Trois points de… suspension ou de… conclusion

Ou

Comment un mécréant s'est laissé aller à croire et s'en trouve fort "désenchanté", désabusé mais n'en reste pas moins maçon

 

J'ai mis à peu près 30 ans avant de frapper à la porte du temple. C'est dire que ma décision d'… adhérer à la Franc-Maçonnerie ne fut pas une décision légère mais, bien au contraire, réfléchie, mûrie… pesée, mesurée.

 

Ci-dessous le rendu que j'ai fait en Loge de mon initiation :

 

" Rendre compte d'une initiation, du ressenti d'une initiation n'est pas chose aisée car, au-delà des symboles, du rituel, du propos… de la cérémonie elle est, pour l'initié et, j'imagine, pour les officiants et les spectateurs un moment d' intense émotion. C'est donc de cœur et non de raison que je relaterai chronologiquement mon initiation en sollicitant votre bienveillante indulgence pour la banale pauvreté de mon intervention et, sans nulle doute, pour son inévitable ponctuation émotionnelle.

 

Le cabinet de réflexion d'abord : je suis entré là dans un lieu qui m'était familier tant j'ai lu sa description et, surtout, tant il m'a été évoqué. En somme j'étais déjà sur le seuil de… ma maison !  L'inscription V.I.T.R.I.O.L. – visite l'intérieur de la terre et, en la rectifiant, tu trouveras la pierre cachée – a été aussitôt un appel à un voyage. Un voyage particulier : celui du déroulé de ma vie. Le départ de ce voyage dans la mémoire a été… fulgurant car, au moment même où la bougie s'est éteinte, le mercure a été pour moi comme la madeleine de Proust. J'ai donc en quelques instants embrassé ma vie, toute ma vie mais non de l'extérieur comme un spectateur mais de l'intérieur comme si je revivais vraiment ma vie. Sans aucun regret et avec la même intensité, les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes questions, les mêmes doutes… et… les mêmes valeurs, les mêmes convictions, les mêmes espoirs.

 

C'est alors que, cessant de revivre mon passé, j'ai médité non sur la mort d'un être humain – le crâne –, même si les dernières  paroles de mon père ont retenti exactement comme elles avaient été prononcées "Qu'il est dur de mourir mon fils" - mais sur l'image de la Mort : celle de la  Faucheuse. J'ai alors trouvé curieux que la mort soit représentée par une faucheuse alors que les céréales que l'on… fauche sont, au contraire, le symbole et le pain de la vie. Je me suis alors dit que ma mort ne sera jamais qu'un aléa et que mon anéantissement, à l'image de celui de mon père et, avant lui, de mon grand père, sera un grain de sable de ce sablier qui ne cesse de compter l'éternité de l'humanité depuis qu'un jour un hominidé a fait la choix de naître à l'humanité en se mettant… debout.

 

Ainsi, lorsque l'on est venu me chercher j'ai su que, officiellement, enfin, j'allais naître à cette humanité dont j'avais fait le libre choix à l'âge de 14 ans en me jurant de la servir en… humaniste.

 

J'ai réellement vécu les trois voyages symboliques comme de vrais voyages : non pas la traversée de mers mais l'escalade d'une montagne. Une escalade rendue d'autant plus aisée à chaque nouvelle enjambée que je me savais fraternellement accompagné et que j'avais hâte d'arriver au sommet pour assister à l'un des plus beaux spectacles qui soient : le lever du soleil, la victoire sans cesse renouvelée de la lumière sur les ténèbres, le refus de la résignation mais aussi la main tendue et… serrée.

 

Pendant tout ce temps, au rythme de la musique et des mots, je n'ai cessé de pleurer tant mon émotion était intense, tant, souvent, seuls les larmes peuvent exprimer le bonheur que l'on ressent.

 

Lorsque l'on m'a ôté le bandeau et que je me suis retrouvé face à des frères – mes frères – brandissant leurs épées j'ai su que désormais moi qui n'ai jamais laissé l'autre seul, quelles que soient sa condition, ses opinions, ses différences…, je ne serai (enfin) plus jamais… seul. En somme, le bandeau dont j'ai été dépouillé était la… dépouille de ma solitude et mon initiation, ma réception par une confrérie – le partage du cœur et du sens -, un compagnonnage – le partage du pain, de… la vie -.

