Nouvelles réflexions sur le terrorisme
Les tenants de la diabolisation
de l'islam, qui ont d'ores et déjà ré-endossé la sinistre croix des
anciennes croisades pour mener une nouvelle guerre sainte[1],
la croisade du Bien contre le Mal, de l'Occident contre l'islam et
de ∄
(le vrai ?) contre ∄ (le faux
?), justifient cette satanisation par le fait que l'Afrique est exempte de la
gangrène terroriste dont ne souffriraient que les seuls pays musulmans.
Une telle thèse, qui relève
plus de l'ukase politique et de la bulle religieuse, autrement dit du dogme, que
de la démonstration scientifique oublient un certain nombre de faits
dont l'entêtement à s'inscrire dans l'actualité et donc dans
l'histoire est la plus cinglante dénonciation de cette imposture. En effet :
Ceci dit, il n'en demeure pas
moins vrai que le terrorisme islamiste[5],
depuis plusieurs années, occupent le devant de la scène en raison de sa
dimension d'abord internationale[6]
et, à présent, avec les Talibans, transnationale[7].
Mais ce simple constat n'est pas suffisant si, par ailleurs, on ne s'efforce pas
de dater cette émergence et, par là-même, d'en trouver la source.
Au XXème siècle, la
première émergence d'une violence, militaire et terroriste, se proclamant de
l'islam[8]
se situe en Inde lors de la lutte pour l'indépendance nationale lorsqu'elle
s'est opposée non pas tant au colonisateur – le Royaume Uni – qu'à
d'autres indépendantistes se réclamant, eux, d'une autre identité nationale
religieuse, les hindouistes. Elle s'est poursuivie après l'Indépendance pour déboucher
sur ce que l'on a appelé la partition de l'Inde et la création de deux,
puis de trois, États dont la nationalité est de nature religieuse[9].
Mais, cette violence est restée locale et ne s'est pas expatriée pour
prendre une dimension internationale.
En fait, le foyer d'une
violence terroriste internationale se réclamant d'une identité nationale à la
fois ethnique, culturelle, politique et religieuse – en l'occurrence musulmane
– se situe ailleurs et, plus précisément, au Moyen Orient avec la création,
imposée par l'Occident[10], de l'État d'Israël
qui, de socialiste et laïque, est rapidement devenu religieux et raciste. Et
il est vrai que depuis plus de 34 ans que, avec la bénédiction de
l'Occident et, singulièrement des U.S.A., l'État d'Israël bafoue les résolutions
de l'O.N.U. et, par conséquent, viole, en toute impunité, le Droit
international aussi bien des États que des individus, le terrorisme,
arabo-musulman d'abord, puis islamiste, ne cesse de se manifester, de
s'internationaliser, de se fanatiser et de faire dans la sur-enchère en matière
d'aveuglement et d'horreur.
Ce parallèle, s'il est
historiquement fondé et explicatif, n'est bien entendu pas une
justification, une légitimation de cette violence terroriste. D'une certaine
manière, il nous renvoie à ce vieux problème de l'antériorité de la poule
et de l'œuf, autrement dit à celle du (contre) terrorisme arabo-musulman et du
(contre)terrorisme israélien (avec son prolongement occidental). Peu importe de
savoir lequel est la cause – ou l'effet – de l'autre car, poser le problème
en ces termes, c'est admettre qu'il y a un bon (contre)terrorisme et un mauvais
(contre)terrorisme alors que tous les deux, au regard des Droits des humains,
sont illégitimes et condamnables. Mais refuser de faire ce retour historique,
c'est, ipso facto, s'interdire de régler véritablement et définitivement le problème
israélo-arabe et de considérer qu'il ne peut y avoir de solution définitive
possible qui ne soit pacifique : le respect, éventuellement imposé, par
toutes les parties du seul Droit international, aussi bien des États que
des individus.
Ainsi, détruire des bases
terroristes en Afghanistan – ou ailleurs – pourra certes enrayer, plus ou
moins durablement, un certain terrorisme qui, dans sa dimension internationale,
fonde sa légitimité sur une communauté/solidarité religieuse – l'islam –
et sur la violation des Droits d'une partie de ses membres – les Palestiniens
– par l'État d'Israël en tant que tête de pont de l'Occident et sur
la revendication à l'existence légal d'un État palestinien en conformité –
légitime - avec la Droit international. L'élimination physique des
combattants d'une cause n'est jamais l'éradication même de cette
cause ; elle en est, au plus, la mise en sommeil sachant que, comme de
nombreux chants patriotiques l'affirment avec justesse[11],
le drapeau et les armes du combattant qui tombe sont inévitablement repris par
un autre combattant. Elle peut même produire l'effet contraire : la
radicalisation, la fanatisation de la violence qui peut ainsi se renforcer d'une
autre légitimité, le droit à la résistance contre la tyrannie et
l'injustice.
Le terrorisme islamiste,
notamment avec l'Afghanistan, a désormais pris une dimension transnationale qui
dépasse les particularités nationales – les nationalités des États
et des individus – au nom d'une communauté et d'une identité universelles,
l'islam[12].
Mais, de façon de plus en plus explicite, cette universalité se fonde aussi
sur une autre légitimité, celle de la Justice qui, selon les
islamistes, finira par triompher, sous la bannière de l'islam, contre
l'injustice faite aux États et aux individus par les États occidentaux et,
singulièrement, les U.S.A.
