"Ce
qui est affirmé sans preuve, peut être nié sans preuve"
(Euclide)
L'origine
de la religion
Pendant longtemps, l'étude du fait
religieux – et, notamment, la compréhension de l'origine de la
religion ainsi que de ses modalités de développement et d'organisation ainsi
que ses conséquences sur les humains et la Société, c'est-à-dire l'ordre
humain - fut le fait des seuls philosophes[2]
qui, point important à souligner, étaient aussi - ou d'abord ? -, du moins
durant l'Antiquité, des savants, c'est-à-dire des scientifiques :
physiciens, mathématiciens, astronomes, médecins… ainsi que, pour la
plupart, des… poètes[3].
Épicure[4]
est l'un des premiers philosophes à avoir établi une séparation radicale
entre les hommes et dieux, c'est-à-dire entre l'ordre humain et l'ordre divin.
Lucrèce, son disciple, a approfondi cette analyse pour tenter la première
tentative rationnelle, cognitive de l'origine de la religion. Pour lui, les
croyances religieuses sont des erreurs que la
philosophie a pour mission de combattre en se fondant sur la science et la
connaissance, autrement dit la Raison.
Par la suite, la recherche
cognitive sur l'origine de la religion et du fait religieux aura tendance à se
confondre avec la critique de la religion, critique abordée d'un point
de vue éthique - dénonciation des injustices de l'ordre religieux -, politique
- revendication de la liberté d'expression - ou philosophique - dénonciation
de l'aliénation religieuse - et formulée dans le cadre d'une pensée/philosophie
humaniste et d'une théorie, notamment le matérialisme.
Il n'est pas question ici de
retracer toute l'histoire de cette critique de la religion. Je me contenterai
d'en pointer quelques balises.
Mais, avant, je tiens à rappeler que, très tôt dans l'Histoire, de nombreux penseurs et simples individus considérant qu'il n'était pas dans la capacité cognitive de l'humain de se prononcer sur l'existence ou l'inexistence de dieu, ne mesurant pas véritablement l'enjeu humaniste de l'aliénation religieuse et/ou préférant se consacrer, en toute candeur, à l'entretien égoïste de leur bonheur et de leur plaisir, se sont rangés dans les rangs des agnostiques[5] en infligeant par là-même, en toute passivité, de sérieux revers à la volonté hégémonique des religions !
Mais c'est à la pensée
d'Engels, elle-même vulgarisée dans le mouvement ouvrier français par les Principes
élémentaires de philosophie (1946) de Georges Politzer, que l'on doit le
critère qui permettrait de départager les protagonistes, énoncé en la
formulation célèbre de son Ludwig Feuerbach (1888) : "La grande question
fondamentale de toute philosophie, et spécialement de la philosophie moderne,
est celle du rapport de la pensée à l'être". Selon le terme qu'elle
privilégie, une philosophie sera déclarée idéaliste ou matérialiste : l'idéalisme
affirme "le caractère primordial de l'esprit par rapport à la
nature", et le matérialisme l'inverse.
D'après Engels, on entend
donc par matérialisme, la philosophie ou l'attitude philosophique qui reconnaît
explicitement ou tendanciellement à la matière une prévalence
logico-historique sur la pensée et, partant, la détermination matérielle de
celle-ci ; une philosophie qui soutient que "l'unité du monde consiste en
sa matérialité" (Anti-Dühring, 1877) et qui appelle "une
simple intelligence de la nature telle qu'elle se présente, sans adjonction étrangère"
(Ludwig Feuerbach).
On peut identifier la genèse du matérialisme dans
l'atomisme de Leucippe de Milet et de Démocrite d'Abdère, un contemporain de
Socrate, qui définissaient l'être comme composé d'atomes "insécables"
et indestructibles, et le vide comme l'espace réel où se meuvent ces atomes, conférant
à l'âme elle-même et aux dieux une existence matérielle. D'ailleurs,
c'est contre cette tradition commençante que Platon polémique et institue.
Au-delà de cette période, force est d'évoquer le matérialisme
achevé, voire absolu, et comme tel indépassable, que constitue le matérialisme
dialectique, mis en forme par Engels, codifié sous Staline (le dia-mat),
repensé par Althusser, et dont Marx a été l'un des principaux initiateurs.
Le nouveau matérialisme se présente
dés lors comme l'aboutissement et comme le principe d'intelligibilité non
seulement de la tradition souterraine du matérialisme depuis Démocrite mais
aussi de tout l'idéalisme développé à ciel ouvert depuis Platon : Marx dépassait
à son tour Hegel[6] au sortir du texte
explosif (Althusser) des Manuscrits de 1844, lieu de rencontre de la
dialectique idéaliste de Hegel et du matérialisme humaniste de Feuerbach.
En effet, comme Marx l'annonce
l'année suivante dans les Thèses sur Feuerbach, le matérialisme est désormais
à même, après des siècles d'activités purement interprétatives, d'aider à
la transformation du monde, en réalisant dans la philosophie la tendance
au communisme. Le nouveau matérialisme, par exemple, non seulement découvre
que "la famille terrestre est le secret de la sainte famille", mais
encore comprend qu'il est nécessaire pratiquement de révolutionner la
famille terrestre. Supériorité de ce matérialisme, également, en ceci qu'il
est la première théorie capable de rendre compte de ses propres conditions de
production et de penser l'être tel qu'il est effectivement en le délivrant des
idéalités avec lesquelles l'idéalisme le confondait : "C'est de la terre
au ciel que l'on monte ici", précisa Marx dans l'Idéologie allemande
(1845-1846).
Dès lors, ce qui était une
difficulté principielle pour le matérialisme devient une menace de mort
pour l'idéalisme, et le matérialisme apparaît comme une hérésie au regard
des idéologies dominantes et des logiques institutionnelles, étatiques
et religieuses singulièrement, qui reçoivent de ces idéologies des raisons d'être
et de persévérer.
Philosophiquement, le terme de matérialisme
peut aussi prêter à malentendu : utilisé pour la première fois en 1668 par
le philosophe Henry More, un platonicien au demeurant, dans ses Dialogues théologiques,
puis, peu après, par le physicien et chimiste irlandais Robert Boyle (1674),
son application à des philosophies antérieures exige du discernement, surtout
lorsque, comme dans certaines traditions marxistes se réclamant d'Engels, il
cesse d'être une catégorie philosophique pour devenir un concept censé porter
la connaissance de divisions internes à l'histoire de la philosophie,
permettant de tracer entre les philosophes et à l'intérieur même de leurs œuvres
des "lignes de démarcation" : Démocrite et Épicure ne se pensaient
pas eux-mêmes comme matérialistes, et l'unité des systèmes
d'Aristote, de Descartes ou de Spinoza se scinde à l'insu de leur auteurs sous
l'effet d'une nomination rétrospective. En outre, comme celui d'idéologie, le
vocable de matérialisme "appartient d'abord au discours de l'autre"
(O. Bloch) et est utilisé de manière péjorative pour discréditer un
adversaire : ce n'est qu'au XVIIIème siècle avec La Mettrie,
et au XIXème avec Marx surtout, que le mot, qui conservera sa
portée critique, sera revendiqué dans une acception positive.
Du point de vue de l'histoire de
la pensée, il est d'usage de distinguer deux périodes : celle du matérialisme
grec et romain, et celle du matérialisme moderne né de la Renaissance. La
première période a produit notamment, au Ier siècle avant l'ère
moderne, la grande œuvre de Lucrèce, De natura rerum, exposition poétique
de la philosophie d'Épicure (341-270), remarquable en particulier par
l'invention du clinamen, cette catégorie, qui désigne la capacité des
atomes à incliner leur trajectoire en des lieux et des instants indéterminés,
visait à la fois à rendre compte du devenir des mondes et à libérer du nécessitarisme
les actions de l'homme.