 

Lorsque j'ai été invité à m'agréger à la chaîne d'union et que, ainsi, le signe a pu être transmis j'ai ressenti, en même temps, deux révélations :

 

ü      celle d'avoir enfin renoué avec ma filiation,

ü      celle de comprendre que, moi qui n'ait toujours eu d'ici qu'ailleurs, autrement dit… nulle part, désormais, j'ai un ici… ici, en cette L... à l' O... de Lille  et en tous ces autres ici de cette L... universelle à l' O... de l'humanité : la fraternité.

 

J'ai dit."

 

Et encore celui de mon élévation au grade de M\ :

 

" La Raison a inévitablement du mal à se mettre au service du cœur quand il s'agit de trouver les mots et de les ordonnancer afin de "traduire" un vécu dans la mesure où il est difficile de "couler" les sentiments dans le moule des mots, des phrases. Mais je vais essayer de dire, de façon intelligible, ce vécu particulier qu'aura été mon élévation au grade de maître, sachant que, d'abord, il me faut dire ce qu'aura été l'attente de ce vécu.

 

Ce n'est qu'au début de ce mois de mai 2006 que j'ai vraiment pris conscience de la proximité de cette élévation. Ou plus exactement que je me suis dit qu'il fallait tout de même m'y préparer.

 

M'y préparer, c'est-à-dire, au regard des consignes données, apprendre l'instruction et les livres du règlement général faisant suite à ceux étudiés pour le passage au grade de Compagnon. Et le bât a… blessé puisqu'il s'est agi d'apprendre par cœur quand je n'ai jamais su (et assurément, voulu) le faire, même durant mes études (à l'exception des "récitations" et autres tables de multiplication qu'il fallait… réciter au primaire).

 

En effet, pour moi "apprendre par cœur" ce n'est sûrement pas s'approprier, autant intellectuellement qu'émotionnellement, le support écrit qu'il convient, pour telle ou telle raison, de savoir. Je ne puis savoir que ce que j'assimile et je ne puis restituer que ce que j'ai assimilé. Autrement dit, je ne puis restituer qu'avec mes mots, mes phrases.

 

Dans l'instruction qu'il fallait… apprendre il y a, à l'évidence, des "objets" de connaissance qui, en raison justement de leur objectivité, peuvent être assimilés et restitués à l'identique de la forme dans laquelle ils sont consignés dans ladite instruction. Ainsi je puis sans problème apprendre et donc dire ("réciter") que "La Lettre G est le monogramme de Gravitation – Géométrie – Génération – Génie et Gnose", que "J'ai été reçu compagnon en passant de la colonne du Nord à celle du midi après avoir effectué cinq voyages", que "Le premier voyage s'effectue avec le ciseau et le maillet et qu'i; est associé à l'étude des sens"…

 

Mais, en revanche, il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit de restituer le "sens" de tel ou tel voyage, de tel ou tel outil ou symbole (lettre G et étoile flamboyante) en particulier car l'appropriation que j'ai faite de ces sens lors de mon augmentation de salaire d'abord, puis dans le travail et les voyages effectués en tant que Compagnon, est strictement personnelle et ne se retrouve pas nécessairement (et c'est bien le cas d'ailleurs) dans la formulation proposée – et donc… imposée – dans le manuel d'instruction.

 

Constatant que je n'arrivais pas à apprendre par cœur et que je serai donc incapable de réciter par cœur, mot à mot, l'instruction, je me suis mis à… "flipper" au point d'en être angoissé, de ne plus en dormir et de me dire qu'il valait sans doute mieux m'abstenir d'aller à une "épreuve" – l'"interrogatoire" de l'instruction – qui ne pouvait être qu'un… échec.

 

Sans doute ai-je pris abusivement au pied de la lettre la consigne d'"apprendre par cœur" le manuel d'instruction pour pouvoir le restituer en toute… fidélité, c'est-à-dire mot à mot mais rien n'a été fait ou dit pour me dissuader de cette "interprétation".

