Public versus Privé ?

 

Divide ut regnes

Devise de la politique du Sénat romain

 

Divide et impera

Machiavel

 

De tous temps, sous tous les cieux, le Pouvoir, qu'il soit politique, religieux, économique…, a usé de cet artifice : diviser pour régner. De nos jours, en France, l'État C.R.S. en fait de même non seulement en divisant les salarié(e)s en deux camps, celles-ceux du Public et celles-ceux du Privé mais opposant les second(e)s aux premier(e)s.

Celles-ceux qui se laissent prendre par cette ruse grossière oublient quelques évidences qu'il convient sans doute de leur rappeler :

§         Un(e) salarié(e) est une personne qui reçoit un salaire, c'est-à-dire une rémunération, une rétribution que lui verse un employeur (patron) en contrepartie de son travail.

§         Le salariat est le mode de rétribution du travail par le salaire ainsi que l'état, la condition de salarié(e).

§         La salariat, ensemble des salarié(e)s, s'oppose au patronat (que celui-ci soit individuel ou collectif à forme, par exemple, d'actionnariat).

§         Le salaire – ou rétribution du travail, loué ou vendu à un patron – peut prendre des formes juridiques, comptables, économiques diverses : salaire proprement dit (ou paye dans le langage courant), appointements, commission, émolument, gage, honoraires, solde…

§         A l'origine, dans les sociétés antiques méditerranéennes, le terme de prolétariat désignait un ensemble précis de membres de la société : ceux des travailleurs qui ne disposaient, comme toute richesse, que de leur lignée, selon l'étymologie latine du mot (proles, en latin, signifie "progéniture", et proletarius désigne le citoyen pauvre, des dernières classes). Ainsi, le prolétaire[1], outre qu'il était exempt d'impôt, n'avait comme seule marchandise à proposer que sa force de travail.

§         Un(e) prolétaire est donc une personne qui ne possède pour vivre que les revenus de son travail manuel ou intellectuel, autrement dit qui loue/vend sa force de travail – économiquement assimilée à une marchandise - à une personne – le patron - qui, elle, est propriétaire de moyens de production qu'elle met en œuvre, avec le concours de la force de travail achetée, pour produire des marchandises et, le capital ainsi rémunéré, réaliser un profit[2].

§         Le prolétariat, quoi qu'on dise, est une réalité, celle de l'exploitation d'une classe par une autre[3]. Une réalité incarnée dans les salarié(e)s. Mais il est vrai que nombre de prolétaires, en raison de leur aliénation savamment entretenue par la propagande de plus en plus efficace et… totalitaire de la bourgeoisie et de ses chiens de garde (journalistes, intellectuels – de salon - , curés, réformistes…); n'ont pas conscience de leur prolétariatude. Or, objectivement, le métallo proprio de sa baraque, l'intello salarié(e), l'artiste sous la coupe d'un proxénète (imprésario, maison d'édition…)… sont des prolos.

§         Rémunéré(e) par un patron privé ou public, le-la salarié(e) est un(e) prolétaire.

§         Le patronat privé est individuel ou collectif (Société).

§         Le patronat public est le fait soit de l'État lui-même, soit d'entreprises, de sociétés, d'organismes, … publics.

§         Au-delà d'intérêts personnels, voire corporatistes le salariat est constitutif d'une seule et même classe : le prolétariat.

§         Au-delà des apparentes distinctions, voire oppositions, dans le système économique qui est le nôtre – le capitalisme -, le patronat, qu'il soit public ou privé, est constitutif d'une seule et même classe : la bourgeoisie.

§         Le prolétariat est une classe dominée et exploitée par cette autre classe qu'est la bourgeoisie.

§         Le capital, même lorsqu'il est d'origine personnelle, familiale, n'a pas de patrie mais un marché.

§         Les salarié(e)s – les prolétaires – n'ont pas de patrie : ils-elles sont objectivement uni(e)s en raison de la domination et de l'exploitation universelle de la bourgeoisie.