Parallèlement à l'épicurisme, et en rivalité avec
lui, s'est développé le stoïcisme, dont les principaux représentants sont Sénèque
Épictète et l'empereur Marc Aurèle : séparant le bon grain de l'ivraie, l'on
délaissera ici une morale "idéaliste" pour valoriser une physique
continuiste d'inspiration héraclitéenne, elle-même ambivalente, qui
explique la formation de l'univers en une unité organique par le mouvement de
tension d'un feu-raison.
Ouvert par l'astronomie de
Copernic, le panthéisme de Giordano Bruno et la refondation par Galilée de la
physique qui désormais donne à lire le vaste livre de l'univers tel
qu'il est "écrit en langue mathématique", la seconde période est
marquée d'abord par le mécanisme du XVIIème siècle
qui explique les processus physiques par le mouvement de la matière conçu
comme déplacement dans l'espace. L'histoire du matérialisme retient d'abord le
nom de Pierre Gassendi, dont Marx notait toutefois qu'il ne représentait qu'un moment
intéressant car s'il "a libéré Épicure de l'interdit dont l'avaient
frappé les Pères de l'Église et tout le Moyen Âge, l'époque de la déraison
réalisée", il a aussi cherché "à accommoder sa foi catholique avec
sa science païenne, Épicure avec l'Église, ce qui est assurément peine
perdue".
Par la suite, le dualisme cartésien,
qui pense l'unité mystérieuse d'une substance spirituelle, dont l'essence est
la pensée, et d'une substance matérielle, dont l'essence est l'étendue, se
laissera aussi partiellement annexer, dans la mesure où Descartes, s'il
définit l'univers comme une substance créée, l'étudie ensuite avec les
concepts d'une physique corpusculaire délivrée de tout finalisme. Hobbes enfin
(De corpore, 1655) réalise la tendance matérialiste par sa physique mécaniste
centrée sur le concept de conatus et, en référence à l'atomisme
antique, par son attribution à l'âme et à Dieu d'une nature corporelle.
Plus tard, il faudra compter
avec les innombrables versions du mécanisme, mais aussi les variantes du
sensualisme et de l'empirisme (Locke et Condillac) ainsi que du naturalisme
(Gobineau).
Spinoza mérite une mention
particulière : s'il définit la Substance, ou Dieu, constituée d'une infinité
d'attributs infinis (parmi lesquels la pensée et l'étendue), par sa puissance
de mouvement (nature naturante) produisant nécessairement une infinité de
modes infinis et des modes finis, les choses singulières (nature naturée), ce
qui, du point de vue de l'attribut
pensée, constitue une conception procèdant d'un idéalisme absolu, en
tant que l'homme, mode fini, y est réfléchi comme "idée du corps", son
ontologie, en revanche, peut être aussi bien lue comme un matérialisme intégral
dans la mesure où, contre la conception cartésienne de l'étendue, elle définit
l'ordre naturel, hors de toute référence à un principe extérieur, par un
automouvement produisant ses propres lois. Ce monde animé par une force
affirmative immanente sera d'ailleurs illustré, au siècle suivant, dans le Rêve
de d'Alembert de Diderot (1769).
Le matérialisme du siècle
des Lumières, que représentent principalement, outre Diderot, La Mettrie
(l'Homme-Machine, 1748), Helvétius (De l'Esprit, 1758), d'Holbach (Système de
la nature, 1770), se compose d'une multiplicité de variantes qui rendent aléatoire
une exposition synthétique. Parmi ses traits distinctifs généraux, l'on
notera la critique des catégories et des dogmes de la tradition religieuse,
la reconduction de la position spinoziste relative à l'unité de la nature,
l'affirmation de l'inhérence du mouvement à la matière, le développement de
thèses vitalistes qui inscrivent ce matérialisme dans une généalogie
remontant au stoïcisme davantage qu'à l'atomisme.
Au XVIIIème siècle,
il conviendrait de faire mention d'un courant humaniste particulier, aussi
bien dans la Philosophie que l'Art – et, principalement, la Littérature –
et fortement irréligieux, déicide : le mouvement libertin - ou libertinage
– mais, compte tenu de la charge quasi satanique qui pèse sur lui, en
raison, bien évidemment, de l'importance qui a pris le divin marquis, je préfère
ne pas l'évoquer aujourd'hui et l'aborder une autre fois.
Nombre de ces travaux ont tenté
de dépasser le mécanisme cartésien en prenant appui sur les recherches
contemporaines de la chimie, de la biologie et de l'histoire naturelle, ce qui
incite à nuancer le jugement condescendant porté par Engels sur les "étroitesses
spécifiques, mais inévitables à cette époque, du matérialisme français
classique" : la dépendance à l'égard de la théorie des
"animaux-machines" de Descartes, et une "incapacité à concevoir
le monde comme processus" due à "la façon métaphysique, c'est-à-dire
antidialectique, de philosophe".
Bien entendu, l'achèvement
du matérialisme sera assuré par Marx et Engels – et, plus tard par Lénine
-, cet achèvement ayant présidé, avec le stalinisme, à la
transformation du matérialisme d'une philosophie en une idéologie, pour ne pas
dire une religion laïque d'État.
Au XXème siècle, au
prix d'un détour par le matérialisme de Spinoza, Althusser
inlassablement a montré que la démystification accomplie par Marx devait
s'entendre dans le sens d'une reprise de la catégorie philosophique décisive
de procès, mais délivrée de la téléologie inscrite dans les structures mêmes
de la dialectique hégélienne (Lénine et la philosophie) : en la
soumettant au primat du matérialisme (précisément à la topique de la
base et de la superstructure), Marx "interdit à la dialectique le délire
idéaliste de produire sa propre matière" (Éléments d'autocritique). La
catégorie centrale de la conception marxiste de l'histoire serait dès lors
celle de "processus sans Sujet ni fin(s)".
Lors de l'éclatement au grand
jour de la crise du marxisme, Althusser reconnut finalement que cette élucidation
laissait à l'état d'énigme la question de la nouvelle pratique philosophique
annoncée par les Thèses sur Feuerbach. L'histoire philosophique du marxisme coïncide
en effet avec la progressive élaboration, à partir des textes d'Engels (qui
comptent aussi les esquisses de la Dialectique de la nature), d'une philosophie
propre, que Marx, pour ne l'avoir pas pratiquée, jamais n'avait nommée, et
qu'une tradition remontant à Joseph Dietzgen baptisa matérialisme
dialectique. Centrée sur la notion inculte (selon Châtelet) de
reflet, que proposa Engels et qui fut surabondamment utilisée par Lénine dans
Matérialisme et Empiriocriticisme (1908), et jouant sur l'équivoque de la
notion de matière, cette philosophie se réduisit à l'identification de lois
de la dialectique censément à l'œuvre aussi bien dans le réel
physico-chimique que dans le devenir des sociétés. Servante du savoir
scientifique et de la politique prolétarienne, elle se transmua sous Staline en
une méthode destinée à régenter celle-ci et celui-là. Matérialisme déclaré,
idéalisme honteux, comme eût dit Lénine, cette ontologie, qui céda au délire
"de produire sa propre matière", relève d'une espèce inédite : le
matérialisme idéaliste. Pour libérer le mot de cette charge désormais trop
lourde d'idéalisme dont l'a lesté la tradition marxiste, Dominique Lecourt
suggéra, in fine, dans l'Ordre et les jeux, l'usage du terme
"sur-matérialisme" dont la portée interdirait au matérialisme de se
déployer derechef en une ontologie.
