vieillesse, maladie…), accidentellement ou… volontairement et, pour être plus précis, du fait de ma volonté. Humain, je dénie à qui que ce soit le droit de me priver de cette liberté et, si tel est le choix que je fais, de m'interdire de mourir ou même seulement de me mettre dans l'impossibilité de mourir en mettant un terme à ma vie.
Humain, je revendique le devoir d'assistance à personne en souffrance en faveur de tout(e) individu(e) qui, en parfaite connaissance de cause, en pleine liberté, n'a d'autre moyen pour mettre un terme à une souffrance insupportable que de mettre un terme à sa vie.
Être libre, c'est pouvoir vivre librement mais aussi
pouvoir mourir librement. Je ne suis libre que pour autant que je puis librement
disposer de ma vie pour… la vivre ou… y mettre un terme.
[1]
Et que, en cas de débranchement
de la personne, des prélèvements d'organes peuvent être faits en faveur
de tiers puisque lesdits organes sont vivants
et, par conséquent, transplantables.
[2]
C'est ainsi que, sous prétexte de lutter contre les assassinats de fœtus, les intégristes sont autorisés par dieu à
assassiner et les médecins qui pratiquent les IVG et les femmes qui y ont
recours !
[3] Mais aussi de l'hospitalisation, de la dépense de santé (laquelle est, ne l'oublions pas, la contrepartie d'un revenu, d'un gain, d'une ressource…).
[4]
"Cachez cette seringue que je ne saurais voir et dont je vous demande
pourtant de vous servir pour exécuter
celui-celle que, en toute bonne conscience, j'ai condamné(e) à mort"
!