 

Sans doute y avait-il de ma part de l'amour propre (mal placé) à ne pas vouloir affronter une "épreuve" (au sens scolaire d'examen) à laquelle, par fraternité, on m'aurait déclaré "admis" alors qu'à l'évidence j'y aurais "échoué", faute de pouvoir… réciter et réciter, qui plus est, par cœur ![1]

 

Sans doute, oui. Mais il en a été ainsi jusqu'à ce lundi matin.

 

Est-ce parce que je me suis réveillé avec une violente douleur au pied gauche au point de ne pas pouvoir le poser par terre (ce qui m'a contraint à me lever… du pied droit !) et d'avoir beaucoup de mal à marcher, mais, ce matin là, je me suis levé avec un curieux sentiment. Le sentiment que peut avoir le voyageur qui, assis dans le train, est sur le point d'entrer en gare et donc d'arriver au terme de son voyage. Ou bien encore celui de l'étudiant(e) qui, après y avoir mis le point final, pose sa copie sur le coin du pupitre pour que l'examinateur puisse la ramasser et que, alors, une certaine sérénité l'envahit parce que les "jeux étant faits", le "sort en étant jeté", les affres de l'attente puis de la "composition" sont oubliées en cet instant d'"oubli-évacuation" de soi et que l'on peut donc se laisser… aller à un certain "nirvana" qui n'est pas résignation mais "contentement" en ce que l'essentiel a été de fournir l'effort donné et non pas d'en attendre les effets, la sanction, la… "note. Ou bien encore celui de "relâchement", de "paix" que certaines personnes doivent avoir juste avant de mourir quand après avoir été torturé par la douleur, la souffrance leur visage "s'apaise", leur corps de "détend" et qu'elles "s'en vont"… calmement, sereinement…

 

Un sentiment d'une fin imminente. D'une fin… définitive et non d'une "fin-passage", celle d'une paix retrouvée avec soi-même quand arrive enfin le terme d'une longue, très longue attente. L'attente d'une promesse d'adolescent faite à un mort (mon grand père paternel en l'occurrence) et qui, enfin, va pouvoir être tenue. Un sentiment de libération imminente en somme.

 

Et puis, durant la journée de mardi, j'ai reçu plusieurs messages de Sœurs et de Frères mais aussi d'ami(e)s [profanes] pour m'annoncer que, par la pensée et le cœur, ils-elles seraient avec moi lors de la cérémonie. Ces témoignages de fraternité n'ont pu que renforcer la paix intérieure qui régnait en moi.[2]

 

Et puis le moment est arrivé. Il arriva donc…

 

La première chose qui m'a frappé c'est… l'immensité du temple. Immensité du… vide de tant d'absences, à commencer par celle du V\ M\ qui, parce qu'il est le centre de l'union des FF\, par son absence, a creusé un gouffre énorme dans lequel ont sombré les illusions que je pouvais encore avoir sur la solidité et l'unité de cet édifice maçonnique qu'est MA loge. Certes, j'ai été heureux de voir le visage, chaleureux, souriant, amical, fraternel des FF\ présents et j'ai été sensible aux gestes discrets qu'ils ont eus à mon attention, mais les larmes qui ont coulé en mon for intérieur et qui, pendant toute la cérémonie ont brouillé ma vue, n'étaient pas de joie, de bonheur du fait de ces présences mais bien de douleur, de peine, de chagrin en raison de ces absences, ce vide qui m'ont fait mal, terriblement mal.

 

Oui, à cet instant j'ai eu très mal. Mal à MA Loge, mal à la-ma F\ M\ et j'en ai encore mal.

 

Les trois mauvais compagnons assassins d'Hiram représentent l'ignorance, l'hypocrisie et le fanatisme. L'hypocrisie. Au début de la cérémonie, je me suis demandé si je n'étais pas… hypocrite à participer ainsi à une cérémonie qui n'était pas celle de MA loge mais seulement de quelques uns de ses membres et donc de "faire" comme si de rien n'était, comme si les "mots" de notre rituel et, singulièrement,de notre Chaîne d'Union n'étaient pas que des mots mais bien la réalité d'une fraternité… incarnée alors même que toutes ces absences m'interpellaient.