Depuis et alors que le développement
scientifique tend à valider les prémisses du matérialisme
philosophique paradoxalement, nulle œuvre philosophique ne voit le jour dans le
camp du matérialisme, tandis que ce sont des scientifiques eux-mêmes
qui réactualisent dans leur philosophie spontanée de savants
(Althusser) les vieilles disputes. Ainsi de Jean-Pierre Changeux livrant dans
l'Homme neuronal, à partir des résultats des neurosciences, une leçon de matérialisme
adressée notamment à la psychanalyse lacanienne, placée sous la haute autorité
de Spinoza et appuyée sur une référence à J. S. Mill : "Si c'est
être matérialiste que de chercher les conditions matérielles des opérations
mentales, toutes les théories de l'esprit doivent être matérialistes ou
insuffisantes". Ainsi de Bernard d'Espagnat qui, devant l'impossibilité de
trancher, rouvre, dans À la recherche du réel, la voie ancienne et rusée
du réalisme afin de contenter et le matérialisme et Platon.
Un point qui mérite d'être
souligné est le constant usage polémique qui a été fait – et qui
continue d'être fait - du matérialisme et qui s'explique par le fait que,
jusqu'à Marx, le matérialisme fut une tendance dominée, scandaleuse et menaçant
presque toujours l'ordre politique établi et le dogme religieux, et par conséquent
menacée, réprimée, voire persécutée, même lorsqu'il tenta, comme le fit
Spinoza, de concilier une intransigeante liberté de penser avec le respect des
lois.
Ainsi, s'il est vrai, ainsi que
l'a montré Freud que le rire est une manifestation de l'inconscient, il ne
faut pas s'étonner qu'éclate par intermittence dans l'histoire de la pensée
un rire matérialiste (O. Bloch), qui est peut-être le rire
de la philosophie. Une légende opposait déjà, dans l'Antiquité, Démocrite
qui rit à Héraclite qui pleure ; c'est par le rire aussi que Lénine accueille
en 1908 à Capri l'idéalisme de son ami Gorki, "ce rire entier et franc
auquel les pêcheurs de Capri reconnaissaient qu'il était de leur race et de
leur camp" (Althusser), et c'est par un simple "Ah! ah!" qu'en
1914 il commente une thèse de la Logique de Hegel selon laquelle l'Idée
"devient la créatrice de la nature" (Cahiers philosophiques).
Ce rire est au moins l'indice que le matérialisme n'est
pas un corps étranger qui regarde, en ruminant son impuissance, passer le train
de la philosophie, mais plutôt un passager clandestin fauteur de désordre dans
la compagnie des bien-pensants, touchant, comme l'écrit Althusser, la
philosophie régnante "au vif de son refoulé, la politique" dont
elle-même "n'est traditionnellement que la rumination" (Lénine et la
philosophie).
Concernant l'origine et le rôle
de la religion, on notera que Feuerbach a développé une thèse somme toute
assez proche de celle de Hegel selon laquelle dieu n'est que "le dévoilement
solennel des trésors cachés de l'homme" et l'histoire de la religion se
confond avec celle de la culture humaine.
Marx, en revanche, reprochera au
matérialisme de n'avoir jamais donné jusque là de réponse satisfaisante à
cette question essentielle du point de vue de l'humanisme : "pourquoi
l'homme abandonne-t-il ses vraies richesses à une représentation
imaginaire", autrement dit "pourquoi l'humain renonce-t-il à son
humanité en se livrant à l'aliénation religieuse". Aussi, considérant
que Feuerbach en est resté à un humanisme abstrait – l'Homme et non les
humains -, Marx s'est efforcé d'interroger l'histoire concrète des humains et,
en particulier de leurs luttes. Il en conclura que "La misère religieuse
est, d'une part, l'expression de la misère réelle et, d'autre part, la
protestation contre la misère réelle" et que "La religion est le
soupir de la réature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de
même qu'elle est l'esprit d'un monde sans esprit. C'est un opium pour le
peuple".
Parallèlement à la réflexion philosophique, à partir du XIXème siècle, les sciences et, singulièrement, les sciences humaines – ethnologie, sociologie, psychologie… - se sont efforcées de comprendre scientifiquement l'origine et la fonction de la religion.
Selon les théories sociologiques, la religion n'est pas
réductible à une expérience subjective, à une forme irrationnelle de la
conscience ou encore à la trace d'une étape primitive du développement
de l'humanité selon l'optique de Feuerbach. Les deux pères fondateurs de la
sociologie, Émile Durkheim, en France, et Max Weber, en Allemagne, ont ainsi
souligné que le phénomène religieux constitue une dimension essentielle de la
société humaine.
C'est dans les Formes élémentaires de la vie
religieuse (1912) qu'Émile Durkheim a présenté sa théorie générale de
la religion.
Pour comprendre l'essence même de la religion, Durkheim
choisit d'en étudier, à partir de récits ethnographiques, les formes les
plus élémentaires, c'est-à-dire les plus simples ou les plus
primitives ; il les rencontre dans le totémisme australien. Pour
lui, il n'est pas possible de définir la religion en référence à un Dieu
transcendant ou à un élément surnaturel : ceux-ci sont, en fait, des
caractéristiques tardives puisque certaines religions, comme le bouddhisme, ne
se réfèrent pas à un Dieu transcendant. C'est dans la division du monde
entre sacré et profane que Durkheim trouve le principe essentiel de la religion.
Il remarque ainsi que les Aborigènes reconnaissent dans leur système totémique
une force anonyme et diffuse, extérieure au monde des choses profanes et
pouvant s'incarner dans une plante ou un animal, et que les croyances et les
cultes s'adressent à cette force.
Le sacré, selon
Durkheim, résulte de la différence ressentie entre ce qui relève du quotidien
et ce qui est différent par nature. "Il n'existe pas, écrit-il, dans
l'histoire de la pensée humaine un autre exemple de deux catégories de choses
aussi profondément différenciées, aussi radicalement opposées l'une à
l'autre". Dans ce cadre, la religion consiste en un système de rites et
de croyances relatifs au sacré. Durkheim prolonge son analyse en
affirmant que cette force supérieure à l'individu ressortit à la force
de la société antérieure à chacun. Ce que les hommes adorent à travers
leur totem ou Dieu, c'est la réalité collective. À la question de savoir
pourquoi la société devient, sous une forme transfigurée, objet de culte,
Durkheim répond qu'"une société a tout ce qu'il faut pour éveiller
dans les esprits, par la seule action qu'elle exerce sur eux, la sensation du
divin : car elle est à ses membres ce qu'un Dieu est à ses fidèles".
C'est aux cultes et aux rituels en général qu'il
incombe de rapprocher les individus, de focaliser leur attention sur l'idéal
collectif, de les faire participer à la force du groupe et de susciter la
communion des consciences. Chez Durkheim, cette force anonyme et diffuse
qui s'impose à l'individu est bel et bien la société en tant que réalité
qualitativement supérieure et en tant qu'autorité morale suscitant respect et
adoration. Ainsi, le sociologue, qui n'admet pas le contenu des différentes
religions, en identifie clairement l'objet réel : la force de la collectivité
vénérée par les hommes. Dans sa conception, la religion consisterait
donc en une projection des normes et des valeurs collectives et, contrairement
à ce qu'affirment Ludwig Feuerbach et ses successeurs, elle ne se réduirait
pas à une illusion.
De son côté, ne cherchant pas
à donner une définition de la religion qui prétende désigner son essence,
Max Weber (1864-1920) étudie des pratiques et des visions du monde considérées
comme religieuses par le groupe concerné. Il se contente, en effet, de présenter
l'activité religieuse, qu'il différencie de la magie[7],
en précisant que sa fonction consiste à régler les rapports des hommes
avec des puissances surnaturelles. Le processus de rationalisation dans le
monde occidental, qui constitue le thème conducteur de la sociologie wébérienne,
est analysé à l'aide des notions comme le charisme, la routinisation,
le désenchantement… qui sont devenues des classiques de la sociologie.
