Questions de solidarité

 

Ce samedi, la Banque alimentaire du coin organisait une collecte de denrées alimentaires non périssables à la sortie des caisses de la grande surface où je fais habituellement mes courses. Comme d'habitude, en pareilles circonstances, j'ai fait mes courses avec deux caddies remplis à l'identique, un pour moi, un pour la banque. Un peu plus de 3% de mon revenu va à des cotisations et dons en faveur d'O.N.G. notamment à but humanitaire. J'effectue par ailleurs de nombreux achats militants en faveur de telles structures. Il y a peu, pour pouvoir répondre à des appels lancés à propos de situations, individuelles ou collectives,  d'urgence, je me suis rajouté une nouvel couche d'endettement personnel. Je boycotte les produits et services des entreprises qui bafouent les "droits fondamentaux", sociaux, syndicaux, économiques, politiques… des gens, travailleurs-euses comme consommateurs-trices ou simples "citoyen-ne-s, qui polluent, qui soutiennent des régimes dictatoriaux, qui font dans le sexisme…

Qu'est-ce donc que cette société qui invite, voire "incite" par des pressions médiatiques savamment orchestrées, celles-ceux qui ont peu à donner à celles-ceux qui n'ont rien quand celles-ceux qui ont beaucoup n'en font pas de même ou, du moins, ne donnent que pour bénéficier d'avantages fiscaux, commodité d'achat peu onéreuse d'une bonne conscience ? qui fait de la solidarité une "affaire privée" en la reléguant, qu'on le veuille ou non, pour celles-ceux qui la pratique d'une sorte de charité bien ordonnée ? qui considère qu'une baisse des cours boursiers est grave quand l'augmentation de la pauvreté n'est qu'un… "détail" ? qui dépenses sans compter dans l'armée, la police, la prison…, autrement dit la répression quand l'exclusion frappe un nombre croissant de personnes, individus et familles ? qui considèrent qu'il faut aller explorer l'espace quand, dans la proximité du quotidien, les "poches de misère" deviennent des camps de concentration, des zones de relégation de démuni-e-s ? qui multiplie les recherches scientifiques et les expérimentations médicales pour allonger l'espérance de vie des nanti-e-s et améliorer le confort physique de la vieillesse quand, par millions, des gens meurent de malnutrition, de famines, du sida, de maladies pourtant guérissables pour les premier-e-s, de froid…, autrement dit de… misère et que celle-ci contribue à ramener l'espérance de vie d'une majorité croissante de la population mondiale à ce qu'elle était, au mieux, au Moyen Age ?…

Dans une telle société, c'est quoi la traduction concrète des discours à l'emporte pièces sur les "Droits de l'Homme" ou "de l'Enfant", la démocratie, la liberté, l'égalité, la fraternité, la solidarité (nationale ou internationale), le progrès social, l'intérêt général, le bien public… ?

Et pour moi qui pratique sans distinction, mais aussi "sans mesure" cette solidarité par fraternité, par humanisme n'est-elle pas, en définitive, à l'image de la médecine du en matière de maintenance-réparation de la main d'œuvre, une forme de complicité, sinon active, du moins passive du système qui fonde une telle société, c'est-à-dire de l'ordre en place ? N'est-elle pas même trahison de mes valeurs humanistes, de mon engagement anarchiste puisque, d'une certaine manière, je me fais collaborateur de l'ordre en maintenant-réparant, à la mesure de mes moyens, les "dégâts collatéraux", tant "ordinaires" (le courant du quotidien) qu'exceptionnels (celui des "croisades" militaires par exemple) de cet ordre ?

Mais puis-je pour autant laisser mourir de faim, de froid, de maladie…, de pauvreté quelque individu que ce soit, victime de l'ordre en place alors même que, "théoriquement", il appartient à la société humaine dans son ensemble – et donc aussi, dans ses formes institutionnelles – de préserver sa cohésion, sa cohérence, son équilibre… et, pour ce faire, de "s'occuper" des individus qui la composent et, en particulier, des "plus faibles", des "plus fragiles", des "moins nantis"… ? puis-je, par mon boycott consumériste, priver d'emploi même un enfant dont le revenu contribue, non sans mal,  à la survie de tout un groupe d'individus ?

Pour reprendre un vieil adage chinois, à celui-celle qui a faim ne vaut-il pas mieux apprendre à pêcher, donner les moyens de pêcher plutôt que de lui donner un poisson chaque jour ? Mais comment l'individu isolé que je suis peut-il apprendre à pêcher à tant de gens quand ce n'est pas seulement de l'art de pêcher dont ils sont privés mais, tout simplement, du… droit de pêcher ?

Pourquoi en arriver à avoir non "mauvaise conscience" puisque je me sais non responsable de cette société dans laquelle je ne me reconnais pas, mais mal à mon humanisme ? à en souffrir de cœur comme de raison ?

Quel "impact" peut avoir ma révolte individuelle contre l'ordre en place et mon appel (utopique ?) à une société enfin véritablement humaine ? Sans doute absolument aucun. Mais, au regard de l'absolu zéro de l'efficacité de ma révolte puis-je pour autant renoncer à me révolter quand ma révolte, en somme, n'est jamais que le "visage contrarié" de mon humanisme parce qu'il est une atteinte insupportable, inadmissible à ma liberté, laquelle ne peut être sans la liberté des autres, de TOU(TE)S les autres ?

En cette période où certain-e-s nanti(e)s vont faire bombance en oubliant encore plus les démuni-e-s, plongé(e)s dans une obscurité inversement proportionnelle à l'éclat des lumières de la fête des premier-e-s , je me demande s'il ne serait pas d'une actualité criante que tou-te-s les révolté-e-s individuel-le-s de la terre mette à l'ordre du jour une autre question, celle d'une société enfin humaine, une société de liberté, d'égalité et de fraternité pour tou-te-s les humains. Une société qui serait… l'anarchie !

 


 

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