Réflexions (im)pertinentes sur le suicide

 

Le suicide est la seule preuve de la liberté de l'homme.

Stig Dagerman

Le serpent

 

Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie.

Albert Camus

Le mythe de Sisyphe

 

Le seul vrai problème philosophique ce n'est pas le suicide, c'est de savoir pourquoi on ne peut pas se suicider.

Louis Gauthier

Extrait de Les grands légumes célestes vous parlent

 

Le suicide est le dernier acte par lequel un homme puisse montrer qu'il a dominé sa vie.

Henry de Montherlant

 

Le suicide, c'est l'ultime expression de la liberté. De savoir que l'on peut choisir sa mort, ça aide à vivre.

Guy Bedos

En attendant la bombe

 

Le suicide ! Mais c'est la force de ceux qui n'en ont plus, c'est l'espoir de ceux qui ne croient plus, c'est le sublime courage des vaincus.

Guy de Maupassant

L'endormeuse

 

Nul n'a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l'enfer.

Antonin Artaud

Van Gogh ou le suicidé de la société

 

Le suicide est le doute allant chercher le vrai.

Xavier Forneret

 

La résignation est un suicide quotidien.

Honoré de Balzac

Illusions perdues

 

Se suicider, c'est essayer de mourir de son vivant.

Philippe Geluck

Extrait de la bande dessinée Entrechats

 

La vie n'allait pas assez vite en moi, je l'accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve. [...] Un revolver, c'est solide, c'est en acier. C'est un objet. Se heurter enfin à l'objet.

Pierre Drieu La Rochelle

Le Feu follet

 

Selon le Petit Robert :

 

suicide [sPisid] n. m. • 1734; du lat. sui « de soi » et -cide, d'apr. homicide  

 Le fait de se tuer, de se donner la mort. 

1 Action de causer volontairement sa propre mort (ou de le tenter), pour échapper à une situation psychologique intolérable, lorsque cet acte, dans l'esprit de la personne qui le commet, doit entraîner à coup sûr la mort.  autolyse. Suicide rituel (ex. hara-kiri). Suicide collectif. Projet, tentative de suicide. Pousser qqn au suicide. Fam. Candidat au suicide : personne qui tente de se suicider. 

 Mort par suicide. Meurtre maquillé en suicide.  

2 Par ext. Le fait de risquer sa vie sans nécessité. Rouler si vite sur une telle route, c'est un suicide !; fam. c'est du suicide.  

3 (1790) Fig. Action de se détruire, de se nuire. "Hitler a voulu le suicide général, la destruction matérielle et politique de la nation allemande" (Camus).  

4 En appos. Qui comporte des risques mortels. Opération, raid, mission suicide. Des missions suicide. — Avion-suicide, dont le pilote est sacrifié.   kamikaze.

 

Selon le Littré :

 

SUICIDE (su-i-si-d'), s. m.

1° Action de celui qui se tue lui-même. L'abbé de Saint-Cyran, le patriarche des jansénistes, autrefois homme célèbre pour un peu de temps, écrivait, en 1608, un livre en faveur du suicide, VOLT. Pol. et lég. Prix just. et humanité, 5. On se donne beaucoup, dans ce pays-là [Genève], le passe-temps de se tuer ; voilà quatre suicides en six semaines, ID. Lett Damilaville, 9 avr. 1767. Je crois, proportion gardée, qu'il y a plus de suicides à Genève qu'à Londres, ID. Lett. Mariott, 26 fév. 1767. Le désordre des finances et le changement de la constitution de l'État répandirent une consternation générale ; un grand nombre de suicides dans ce royaume, un plus grand nombre dans la capitale sont de tristes preuves de cette consternation, HELVÉTIUS, Oeuvr. complètes, Londres 1781, p. 105. Il a exposé la doctrine des stoïciens, dont le suicide était un des points fondamentaux, DIDER. Claude et Nér. II, 109. Le suicide enfin, raisonnant ses fureurs, Atteste par le sang le désordre des moeurs, GILBERT, Mon apol. Une variété de mélancolie caractérisée par un penchant violent au suicide, sans aucune cause connue, PINEL, Instit. Mém. scienc. 1807, 1re sem. p. 190. Mais lorsque, grandissant sous le ciel attristé, L'aveugle suicide étend son aile sombre, V. HUGO, Crépusc. 13.

    Fig Espèce de spleen littéraire [les Nuits d'Young], qui pourrait finir par le suicide du talent, VILLEM. Litt. française, XVIIIe siècle, 2e part. 2e leç.

    Fig. C'est un suicide, se dit d'une action, d'une démarche qui ruine les affaires de celui-là même qui la fait.

    

2° Celui qui se tue lui-même. Les suicides, qui ont dédaigné la noble nature de l'homme, ont rétrogradé vers la plante, ils sont transformés [dans l'Enfer de Dante] en arbres rachitiques qui croissent dans un sable brûlant, CHATEAUBR. Génie, II, 4, 14.

REMARQUE :

    Ce mot est pour la première fois dans l'édition de l'Académie de 1762 et dans Richelet de 1759 ; auparavant on disait homicide de soi-même. On dit que ce mot a été employé pour la première fois par Desfontaines au XVIIIe siècle. On dit aussi qu'il vient des Anglais ; mais cela n'est pas probable, car la forme en est française et non pas anglaise.

ÉTYMOLOGIE :

    Lat. sui, de soi-même, et le radical cidium, meurtre, qui se trouve dans homi-cidium de caedere, tuer.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE :

    SUICIDE. Ajoutez :

3° Adj. Qui a rapport au suicide. Il est inutile de rappeler ici les vieilles histoires bien connues de l'épidémie suicide des filles de Milet..., BOUCHUT, Journ. offic. 12 avril 1874, p. 2697, 3e col. Ce qu'on sait des épidémies convulsives, choréiques, suicides et homicides, atteste que..., ID. ib. p. 2698, 2e col.

 

Selon l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert :

      SUICIDE, s. m. (Morale) le suicide est une action par laquelle un homme est lui-même la cause de sa mort. Comme cela peut arriver de deux manieres, l'une directe & l'autre indirecte ; on distingue aussi dans la morale le suicide direct, d'avec le suicide indirect.

Ordinairement on entend par suicide, l'action d'un homme, qui de propos délibéré se prive de la vie d'une maniere violente. Pour ce qui regarde la moralité de cette action, il faut dire qu'elle est absolument contre la loi de la nature. On prouve cela de différentes façons. Nous ne rapporterons ici que les raisons principales.