Le charisme, notion associée directement
à la rationalisation, est défini par Weber comme la "qualité
extraordinaire d'un personnage qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de
caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins extérieurs à la vie
quotidienne, inaccessibles au commun des mortels ; ou encore qui est considéré
comme envoyé par Dieu, ou comme un exemple, et en conséquence considéré
comme un chef".
A priori, cette
notion de charisme peut paraître proche du sacré de
Durkheim, car Weber insiste sur la nature supra-rationnelle et supra-utilitaire
de l'attachement des adeptes à un leader au sein de communautés émotionnelles.
Mais le sociologue allemand s'intéresse surtout à la façon dont le charisme
s'intègre aux structures de la société. Plutôt que d'exalter avec nostalgie
la plénitude d'une expérience religieuse primitive, il étudie la dimension extraordinaire
du charisme en corrélation avec son impact social. En fait, souligne-t-il, c'est
sa routinisation[8]
qui permet au charisme d'être reconnu comme tel dans la société : il ne peut
se développer qu'en s'inscrivant dans l'ordre quotidien et dans la durée[9]
- et non dans l'intemporel -, c'est-à-dire en acceptant d'être
institutionnalisé.
Analysant l'évolution religieuse de l'humanité, Weber
reproduit la même conception de la dynamique entre expérience émotionnelle et
institutionnalisation. Sans effet sur la vie quotidienne, les premières expériences
religieuses – comme l'extase ou l'orgie – sont pauvres et précaires,
motivées par l'alcool, la musique et les narcotiques. Bientôt, elles vont
s'insérer dans une entreprise régulée par un processus de systématisation et
de rationalisation des pratiques religieuses.
La rationalisation de la société
occidentale se traduit par la montée de la science, l'apparition de la
bureaucratie, le développement de l'individualisme, ainsi que par la légitimation
du pouvoir non pas par une autorité traditionnelle mais selon des règles
normatives. En définitive, ce processus conduit au retrait des valeurs
ultimes et à ce que Weber a nommé le désenchantement du monde. Par
conséquent, l'activité religieuse est également concernée par cette évolution
tendant à la rationalisation, qui passe par des phases successives : elle va de
la manipulation magique des forces naturelles à la symbolisation de plus en
plus riche des rapports entre les hommes et le surnaturel et jusqu'à la
religion éthique, liée au développement de l'idée de péché et de
culpabilisation dans le monothéisme chrétien. En même temps se forme un
corps de spécialistes ou de fonctionnaires religieux : les prêtres, qui
monopolisent le savoir religieux et planifient l'exercice du culte et les voies
de salut qui lui sont corollaires.
Ce processus de rationalisation
progressive des conceptions religieuses, qui conduit à l'élimination des représentations
magiques et à la désémotionnalisation de l'univers religieux, au désenchantement
du monde, atteint son point final. Mais cette évolution n'est pas tout à fait
linéaire : la bureaucratisation rationnelle de la religion n'exclut pas le
surgissement de prophètes qui se prévalent d'une révélation
personnelle. Profitant de leur impact charismatique, ils revalorisent la
dimension émotionnelle de l'expérience religieuse, mais en même temps ils
s'exposent au risque de s'engager dans un processus de routinisation.
La conception protestante du
monde constitue, selon Weber, une étape clé du chemin parcouru par
l'humanité dans le domaine religieux (cf. l'Éthique protestante et l'Esprit
du capitalisme. Ainsi, pour lui, le capitalisme se caractérise par une
organisation rationnelle du travail, qui fonctionne sur la base de
l'accumulation du profit mais qui procède aussi et surtout du principe de
non-jouissance, nécessaire au développement des moyens de production.
Weber cherche à établir le lien entre le développement d'un tel mode
d'activité économique et la vision protestante de la réalité. Constatant
qu'en Allemagne les positions économiques avancées appartiennent surtout aux
protestants, il montre une affinité spirituelle entre le protestantisme, en
particulier dans sa version calviniste, et le capitalisme. Dans la
conception protestante, et notamment calviniste, Dieu aurait créé le monde
pour sa gloire et a prédestiné l'homme, à son insu, au salut ou à la
damnation.
Weber montre comment cette
vision du monde incite les protestants à rechercher des signes de leur
excellence dans le succès temporel. En définitive, la réussite sociale
fonctionnerait comme une sorte d'antidote au doute spirituel sur la certitude de
la grâce. Ainsi, pour Weber, l'affinité entre l'interprétation du
protestantisme et l'attitude économique permet de comprendre comment une
mentalité peut orienter, sans en être toutefois la cause exclusive, une
activité sociale.
Les théories sociologiques
de Durkheim et de Weber associent religion à émotion, en considérant l'expérience
collective du sacré comme transfiguration de la société chez l'un, en démontrant
que le charisme du prophète se trouve inséré dans un processus de
routinisation et de rationalisation chez l'autre. Claude Lévi-Strauss, pour
sa part, présente une perspective tout à fait différente : sa théorie, centrée
sur la dimension logique et rationnelle de l'organisation totémique,
analyse des mythes recueillis en Amérique du Nord et du Sud. Il choisit d'étudier
la structure de l'esprit humain et de ses lois de fonctionnement pour comprendre
les faits sociaux. Selon sa méthode, la recherche des opérations de la
pensée humaine implique une analyse synchronique[10]
du matériau recueilli, dégagé de tout facteur historique et géographique,
afin de découvrir les rapports invariants, les écarts différentiels et les
oppositions pertinentes entre les éléments du totem et entre ceux des mythes.
La théorie de Lévi-Strauss ne
cherche pas à expliquer le phénomène totémique par le besoin des hommes de
s'associer à tel ou tel animal pour capter ses forces et s'identifier à ce
qu'ils désirent ou craignent. Elle ne s'inscrit pas non plus dans le projet
sociologique de Durkheim, qui n'offre en réalité, selon Lévi-Strauss, qu'une
explication psychologique : celle-ci affirme que le totem est appelé à
renforcer le rapport émotionnel, c'est-à-dire le sentiment d'appartenance
d'un individu à un groupe. Pour Lévi-Strauss, plutôt que d'expliquer
la structure par l'émotion, il convient de considérer l'une pour comprendre
l'autre. C'est ainsi que l'analyse structurale du totémisme montre que ce
dernier résout des problèmes intellectuels de classification.
Selon Levi-Strauss, le totémisme
se caractérise toujours par une paire d'animaux : dans le totémisme, les primitifs
ne cherchent donc pas tant à s'identifier à un animal isolé qu'à constituer
une dualité explicative. Ainsi, ce qu'exprime d'abord le couple de
totems épervier-corneille, deux carnivores, dont l'un est chasseur et l'autre
charognard, c'est le rapport entre deux clans qui, s'ils sont proches, sont néanmoins
différents. "Au moyen d'une nomenclature spéciale, formée de
termes animaux et végétaux - et c'est là son unique caractère distinctif -,
le prétendu totémisme, écrit Lévi-Strauss, ne fait qu'exprimer à sa manière
[...] des corrélations et des oppositions qui peuvent être formalisées
autrement ; ainsi dans certaines tribus de l'Amérique du Nord et du Sud, par
des oppositions du type : ciel-terre, guerre-paix, amont-aval, rouge-blanc,
etc.".
L'analyse structurale appliquée à plus de 800 mythes
des deux Amériques découpe ceux-là, sur le plan horizontal, selon l'ordre de
succession des événements d'un même mythe, et aussi sur le plan vertical,
selon les mêmes types de relation à l'intérieur de mythes différents. Lévi-Strauss
cherche à montrer ainsi que tous ces mythes se renvoient les uns aux autres et
qu'ils sont constitués d'un même ensemble d'éléments de base, combinables de
différentes façons. La méthode structurale lui permet d'établir que les éléments
du mythe entretiennent des rapports de permutation, d'opposition, d'inversion,
etc. Le principe de base de cette méthode est de retenir "un petit nombre
d'éléments propre à assumer des contrastes, et à former des paires
d'opposition".
