Propriété (intellectuelle) et liberté
Il y a quelque temps, un individu se prétendant libertaire m'a accusé de "piller" sans vergogne les œuvres de camarades s'étant regroupés pour constituer une entreprise libertaire, en l'occurrence…. Hachette (!?!), ladite œuvre pillée étant l'Encyclopédie Hachette.
On peut ne peut que rire de l'aveuglement – au sens d'aliénation – de cet individu qui confond "groupe(ment) " et société au sens juridique et économique du terme au point de prendre une vessie pour une lanterne et de considérer qu'Hachette, dont on connaît les liens étroits avec un certain… groupe capitalistique et, ainsi, de confondre salariés - les rédacteurs-trices de l'Encyclopédie en question ne signent pas leurs "articles et ne sont donc pas des auteur-e-s – et capitalistes, exploité(e)s et exploiteurs-trices. On ne peut que rire d'un Don Quichotte du oueb enfourchant non une Rossinante mais le clavier anonyme d'un ordinateur… distant pour aller défendre, tel un croisé halluciné, la propriété, oubliant que les anars dont ils se revendiquent ont théorisé et pratiqué la reprise individuelle et que, de nos jours encore, des anars pratiques la reprise individuelle à des fins de redistribution collective en faveur de démuni-e-s, aux dépens de nanti-e-s. Et j'en ai ri, bien ri même si, par ailleurs, le style comminatoire, autoritaire, menaçant, quasi-injurieux… de cet olibrius m'a rappelé les pratiques sanguinaires d'un Torquemada, d'un fonctionnaire nazi, stalinien, maoïste…, d'un fou de dieu, d'un gardien "illuminé" de la foi…et m'a provoqué la nausée. Mais, le rire passé, je me suis interrogé sur non la propriété en général et, en particulier, sur la propriété des "moyens de production", dont on sait qu'elle n'est jamais qu'un vol, une usurpation, une dépossession, une rapine, une expropriation… et que le projet anarchiste est… de l'abolir, mais sur la propriété qualifiée d'intellectuelle et, parfois, de littéraire et artistique.
Pendant fort longtemps, la propriété intellectuelle n'a été que l'affirmation d'un droit – une liberté ou, mieux, franchise, patente… - spécifique celui de l'usus, de l'abusus et du fructus d'œuvres dites de l'esprit. Ainsi, dés l'Antiquité les œuvres d'art et, notamment, littéraires, étaient considérées à la fois comme un bien économique que l'on pouvait vendre, échanger… mais aussi comme une création intellectuelle dépassant le support matériel de sa réalisation. Si l'invention de l'imprimerie a accéléré les choses avec la délivrance de privilèges régaliens pour favoriser la diffusion d'œuvres jugées salutaires et, en même temps, sanctionner, voire interdire la diffusion d'ouvrages subversifs, immoraux…, étant toutefois précisé que ces privilèges étaient accordées aux imprimeurs et non aux auteur-e-s, il faut attendre la Révolution française pour voir constituer un véritable droit d'auteur susceptible, déjà, d'être transmis, quant à ses effets juridiques et économiques, aux héritier-e-s. Mais, toujours en France, c'est la loi du 11 mars 1957 qui a institué véritablement la propriété intellectuelle sous la forme d'un monopole légal accordé à l'auteur-e du double point de vue patrimonial (avec, en particulier, les droits d'auteur, c'est-à-dire le revenu tiré de l'exploitation d'une oeuvre) et extra-patrimonial (le droit au respect de l'œuvre comme de l'auteur). Pour tenir compte de l'évolution des techniques de communication (radio, télévision, internet…), cette loi a été modernisée en 1985, puis en 1992, à l'instar de la Convention de Berne (1886) qui a établi un régime de protection des auteur-e-s et de leurs œuvres en faveur des ressortissant-e-s des pays adhérents.
Sans entrer dans un détail juridique, aussi compliqué qu'inutile, relevons que la propriété intellectuelle est nécessairement le droit d'une personne, physique ou morale. Une œuvre n'est donc protégée que pour autant qu'un sujet de droit en revendique et en établit la propriété, laquelle est constitutive d'un monopole non tant de possession que d'exploitation. Une œuvre n'est donc un objet de droit que parce qu'elle est une marchandise ou qu'elle est susceptible de le devenir et qu'elle est donc dotée d'une valeur…. économique qui ne préjuge en rien de sa…. qualité artistique ou même de son…. utilité sociale [Certes, il existe des œuvres qui figurent au patrimoine mondial ou dans des patrimoines nationaux mais leur protection n'est assurée par les Etats que s'ils… le veulent bien. Cf. par exemple les fameuses statues de Bouddha détruites par les Talibans mais également les œuvres d'arts, les bâtiments historiques… que le busher se propose de détruire dans ce qui est un berceau de la civilisation : l'Irak).
Le Droit, très enraciné
dans le substrat économique dont il n'est que la superstructure, ne (re)connaît
donc pas… l'Idée. Autrement dit, pas le fond
mais la forme (au point qu'un… navet
bénéficie du même droit qu'un… chef d'œuvre), pas l'intention créatrice
ou l'acte – le geste – créatif ou même la création
(sauf lorsque celui-ci est technologique, industriel… et, dans ce cas, on
parle pas de création mais… d'invention)
mais l'objet créé. En outre, l'objet
créé doit être… original au sens
non de nouveau mais d'émanant
directement de l'auteur-e, même si une traduction peut être considérée comme
originale dés lors quelle n'est pas servile,
qu'elle est bel et bien une… adaptation.