En France, comme ailleurs :

§         Le patronat public, comme le privé, produit ses précaires, ses exclu(e)s, ses harcelé(e)s… ;

§         Le salariat public, comme le privé, a ses traîtres, ses collaborateurs de classe qui, à l'image des kapos des camps de la mort, s'imaginent pouvoir améliorer leur sort quand, objectivement, ils sont et resteront de l'autre camp et que leurs maîtres n'hésiteront pas à les sacrifier si la logique du profit l'exige. L'un comme l'autre a, du point de vue du patron, des "fainéant(e)s"[4], des "tireur-euses au flanc", des "saboteurs-euses"… mais aussi ses héros-ines

§         Être salarié(e) du Privé ou du Public ce n'est pas nécessairement servir le Capital ou l'État au sens d'une allégeance, d'une soumission. C'est d'abord et surtout, dans le cadre d'une économie monétaire, louer/vendre sa force de travail pour pouvoir gagner sa vie et (sur)vivre[5].

§         Il n'est pas plus contradictoire d'être salarié(e) du Privé et  révolutionnaire et vouloir, ainsi, abattre le capitalisme, que d'être salarié(e) du Public et révolutionnaire et vouloir abattre l'État. Supposer un déterminisme mécanique qui ferait de tout(e) salarié(e) du Public un suppôt de l'État implique d'admettre que tou(t)e salarié(e) du Privé est nécessairement le suppôt du Privé et, notamment, du Capital[6]. !

§         En général et sauf exception, mais c'est valable dans les deux cas, les salaires du Public ne sont pas exorbitants relativement à ceux du Privé. Ils ne rémunèrent pas une sinécure car, dans le Public, les emplois peuvent être autant (physiquement, moralement, matériellement…) pénibles que dans le Privé.

§         Les grévistes du Public ne sont pas plus rémunéré(e)s que les grévistes du Privé et les salarié(e)s du Privé ne payent pas les journées de grève des salarié(e)s du Public.

§         Dans le Public comme dans le Privé, une journée de grève, c'est une journée de salaire qui n'est pas payée par le patron. C'est pourquoi, dans le Public comme dans le Privé, bon nombre de salarié(e)s, en raison de leur endettement et/ou de leur salaire de misère, ne peuvent plus se mettre en grève, se payer une journée de grève et, a fortiori, une grève reconductible.

§         Les salarié(e)s du Public défendent leurs emplois, les acquis sociaux qu'ils ont arrachés, par la lutte, par le sacrifice de journées de grève, à leur patron[7]. Ils-elles ne défendent pas des…privilèges et, en cela, leur combat est de même nature que celui des salarié(e)s du Privé et, dans les deux cas, les méthodes et les objectifs sont les mêmes.

§         Toutefois, au-delà de la spécificité de tel ou tel acquis sociaux, actuellement, les salarié(e)s du Public posent des revendications "universelles" en ce qu'elles concernent aussi les salarié(e)s du Privé (Exemple : 37.5 annuités de cotisation pour TOU(TE)S les salarié(e)s)[8]..

§         Les salarié(e)s du Public ne revendiquent pas le financement de leur retraite par les cotisations des… salarié(e)s du Privé. Ils-elles affirment que le financement des retraites de TOU(TE)S les salarié(e)s, du Public comme du Privé, doit être assuré aussi par des prélèvements sur les profits capitalistes, considérant qu'il y a assez de richesse pour les partager[9].

§         Considérer que les salarié(e)s du Public sont des sbires à la solde de l'État, c'est oublier que, à l'exception de celles-ceux qui servent dans ce que l'on appelle les fonctions régaliennes de l'État (la Police, la Justice, la Défense…), ils-elles contribuent à assurer et à rendre des services publics : éducation, transport, santé, électricité, sécurité (au sens civil et non policier ou militaire du terme)… En toute intelligence, on ne peut jeter le bébé avec l'eau du bain et condamner les salarié(e)s du Public en usant/consommant des services publics qu'ils-elles rendent ! Et, d'ailleurs, celles-ceux qui se disent révolutionnaires et donc, ipso facto, hostiles aux salarié(e)s du Public, ont-il quelque scrupule que ce soit à acheter aux capitalistes les marchandises (nourriture, vêtements, loisirs…) dont ils-elles ont besoin ? Sont-ils-elles pour autant… vendu(e)s au Capital ?