Plutôt que de déchiffrer
des symboles, d'attribuer une signification aux éléments selon une clé des
songes universelle, il s'agit de mettre des éléments en relation et d'en
considérer les traits communs ou distinctifs. "Les symboles n'ont
pas une signification intrinsèque et invariable, ils ne sont pas autonomes vis-à-vis
du contexte. Leur signification est d'abord de position". Telle est
l'importante conclusion de Lévi-Strauss qui affirme de manière décisive que les
mythes, plutôt que de nous instruire sur l'ordre du monde, l'origine de l'homme
ou sa destinée, "permettent de dégager certains modes d'opération de
l'esprit humain, si constants au cours des siècles, et si généralement répandus
sur d'immenses espaces, qu'on peut les tenir pour fondamentaux et chercher à
les retrouver dans d'autres sociétés...".
Les mécanismes intellectuels
ainsi mis en évidence par Lévi-Strauss seraient partagés par les hommes en
tout temps et en tout lieu, et fonctionneraient selon une logique cognitive
inconsciente. Il en conclut que les systèmes symboliques et religieux ne
résultent pas de l'inaptitude primitive à raisonner abstraitement ; ils
fonctionnent non pas comme une formule magique, mais comme des outils
intellectuels exprimant des relations abstraites. Lévi-Strauss est
conscient de réduire l'expérience religieuse à un jeu d'abstraction, mais,
pour lui, l'affectivité surgit "sur une scène déjà construite,
architecturée par des contraintes mentales".
Depuis plusieurs années, la théorie
sociologique de la religion s'intéresse davantage à la fonctionnalité de
la religion qu'à son origine en même temps que, en raison de la
progression du phénomène sectaire, elle aborde le fait religieux
du point de vue de la pratique individuelle et non plus de la croyance
collective.
Si la perte de crédibilité de
l'institution religieuse ne fait pas de doute aujourd'hui en Occident, le
christianisme (et le catholicisme en particulier) continue d'imprégner la vie
quotidienne. On a désigné par le néologisme de christianitude
l'ensemble social et culturel qui structure le temps, la géographie, mais aussi
les gestes et l'éthique de tous les jours. La capacité de résistance de la
culture chrétienne permet à celle-là de maintenir un ensemble de fonctions
importantes dans l'espace social contemporain que l'on peut regrouper dans
quatre domaines au moins: symbolique, quotidien, rituel et culturel.
Fonction symbolique : La religion chrétienne, qui a cessé
d'être utilisée pour légitimer un ordre politique particulier, constituerait
néanmoins un cas d'espèce de la référence extrasociale, laquelle est
indispensable à toute société. La religion fournirait alors des signes d'un
au-delà de l'ordre social, qui garantit à la fois celui-là et l'action des
individus sur fond d'une structure de sens, même lorsque l'on ne se réfère
pas à un contenu religieux spécifique. Une telle légitimation de l'ordre
social, dont le besoin est ressenti par les individus, qui déclarent en grande
majorité que la société souffrirait de l'absence des Églises, s'exprimerait
de multiples façons. Ainsi, les représentants de différents cultes sont présents
à la cérémonie des vœux de Nouvel An du président de la République; des
obsèques officielles ont lieu à l'église pour les chefs d'État; les autorités
religieuses sont consultées pour l'élaboration de projets de lois concernant
des questions éthiques (avortement, insémination artificielle...) et font l'objet de demandes diverses des autorités publiques
(concernant la peine de mort, les missions de dialogue...) ; l'église de
campagne figurant sur les affiches de la campagne électorale de François
Mitterrand en 1981 est suggérée comme le symbole de l'institution même
de la société... Une société ne pourrait donc s'instituer comme telle que
par rapport à une référence extrasociale de type religieux, tout en gardant
une certaine distance avec les Églises. Le XXème siècle apparaîtrait
comme une phase de recomposition, en France, des rapports entre l'État et les
religions : la religion catholique continuerait de jouer un rôle parce que l'État
lui-même a décrispé, après la séparation État/Église du début du siècle,
ses relations avec celle-ci, après qu'elle ait perdu beaucoup de son emprise
sociale de jadis.
Fonction quotidienne : La place croissante d'un mode de connaissance technico-scientifique a mis en difficulté certaines fonctions de l'univers de sens religieux. On a souvent affirmé (peut-être d'ailleurs trop rapidement) que pendant des siècles Dieu, le Ciel et l'enfer furent des présuppositions quasi absolues, qui conditionnaient fortement les mentalités. La perte d'influence de la religion sur les consciences, la crédibilité fragile de certains contenus religieux dans un contexte moderne n'excluent pas pour autant la référence relativement importante à l'existence d'un Dieu "placé au-dessus de nous" et source de vérité. En 1986, pour 66 % des Français, l'existence de Dieu était certaine ou probable, seuls 12 % l'excluaient.
Dans des situations difficiles
(problèmes de santé, conflits relationnels, préparations d'examen), il est fréquemment
fait appel à Dieu. Moins de 28 % des Français déclarent ne jamais prier,
et 51 % des citoyens de plus de 65 ans et 36 % des 24-34 ans
prient souvent, et certains quotidiennement. La régression des croyances
concernant un Dieu justicier (tel que le présente la Bible et qui implique la
notion de péché) n'élimine pas, notamment chez les jeunes, la dimension
affective (Dieu est aussi "amour") de l'expérience religieuse. La
perte du monopole moral de la religion comme autorité suprême ne supprime pas
non plus son rôle de repère et de guide face aux nouveaux problèmes éthiques
importants. La religion continuerait donc d'être considérée comme une réponse
à des demandes d'intercession, une assurance spirituelle et un élément
affectif et éthique. Cette nouvelle fonction parvient peut-être à intégrer
les avantages de la sécularisation (qui a minimisé la croyance au diable, à
l'enfer, et au rigorisme qui en découlait) et réussit à valoriser les aspects
bénéfiques de la religion (qui donne un sens et un espoir). Sans négliger la
réponse possible à un besoin de dépassement et de plénitude, la religion
glisserait vers un rôle humaniste de plus en plus orienté vers l'ici-bas.
Fonction rituelle : Le
pratiquant ordinaire tend à être remplacé par un "adhérent
festif", qui préfère participer aux moments forts de l'expérience
religieuse et non plus à la vie liturgique ordinaire, et qui fréquente les
hauts lieux (parfois choisis pour la circonstance) plutôt que la paroisse
locale. Privilégiant les grands rassemblements qui sont, par la force des
choses, spectaculaires (les voyages du pape Jean-Paul II en sont le
meilleur exemple), de telles expériences fonctionneraient plus sur la base
d'une mobilisation affective et émotionnelle que sur celle d'une adhésion à
un contenu vis-à-vis duquel il faudrait s'engager. Le maintien, dans une
proportion très supérieure à celle de la pratique dominicale, des "rites
de passage", dont le mariage est l'exemple même, s'expliquerait par des
raisons identiques. En témoigne notamment le fait que, en 1986, 87 %
des Français mariés au moins une fois affirment l'être religieusement et,
surtout, que, parmi ceux qui se disent incroyants, 63 % ont eu recours au
sacrement. Les jeunes reconnaissent d'ailleurs ne pas établir de lien entre le
rituel religieux de mariage (notamment ce qu'il implique comme valeurs à
respecter: chasteté préalable, fidélité, indissolubilité) et leurs propres
valeurs ou conduites (vie sexuelle avant le mariage religieux). À défaut
d'autres modes d'expérience alternatifs, le rituel religieux se présenterait,
à la limite, comme un moyen de donner un caractère solennel aux actes
importants qui jalonnent l'existence. Ni l'adhésion aux croyances officielles
ni une appartenance confessionnelle revendiquée n'en sont plus la raison nécessaire
: c'est bien la cérémonie elle-même, dans son moment éphémère, qui est
porteuse de sens. D'une certaine manière, le mariage religieux fonctionne
comme un "rite de passage", qui permet l'accès à un nouvel état
social mais qui a perdu, pour des incroyants, ses dimensions spécifiquement
religieuses.