1°. Il est sûr que l'instinct que nous sentons pour notre conservation, & qui est naturel à tous les hommes, & même à toutes les créatures, vient du créateur. On peut donc la regarder comme une loi naturelle gravée dans le coeur de l'homme par le créateur. Il renferme ses ordres par rapport à notre existence. Ainsi tous ceux qui agissent contre cet instinct qui leur est si naturel, agissent contre la volonté de leur créateur.

2°. L'homme n'est point le maître de sa vie. Comme il ne se l'est point donnée, il ne peut pas la regarder comme un bien dont il peut disposer comme il lui plaît. Il tient la vie de son créateur ; c'est un espece de dépôt qu'il lui a confié. Il n'appartient qu'à lui de retirer son dépôt quand il le trouvera à propos. Ainsi l'homme n'est point en droit d'en faire ce qu'il veut, & encore moins de le détruire entierement.

3°. Le but que le créateur a en créant un homme, est sûrement qu'il continue à exister & à vivre aussi long-tems qu'il plaira à Dieu : & comme cette fin seule n'est pas digne d'un Dieu si parfait, il faut ajouter qu'il veut que l'homme vive pour la gloire du créateur, & pour manifester ses perfections. Or ce but est frustré par le suicide. L'homme en se détruisant, enleve du monde un ouvrage qui étoit destiné à la manifestation des perfections divines.

4°. Nous ne sommes pas au monde uniquement pour nous-mêmes. Nous sommes dans une liaison étroite avec les autres hommes, avec notre patrie, avec nos proches, avec notre famille. Chacun exige de nous certains devoirs auxquels nous ne pouvons pas nous soustraire nous-mêmes. C'est donc violer les devoirs de la société que de la quitter avant le tems, & dans le moment où nous pourrions lui rendre les services que nous lui devons. On ne peut pas dire qu'un homme se puisse trouver dans un cas où il soit assuré qu'il n'est d'aucune utilité pour la société. Ce cas n'est point du tout possible. Dans la maladie la plus désespérée, un homme peut toujours être utile aux autres, ne fût-ce que par l'exemple de fermeté, de patience, &c. qu'il leur donne.

Enfin la premiere obligation où l'homme se trouve par rapport à soi-même, c'est de se conserver dans un état de félicité, & de se perfectionner de plus en plus. Ce devoir est conforme à l'envie que chacun a de se rendre heureux. En se privant de la vie on néglige donc ce qu'on se doit à soi-même ; on interrompt le cours de son bonheur, on se prive des moyens de se perfectionner davantage dans ce monde. Il est vrai que ceux qui se tuent eux-mêmes regardent la mort comme un état plus heureux que la vie ; mais c'est en quoi ils raisonnent mal ; ils ne peuvent jamais avoir une entiere certitude ; jamais ils ne pourront démontrer que leur vie est un plus grand malheur que la mort. Et c'est ici la clé pour répondre à diverses questions qu'on forme suivant les différens cas où un homme peut se trouver.

On demande 1°. si un soldat peut se tuer pour ne pas tomber entre les mains des ennemis, comme cela est souvent arrivé dans les siecles passés. A cette question on en peut joindre une autre qui revient au même, & à laquelle on doit faire la même réponse, savoir si un capitaine de vaisseau peut mettre le feu à son navire pour le faire sauter en l'air afin que l'ennemi ne s'en rende pas maître. Quelques-uns d'entre les moralistes croyent que le suicide est permis dans ces deux cas, parce que l'amour de la patrie est le principe de ces actions. C'est une façon de nuire à l'ennemi pour laquelle on doit supposer le consentement du souverain qui veut faire tort à son ennemi de quelque façon que ce soit. Ces raisons, quoique spécieuses, ne sont cependant pas sans exception. D'abord il est sûr que dans un cas de cette importance il ne suffit pas de supposer le consentement du souverain. Pendant que le souverain n'a pas déclaré sa volonté expressément, il faut regarder le cas comme douteux : or dans un cas douteux, on ne doit point prendre le parti le plus violent, & qui choque tant d'autres devoirs qui sont clairs & sans contestation.

Cette question a donné occasion à une seconde, savoir s'il faut obéir à un prince qui vous ordonne de vous tuer. Voici ce qu'on répond ordinairement. Si l'homme qui reçoit cet ordre est un criminel qui mérite la mort, il doit obéir sans craindre de commettre un suicide punissable, parce qu'il ne fait en cela que ce que le bourreau devroit faire. La sentence de mort étant prononcée, ce n'est pas lui qui s'ôte la vie, c'est le juge auquel il obéit comme un instrument qui la lui ôte. Mais si cet homme est un innocent, il vaut mieux qu'il refuse d'exécuter cet ordre, parce qu'aucun souverain n'a droit sur la vie d'un innocent. On propose encore cette troisieme question, savoir si un malheureux condamné à une mort ignominieuse & douloureuse, peut s'y soustraire en se tuant lui-même. Tous les moralistes sont ici pour la négative. Un tel homme enfreint le droit que le magistrat a sur lui pour le punir, il frustre en même tems le but qu'on a d'inspirer par le châtiment de l'horreur pour des crimes semblables au sien.

Disons un mot du suicide indirect. On entend parlà toute action qui occasionne une mort prématurée, sans qu'on ait eu précisément l'intention de se la procurer. Cela se fait ou en se livrant aux emportemens des passions violentes, ou en menant une vie déreglée, ou en se retranchant le nécessaire par une avarice honteuse, ou en s'exposant imprudemment à un danger évident. Les mêmes raisons qui défendent d'attenter à sa vie directement condamnent aussi le suicide indirect, comme il est aisé de le voir.

Pour ce qui regarde l'imputation du suicide, il faut remarquer qu'elle dépend de la situation d'esprit où un homme se trouve avant & au moment qu'il se tue ; si un homme qui a le cerveau dérangé, ou qui est tombé dans une noire mélancolie, ou qui est en phrénésie, si un tel homme se tue, on ne peut pas regarder son action comme un crime, parce que dans un tel état on ne sait pas ce qu'on fait ; mais s'il le fait de propos délibéré, l'action lui est imputée dans son entier. Car quoiqu'on objecte qu'aucun homme jouissant de la raison ne peut se tuer, & qu'effectivement tous les meurtriers d'eux-mêmes puissent être regardés comme des fous dans le moment qu'ils s'ôtent la vie, il faut cependant prendre garde à leur vie précédente. C'est-là où se trouve ordinairement l'origine de leur désespoir. Peut-être qu'ils ne savent pas ce qu'ils font dans le moment qu'ils se tuent, tant leur esprit est troublé par leurs passions ; mais c'est leur faute. S'ils avoient tâché de dompter leurs passions dès le commencement, ils auroient sûrement prévenu les malheurs de leur état présent, ainsi la derniere action étant une suite des actions précédentes, elle leur est imputée avec les autres.

