Réflexions personnelles
sur l'écriture
Par écriture, on désigne :
·
d'une part, a représentation de la parole et de la pensée par
des signes et, par extension, à la fois le système de signes utilisés à
cette et le type de caractères adopté dans un système d'écriture (langue écrite)
: écriture égyptienne, grecque, arabe, chinoise, latine, gothique…
·
d'autre part, du point de vue de la forme (signifiant), la manière
personnelle dont on trace les caractères en écrivant et, par extension,
l'ensemble des caractères ainsi tracés ainsi que,
du point de vue du fond (signifié), la manière d'écrire, de réaliser
l'acte décrire : le style.
L'écriture en tant que système de représentation d'un idiome obéit à des règles
tant de forme (signes) que de fond (grammaire, orthographe…) ; elle est alors
langue écrite conventionnellement admise et/ou légalement imposée. Ainsi, l'écriture
de la langue française relève d'une contrainte légale, puisqu'elle est la
représentation scripturale de la langue officielle de la république française
qui définit ainsi le cadre dans lequel diverses conventions, celles de
l'Académie française, de l'Académie des Sciences, du Journal officiel… mais
aussi des professions ou métiers,
des milieux – argots, langue de
bois… -… permettent des différenciations, des adaptations, des précisions…
mais aussi des rébellions, des ésotérismes,
des symbolismes… qui sont comme des ramifications d'un même tronc.
Mon propos n'est pas de traiter la première acception du terme écriture mais
la seconde sous l'angle de son rapport à la liberté.
Dans toute langue écrite, même un apprentissage aussi rigoureux de l'acte d'écrire
que l'est celui du traçage répétitif de bâtons et autres signes stylisés,
pour ne pas dire modélisés n'empêche
pas le fait qu'il y a autant d'écritures que d'individus. En effet, la
configuration anatomique de la main, voire même du corps, la manière d'appréhender,
de tenir et de se servir de l'outil d'écriture – plume, bâton, stylo,
crayon… -, le support de l'écriture – papier, tronc d'arbre, sable… -, le
contexte affectif, intellectuel, physiologique… de l'acte d'écrire, son
contexte environnemental… déterminent tout à la fois des manières particulières
d'écrire et donc des écritures particulières,
c'est-à-dire… personnelles de telle sorte que, malgré les variations
contextuelles et occasionnelles, l'écriture d'un individu présente une identité
constante qui la distingue de celles des autres.
Ce niveau est celui de la forme. Il pose déjà le problème de la liberté d'écrire
dans sa dimension la plus basique,
celui de la matérialité. En effet, pouvoir écrire, même d'une écriture…
illisible, suppose que l'on puisse accéder à l'apprentissage de l'écriture
– en tant qu'acte mécanique - , ce qui
est loin d'être évident puisqu'un nombre considérable d'individus sont privés
de cette capacité, faute de pouvoir apprendre et, dans une moindre mesure, de
disposer de l'outillage nécessaire.
En outre, cette liberté objective d'écrire
est souvent contrariée, pour ne pas
dire interdite puisqu'elle se heurte souvent à une véritable oppression : il
en est ainsi, par exemple, du gaucher spontané qui se voit contraint d'écrire
de la main droite mais aussi de l'individu qui, tout simplement, se voit
interdire d'écriture ou contraint d'user d'une écriture qui n'est pas le système
de représentation de l'idiome qu'il parle (ou veut parler).
Ce premier rapport de l'écriture à la liberté est sans aucun doute
fondamental puisque, en la matière, toute absence de liberté emporte
l'impossibilité d'écrire et donc de s'exprimer par l'écrit. Toutefois, ma préoccupation
porte sur un autre niveau de liberté : celui de la liberté non de tracer mais
d'écrire, non de représenter, de figurer, de transcrire… mais de s'exprimer
par l'écriture, de réaliser l'acte d'écrire, de donner corps à une pensée,
non d'imiter, de (re)copier, de singer… mais de créer, d'inventer, de
personnaliser.
De ce point de vue, si, à l'image, par exemple, de la peinture, de la
sculpture, de la musique… il existe des écoles,
des règles, des usages établis, des modes…, le style est – ou doit être
– affaire de personne et donc de personnalité au sens d'individualité,
sachant que, par nature comme par choix philosophique – celui de l'humanisme -,
l'individualité est la caractéristique de
l'unicité d'un être humain et, en même temps, la condition absolue de
l'humanité de cet individu, lequel ne peut être humain que dans et par une
liberté absolue pleinement assumée. En effet, si, pour les Anciens et, en particulier, les Classiques,
le style était l'aspect de l'expression d'un écrivain dû à la mise en œuvre
de moyens d'expression dont le choix résultait des conditions du sujet et du
genre, pour les Modernes, le choix
tant des signes que de leur agencement résulte de la réaction personnelle de
l'auteur(e) en situation. Dans le premier cas, le style était la (non)conformité
d'une écriture à une norme dominante,
dans le second il est un art de s'exprimer spontanément (librement) par
écrit. De question et objet de forme, le style est devenu problématique
(questionnement) et sujet de fond.
L'écriture est donc libre dés lors qu'elle est la libre expression d'un
individu libre.
Ainsi, une écriture est philosophique, anarchiste, maçonnique, scientifique,
littéraire, poétique… à raison de son objet dés lors qu'elle consiste à
écrire sur/de la philosophie, l'anarchisme, le maçonnisme, la (ou les)
science(s),
la littérature, la poésie… et non parce qu'elle est le fait d'une personne
exerçant le métier de philosophe,
d'anarchiste, de maçon, de scientifique, de poète… ou habilitée (mais pas
qui ?) à écrire sur un tel objet ou ayant reçu licence à cette fin par une
quelconque autorité, c'est à dire par un pouvoir.
Ainsi, une écriture qui se soumet à une norme, un modèle… est l'expression
de la soumission de celui-celle qui écrit à une autorité – un pouvoir –
et qui, ainsi, renonce à son
individualité, sa personnalité et donc à sa liberté et à son… humanité.
Elle n'est pas l'expression d'une pensée libre mais le reflet d'une aliénation.
Elle n'est pas le signe de la réflexion d'un être mais du reflet d'un paraître.
Ainsi, une écriture qui se coule dans le moule d'une normalité,
parce qu'elle n'est plus la signification
d'un signifié mais seulement une calligraphie,
devient… in-signifiante et in-sensée en ce qu'elle n'est pas l'expression du
sens d'une pensée libre.
Une telle écriture, quand bien même elle serait d'une lisibilité parfaite, ne
parle pas, ne dit rien : elle est, au plus, le tintement des clochettes du
bonnet de fou dont se revêt le-la courtisan(e) – servitude volontaire - ou du
grelot du collier du mouton – servitude imposée -.
Ainsi, l'écriture réprimée, muselée, interdite parce que non-conforme
devient révolte, voire rébellion de l'individu libre et affirme avec force
l'originalité – l'unicité – de son style même si, pour ce faire, elle
doit souvent prendre le maquis, entrer dans la clandestinité et prendre le
masque d'autres signes – musique, dessins, symboles… -. L'écriture n'est
jamais autant tonitruante que lorsqu'elle est condamnée au silence puisque, même
absente de la communication officielle (ou tolérée), elle devient cri,
gueulante, grondement, rugissement… et que les mots se font armes contre la
tyrannie.
En dehors de la liberté point d'écriture parce que… point d'humain, point
d'humanité. Un individu n'est humain que s'il est libre, sans dieu, ni maître,
et, sans cesse, (re)conquiert sa liberté. Il n'y a d'écriture que libre. Les
moutons n'écrivent pas : ils bêlent !
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