Fonction culturelle : Les
affrontements violents entre catholiques et protestants en Irlande du Nord
depuis les années 1970 et le conflit qui ont ensanglanté l'ex-Yougoslavie
depuis 1991 témoignent, après nombre d'exemples historiques, du caractère que
peut prendre l'utilisation de symboles religieux à des fins politiques ou
ethniques. L'attraction réciproque entre une affirmation d'identité
ethnique et une dimension religieuse revendiquée entraînerait le renforcement
de l'une et de l'autre. Dans le cas de l'ex-Yougoslavie, la référence de
certains groupes musulmans à l'islam manifeste moins l'adhésion à une vision
du monde conforme au Coran que la volonté de tirer avantage de l'efficacité de
l'emblème de l'islam. De même, en Pologne, l'utilisation politique de la
religion catholique s'expliquerait par le contexte de l'après-guerre : face au
communisme, la tradition catholique enracine la Pologne dans un patrimoine
propre à construire son avenir. La lutte contre le régime soviétique a permis
ainsi l'émergence de "nouveaux pratiquants" ; la pratique religieuse
de ces personnes engagées dans une certaine activité politique constituait
l'indice même de l'opposition au modèle soviétique[11].
De même, l'islam et le judaïsme apparaissent à l'évidence comme des modèles
culturels qui renforcent respectivement les valeurs religieuses et ethniques
juives et musulmanes. Dans les sociétés démocratiques occidentales, la
religion serait d'autant plus facilement utilisée dans cette perspective
identitaire qu'elle constitue un réservoir de signes : ces derniers deviennent
davantage disponibles et susceptibles de participer à la construction d'une
identité, ethnique ou nationale. Ainsi, au cours des années 1980, alors
que les pratiques et les croyances religieuses sont en déclin, 80% des Français
se déclarent encore catholiques, 90% des Suédois revendiquent leur affiliation
à l'Église de Suède, et affirment par là leur attachement à leur histoire
et à leur culture : à l'évidence, le sentiment d'appartenance à une
communauté d'obédience religieuse peut survivre, chez certains, à une foi aux
repères brouillés. Ce phénomène a tendance à se renforcer dans un
contexte de crise et d'incertitudes. Ainsi, un parti comme le Front national en
France, pour mobiliser certaines couches sociales plutôt désorientées,
associe la défense de l'identité nationale à la symbolique chrétienne,
rendant un culte à Jeanne d'Arc et faisant célébrer des messes
traditionalistes.
A cette fonctionnalité de la
religion, certains auteurs ajoute une sacralité laïque qui
serait comme une (re)sacralisation du profane. Dans les domaines de la
politique, de la science ou du sport se produisent des manifestations de l'ordre
du rituel religieux : des concerts rock aux matchs de football, en passant par
le militantisme politique ou les hypothèses scientifiques attribuant une
conscience "divine" à l'Univers, le religieux resurgirait
aujourd'hui hors de la religion. Le religieux qui pénètre dans les
domaines désignés désormais comme profanes de l'activité humaine ne peut être
séparé du processus d'autonomisation de ces activités par rapport à
l'institution ecclésiastique ni de la perte d'emprise de l'Église ; celle-là
contrôle de plus en plus difficilement le surgissement d'autres univers de
signification. Par ailleurs, selon l'hypothèse de Danièle Hervieu-Léger, l'époque
moderne, en même temps qu'elle met en question la crédibilité de la religion,
fonctionne selon une visée utopique (accomplissement illimité de l'individu,
comblement de tous les besoins) dont l'écart avec la réalité concrète
favorise le déploiement de représentations religieuses.
Le thème du religieux hors
religion n'est d'ailleurs pas étranger aux théories classiques de la
sociologie de la religion. Ainsi, pour Durkheim, le sacré est le principe
essentiel de la religion ; c'est un phénomène universel, une forme
sociale ouverte, antérieure à celle de divinité et susceptible d'une
multiplicité d'expressions : "Cette aptitude de la société à s'ériger
en Dieu ou à créer des dieux ne fut nulle part plus visible que pendant les
premières années de la Révolution. À ce moment, en effet, sous l'influence
de l'enthousiasme général, des choses purement laïques par nature furent
transformées par l'opinion publique en choses sacrées: c'est la Patrie, la
Liberté, la Raison".
Max Weber quant à lui avait introduit la notion de
"polythéisme des valeurs" afin d'intégrer les manifestations
d'enthousiasme, de dévouement et de croyances dans les sphères profanes. Il
trouvait en effet plusieurs éléments comparables dans la situation religieuse
du polythéisme antique et dans l'antagonisme des valeurs contemporaines : dans
l'Antiquité comme dans les Temps modernes, il existe un pluralisme des valeurs
qui cherche à se légitimer; dans un cas comme dans l'autre, la dimension
ambiguë de chaque valeur renvoie à des éléments parfois incompatibles;
enfin, ici et là, l'évaluation subjective de ces valeurs dépend de choix
individuels sans référence à un transcendant.
Ainsi, on pourrait repérer la sacralité laïque à
partir de la présence de trois éléments : valeurs autour d'un enjeu
collectif, représentation d'un personnage extraordinaire, situation avec forte
charge affective.
Médecine, informatique, écologie,
musique et sport sont devenus (ou, pour les deux derniers, sont redevenus),
parmi d'autres activités, des univers de sens, porteurs de valeurs qui représentent
des objectifs d'action pour l'ensemble de la population. Ces activités sont
ancrées à l'évidence dans l'actualité, mais elles sont aussi des domaines
"directeurs" de la vie sociale : la médecine est une idéologie
morale "ordonnant et prescrivant", le sport un mode global de vie,
l'outil informatique une nouvelle approche de la vérité, le rock un style
culturel spécifique... Le médecin n'est pas un homme
"ordinaire", car sa profession implique un fort enjeu émotionnel ;
les utilisateurs d'ordinateurs possèdent des facultés extraordinaires grâce
au "cerveau" de la machine ; les groupes écologistes puisent dans la
nature des projets utopiques de vie communautaire…
Le sport lui-même ne serait pas seulement une manière
implicite de représenter l'idéal démocratique (compétition loyale entre des
individus ou des équipes dans le respect des règles préétablies) et un véritable
mode de vie privilégiant le goût du défi et valorisant l'individu capable de
se prendre en charge. Le sport serait aussi une affirmation explicite d'identités
collectives, le moyen d'exprimer une appartenance commune. L'impact émotionnel
du football et la situation paroxystique engendrée par les matchs ne cessent de
s'affirmer.
La musique rock comporte une connotation rebelle : en
porte-à-faux avec les valeurs culturelles dominantes, elle revendique
authenticité et non-conformisme. Le rock, comme style de vie, engendre par
ailleurs un modèle de consommation qui permet aux jeunes de marquer leur
identité et d'affirmer leur propre style par le biais d'un choix effectué
parmi les marchandises proposées (choix d'un disque). Comme les matchs pour le
football, les concerts constituent le point culminant de la passion musicale,
les gestes et les sons entraînant une forte mobilisation émotionnelle.