§         Considérer que les salarié(e)s du Public sont une charge nette pour la Société, c'est oublier, par exemple, que beaucoup de salarié(e)s du Privé travaillent dans des entreprises qui polluent, saccagent, détruisent… l'environnement et donc les humains (prolétaires et… bourgeois, du reste !). Aucune personne intelligente n'admettrait que ces salarié(e)s sont responsables de la pollution causée par les entreprises où ils travaillent ; pourquoi, seul(e)s les salarié(e)s du Privé seraient utiles et seul(e)s les salarié(e)s du Public inutiles ?

§         Ni les salarié(e)s du Privé, ni les salarié(e)s du Public ont seuls (et donc contre les… autres) la légitimité prolétarienne du salariat et donc de la lutte syndicale, du projet révolutionnaire… Soit ils-elles sont uni(e)s face à l'ennemi commun : la bourgeoisie, soit ils sont divisé(e)s et condamné(e)s à l'exploitation/domination par la bourgeoisie !

Le-la prolétaire qui accepte cette division, voire opposition salarié(e)s du Public-salarié(e)s du Privé fait le jeu du pouvoir, autrement dit de la bourgeoisie. Par là-même, objectivement, il accepte d'être le collabo du pouvoir bourgeois. En trahissant sa classe, il –elle s'imagine sans doute que sa docilité servile sera récompensée par son maître : il-elle se trompe. Il-elle est et restera un(e) prolétaire et son maître n'hésitera pas à l'abandonner, voire à l'"euthanasier" comme il le fait avec le chien qui ne lui est plus utile parce que, par exemple, devenu trop vieux ou remplacé par un autre chien, une machine…

Une telle trahison, une telle collaboration de classe  ne peuvent s'expliquer qu'en raison de l'aliénation dont serait victime la personne considérée – et il est vrai que l'art et les techniques de propagande du pouvoir bourgeois sont, pour ce faire, d'une redoutable efficacité -. Un calcul économique – la recherche d'un intérêt personnel : une prime, une promotion, un non-licenciement… -, ne saurait les justifier car le gain obtenu, aussi mirobolant soit-il, ne pèse pas lourd au regard de la perte : le renoncement à et de soi. Certes, une autre hypothèse peut être émise pour expliquer un tel choix contre nature : la … bêtise, la bêtise qui n'est pas une maladie incurable dont on ne pourrait se soigner, mais le nom vulgaire de l'ignorance. L'ignorance, cet abîme obscur de la raison (et du coeur) à laquelle nul(le) n'est condamné(e) à perpétuité quand il suffit de reconnaître que l'on ne sait rien ou… si peu et de se donner la peine d'apprendre !

Juste une chose encore : "casser du salarié(e) du Public au nom de l'alibi anarchiste, c'est oublier que l'anarchisme est la revendication d'une triple abolition : celle de l'Autorité – de toute autorité et, notamment mais pas seulement, celle de l'État – , de la propriété privée des moyens de production, des ressources naturelles, des services… publics (c'est-à-dire des services collectifs rendus aux individus, à titre personnel ou collectif)[10] ET du travail ou, plus exactement du travail… salarié, c'est-à-dire du salariat.

Ne considérer que le seul anti-autoritarisme et, qui plus est, ne prendre en compte que l'anti-étatisme, c'est réduire l'anarchisme à ce qu'il n'est pas, c'est le dénaturer. C'est la voie choisie par les libertarien(ne)s et autres "anarcho-capitalistes" qui revendiquent la seule abolition de l'État pour pouvoir assumer leur liberté personnelle, y compris sous la forme… d'entrepreneur… capitaliste  et qui sont donc hostiles au communisme et favorables au salariat, autrement dit à l'exploitation/domination de certain(e)s (la multitude) par d'autres (la minorité). Cet anarchisme là n'est pas l'anarchisme au nom duquel des salarié(e)s, du Public comme du privé, se battent : il n'est que le pseudonyme du… libéralisme et a pour vocation à se réaliser en un aristocratisme, c'est-à-dire en la tyrannie !