Le suicide a toujours été un sujet de contestation parmi les anciens philosophes : les Stoïciens le permettoient à leur sage. Les Platoniciens soutenoient que la vie est une station dans laquelle Dieu a placé l'homme, que par conséquent il ne lui est point permis de l'abandonner suivant sa fantaisie. Parmi les modernes, l'abbé de S. Cyran a soutenu qu'il y a quelques cas où on peut se tuer. Voici le titre de son livre. Question royale où est montré en quelle extrêmité, principalement en tems de paix, le sujet pourroit être obligé de conserver la vie du prince aux dépens de la sienne.

Quoiqu'il ne soit point douteux que l'Eglise chrétienne ne condamne le suicide, il s'est trouvé des chrétiens qui ont voulu le justifier. De ce nombre est le docteur Donne, savant théologien anglois, qui, sans-doute, pour consoler ses compatriotes, que la mélancolie détermine assez souvent à se donner la mort, entreprit de prouver que le suicide n'est point défendu dans l'Ecriture-Sainte, & ne fut point regardé comme un crime dans les premiers siecles de l'Eglise.

Son ouvrage écrit en anglois, a pour titre : a déclaration of that paradoxe or thesis that self-homicide is not so naturally sin & that it mai never be otherwise, &c. London 1700. ce qui signifie exposition d'un paradoxe ou systême qui prouve que le suicide n'est pas toujours un péché naturel, Londres 1700. Ce docteur Donne mourut doyen de S. Paul, dignité à laquelle il parvint après la publication de son ouvrage.

Il prétend prouver dans son livre, que le suicide n'est opposé, ni à la loi de la nature, ni à la raison, ni à la loi de Dieu révélée. Il montre que dans l'ancien Testament, des hommes agréables à Dieu se sont donné la mort à eux-mêmes ; ce qu'il prouve par l'exemple de Samson, qui mourut écrasé sous les ruines d'un temple, qu'il fit tomber sur les Philistins & sur lui-même. Il s'appuie encore de l'exemple d'Eleazar, qui se fit écraser sous un éléphant en combattant pour sa patrie ; action qui est louée par S. Ambroise. Tout le monde connoît chez les payens, les exemples de Codrus, Curtius, Decius, Lucrèce, Caton, &c.

Dans le nouveau Testament, il veut fortifier son systême par l'exemple de Jesus-Christ, dont la mort fut volontaire. Il regarde un grand nombre de martyrs comme de vrais suicides, ainsi qu'une foule de solitaires & de pénitens qui se sont fait mourir peu-à-peu. S. Clément exhorte les premiers chrétiens au martyre, en leur citant l'exemple des payens qui se dévouoient pour leur patrie. Stromat. lib. IV. Tertullien condamnoit ceux qui fuyoient la persécution, Voyez Tertullian. de fugâ, propos. II. Du tems des persécutions, chaque chrétien pour arriver au ciel affrontoit généreusement la mort, & lorsqu'on supplicioit un martyr, les assistans s'écrioient, je suis aussi chrétien. Eusebe rapporte, qu'un martyr nommé Germanus, irritoit les bêtes pour sortir plus promtement de la vie. S. Ignace, évêque d'Antioche, dans sa lettre aux fideles de Rome, les prie de ne point solliciter sa grace, voluntarius morior quia mihi utile est mori.

Bodin rapporte d'après Tertullien, que dans une persécution qui s'éleva contre les chrétiens d'Afrique, l'ardeur pour le martyre fut si grande, que le proconsul lassé lui-même de supplices, fit demander par le crieur public, s'il y avoit encore des Chrétiens qui demandassent à mourir. Et comme on entendit une voix générale qui répondoit qu'oui, le proconsul leur dit de s'aller pendre & noyer eux-mêmes pour en épargner la peine aux juges. Voyez Bodin, Demonst. lib. IV. cap. iij. ce qui prouve que dans l'Eglise primitive les chrétiens étoient affamés du martyre, & se présentoient volontairement à la mort. Ce zele fut arrêté par la suite au concile de Laodicée, canon 33. & au premier de Carthage, Canon 2. dans lesquels l'Eglise distingua les vrais martyrs des faux ; & il fut défendu de s'exposer volontairement à la mort ; cependant l'histoire ecclésiastique nous fournit des exemples de saints & de saintes, honorés par l'Eglise, qui se sont exposé à une mort indubitable ; c'est ainsi que sainte Pélagie & sa mere se précipiterent par une fenêtre & se noyerent. Voyez S. Augustin, de civit. Dei, lib. I. cap. xxvj. sainte Apollonie courut se jetter dans le feu. Baroniu dit sur la premiere, qu'il ne sait que dire de cette action, quid ad haec dicamus non habemus. S. Ambroise dit aussi à son sujet, que Dieu ne peut s'offenser de notre mort, lorsque nous la prenons comme un remede. Voyez Ambros. de virginitate, lib. III.

Le théologien anglois confirme encore son systême par l'exemple de nos missionnaires, qui de plein gré s'exposent à une mort assurée, en allant prêcher l'Evangile à des nations qu'ils savent peu disposés à le recevoir ; ce qui n'empêche point l'Eglise de les placer au rang des saints, & de les proposer comme des objets dignes de la vénération des fideles ; tels sont S. François de Xavier & beaucoup d'autres que l'Eglise a canonisés.

Le docteur Donne confirme encore sa thése par une constitution apostolique, rapportée au lib. IV. cap. vij. & cap. ix. qui dit formellement qu'un homme doit plutôt consentir à mourir de faim, que de recevoir de la nourriture de la main d'un excommunié. Athenagoras dit que plusieurs chrétiens de son tems se mutiloient & se faisoient eunuques. S. Jerôme nous apprend, que S. Marc l'évangeliste se coupa le pouce pour n'être point fait prêtre. Voyez Prolegomena in Marcum.

Enfin, le même auteur met au nombre des suicides les pénitens, qui à force d'austérités, de macérations & de tourmens volontaires, nuisent à leur santé & accélerent leur mort ; il prétend que l'on ne peut faire le procès aux suicides, sans le faire aux religieux & aux religieuses, qui se soumettent volontairement à une regle assez austere pour abréger leurs jours. Il rapporte la regle des Chartreux, qui leur défend de manger de la viande, quand même cela pourroit leur sauver la vie ; c'est ainsi que M. Donne établit son systême, qui ne sera certainement point approuvé par les théologiens orthodoxes.