Or, force est d'admettre que la
dénonciation de l'injustice économique, sociale, culturelle, politique… de
l'ordre mondial repose sur des faits objectifs que l'on ne peut ni ignorer, ni
masquer et que, par conséquent, l'éradication de la contestation, y compris
sous sa forme terroriste, de cette injustice ne peut consister à supprimer
ou, pour le moins, à museler et réduire au silence les contestataires
mais, bien au contraire, à supprimer ou, du moins, à réduire – pour la
rendre… tolérable – cette injustice.
Bien entendu, le recours à la
violence et, singulièrement à la violence terroriste, ne peut, sinon en Droit[13],
du moins en morale, légitimer un combat engagé pour le (r)établissement
de la Justice. Mais, inversement, nulle (contre)violence exercée contre les
contestataires de l'ordre social, économique, politique, culturel… afin de préserver
ledit ordre ne peut trouver de légitimité, en Droit comme en morale. Ni le
Droit (notamment les Droits des humains), ni la morale ne peuvent opposer une bonne
violence à une mauvaise violence, autrement dit de bons
terroristes à de mauvais terroristes.
En revanche, si, au nom des
Droits des humains et, plus généralement, d'une éthique réellement
humaniste, il est légitime de refuser de s'astreindre, au nom d'une vision
manichéenne du monde, à faire un choix entre ces deux violences et, par
conséquent, d'être pour l'une et forcément contre l'autre, il
est tout autant légitime de condamner ces deux violences et de considérer
qu'il existe une troisième voie, celle de la Justice, qui ne saurait être
celle de la (contre)violence.
Ainsi, on peut être à la
fois contre l'État taliban et l'État U.S. et pour les Afghan(e)s
et les Américain(e)s victimes du fanatisme, de l'intolérance, du chômage, de
la misère, de la famine, de la malnutrition, de la discrimination, de la répression,
de l'oppression, de la censure, de l'absence de soins…, bref de cette
injustice fondamentale qu'est la violation, voire la privation de leurs droits
et libertés tels que résultant de leur seule… humanité.
Et, de même qu'il n'y a pas
de bonnes violences et de mauvaises violences, il n'y a pas non
plus de bonnes victimes et de mauvaises victimes mais seulement…
des victimes. On ne saurait donc reconnaître les victimes américaines
des attentats du 11 septembre 2001 et, en même, temps ignorer les
victimes afghanes à venir du fait de l'intervention terroriste américaine,
anglaise… au motif qu'elles ne seraient jamais que des… dommages collatéraux
! Aux trois minutes (imposée) de silence des victimes américaines on ne
saurait donc opposer le silence définitif des victimes afghanes[14].
[1] En arabe… djihad !
[2] Rappelons que l'Afrique est un continent et non une unité géopolitique… monochrome ! Au contraire, comme tous les continents elle est une mosaïque de réalités locales différentes même si, globalement, une convergence africaine peut être mise en évidence : celle de la pauvreté comme résultante de la domination et du pillage des richesses locales par des économies étrangères et, plus précisément, des entreprises multinationales.
[3] On notera en effet que, depuis l'effondrement du bloc soviétique, et à l'exception de quelques États non-occidentaux (Chine, Corée du Nord…), la Ø communiste n'est plus l'alibi théologique du terrorisme d'État ou d'opposition.
[4] N'est-il pas paradoxal que de nombreux militants des Droits des humains combattant pour l'abolition de la peine de mort, l'éradication de la torture, la prohibition des armes anti-personnels, la levée de l'immunité, de jure ou de facto, et la traduction en justice d'auteurs de graves violations des Droits précités…, portées par la déferlante d'une hystérie religieuse, patriotique, xénophobe… collective, soit, en contradiction avec leurs valeurs – mais sont-elles vraiment leurs valeurs – et l'action qu'ils ont conséquemment menée à ce jour, soient favorables à de telles représailles et, ainsi, se fassent les défenseurs, zélés, voire fanatiques, de graves et irréversibles violations des Droits des humains ?
[5] Commis soit au nom d'un certain islam, celui de l'intégrisme, soit par des musulmans.
[6] Au sens où il est commis à l'étranger ou qu'il s'en prend localement à des intérêts étrangers.
[7] Cf. mon texte "Fanatisme et terrorisme
[8] Rappelons que, déjà en Irlande, deux Ø, le catholicisme et l'anglicanisme, avaient légitimé une lutte pour/contre l'indépendance nationale.
[9] Ces affrontements religieux se poursuivent de nos jours au sein même de l'Inde et connaissent même un regain de vigueur et donc de violence.
[10] Création qui, dans une large mesure, fut le bouc émissaire qu'immola l'Occident pour se soulager d'un crime et d'une mauvaise conscience : sa complicité, passive et silencieuse, de l'holocauste.
[11] Et comme l'Histoire, avec entêtement, le démontre depuis l'aube des temps !
[12] Il y a peu, un islamiste pakistanais affirmait devant les caméras de télévision qu'il était de nationalité musulmane et de citoyenneté pakistanaise mais que cette citoyenneté n'était somme toute que provisoire dans l'attente de l'instauration de la citoyenneté universelle de la Cité du prophète.
[13] Rappelons que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1793 ne considérait pas la résistance contre la tyrannie seulement comme un droit mais aussi comme un… devoir.
[14] Mais il est vrai qu'il existe un silence permanent : celui de la mort évitable quotidienne de milliers d'humains.