Pour l'abolition de la Prison

 

Anarchiste, je suis pour l'abolition de la Prison en tant que système pénitentiaire ou carcéral et, par conséquent, de toutes les prisons, centres de dé/ré-tention, maisons d'arrêt, "maisons de redressement", bagnes, goulags, camps de travail (forcé), hôpitaux psychiatriques à destination de "déviant(e)s" et autres "malades socio-politiques"…, bref de tout ce qui, matériellement ou psychologiquement, participe de… l'enfermement.

J'ajoute, même si je reviendrai sur ce sujet une autre fois, que, antiautoritaire et contre toute forme d'État, je suis également pour l'abolition de la… Justice en tant que "pouvoir" (judiciaire) comme instrument de répression, d'oppression, de coercition… de l'Etat et que, en revanche, je suis pour la Justice qui, à mon sens, dans une société anarchique, (enfin) véritablement humaine, vidée de toute réalité et de toute idée de pouvoir et d'autorité, ne serait rien d'autre que la… fraternité laquelle, à mes yeux, peut seule garantir la liberté et l'égalité de chacun(e) et de tou(te)s.

Je rappellerai d'emblée  que les prisons sont apparues avec… l'État, les sociétés dites "primitives" ne connaissant que le bannissement et, au besoin, la sanction, matérielle ou corporelle pouvant aller, dans ce second cas, jusqu'à la mutilation ou la mise à mort.

Ce rappel n'est pas anodin. En effet, le bannissement consistait à chasser d'un "territoire" (village, "pays"…) et, en même temps, du groupe social (tribu, clan, famille…) une personne qui "avait perdu sa place" au sein de ce territoire et de ce groupe social en raison de son manquement à une "règle" (violation d'un tabou par exemple) ou, ce qui revient au même, que le territoire et le groupe social n'étaient plus en mesure de continuer à accueillir, abriter, protéger… Le bannissement pouvait être temporaire (exemples : les femmes pendant leur période de menstruation, les futur(e)s initié(e)s, les chasseurs qui avaient dû, pour nourrir le groupe, tuer un "animal-totem", les guerriers qui avaient tué d'autres "Hommes"…) ou définitif (exemple : les personnes âgées devenues des "bouches inutiles", celles ayant violé un tabou "primordial"…), cette seconde forme équivalant le plus souvent à… une condamnation à mort.

Pour une société, bannir consistait donc à exclure physiquement l'individu dont elle voulait "se protéger", faute de pouvoir le faire de son état (psychophysiologique) , de son comportement et/ou de ses actes qui, en perturbant l'équilibre cosmogonique de la société, tant en soi que dans sa relation à l'environnement, mettaient en danger (vital) tou(te)s les autres individus. Cette forme de "protection" collective perdurera longtemps et perdure même encore dans certains pays avec le bannissement, par exemple, des lépreux-ses.

Pour les sociétés primitives, le monde est immense, quasi infini puisque leur territoire sont réduits. Le bannissement est donc spatialement possible. En revanche, l'apparition de l'État a eu pour effet d'"étroitiser" le monde, de le "finir", de le "borner" et, dés lors, de rendre d'abord difficile, puis impossible le bannissement ; c'est pourquoi, à l'exclusion du territoire s'est substituée celle de la communauté, le bannissement, dans sa forme originel, a cédé la place à une autre forme de bannissement : l'enfermement. L'État s'est mis à enfermer ceux-celles qui "perturbaient" l'ordre, non plus cosmogonique primitif, mais politique, social, économique, religieux… dont il se voulait, en même temps, l'"incarnation" et le "protecteur". Et cet enfermement, compte tenu du processus de territorialisation de l'espace-monde avec, entre autres, l'érection de frontières, il s'est mis à le pratiquer sur/dans son propre territoire en des lieux ou des bâtiments assignés ou érigés à cet effet. La Prison était née.