En 1732, Londres vit un exemple d'un suicide mémorable, rapporté par M. Smollet dans son histoire d'Angleterre. Le nommé Richard Smith & sa femme, mis en prison pour dettes, se pendirent l'un & l'autre après avoir tué leur enfant ; on trouva dans leur chambre deux lettres adressées à un ami, pour lui recommander de prendre soin de leur chien & de leur chat ; ils eurent l'attention de laisser de quoi payer le porteur de ces billets, dans lesquels ils expliquoient les motifs de leur conduite ; ajoutant qu'ils ne croyoient pas que Dieu pût trouver du plaisir à voir ses créatures malheureuses & sans ressources ; qu'au reste, ils se résignoient à ce qu'il lui plairoit ordonner d'eux dans l'autre vie, se confiant entierement dans sa bonté. Alliage bien étrange de religion & de crime !

      SUICIDE, (Jurisprud.) chez les Romains, l'action de ceux qui s'ôtoient la vie par simple dégoût, à la suite de quelque perte ou autre événement fâcheux, étoit regardée comme un trait de philosophie & d'héroïsme ; ils n'étoient sujets à aucune peine, & leurs héritiers leur succédoient.

Ceux qui se défaisoient ou qui avoient tenté de le faire par l'effet de quelque aliénation d'esprit, n'étoient point réputés coupables, ce qui a été adopté par le droit canon & aussi dans nos moeurs.

Si le suicide étoit commis à la suite d'un autre crime, soit par l'effet du remord, soit par la crainte des peines, & que le crime fût capital & de nature à mériter le dernier supplice ou la déportation, les biens du suicide étoient confisqués, ce qui n'avoit lieu néanmoins qu'en cas que le criminel eût été poursuivi en jugement ou qu'il eût été surpris en flagrant délit.

Lorsque le suicide n'avoit point été consommé, parce qu'on l'avoit empêché, celui qui l'avoit tenté étoit puni du dernier supplice, comme s'étant jugé lui-même, & aussi parce que l'on craignoit qu'il n'épargnât pas les autres ; ces criminels étoient réputés infâmes pendant leur vie, & privés de la sépulture après leur mort.

Parmi nous, tous suicides, excepté ceux qui sont commis par l'effet d'une aliénation d'esprit bien caractérisée, sont punis rigoureusement.

Le coupable est privé de la sépulture on en ordonne même l'exhumation au cas qu'il eût été inhumé ; la justice ordonne que le cadavre sera traîné sur une claie, pendu par les piés, & ensuite conduit à la voirie.

Lorsque le cadavre ne se trouve point, on condamne la mémoire du défunt.

Enfin, l'on prononçoit autrefois la confiscation de biens ; mais Mornac & l'annotateur de Loysel remarquent, que suivant la nouvelle jurisprudence, cette peine n'a plus lieu. Voyez au digest. le tit. de his qui sibi mortem consciverunt ; le trait. des crimes, de M. de Vouglans, tit. IV. ch. vij. & le mot HOMICIDE. (A)

 

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Le suicide est donc l'acte par lequel une personne se… donne volontairement, délibérément la mort, met fin à sa vie[1]. Il n'y a donc suicide que pour autant que la mort est l'intention de l'acte et non la cause : mourir en jouant et perdant (ou gagnant ?) à la roulette russe, n'est pas un suicide mais un… accident ; un attentat-suicide n'est pas, au sens strict, un suicide mais un acte terroriste (que d'aucuns peuvent considérer comme un acte de foi, de martyrologie) car l'intention première n'est pas de se tuer soi-même mais de tuer d'autres personnes, de détruire une cible matérielle au prix de sa vie.

 

Dans de nombreux pays, le suicide est encore interdit par la Loi[2] mais, en général, ce qui est interdit, c'est l'euthanasie[i] et/ou l'aide (active) au suicide[3]., sachant que, de plus en plus, un distinguo s'opère : le terme d'euthanasie étant réservé à l'acte médical consistant à mettre un terme à une maintenance "artificielle" en vie (acharnement thérapeutique) ou à "donner la mort" sous le couvert de soins palliatifs[4] tandis et celui d'aide au suicide signifiant la participation active d'un tiers (membre du corps médical ou pas) au suicide d'une personne.

 

En France, c'est particulièrement l'aide au suicide qui tombe sous le coup de la Loi en étant assimilée, au pire, à un homicide et, au mieux, à l'"abstention volontaire de porter assistance à personne en péril[5]"

 

Si, dans beaucoup de pays, la France notamment (depuis 1810), le suicide est considéré comme une… liberté, il n'est pas pour autant reconnu comme un… droit[6], et, en particulier, un droit constitutif de l'un des Droits de l'Homme[7]. Au mieux, il fait l'objet d'une… tolérance car, en fait, il continue de faire l'objet d'une réprobation[8], d'une condamnation d'ordre moral en raison de la prégnance persistance des "valeurs" religieuses ou, plus précisément, du lobbying toujours actif des diverses sectes établies. Toutefois, cette tolérance tend, dans certains pays, à devenir un droit qui légitime, dans un cadre légal très précis et très limité, l'aide au suicide : Pays-Bas, Belgique, Suisse, Oregon…

 

Lorsque le suicide ne ressortit pas un droit, ce n'est pas seulement l'aide au suicide qui tombe sous le coup de la Loi mais aussi la simple "provocation", réelle ou parfaitement supposée[9].

 

Dans l'Antiquité, le suicide était parfaitement admis[10]. Il survenait pour échapper à la déchéance de l'asservissement (mise en esclavage), à l'emprisonnement, au rapt, à la torture, au déshonneur d'une défaite militaire, à une condamnation, judiciaire (civile ou pénale) ou "politique"[11], à une "indignité" quelconque[12]… mais, et c'est là une constante de toutes les cultures, il pouvait faire suite à un deuil, une "peine de cœur", un "revers de la fortune"… Il pouvait aussi être une forme ultime de révolte, de refus de soumission pour mourir libre plutôt que de (sur)vivre soumis, privé de sa liberté, ou bien (et cela est encore vrai de nos jours) un acte de protestation publique contre un État, une quelconque forme d'autorité (politique, professionnelle, familiale, religieuse…), la répression, une intervention militaire étrangère…. Souvent, et c'est encore vrai dans certains pays, comme le Japon avec la survivance du seppuku et du code Bushido, il était codifié et ritualisé.

 

Si les religions premières, antiques, païennes, polythéistes… n'ont jamais interdit le suicide[13], en revanche, toutes les religions monothéistes (et leurs avatars divers et a-variés) l'ont condamné et le condamnent encore au motif qu'il est une rupture de la relation de dépendance, de soumission de l'Homme à dieu : aussi, l'homme, en tant qu'individu ne peut être maître de sa vie et, a fortiori, de sa mort puisque sa vie appartient à dieu. Fortes de leur puissance temporelle directe ou de la pression qu'elles pouvaient-peuvent exercer sur l'opinion publique et les gouvernements, via la morale dominante, les chiens de garde de l'Ordre établi (médias, École…), et la bigoterie des notables, elles ont même fait en sorte que le suicide soit considéré comme un… crime (d'où sa condamnation par le Code pénal, l'exclusion des cimetières des dépouilles des suicidé-e-s…).