De même que dans le champ
religieux strict, la sacralité laîque a ses guides, ses idoles,
ses bergers, ses papes, ses gourous, ses maîtres à
penser… et, parfois, aussi, ses messies, ses dieux, voire
ses martyres (cf. John Lenon, Bob Marley…).
Ainsi, les stars de la chanson ou les vedettes du sport
sont un parfait exemple de sacralité laïque. Bien qu'on ne puisse qualifier de
"héros" de tels personnages – qui sont loin de nourrir les
ambitions de Prométhée ou de subir le destin d'Œdipe, qui ne participent pas
de l'honneur attaché au rang ni d'une origine divine –, le plus souvent ils
n'attendent pas la mort pour devenir objets d'un culte. Ils provoquent autour de
leur personne des conduites qui renvoient au domaine religieux.
Le champ lexical religieux fournit le vocabulaire des
formules volontiers employées par les journalistes pour décrire la joie,
l'exploit, l'irrationalité de l'existence ou les valeurs nouvelles. Ainsi, Bob
Dylan est qualifié de "grand prêtre, officiant d'une sorte de rêve de la
contre-culture", et Diego Maradona est consacré "dieu du ballon
rond".
L'idole fait l'objet de comportements
fanatiques de la part de ceux qui l'admirent et se nomment eux-mêmes «fans».
Ceux-là connaissent parfaitement tous les détails de sa vie ; ils cherchent à
posséder une parcelle d'intimité, imitent ses gestes ou copient ses toilettes,
collectionnent "pieusement" des photographies, des objets-fétiches
ou des reliques d'autant plus valorisés qu'ils ont été en contact avec
la star, ils tirent gloire d'un autographe ou s'extasient devant la vedette,
attendent des heures pour la toucher...
Toutefois et par analogie de
fonctionnement, la sacralisation laïque génère des mécanismes qui
ressemblent à ceux des religions existantes, mais qui sont en même temps des
conduites spécifiques. Ainsi, les attitudes des fans relèvent d'un
processus d'identification à ce qu'ils voudraient être : les admirateurs
projettent sur leur idole leurs propres désirs et craintes. Comme le héros
sportif, mais d'une manière plus explicite et influente, la star représente un
modèle qui oriente l'individu dans sa vie quotidienne ou ses loisirs, suscite
les mimétismes les plus forts, notamment chez les adolescents en quête
d'identité ou plus concrètement de savoir-faire ou de savoir-vivre (en matière
sentimentale, par exemple). S'ils peuvent être tous les deux sacralisés,
construits selon un processus assez semblable, le sportif et l'artiste doivent
être distingués par leur impact émotionnel : le premier, le plus souvent inséré
dans une équipe, entretenant avec le public une communication moins directe, ne
possède pas la force de séduction ou la capacité d'activer et de fixer sur
lui les projections imaginaires, comme l'acteur pouvant être lui-même et un
autre ou le chanteur jouant sur la mélodie et le rythme pour fasciner.
La sacralité laïque incite à l'effet rhétorique par
la métaphore religieuse, elle peut même développer une réelle visée de
transcendance. Non automatique, cette dernière est liée à un contexte social
spécifique et concerne des cas limites. La mort prématurée de quatre stars
(James Dean, Elvis Presley, Jim Morrison, Claude François) parmi d'autres,
alors qu'elles étaient en pleine activité et couvertes de gloire, a engendré
une situation de rupture qu'un certain nombre d'admirateurs compensent par le
refus même de la mort en développant, sur le modèle chrétien, un culte avec
pratiques magico-religieuses autour de la sépulture du défunt.
Toujours selon ces auteurs, la
sacralité laïque se constitue, comme la religion, autour de la peur et du
refus de la mort qui s'exprime par des récits légendaires ou des
rumeurs, ou encore par des pratiques magiques de communication avec la star,
entrant parfois en contradiction avec les premiers : James Dean aurait survécu
à son accident de la route et serait interné dans un asile ou un hôpital ;
par ailleurs, des séances spirites sont organisées pour communiquer avec
l'acteur invisible mais présent ; Elvis Presley serait encore vivant pour 10 %
des Américains, qui avançaient en 1991 l'hypothèse d'une mort inventée
pour sauver le King de la Mafia, dont il aurait fait arrêter des membres
importants ; Claude François, désormais assimilé à un ange désincarné,
émettrait des messages de l'au-delà (sous forme d'une odeur, de coups frappés,
de coïncidences numériques, etc.) et entretiendrait aussi sur le mode spirite
une communication privilégiée avec quelques élus.
Ces pratiques
magico-religieuses attestent le pouvoir thaumaturgique de la star, dont la force
et l'efficacité sont déplacées sur diverses reliques. Sacralisée, la
voiture accidentée de James Dean est inscrite dans un système mercantile : on
paie pour la regarder, se glisser au volant ou acheter les boulons et autres pièces.
Les éclats de la pierre tombale d'Elvis Presley, couverte d'ex-voto, et les
morceaux de tapis sur lesquels il a marché deviennent reliques ; la tombe de
Claude François, source de réconfort et à qui des prières sont adressées,
est touchée par des enfants infirmes ; plantes et fleurs en contact avec elle
sont tout autant convoitées que les morceaux de tissu des costumes, réels ou
recomposés de l'idole ; posters, bustes, briquets portant la signature du
chanteur alimentent un commerce local. Les premiers anniversaires de la mort de
James Dean ont été célébrés par un culte collectif : trois mille personnes
ont alors organisé un pèlerinage en l'honneur de l'acteur. Le culte d'Elvis
Presley a ses cantiques, mais aussi ses officiants (des sosies du chanteur) défilant,
le cierge à la main, devant sa tombe ; et un groupe d'admirateurs a créé le Club
Claude François for ever avec pour objectifs de perpétuer la mémoire de
l'idole, d'organiser un culte public, de susciter des dévotions privées, d'élargir
le nombre de fidèles qui n'hésitent pas à comparer une photo du
chanteur à la Bible ou la fidélité d'un fan à celle d'un croyant,
voire d'une religieuse envers Dieu.
Ainsi, la religion chrétienne constitue le modèle pour
ces cultes embryonnaires réservés à une minorité, elle en fournit le
vocabulaire et la représentation, en particulier le schéma hagiographique
traditionnel : signes prémonitoires annonçant la mort, prodiges célestes au
moment du décès, pendant l'enterrement et sur la tombe... Autant que sa forme,
le contenu de la religion chrétienne, avec ses préoccupations eschatologiques
(référence à Dieu, au Jugement, à l'au-delà), fournit toujours le matériau
pour ces cultes.
De leur côté, les religions et, singulièrement ses différentes composantes chrétiennes, procèdent d'un mouvement quasi inverse : la profanité religieuse et n'hésitent pas à retourner les phénomènes cités précédemment au titre de la sacralité laïque : mise en scène très médiatique (sons, musiques, effets sonores et visuels, costumes…) des rituels religieux, enregistrement de disques, recours à la publicité, god prides, prestations télévisuelles…
*****
Mon propos n'a pas été de
dresser ni l'histoire, de ses origines à nos jours, ni
l'inventaire des origines – causes – du fait religieux mais, plus
modestement, de dessiner le cadre général de la pensée, philosophique et
sociologique, du phénomène religieux, c'est-à-dire de
l'explication cognitive et rationnelle de la religion soit seulement pour la
connaître – au sens scientifique du terme – et la comprendre, soit pour la
combattre et en délivrer les humains au motif que l'aliénation religieuse est
l'achèvement de la déshumanisation.
Ce cadre dressé, il m'est donc
possible, à présent, de tenter de procéder à une présentation synthétique
des origines de la religion.
