Si l'habit ne fait pas le moine, l'uniforme fait bien… le chien de garde

 

 Verser sans jamais remplir,
puiser sans jamais épuiser,
et ne pas même savoir pourquoi
.

Chouang-tseu

 L'adage populaire dit que l'habit ne fait pas le moine. Mais l'uniforme fait bien le chien de garde. En effet, aussitôt qu'ils et elles endossent l'uniforme de serviteur de l'État, oubliant leur origine prolétarienne, vivant pleinement leur aliénation, faisant même fi de la devise de cet État qu'ils et elles servent, des individus, de citoyen-nes se transforment en chiens de garde pour contrôler, recenser, ficher, identifier, poursuivre, fliquer, noter, observer, marquer, épier, dénoncer, trahir, bousculer, menacer, sanctionner, étiqueter, surveiller, mesurer, toiser, peser, censurer, interdire, refouler, embarquer, déporter, déplacer, enfermer, interner, exiler, pénaliser, expulser, taxer, imposer, verbaliser, punir, matraquer, arrêter, juger, emprisonner, condamner, exécuter, autoriser, orienter, parquer, violenter, insulter, dénigrer, tondre, racketter, blesser, torturer, réprimer, opprimer… celles et ceux dont le seul tort est de ne pas être du camp du pouvoir mais de celui de l'exploitation, de la domination, de l'oppression, de la précarisation…

 Ces chiens de garde sont prêts à mordre sans même que leurs maîtres ne le leur donnent l'ordre tant ils ont soif de faire le beau pour obtenir un méchant os à ronger. Dépourvus de la moindre solidarité de classe, ils ne sont même pas une meute de loups mais une bande de charognards se disputant les os que leurs maîtres leur jettent en pâture, s'entredévorant et, chacun dans son pré carré, s'évertuant à taper sur ses autres collègues au motif que leur chenil est situé dans un autre pré carré.

 Ils n'ont pas la beauté de l'animalité : ils n'en ont que la bestialité dans sa laideur la plus achevée. Exilés volontaires de l'humanité, ils ne sont pas tombés dans l'animalité mais dans la… servitude. Ce sont des objets du pouvoir. Comme le fric, la Loi, la morale… Ils n'ont aucune identité. Aucune particularité. Ils sont les matricules de l'univers totalitaire de l'ordre qu'ils servent.

 N'ayant d'autre ombre que la trahison de leurs semblables dont ils s'attachent à se différencier du seul fait de leur uniforme, ils sont aveugles et sourds : ils n'ont pas conscience que, n'étant que des chiens, ils ne seront jamais des maîtres. Leur place sera toujours en dehors du camp des maîtres. A la niche. Au chenil. Le collier étrangleur bien serré. La laisse bien solide.

 Ils oublient que, parfois, le maître, pour régénérer la race, euthanasient les spécimens ayant trop servi et en font entrer de nouveaux dans la meute. Ils oublient que pour exécuter ces basses œuvres ce sont des chiens de garde – eux-mêmes peut-être -, qui sont utilisés.

 Ils oublient que celles et ceux qu'ils mordent peuvent être leurs sœurs, leurs frères, leurs parents… de sang et, en tous les cas, sont leurs sœurs et leurs frères en humanité, leurs pairs, c'est-à-dire leur propre image si, au lieu de briser les miroirs que l'Histoire leur tend, pour une fois, juste une fois, ils acceptaient de s'y regarder.

 Le ciel et la terre sont inhumains,
ils utilisent des milliers d'êtres pour faire le chien de paille[1].
L'homme sacré est inhumain,
il utilise une multitude de personnes pour faire le chien de paille.

Lao-tseu

 


[1] "Avant l'offrande, on met les chiens de paille dans des coffres ou des corbeilles, enveloppés de broderies de couleur, tandis que le représentant du défunt et le prieur se purifient par l'abstinence pour les présenter. Après l'offrande, les passants marchent sur leurs têtes et leurs troncs, les ramasseurs d'herbes les prennent et s'en servent pour allumer le feu, et c'en est fait d'eux". Tchouang-tseu


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