 

Dans les sociétés modernes soumises à l'influence d'une religion, que celle-ci soit religieuse ou politique, lorsqu'il n'y a pas d'interdiction explicite, notamment au niveau de la Loi, du suicide, celui-ci est généralement psychiatrisé pour être assimilé à une maladie (mentale), une "perversion" qu'il faut prévenir chez les personnes "suicidaires" ou dont il faut guérir els personnes qui ont raté leur suicide. Ce n'est alors pas le bâton du flic ou du gendarme, les barreaux de la prison qui sont appelés à la rescousse mais la camisole chimique.

 

Pourtant, si l'on regarde de près les choses, on constate que, à l'aune du dollar, de l'euro… et, plus généralement, du dieu-argent, de la religion de la consommation, du culte du profit…, n'importe qui peut bouffer[14], boire, conduire, commettre quelque activité (non nécessairement excessive) que ce soit, "tenter le diable"…. à… en mourir in fine, sans pour autant risquer un mauvais coup de la flicaille, que celle-ci soit vêtue de bleu, de noir, de vert de gris, de kaki… ou de… blanc, dès lors que la mort n'est pas le but recherché, dès lors que la mort "obtenue" (même si c'est pure hypocrisie) n'est pas qualifiable et, en tous les cas, qualifiée de suicide !

 

On peut noter par ailleurs que ces mêmes acharné(e)s du sauvetage de l'âme (ou, version "temporelle", de la vie) d'une personne qui, en toute liberté et sans nuire à qui que ce soit, veut se suicider, n'auront aucun scrupule, (leur) dieu étant avec eux, à aller, sous l'uniforme et/ou le goupillon, massacrer des centaines de milliers de personnes pour le sauvetage de leur Ordre !

 

Or, si l'on admet que l'être humain n'est humain qu'à raison de sa liberté essencielle, force est d'admettre qu'il a la pleine et entière liberté de mettre un terme à sa vie et que si l'un des droits fondamentaux est celui de vivre, il en est un autre qui est de mourir lorsque l'on en fait le libre choix.

 

Refuser cette liberté, dénier ce droit c'est considérer que l'individu ne s'appartient pas mais qu'il appartient à un "maître", que celui-ci s'appelle suzerain, chef, gourou, pape, pasteur, dieu…

 

C'est pourquoi, aucune philosophie, aucune éthique se prévalant de l'humanisme, ne peuvent condamner et, a fortiori, interdire le suicide. L'être humain ne vit pas en raison de sa propre volonté mais de celle de ses géniteurs. Il ne naît pas humain mais naît à son humanité par le choix qu'il en fait. En accédant à cette liberté il "constitue" son humanité sur sa liberté d'être, laquelle est, ipso facto, celle de penser, de s'exprimer, de faire et ne peut être qu'absolue ou… ne pas être ; dès lors, devenu son propre "maître", il doit pouvoir pleinement jouir de la totale maîtrise de sa vie et donc de sa… mort.

 

Qui, même réduit à l'état ectoplasmique de croa-hi-han(te), trouverait normal de continuer à regarder un film, lire un livre, écouter une chanson… alors qu'il-elle n'en retire que déplaisir ? et, sauf à être masochiste[15], de maintenir sa main d'en une bassine d'huile bouillante, de garder une chaussure dans laquelle s'est glissé un caillou, de dormir sur un lit d'orties, de recevoir une volée de bois verts, d'être torturé(e)… ? de s'ennuyer à… en mourir ?... sans chercher à se soustraire à cette souffrance, cette douleur, ce mal-être, ce déplaisir… ? Personne, sauf un(e) masochiste, un(e) vrai(e) malade mental(e). Dès lors, pourquoi serait-il "anormal" et donc… interdit de vouloir mettre un terme à une vuie qui ne procure que douleur, souffrance, déplaisir, ennui… ?

 

En quoi le suicide d'un  individu qui ne met en cause aucune autre vie, qui ne cause pas le moindre dégât matériel pourrait être une atteinte insupportable à l'"ordre humain" ou même… cosmique, à la société, à l'"ordre naturel des choses"… ?

 

On considère comme normal d'assister et même de donner assistance à la survenance d'une vie humaine alors que l'individu en question –un simple… fœtus !- n'est pas véritablement d'essence humaine en ce qu'il n'a pas fait le choix de… vivre. Pourquoi est-il anormal – et, en fait… immoral ! – d'assister – au sens de partager – et même de donner assistance à la mort choisie, voulue par un individu ? Pourquoi celui-celle qui a fait le libre choix de mourir est-il-elle condamné(e) à le faire en catimini, en cachette, "toute honte bue" alors que cette ultime moment de vie pourrait être une "fête" partagée avec ceux-celles que l'individu en question aime ? Pourquoi la "grande bouffe", le dernier repas de "Mon oncle benjamin" n'ont droit de cité que sur l'écran quand chez els Anciens et les peuples premiers le-la "partant(e)" avait toute… liberté de "partir" au terme d'un ultime moment de convivialité partagée, c'est-à-dire de… fraternité ?

 

La dernière note d'une symphonie, le dernier mot d'un poème, d'un roman, la dernière tirade d'une pièce de théâtre, la dernière touche d'une toile, la dernière scène d'un film… ne sont pas la… "fin" de l'œuvre de l'artiste en question; Encore moins de la musique, de la poésie, de la littérature, de la peinture… Généralement, de telles "fins" sont saluées d'applaudissements,d e rires, de larmes…, de moments intenses de plaisir, de joie, de bonheur, d'"extase", de jouissance, de… "communion" : pourquoi ne pourrait-il pas en être même de la fin d'une vie et, plus particulièrement, d'une fin voulue, choisie,… "créée"… d'un suicide.

 

Ma naissance a sans aucun doute été une fête partagée. Partagée mais pas par moi en tant qu'individu conscient et libre, c'est-à-dire en tant qu'être humain. Pourquoi devrais-je être privé de la fête qui pourrait ponctuer, en toute fraternité, ma vie, c'est-à-dire une vie physique, physiologique, biologique, zoologique… dans laquelle un individu particulier et… unique, un… humain ne se retrouve plus et dont il ne retire plus le moindre plaisir ?