[1] Si le terme de prolétaire est ancien (Antiquité), en revanche, celui de prolétariat est récent. Il a été forgé au XIXème siècle à partir de deux éléments latins : proles, "l’ensemble des enfants de la race, de la lignée" et -arius , suffixe d’adjectif . Contrairement à ce que l'on pense, ce n'est pas Marx qui l'a inventé puisque sa première apparition officielle est de 1830 alors qu'il ne l'a lui-même utilisé qu'à partir de 1843.

[2]  Marx, in Le Capital :  "… il faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait fructifier, et que M. Capital […] jette sur le pavé dès qu'il n'en a plus besoin".

Pour Guy Debord, la définition/réalité du prolétariat n'est pas seulement économique ; elle est aussi politique ou philosophique : ainsi, le prolétariat est "l'immense majorité des travailleurs qui ont perdu tout pouvoir sur l'emploi de leur vie, et qui, dès qu'ils le savent, se redéfinissent comme le prolétariat, le négatif à l'œuvre dans cette société" (la Société du spectacle, 1967). Le prolétariat est la classe exploitée et qui, ayant dépassé son aliénation, a conscience de son exploitation. Par cette conscientisation, il affirme son existence. Il… est. Autrement dit, il n'y a en définitive de réalité objective du prolétariat que pour autant que les prolétaires ont conscience de leur état qui est celui du… prolétariat, de l'exploitation, de la domination…

[3] Le proléraitat existe bel et bien même si certains auteur(e)s affirment le contraire comme, par exemple André Gorz dans "Adieux au prolétariat : au-delà du socialisme", Michel Musolino, dans "la Défaite du travail"….

[4] Rappelons que certains, comme Paul Lafargue, ont revendiqué pour les prolétaires un droit à… la paresse.

[5] Pour Engels, le prolétariat est "a classe des travailleurs salariés modernes qui, ne possédant pas en propre leurs moyens de production, sont réduits à vendre leur force de travail pour vivre".

[6] Se dire anarchiste et prôner un tel déterminisme pour les seul(e)s salarié(e)s du public ne résulte pas d'une analyse objective de la réalité socio-économique, politique, culturelle… de la société mais d'une profession de foi qui ferait de l'anarchisme une religion ; dans ce cas, le-la croyant(e) en question devrait admettre qu'il existe un déterminisme plus général, plus universel et que, en l'absence de toute liberté humaine, Bakounine et Kropotkine (mais je pourrais prendre des centaines d'autres exemples) n'ont pu faire le libre choix d'être anarchistes, qu'ils n'ont pas été anarchistes au seul motif de… leur origine sociale ! Il faut savoir faire la part des choses entre l'individu et le milieu (économique, culturel, politique…) dans lequel il-elle vit. Pas plus que la carte ne fait le territoire, le travail salarié ne fait l'individu.

[7] C'est pourquoi, il serait sans doute préférable et plus vrai de parler de… conquis sociaux.

[8] Pour mémoire, en mai-juin 1968, les avantages obtenus par les salarié(e)s du Privé ont dû être étendus par l'État aux salarié(e)s du Public. Pour mémoire encore, la retraite, la sécurité sociale, les congés payés, le droit syndical… ont été conquis par TOU(TE)S les salarié(e)s, du Privé comme du Public.

[9] Cette revendication peut être considérée comme réformiste si elle est posée comme une fin en soi et qu'elle n'est pas assortie d'autres revendications… révolutionnaires comme l'abolition du capitalisme. Pourtant, dans l'immédiat, relativement à l'existant qui est, qu'on le veuille ou non, le capitalisme, elle participe de cette fraternité de classe qui s'interdit d'opposer les salarié(e)s les un(e)s contre les autres et qui, au contraire, les unit dans le même combat contre la bourgeoisie.

[10] Autrement dit, pour l'instauration du communisme… libertaire.


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