 

Une initiation, une augmentation de salaire, une élévation ne sont pas des "moments forts" que pour les seuls individus concernés. Ce sont aussi de grands moments pour… la Loge. Du moins, dans mon esprit (et mon cœur).

 

C'est alors que les paroles de la Chaîne d'Union me sont venus à l'esprit : "…elle nous vient du passé et tend vers l'avenir. Par elle, nous sommes rattachés à la lignée de nos ancêtres, nos Maîtres vénérés qui la formaient hier…". et que, en suivant, en plus des FF\ déjà présents, les colonnes se sont lentement ornées de toutes les Sœurs et de tous les Frères qui pensaient à moi en ces instants et auxquel(le)s je pensais alors et qui n'avaient pu (légitimement) être là. Ainsi, en même temps que je vivais MON élévation, j'étais la loge (MA loge) et, au-delà, l'union fraternelle de tou(te)s les maçon(ne)s élevant l'un des siens.

 

En somme, je me suis dépassé non pour me surpasser ou, plus simplement, m'oublier mais me fondre dans la F\ M\ comme si je mourais à moi-même pour renaître à l'Autre et donc, une nouvelle fois, comme lors de mes 14 ans, à… moi-même.

 

Je ne sais pas si je suis véritablement un "cherchant" comme l'a dit notre T\ C\ F\ Serge Bit\ mais, comme je l'avais dit lors de mon initiation, j'ai trouvé dans l'Évolution morale un ici qui, pour moi, auparavant, avait toujours été ailleurs. Hier, je ne cherchais pas seulement le cadavre d'Hiram. D'une certaine manière, je me (re)cherchais aussi non pas parce que je m'étais perdu mais parce cette quête était l'occasion de me remettre en question. Fort de mon "ici", je me suis retrouvé autant dans le miroir de mon cœur que dans le regard de mes FF\ présents.

 

A deux moments, j'ai fait, comme on dit au cinéma, un flash-back. La première fois, pendant l'interrogatoire, d'où mon "absence" qui s'est matérialisée par un cafouillage, quand je me suis "revu" lors de mon passage sous le bandeau. La seconde fois, pendant une déambulation quand j'ai revécu le quatrième voyage de l'augmentation de salaire, voyage qui se fait, aussi, sous le sceau de la mémoire. "Distraction" au sens pascalien du terme ? Je ne le pense pas. Évocation proustienne plutôt. Voyage au fond de moi comme si l'espace physique dans lequel je déambulais alors – le temple -, espace de ma quête, était en osmose avec moi au point qu'il se confondait avec moi.

 

Et ce n'est pas dans le cénotaphe que j'ai trouvé un cadavre – comment eût-il pu en être autrement puisqu'un cénotaphe est un tombeau… vide élevé à la mémoire d'un mort et qui ne contient pas son corps – mais bien dans ma mémoire. Un cadavre que j'ai d'abord pris pour celui de mon grand-père mais dont j'ai bien vite compris qu'il n'était qu'un cadavre "anonyme", parce que symbolique, et que, par commodité de langage autant que par tradition, on peut appeler… Hiram.

 

Mais un Hiram symbolisant le maître à venir en tant qu'"homme parvenu à la domination de soi-même et à la maîtrise totale par la science et par la sagesse, ainsi que par l'esprit de fidélité à son devoir"[3]. Autrement dit, non le cadavre d'un être qui a été "consumé", même seulement symboliquement, par la mort – comment pouvais-je prétendre avoir accédé à une telle… maîtrise ou même seulement, à cet instant, être sur le point d'y accéder -, mais le "cadavre" d'une vie qu'il me reste à achever - comme on achève un labeur pour produire un… chef d'œuvre - dans la quête constante de cette maîtrise. En d'autres termes, non la "trace" d'une vie achevée, mais le "signe" de l'achèvement d'une vie à réaliser.

 

Et ce n'est donc pas Hiram se relevant du cénotaphe – et donc un "mort ressuscitant" - que j'ai vu au terme de la quête mais… le maçon toujours debout jusqu'à sa mort. Le maçon, maillon vivant de cette chaîne vivante, pierre vivante de cette édifice vivant qu'est la F\ M\.