 

Je suis donc condamné à mourir dans la solitude, dans l'isolement et c'est cela, et cela seulement, qui, en ce qui me concerne (et je concède qu'il s'agit là d'un point de vue strictement personnel) me rend insupportable le suicide. Mais pas insupportable au point de le ne pas le commettre. Non, insupportable à le commettre avec tristesse, peine, chagrin… faute de pouvoir, en cet ultime moment, d'assumer cette autre dimension de l'essence humaine : le partage, partage qui n'est jamais aussi bien assumé que dans la… fête.

 


 

[1] En médecine, on utilise le terme d'autolyse (du grec "auto", soi-même, et "lyse", destruction).

[2] Dans certaines anciennes législations il était même passible de… la peine de mort ! En France, le suicide n'est plus interdit depuis le Code Napoléon de 1810 : il est donc devenu une liberté civile.

[3] Il ne s'agit en aucun cas d'euthanasie au sens large (mort d'un autre) mais du respect des dernières volontés d'un être humain (choix de sa fin de vie), que celui-ci soit malade ou pas. En France, euthanasie et aide au suicide

[4] Par exemple, en augmentant progressivement les doses de morphine, souvent, d'ailleurs, pour répondre à la demande du malade. On notera au passage que, dans l'opinion publique, il y a un amalgame, plus ou moins inconscient, entre "morphine" et "mort fine". 

[5] Ou, dans le langage courant : "non-assistance à personne en danger".

[6] Et c'est parce qu'il est un droit qu'il ne peut pas être exclu d'un contrat d'assurance vie après une période de carence (ou de… "stage") d'un an.

[7] La Cour européenne des Droits de l'Homme, dans son arrêt Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002, a déclaré à l'unanimité que le suicide n'entrait dans le champ d'aucun droit de l'homme, ni de l'article 2 de la Convention protégeant le droit à la vie : "En conséquence, la Cour estime qu’il n’est pas possible de déduire de l’article 2 de la Convention un droit à mourir, que ce soit de la main d’un tiers ou avec l’assistance d’une autorité publique".

[8] Cette réprobation peut "poursuivre" le suicidé au-delà de sa mort avec, par exemple, l'interdiction d'obsèques religieuses – quand il ne s'agit pas tout simplement de cimetière -, la mise au ban de sa famille…

[9] En France, la publication du livre "Suicide, mode d'emploi" de Claude Guillon et Yves le Bonniec, a suscité un tel tollé chez les bigot(e)s, que l'Assemblée nationale s'est empressée de rajouter au code pénal un délit de "provocation au suicide" (article 223-13 et 123-14 du code pénal) au nom duquel l'interdiction dudit livre a pu être prononcée.

[10] Il en a été et il en est de même dans de nombreux États féodaux (ou similaires) avec un bémol : l'autorisation du suzerain était-est requise.

[11] Dans ce cas, le suicide évitait la confiscation des biens, immobiliers et mobiliers, de la famille du suicidé.

[12] Impossibilité ou incapacité à "venger son honneur bafoué", de s'acquitter d'une dette de jeu…

[13] Même si la mort, chez les peuples premiers, peut être tabou.

[14] La grande bouffe de Noël n'est pas un péché, puisqu'elle s'inscrit dans la tradition religieuse et le conformisme de la marchandisation, mais organiser une grande bouffe comme mode de suicide l'est !

[15] Ce qui n'est pas incompatible avec la croa-hi-hance, bien au contraire !


 

[i] L'euthanasie

À l'origine, l'euthanasie (gr: ευθανασία - ευ, bonne, θανατος, mort) désigne l'acte mettant fin à la vie d'une autre personne pour lui éviter l'agonie (1).

Dans une acception plus contemporaine et plus restreinte, celle retenue par le Petit Larousse, l'euthanasie est décrite comme une pratique visant à provoquer la mort d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou physiques intolérables, particulièrement par un médecin ou sous son contrôle (2).

On emploie le mot aide au suicide pour désigner le fait de fournir un environnement et des moyens nécessaires à une personne pour qu'elle se suicide quelque en soient les motivations. Dans ce cas, c'est le "patient" lui-même qui déclenche sa mort et non une autre personne, ceci constitue une preuve de sa volonté de mourir qui distingue le suicide de l'euthanasie ou d'un meurtre déguisé. Un autre usage abusif du mot est son application aux soins palliatifs, qui ne visent jamais à hâter le décès ou éviter le prolongement de l'agonie des patients même si, pour soulager la douleur, il arrive aux soignants d'user de doses d'analgésiques ou d'antalgiques risquant d'anticiper la mort.

Longtemps appliqué à des pratiques destinées aux seuls humains, le mot est désormais employé pour les autres espèces, et l'on parle alors d'euthanasie animale, effectuée dans l'intérêt supposé d'un animal ou de l'un groupe d'animaux, par opposition à l'abattage, effectué dans l'intérêt des humains (3).

Le terme d'euthanasie a aussi été utilisé dans le cadre de certaine théories eugéniques de la première moitié du XXe siècle pour désigner le fait d'éliminer certaines populations jugées inaptes à la vie en société ou défavorables à la destinée du groupe social (malades mentaux, handicapés), notamment dans le programme nazi Aktion T4 (4).

Étymologie et histoire du terme

Le mot euthanasie est formé de deux éléments tirés du grec, le préfixe eu, "bien", et le mot thanatos, "mort"; il signifie donc littéralement bonne mort, c'est-à-dire mort dans de bonnes conditions.

Le mot a été inventé par le philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626), et apparaît dans un texte de 1605:

"L'office du médecin n'est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d'adoucir les douleurs et souffrances attachées aux maladies ; et cela non pas seulement en tant que cet adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu'il n'y a plus d'espérance, une mort douce et paisible ; car ce n'est pas la moindre partie du bonheur que cette euthanasie [...]. Mais de notre temps les médecins [...], s'ils étaient jaloux de ne point manquer à leur devoir, ni par conséquent à l'humanité, et même d'apprendre leur art plus à fond, ils n'épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité (5)"

Il est défini comme "mort heureuse" dans le Dictionnaire de Trévoux (éd. 1771), ce qui atteste de son emploi en français dès ce siècle. Jusqu'à la fin du XIXe siècle il a cet emploi d'"adoucissement de la mort" ("Euthanasie ou Traitement médical pour procurer une mort facile et sans douleur"; William Munk 1888, traduction 1889).

Au XIXe siècle le sens s'infléchit, d'abord, sous l'influence de l'eugénisme dans le sens d'une élimination "douce" de populations "non désirables", puis d'élimination de ces populations sans que le sens de "bonne mort" soit retenu. À ce titre elle intègre l'ensemble des moyens envisagés par les eugénismes scientifiques ou idéologiques pour empêcher ou limiter l'existence de ces populations: stérilisations et avortements forcés, enfermement, déportation, séparation des sexes, etc. Le point culminant de ces pratiques dites d'euthanasie, et leur première réalisation à grande échelle, est le programme Aktion T4 mis en place par le national-socialisme du Troisième Reich en 1939, et qui s'inscrit dans le programme plus large d'hygiène raciale des nazis, dont l'achèvement est la "solution finale", l'élimination planifiée des juifs au premier chef, mais aussi des tsiganes et autres populations considérées indésirables.