Les notions de "perturbation" et de "protection" d'un ordre donné sont fondamentales pour comprendre la logique de l'enfermement. En effet, à l'origine de l'État, le "profane" et le "sacré", le "politique" et le "spirituel", le "religieux" et le "laïc" ne sont pas distincts ; ils se confondent en une équation, simple et simplificatrice : dieu(x) = pouvoir/autorité = État, le "chef de l'État" – le "monarque" - n'étant jamais que le "représentant" de(s) dieu(x), voire un dieu lui-même. La religion est donc à la fois cause et légitimation de l'enfermement et cette origine religieuse se retrouve encore dans le vocabulaire mais également dans la logique de l'enfermement moderne puisque, par exemple, le terme "pénitentiaire" vient d'une part de "pénitence" qui, à partir  du XIème siècle, dans l'aire d'influence de la secte vaticanesque, désignait à la fois le "profond regret, le remords d'avoir offensé dieu" et l'"intention de réparer ses fautes et de ne plus y retomber" et, à partir du XIIème siècle le "châtiment", la "punition" infligés à celui-celle qui avait péché et, d'autre part, de "péniten(e) qui, au XVème siècle, en pays de secte chrétienne, désignait la personne momentanément exclue des "fidèles" à cause de ses "péchés".

Comme on le sait, avec le temps, l'Etat, du moins dans les pays dits occidentaux, s'est progressivement "démarqué" de la religion non tant pour s'autonomiser par rapport à dieu et son clergé et s'ériger en "puissance temporelle" indépendante de la "puissance religieuse/spirituelle" que pour se "désolidariser" du groupe social sur lequel il "règne" et, en fractionnant celui-ci en sous-groupes (classes notamment), mieux pouvoir servir et défendre tel intérêt "particulier", au besoin contre l'intérêt collectif.

L'enfermement a évolué en même temps que l'État : au-delà du discours et du verbiage de la langue de bois, de contributeur à la protection de l'intérêt collectif, il est devenu instrument de la protection d'intérêts particuliers et de "réparation" du dommage fait à un intérêt particulier (cf., pour mémoire, l'enfermement pour dette, injure, offense, adultère…). Il ne vise plus à rétablir l'Ordre (avec le O majuscule qu'implique une dimension cosmogonique) mais… un ordre, et, bien entendu, pas n'importe quel ordre, l'ordre… dominant au sens strict du terme. D'universel, il est devenu relatif, ce qui explique que, au-delà d'une loi à prétention (faussement) universelle, un même acte peut être une "infraction" dans un cas et entraîner l'enfermement et une simple "erreur", voire un "exploit" dans un autre, un vice et une… vertu n'entraînant aucune sanction, pas moindre une remontrance ou n'appelant aucune "repentance" dont on sait, depuis Gépétou, combien elle est facile à faire pour "enterrer" des millions de crimes !

De façon "curative", c'est-à-dire postérieurement à l'accomplissement d'un acte, l'Etat enferme donc l'individu qui a, non véritablement contrevenu à une règle de droit, mais porté atteinte à un intérêt particulier, ledit intérêt pouvant d'ailleurs être celui de l'État lui-même. Mais, bien souvent et, actuellement, dans la logique de la paranoïa sécuritaire que nous connaissons, l'Etat peut faire enfermer "préventivement", soit disant pour éviter qu'un individu ne porte pas atteinte à un intérêt particulier, même s'il n'est pas objectivement prouvé que telle est son intention (On voir combien la régression juridique est grave et dangereuse puisque l'arrestation, le jugement, la condamnation et l'enfermement sont désormais possibles sur simple "présomption d'intention" puisqu'il s'agit là d'une véritable "présomption de culpabilité" établie à l'encontre d'un nombre croissant de personnes comme, par exemple, les… anarchistes !).

Si l'on admet que l'enfermement moderne participe de la même logique que le bannissement primitif et qu'il a donc pour objet de permettre à la société qui le pratique, d'une part, de se protéger non tant de l'individu fauteur de "désordre" que des conséquences du fait "désordonnant" et, d'autre part, de mettre à profit cette exclusion, temporaire ou définitive, pour recouvrer son équilibre collectif perturbé, force est d'admettre que :

§         pas plus que la société "primitive", la société "évoluée" ("civilisée" ?!?) n'est en mesure d'éviter l'émergence de facteurs perturbateurs, de "désordre" ;

§         tout comme le bannissement primitif, l'enfermement n'est qu'un "pari", une "invocation" (divine ?) que la société fait sur un retour à l'équilibre qu'elle a perdu (une "remise en ordre") alors même que, en toute objectivité", la démonstration de cette supposée causalité n'a jamais été faite et n'est toujours pas faite ;

§         de bannissements isolés, pour ne pas dire fort rares, nous en sommes arrivés à des enfermements massifs comme si le "désordre" de la société obéissait à la loi thermodynamique de l'entropie et augmentait proportionnellement à la progression du niveau de "civilisation" ;

§         sauf à é/in-voquer dieu, le diable ou un "mystère", rien ne se créant, tout se transformant, le "facteur désordonnant" n'est pas l'invention – au sens de création ex nihilo – de l'"individu perturbateur" mais la combinaison dynamique de phénomènes pré-existants à l'acte et inhérents à la société elle-même.