 

Le travail du maçon est voué à l'inachèvement. En achevant sa vie le maçon laisse donc derrière lui un travail inachevé qu'un autre poursuivra, à sa manière. Destin tragique ? Non, assurément pas car dans cet accomplissement qui ne sera jamais… accompli se trouve une "vertu" particulière, celle de donner du sens, dans la double acception d'orientation et de signification, à la vie.

 

L'inachèvement du travail maçonnique – l'engagement, l'action, l'exemplarité, la pédagogie; la militance, la propagande… – se conjugue en quelque sorte avec l'achèvement des vies des maçons. A l'image d'une histoire sans fin qui se construit dans et par le présent, lequel est… éternel puisqu'il n'est pas un temps "révolu", lequel se nomme… passé, mais en devenir, tendant vers un autre temps, l'avenir, qu'il n'atteindra jamais.

 

A l'image de la lumière qui aux yeux humains paraît immobile, immuable alors même qu'elle se déplace dans le temps comme dans l'espace.

 

Le maçon passeur de lumière.

 

Les passeurs passent et trépassent mais la Lumière reste et restera jusqu'à… la fin de l'humanité quand l'humanité s'éteindra avec le dernier passeur de lumière.

 

Dans cette succession de passeurs, dans cette perpétuation du passage, point de… cadavre, point de "fin" au sens de mort, mais, à l'image de l'acacia imputrescible, une continuité sans cesse renouvelée dans chaque nouvelle feuille, chaque nouveau rameau, chaque nouvelle branche… d'une seule et même souche : la F\ M\.

 

Point de cadavre donc. Point de gisant, c'est-à-dire un "étant" confiné, emmuré, enseveli, enfoui, enterré… dans le passé. Point de… feu[4]. Mais un… maçon, d'une "lignée" et d'une "union" de maçons, debout, se relevant sans cesse de chaque chute autant que relevant les autres de leur "relâchement", étant-agissant dans le présent, "illuminé" autant qu'"illuminant".

Interprétation "hérétique" du mythe d'Hiram ? Non… assimilation et restitution personnelle d'un symbole. Éclairage personnel, par la clarté personnelle d'une voie intérieure, d'une (com)mémoration collective.

 

Au terme de la cérémonie, j'avais – et j'ai toujours - une immense gratitude envers les FF\ présents de MA loge et si, par la suite, j'ai été exubérant c'était pour pouvoir me contenir ou, plus exactement, contenir un flot de larmes de bonheur car je me suis dit que, si à 3 ou 5 ans on est "petit" et que l'on peut donc pleurer, à 7 ans et plus on est "grand" et "fort" et on ne doit pas pleurer comme une… madeleine, fût-elle proustienne !

 

Une petite chose encore : les Apprentis et Compagnons de l'atelier ne pouvaient être présents hier. C'est là mon regret car, étant du partage, j'aurais voulu fraternellement partager "mon" moment avec eux même si, bien sûr, je ne manquerai pas de partager "leurs" moments.

 

L'attente de tenir la promesse faite à un mort a pris fin puisque la promesse a été tenue. Une autre promesse a été prise. A moi-même. Celle de… continuer de cheminer parce que "Le maître est condamné à aimer l’humanité à travers l’homme, à fermer les yeux pour cacher ses larmes, semer le grain fécond et passer son chemin"[5].

 

Décidément, je ne sais trouver les mots. Je le peux d'autant moins que, aujourd'hui, je ne cesse de pleurer. Non plus de douleur, de mal mais de bonheur, de félicité, d'allégresse. Alors, un mot, un ultime mot : Merci. Merci à vous mes SS\, mes FF\, mes ami(e)s, merci à toi ma fille qui étaient avec moi hier.

 

J'ai dit."

 

J'ai donc frappé à la porte du Temple et celle-ci m'a été ouverte. Mécréant, abominable mécréant, mécréant définitivement athée (A comme Athée, T comme Athée…), j'ai… cru. Oui, j'ai cru que j'avais enfin trouvé un… ici, Mon Ici.