Après la Seconde Guerre mondiale, le mot est principalement associé à son emploi euphémistique et fallacieux de la première moitié du siècle, et à ce titre connoté négativement. Ce n'est que dans la décennie 1970, et dans le cadre de la lutte contre ce qu'on commence à nommer acharnement thérapeutique que l'on revient à un emploi plus proche du sens initial, tout en lui ajoutant des acceptions nouvelles.

Dès lors que les progrès de la médecine dans la préservation et le prolongement de la vie ont connu des progrès décisifs, s'est posée la question des limites à poser aux pratiques de "maintien de la vie". Le débat public sur ce sujet amena la profession médicale, les philosophes et les théologiens à débattre du sujet de la qualité de la vie, et des droits pour un être humain de déterminer le moment où cette qualité s’est dégradée tant qu'il devient acceptable et licite de mettre un terme à son agonie et sa souffrance, et in fine amené les États à légiférer en ces matières, dans le cadre de l'arsenal législatif connu en France comme lois de bioéthique.

Un autre élément majeur qui a fait émerger le débat politique sur l'euthanasie est l'abandon graduel du paternalisme médical (où le médecin savait ce qui était bon pour le patient, et donc prenait seul la décision d'euthanasie) pour le respect de l'autonomie du citoyen, qui décide de son propre sort.

L'euthanasie comme pratique et concept

Si le mot est assez récent, le concept et la pratique de l'euthanasie ne sont pas un problème nouveau et ils ne sont pas aussi liés qu'on le croit souvent aux développements de la médecine moderne. Il suffit en effet d'être gravement malade pour que se pose cette question. L'euthanasie est donc un problème persistant dans lequel s'affrontent des idéologies de différents horizons.

En Grèce antique, le principe ne posait généralement pas de problèmes moraux : la conception dominante était qu'une mauvaise vie n'est pas digne d'être vécue, c'est pourquoi eugénisme (par exposition) et euthanasie ne pouvaient en général pas choquer.

Cependant certains, tel Hippocrate, avaient une conception autre des choses et, dans le serment qui porte son nom il est interdit aux médecins toutes les formes d'aides au suicide:

"Je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif (6)"

L'euthanasie a en outre été pratiquée par les Celtes, chez les Gaulois c'est "le dieu au maillet", Sucellos qui semble-t-il était le patron de ces pratiques. En Bretagne armoricaine, surtout dans le Vannetais, un "maillet bénit" (Mel Béniguet) a été utilisé jusqu'au début du XX ième siècle pour achever ceux dont la mort s'éternisait sur la demande de la famille et sous l'autorité du prêtre et de quelques notables de la paroisse. L'utilisation du "Mel Béniguet" a été attesté à Guénin, Locmariaquer, Carnac, Guern ou encore Brec'h.

Le concept est défendu par Saint Thomas More, dans son Utopie (1516), où il parle de "volontary death", lorsque, à des "maux incurables se joignent d'atroces souffrances que rien ne peut suspendre ou adoucir". (7)

Typologie

Les formes d'aide à la fin de vie:

  1. l'euthanasie active désigne un acte volontaire en vue d'abréger la vie du patient.
  2. l'euthanasie passive consiste à cesser un traitement curatif ou à arrêter l'usage d'instruments ou de produits maintenant un patient en vie et se distingue de l'euthanasie active par le fait qu'on n'utilise aucun moyen hâtant sa mort.
  3. L'euthanasie indirecte (appellation contestée) consiste en l'administration d'un produit qui risque d'entraîner la mort (analgésique ou antalgique) sans que le but recherché soit ce décès.
  4. l'aide au suicide qui peut prendre deux formes: l'aide par fourniture de moyens et le suicide assisté où, à la demande expresse d'une personne n'étant pas en état de réaliser le geste par elle-même, un tiers le commet en ses lieux et place. Dans ces deux cas, il faut que la demande émane de la personne, sinon c'est de l'incitation au suicide (8).

Les conditions de cette aide à la fin de vie:

  1. Euthanasie volontaire : lorsqu'un individu a la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour mourir et qu'il le demande ;
  2. Euthanasie non volontaire, acception 1 : lorsqu'un individu n'a plus la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour mourir mais a précédemment exprimé une telle volonté ;
  3. Euthanasie non volontaire, acception 2 : lorsqu'un individu n'a plus la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour mourir ou de s'y opposer et qu'on ignore quelle aurait été sa volonté ;
  4. Euthanasie involontaire : effectuée contre le gré d'un individu, celui-ci étant conscient et s'opposant formellement à cette décision.

Les deux derniers cas ne ressortent pas proprement de l'euthanasie dans une acception stricte, même si le cas 3 entre dans l'acception élargie de "fin de l'acharnement thérapeutique". En revanche le dernier cas est très contesté, notamment sur un plan pénal, et pour les affaires judiciaires les plus récentes qui ont eu lieu dans les pays ayant une approche libérale de la question, est le seul ayant débouché sur des peines de prison ferme.

Législation et pratique judiciaire

La majorité des États ne reconnaît pas ou interdit l'euthanasie et les autres formes d'aide à la fin de vie, mais dans beaucoup d'entre eux, notamment en Europe et en Amérique du nord, il existe une tolérance implicite ou explicite à l'encontre de ces pratiques, pour autant qu'elles se déroulent dans un cadre règlementé.

L'euthanasie reste, contrairement à l'opinion courante, interdite au Luxembourg, car la proposition de loi n'a pas encore passé le second vote constitutionnel et S.A.R. le Grand-Duc Henri n'a pas encore signé la loi; c.-à-d. que la loi n'est pas encore en vigueur.

Arguments pour et contre l'euthanasie

Réticences et oppositions

Tolérances et acceptations

Dans ces conditions, l'apport des soins palliatifs ne permet pas toujours d'apaiser la souffrance, et l'euthanasie reste une porte de sortie.

Juridiquement, le corps humain, considéré comme une "chose sacrée", est un élément extrapatrimonial. il ne peut donc être question de propriété de celui-ci. Ceci résulte des principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes contenus dans le Code Civil (art. 16 et s.).

Cela permettrait aussi d'éviter l'acharnement thérapeutique régi et interdit par la loi Kouchner du 4 mars 2002

Très souvent, dans les pays où la pratique est possible, le simple fait que le médecin réponde à un patient qu'il accepterait, le cas échéant, de discuter d'une éventuelle euthanasie diminue les angoisses du malade.