La propriété intellectuelle n'est donc pas un droit attaché, inhérent à un objet, une œuvre. Il est toujours un droit revendiqué par une personne qui, pour ce faire, accomplit une démarche juridique particulière : le dépôt légal. Et c'est là que le bât commence à blesser. En effet, le dépôt légal n'est pas gratuit : en sont donc exclu-e-s les auteur-e-s- qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires, ce qui fait déjà pas mal de monde. En outre, et même si nul-le n'est sensé-e ignorer la Loi, la grande majorité des sujets de droit est ignorante du dépôt légal et, donc, de cette capacité dont ils-elles peuvent se doter pour protéger leurs œuvres. Et cela fait davantage de monde encore. Ainsi, dans ces deux cas, la fortune et la diligence permettent régulièrement à des personnes de se prévaloir d'un droit de propriété sur une œuvre dont elles ne sont pas l'auteur-e ! Par ailleurs, les salarié-e-s dont le travail, pour lequel ils-elles sont rémunéré-e-s, consiste à créer ne peuvent pas revendiquer quelque droit de propriété que ce soit sur leur œuvre puisque celle-ci… appartient, de droit, à la personne, physique ou morale, qui les salarie et qui, ainsi, les dépossèdent du fruit de leur travail au motif qu'elle a acheté leur force de travail.
Le Droit ne (re)connaît pas l'idée. Pourtant, ce terme, s'il désigne la représentation abstraite et générale d'un être, d'une manière d'être, d'un rapport qui est formée par l'entendement, signifie aussi 1°) la représentation élaborée par la pesée, qu'il existe ou non un objet qui lui corresponde, 2°) la vue, plus ou moins originale, que l'intelligence élabore dans le domaine de la connaissance, de l'action ou de la création artistique, 3°) la façon particulière de se représenter le réel, de voir les choses 4°) une opinion, une conviction d'un individu ou d'un groupe social en quelque domaine que ce soit… Et sous sa forme plurielle, les Idées, comme, par exemple, celles des Lumières, il recoupe largement les notions et réalités de connaissances et de savoirs (y compris de savoir-faire). Il ne viendrait donc à… l'idée de personne qu'un mot d'esprit lancé dans un bureau, une blague échangée autour d'un pot, une brêle de comptoir rotée après boire, un graffiti ou un tag griffonné à l'improviste, une chanson ou une musique improvisée au cours d'une ballade, un devoir d'école, une lettre ou un message électronique, un château de sable, un quelconque savoir faire (horticole, culinaire, vestimentaire…) dont on a hérité ou que l'on a appris ou inventé, une croyance, un préjugé, une superstition… puissent être considérés non pas tant comme des œuvres que comme des… objets de propriété dont on ne peut user qu'en s'acquittant d'une redevance auprès d'un-e propriétaire. Et pourtant, tel est bien le cas, dés lors que l'œuvre en question a été objectivée, marchandisée et que son exploitation est assujettie à un monopole légal protégée par la Loi et, au besoin, par les flics, les juges et autres vigiles !
Personnellement, si je peux être admiratif d'une œuvre (un tableau, un livre, un morceau de musique…), je ne suis fétichiste d'aucun objet, fût-il une œuvre ou même un chef d'œuvre ! Et ce, non pas parce que cette œuvre a été réduite à l'état de marchandise mais parce que, humaniste et aucunement capitaliste, je respecte les humains et non les objets de leur production ou de leur création. Je n'ai pas le culte du veau d'or. Je ne puis renoncer à ma liberté et donc à mon humanité en m'attachant à une chose. Je suis, non parce que je possède, mais parce que… je suis. Pas plus qu'elles ne peuvent se réifier, la réalité incarnée de mon moi, mon unicité, mon identité, ma dignité… ne se déduisent de la propriété et de la possession d'objets mais se construisent dans la liberté que j'assume et à laquelle je ne peux renoncer, sauf à ne plus être moi, à perdre mon humanité, autrement dit à mourir à mon humanité. Posséder n'est pas être. La possession est du paraître, non de l'être. Je n'ai aucune prétention à revendiquer et établir une quelconque propriété sur quelque œuvre que ce soit. Mais, si je ne veux rien m'accaparer, m'approprier, m'attribuer…, je revendique, non le droit, mais la liberté du partage, à commencer par celui des connaissances et des savoirs et m'insurge contre toute autorité, publique ou privée, qui voudrait dresser une barrière pour m'interdire le libre accès à ces connaissances et savoirs. Depuis l'aube des temps, les humains produisent, inventent des connaissances et des savoirs et créent des œuvres et, si leur libre circulation a favorisé le progrès, je constate que l'ignorance et la méconnaissance, savamment, méthodiquement, systématiquement entretenues par l'obscurantisme, l'élitisme, l'intégrisme, la cupidité…, ont toujours fait et continuent de faire le lit de la tyrannie. Une barrière, parce qu'elle est un obstacle, se doit d'être abattue car c'est là une affaire de libération et donc de liberté ! La propriété de l'Un-e est toujours l'aliénation de la liberté de l'Autre. Ni dieu, ni maître, de chair comme de matière ou même d'idéité ou d'idéalité !