Aucune société humaine n'est "transcendantale" c'est-à-dire désincarnée des individus qui la composent et, en même temps, désobjectivée de sa "matérialité" (ressources naturelles, environnement, mode de production, technologie..) et de sa structuration (classes, système économico-politique,…) ; le "désordre" auquel elle est confrontée, à l'exclusion de celui causée par une cause exogène (comme, par exemple, une invasion, une agression…, autrement dit une "intrusion"), est nécessairement "fomentée" en son sein même. Ainsi, l'expression, quasi adage, "la société a les délinquant(e)s qu'elle mérite", illustre bien ce fait que les individus qui "perturbent", voire "rompent" l'ordre sociétal au sens d'équilibre collectif, systémique ne se sont pas "auto-produits mais sont bien produits par la société elle-même.

On ne manquerait pas de considérer comme absurde l'ordre que donnerait le cerveau, régulateur du système-corps, de bannir ou d'enfermer tel organe ou tel membre au motif que, "malade", il perturbe l'ordre général – la santé – dudit corps et, dans une société moderne, "civilisée, on admet que, dans ce cas, ce qu'il importe de faire c'est bien d'agir sur la cause – la maladie – en la "traitant". Et pourtant c'est bien à une telle absurdité que se livre la société "civilisée" en enfermant celles-ceux qui perturbent l'"ordre sociétal" au lieu d'agir sur les causes objectives – comme, par exemple, la misère – du "facteur désordonnant" comme si un médecin, au lieu de soigner le malade, le punissait d'être… malade [Il ne s'agit là que d'une image car, comme on le sait, considérer la délinquance, qu'elle soit de "droit commun" ou "politique" est la porte ouverte à toutes les tyrannies].

C'est pourquoi, même si l'on suppose que l'enfermement n'obéit pas à une logique de répression, d'oppression, de tyrannie… mais de "traitement sociétal", à l'image du "traitement médical d'un corps social perturbé, autrement dit… malade", on ne peut que le refuser et prôner son abolition puisque, d'une part, il est inefficace en ce qu'il n'agit pas sur les causes du "désordre" et qu'il n'évitera donc aucunement la survenue de nouveaux "désordres" de même nature et que, d'autre part, il est inique en ce qu'il punit une… victime puisque la cause de l'acte "désordonnant" n'est pas inhérente à son auteur(e) mais à la société. L'enfermement n'est pas œuvre de Justice mais exercice de tyrannie, laquelle, comme l'avaient définie les Montagnards est l'oppression d'un seul individu contre l'ensemble du corps social ou l'oppression d'un seul individu par l'ensemble du corps social !

Au lieu de multiplier les lieux d'enfermement et le nombre d'enfermé(e)s, une société qui se voudrait véritablement humaine, "civilisée" se devrait donc d'"enfermer les facteurs désordonnants", c'est-à-dire les causes objectives de "désordre". Mais cela, c'est une autre histoire et, dans le cadre de la société actuelle, une… utopie, une "pieuse intention", une déclaration incantatoire puisque cette société est ni libre, ni égale, ni fraternelle et qu'elle n'est donc, tout simplement, pas… humaine.

La revendication d'une société fraternelle, humaine impose nécessairement l'abolition de l'Etat, de la nationalité – les frontières comme obstacle à la libre circulation des personnes -, de l'état civil – comme instrument de contrôle social à finalité répressive et oppressive -, de la religion, de la propriété privée des moyens de production… mais aussi… de l'enfermement, c'est-à-dire de la Prison dans toutes ses déclinaisons possibles et imaginables. L'humanité, au sens de "dignité humaine", est libre ou… n'est pas. L'humanité, au sens d'ensemble universel des êtres humains, ne sera pas libre tant qu'un seul individu ne le sera pas. Il n'y aura pas d'humanité  tant qu'une seule prison continuera d'être le lieu de privation de la liberté et donc de l'humanité d'un seul individu. Un individu enfermé, c'est une tyrannie exercée à l'encontre de l'ensemble du corps social, une offense faite à l'humanité, à tous les humains. Ni dieu, ni maître… ni prison !

 


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