Affaires ayant trait à l'euthanasie

La justice étant soumise au secret de l'instruction et la définition de l'euthanasie étant difficile, il s'agira ici, de personnes se réclamant auteurs de cette pratique et inquiétées par la justice pour cette raison.

Rappel: l'euthanasie n'est pas condamnée dans tous les pays!

Euthanasie et religion

Religion catholique

Pour le catholicisme, dont la doctrine à ce sujet a été explicitée par la lettre encyclique Evangelium vitae (L'Évangile de la vie) du pape Jean-Paul II en 1995, l'euthanasie est en opposition directe avec le 6e commandement : "Tu ne tueras point" (Exode XX/13). En conséquence, toute forme d'euthanasie est prohibée.

"(...) l’euthanasie est donc un crime qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. Des lois de cette nature, non seulement ne créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience". Evangelium vitae, n°73

Le Vatican a réaffirmé en septembre 2007 que l'alimentation des patients dans un "état végétatif" était "obligatoire", à propos du cas de Terri Schiavo, une Américaine dans le coma pendant 15 ans et décédée en 2005 après que son alimentation eut été interrompue (10).

En revanche, l'acharnement thérapeutique est lui aussi refusé :"Il faut distinguer de l’euthanasie la décision de renoncer à ce qu’on appelle l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire à certaines interventions médicales qui ne conviennent plus à la situation réelle du malade, parce qu’elles sont désormais disproportionnées par rapport aux résultats que l’on pourrait espérer ou encore parce qu’elles sont trop lourdes pour lui et pour sa famille. Dans ces situations, lorsque la mort s’annonce imminente et inévitable, on peut en conscience renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible de la vie, sans interrompre pourtant les soins dus au malade en pareil cas" Evangelium vitae, n°65

Islam

Dans la religion islamique, l’homme représente l’œuvre divine la plus importante et la plus complexe. Il est la créature qui porte l’empreinte divine et qui représente son pouvoir sur la terre.

L’euthanasie active est interdite juridiquement (shar’an), car elle correspond à un meurtre commis par le médecin, même lorsqu’il agit à la demande du patient, en ayant l’intention d’abréger sa souffrance. Le médecin ne peut pas être plus miséricordieux envers le patient que Dieu qui lui a donné la vie et qui la lui reprend dans les conditions qu’Il veut. La seule chose permise est de laisser le patient mourir naturellement.

L’euthanasie passive ne peut pas être interdite, dans ces cas précis, du fait que la majorité des juristes musulmans n’impose pas les soins médicaux même dans des cas où l’on espère la guérison. Ils ont considéré que se soigner fait partie du permis (mubâh), et nullement de l’obligatoire.

Bouddhisme

Pour le bouddhisme, la mort n'est pas la fin du continuum d'une personne. A ce titre, le suicide est déconseillé. D'une manière générale, le bouddhisme considère la suppression de la vie comme un acte négatif. Par contre, du point de vue du médecin, l'euthanasie peut être un acte de compassion, et son analyse devient délicate et complexe; la condamnation d'une euthanasie n'est pas automatique.(11) (12)

 

Notes

  1. Le Trésor de la Langue Française (TLF) la définit comme une "mort douce, de laquelle la souffrance est absente, soit naturellement, soit par l'effet d'une thérapeutique dans un sommeil provoqué" et, presque dans les mêmes termes, le Grand Robert de la langue française (GRLF) comme une "mort douce et sans souffrance, survenant naturellement ou grâce à l'emploi de substances calmantes ou stupéfiantes"; l’Encyclopédie Hachette multimedia (EHM) rappelle que le mot "a été créé par le philosophe anglais Francis Bacon, qui estimait que le rôle du médecin était non seulement de guérir, mais d'atténuer les souffrances liées à la maladie et, lorsque la guérison était impossible, de procurer au malade une "mort douce et paisible"; Le Petit Larousse 2007 (PL07) enfin, s'attachant plutôt à une définition légale, la donne comme l’"acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie", et précise qu'il est "illégal dans la plupart des pays".
  2. TLF : "Fait de donner délibérément la mort à un malade (généralement incurable ou qui souffre atrocement). Euthanasie agonique"; EHM: "Avec le développement des techniques médicales, il a pris à partir du dernier tiers du XXe siècle un sens nouveau: celui de mettre fin à la vie du patient pour lui épargner des souffrances. On distingue alors l'euthanasie active de l'euthanasie passive, selon que la mort résulte d'un acte positif du médecin ou de l'absence de recours à des thérapeutiques qui auraient pu prolonger la vie" ; PL07 : "Euthanasie passive : acte d'un médecin qui laisse venir la mort d'un malade incurable sans acharnement thérapeutique" ; GRLF : "Usage des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances extrêmes, ou pour tout motif d'ordre éthique".
  3. GRLF: "Le mot ne s'est employé qu'à propos des humains. Il s'est étendu aux animaux que l'on s'applique à faire mourir sans souffrance, ce qu'autorise l'étymologie"; PL07: "Acte comparable pratiqué par un vétérinaire sur un chien, un chat, etc.".
  4. EHM: "L'exercice d'un “bio-pouvoir” eugénique par le régime nazi a entraîné l'élimination de milliers d'enfants malformés ou handicapés. Cet événement et la condamnation unanime qu'il a suscitée après la Seconde Guerre mondiale ont renforcé les attitudes de rejet de toute forme d'euthanasie"
  5. Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, livre II, partie 3, p. 150. Gallimard, 1991.
  6. En France, ce serment a été réactualisé en 1996 par le professeur Bernard Hoerni dans un sens plus libéral tenant compte des évolutions de la société, notamment en ce qui concerne le concept d'acharnement thérapeutique: "Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément".
  7. Thomas More, L'Utopie, Paris, Librio, p 91.
  8. Si dans l'usage récent ces actions sont assimilées à l'euthanasie, sans obligatoirement contester les actes eux-mêmes beaucoup de personnes contestent la qualification, car dans le cas de l'aide au suicide les aspects du pronostic vital ou même de la douleur ne sont pas nécessaires, même s'ils sont souvent présents: elles considèrent alors qu'il s'agit plutôt de respect de la volonté des personnes que d'euthanasie à proprement parler
  9. V. not. l'article de Aline Cheynet de Beaupré :Vivre et laisser mourir (D.2003.2980).
  10. L'alimentation d'une personne dans un état végétatif "obligatoire" Romandie news
  11. La santé face aux droits de l'homme, à l'éthique et aux morales, Éditions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1996.
  12. Nouvelle Encyclopédie de bioéthique, sous la direction de Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa, DeBoeck Université, Bruxelles, 2001.

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