A mon sens, historiquement et
tant individuellement que collectivement, plusieurs facteurs ont joué
concomitamment sans qu'il soit véritablement possible de les hiérarchiser en
terme d'importance causale et de chronologie :
• la peur : peur de l'inconnu – fait peur ce qui n'est pas connu et qui n'étant pas compris est imprévisible et, a fortiori, non maîtrisable -, l'inconnu allant de soi-même à l'Univers en passant par l'Autre mais aussi peur de la mort. Cette peur de l'inconnu qui, souvent, devient haine de l'inconnu, de l'altérité comme le démontre l'origine du racisme, sachant que, fondamentalement, toutes les religions sont racistes en plus d'être essenciellement, in-/anti-humaines
• le refus de la mort : la mort physique ne peut être niée que pour autant que la vie physique est déclarée illusoire, irréelle, vaine…
• le sentiment d'impuissance, de fragilité, de petitesse, de finitude… face à l'Univers et, en premier chef, à la Nature et aux éléments naturels : il s'agit alors d'amadouer ces puissances terrifiantes en les achetant – offrandes, sacrifices, prières… -, en les courtisant – révérence, flatterie… -, en les séduisant – le terme de séduction étant pris en son sens amoureux, la relation amoureuse ainsi nouée étant de type sado-masochiste –
• la volonté de puissance : contrôler ces puissances, se les inféoder, s'en rendre maître… pour soi-même contre l'Autre et, en même temps, contrôler, maîtriser, par la médiation divine, son destin, sa vie et donc, aussi, sa mort
•
la rationalité primitive : effort de compréhension du réel
pour organiser le chaos primitif, connaître les causes de toutes
choses et, sinon, maîtriser, prévenir , du moins, anticiper les effets de ces
causes. En ce sens, la rationalité religieuse, si elle participe bien
d'une démarche cognitive primitive, n'est pas pour autant un progrès
par rapport à cette autre rationalité primitive qu'est la magie –
pensée et action – au sens où elle serait une rationalisation plus évoluée
du réel. La magie est une autre forme de la religiosité et, partant, de
la religion.
•
la quête de sens et, au-delà, du sens : répondre non plus
seulement à la question comment mais à cette autre question, sans doute
plus essencielle : pourquoi et, en même temps vers quoi – le
sens pris dans ses deux acceptions de signification et d'orientation –
•
l'affirmation de soi : s'identifier non pas par rapport à
l'Autre mais à soi dans une relation de soi à dieu comme sur-moi – autre-moi
- et non pas de l'Un à l'Autre
• la lâcheté, voire la dépravation morale : pouvoir s'abandonner aux mains d'un deus ex machina et, ainsi, ne pas assumer sa conscience, sa responsabilité, sa liberté…, son humanité et s'autoriser tous les excès dont on sera… pardonné, c'est-à-dire lavé
• la légitimation de l'ordre : l'ordre établi par et sur la force n'est jamais mieux respecté que quand chacun est convaincu qu'il est une fatalité, une nécessité parce volonté d'une puissance dominant aussi bien le maître que l'esclave : dieu. C'est dans ce cadre que le paternalisme, en tant que domination des hommes sur les femmes, se fonde sur l'argument divin pour se légitimer, s'imposer et se faire accepter aussi bien par les hommes que par les femmes
• la perversité mentale et psychologique – le sado-masochisme - : le goût de la souffrance, celle que l'on inflige, celle que l'on s'inflige, celle que l'on subit
• la pauvreté et la misère intellectuelles, l'absence d'imagination : le renoncement à l'émerveillement, au possible, à l'utopie, au doute, au questionnement… au profit de la conservation de l'acquis, de la soumission aux certitudes, de la re-production, de l'avilissement…
• la peur, une autre peur, de la solitude celle-ci : d'où l'oubli de soi dans le troupeau et le meurtre du héros
• la haine de l'humain : haine de soi comme des autres, misanthropie érigée en Vérité,
• la peur, une autre peur, celle de l'être : primauté donnée au paraître, au rituel, à l'ordre, à la fatalité…
• le cynisme, le machiavélisme, l'intelligence, la ruse… du fort dont la force suprême n'est pas tant sa propre force que la faiblesse de ceux/celles qu'il veut dominer et dont il fait admettre qu'elle est vertu et nécessité
• la violence : violence faite aux autres mais aussi à sa soi et, d'abord, cette violence suprême : le renoncement à son humanité
• l'art de gouverner, c'est-à-dire de diriger, de dominer, de soumettre, d'exploiter, d'avilir, d'abuser… : le machiavélisme dans sa forme la plus achevée, la plus réussie qui est l'art subtil d'asservir sans enchaîner, de rendre l'esclave prisonnier de lui-même et maître de son propre esclavage
• l'ignorance : l'ignorance savamment entretenue – obscurantisme, totalitarisme… aliénation – qui, comme on le sait, est la plus sûre des prisons
• l'avidité : soif de pouvoir, de puissance, de gains, de renommée…, volonté de puissance sur/contre les autres
•
l'aliénation mentale au sens psychiatrique du terme
Sans doute d'autres motifs sont à l'origine de l'aliénation religieuse mais cette liste est déjà assez longue pour en être écœurante, révoltante, insupportable, inacceptable, ignominieuse… pour que je l'arrête et que, inversant, la priorité du questionnement philosophique, à la question pourquoi la religion, au nom de l'humanisme qui est le mien et revendiquant pleinement ma liberté et ma dignité d'humain, je préfère cette autre question : comment combattre la religion ?
[1] Avec le risque évident d'un… excès de simplification !
[2] Pour une tentative de réponse à la question "qu'est-ce que la philosophie", je renvoie le lecteur au petit texte "Qu'est-ce que la philosophie" dans la rubrique "Divers".
[3] Cette démarche philosophique participant, simultanément ou séparément, d'une quête de savoir et de sens, d'une critique de la révélation et des dogmes au nom de la raison, d'une indignation et d'une protestation contre l'inhumain, d'une rappropriation du réel par l'humain, de l'utopie, de la libération comme de la liberté…
[5] Agnosticisme : terme inventé par le naturaliste britannique Thomas Huxley au XIXème siècle, par opposition au gnosticisme, qui fait intervenir, dans son analyse du monde, des phénomènes surnaturels et non rationnels. L'agnosticisme se réfère à la conception philosophique selon laquelle il est impossible à l'homme de se prononcer sur l'existence de Dieu et sur sa nature, voire plus généralement sur toute question métaphysique. À côté de cet agnosticisme philosophique proche du relativisme et du criticisme kantien, le terme désigne aussi une attitude d'esprit commune qui considère les questions supra-empiriques comme futiles parce que définitivement inconnaissables par la raison.
[6] Hegel a appelé sa philosophie l'Idéalisme absolu. Il affirmait par ailleurs que la religion dit en images ce que la philosophie dit en concepts et que le dieu chrétien, qui s'incarne pour sauver les hommes, n'est autre que l'esprit universel tandis que le mystère de la Trinité n'était que la première représentation de la dialectique qu'il avait élaborée.
[7] Selon Weber, la magie serait antérieure à la religion et celle-ci serait un progrès par rapport à la première. On peut douter de l'absence de magie dans le fait religieux que cela soit au niveau des convictions, des dogmes, des pratiques…
[8] Le terme de ritualisation serait sans doute plus approprié dans la mesure où l'autre dimension du phénomène est l'institutionnalisation
[9] Et donc dans… l'Histoire.
[10]
Qui considère parallèlement les divers événements d’une époque. Présenter
des événements politiques dans une perspective synchronique. / LING.
Qualifie toute linguistique qui privilégie l’analyse d’une langue à un
moment de son histoire, sans tenir compte de son évolution.
[11] On constate d'ailleurs un affaiblissement de la fréquentation des églises polonaises consécutif à l'effondrement du régime communiste. On rappellera que dans la Pologne communiste on était "catholique croyant mais non pratiquant et communiste pratiquant mais non croyant" !