 

Je dis "j'ai cru" car, force m'est admettre, que je me suis… trompé et qu'il me faut donc bien employer – moi, qui ne le fait jamais – le verbe "croire", lequel renvoie nécessairement à "ce qui n'est pas", à l'irrationnel, à l'infondé, au faux, au mensonge, à l'illusion…,  aux errements de l'esprit" dans les "limbes" de ce que l'on voudrait quand ce que l'on peut n'est plus supportable…

 

J'ai cru et… je me suis trompé. Mon ici reste toujours… ailleurs.

 

Certes, je ne saurai généraliser et dire que c'est dans la Franc-Maçonnerie universelle en général – laquelle dépasse les Obédiences, la "régularité", l'"irrégularité" pour embrasser la totalité des SS\ et des FF\ qui constituent la… "République maçonnique… universelle" – que je me suis perdu[6], égaré, fourvoyé, la preuve en étant que, bien que démissionnaire et donc plus membre de quelque Loge - et, a fortiori, de quelque Obédience - que ce soit, je continue de… maçonner, à ma manière, c'est-à-dire… librement et plus intensément que jamais !

 

Non, c'est sans doute de Loge que je me suis trompé, Loge dans son acception d'"assemblée de FF\[7], de maçons libres".

 

J'ai aimé sans mesure, avec passion la F\M\ et je l'aime toujours. Je ne l'ai pour autant jamais… adoré, étant toujours resté vigilent quant à ma liberté de penser, de juger, d'apprécier, de critiquer, d'adhérer ou… de ne pas adhérer.

 

N'étant pas un ancien "adorateur", à présent, je ne vais donc pas brûler ce que j'ai adoré hier. Et, sans révéler les raisons de ma démission[8], il m'est possible de "publier" le ressenti que j'ai, non de ma présence sur les colonnes, mais de mon départ ou, plus exactement, de mon "après-départ".

 

Tout d'abord – mais qui oserait prétendre le contraire ? – la F\M\ en général  - et n'importe quelle L\ en particulier – n'est pas une… élite, dans le sens précis d'une assemblée de personnes qui seraient (très nettement) au-dessus de la "norme[9]" (intellectuelle, morale…) "régnant" dans le "monde profane". Les maçons ne sont ni plus ni moins qu'à l'image des gens qui composent la société dans laquelle ils vivent.

 

Pas plus d'intelligence, de connaissances, de raison, d'éthique, de… "morale", d'honnêteté, de probité, d'intégrité, de "vertu", de "bravoure", d'"honneur"… dans une L\ que dans la Cité.

 

Et, réciproquement – ou, inversement, comme on voudra – il y a dans une L\ autant de contraires de ces "qualités" que dans la Cité[10].

 

C'est pourquoi, même si, dans un premier temps – et, je dois dire pendant de longues semaines – j'ai été surpris et, en fait, peiné, chagriné, bouleversé, abattu… par le rideau de silence quasi général que les/mes anciens FF\ de mon ancienne L\ ont tiré derrière moi lorsque je me suis parti[11] [12], force m'est d'admettre que, en F\M\ comme dans la Cité, souvent l'intérêt dont on bénéficie est directement proportionnel à l'utilité que l'on représente pour la satisfaction de tel ou tel besoin.

 

Par ailleurs, à présent, je m'interroge sur la pertinence et même sur… l'utilité du travail en L\ pour l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale de… l'humanité quand, pour sortir du temple, parfois, les SS\ et les FF\ passent à côté d'un sans abri gisant à même le trottoir, quand ils-elles n'ont pas à enjamber ledit sans abri qui a trouvé "refuge" sous le porche du temple[13].

 

De même, je m'interroge sur la sincérité de l'engagement maçonnique de certain(e)s – et ils-elles sont nombreux(euses) ! -, engagement qui consiste à adhérer à des valeurs – et, accessoirement, à des principes – universelles relevant d'un humanisme sans concession possible – Liberté-Égalité-Fraternité… - quand, dans la Cité, leur… "légalisme" les pousse à respecter, voire à promouvoir, à défendre… des lois et des règlements qui bafouent ces mêmes valeurs et à le faire… CONTRE des individus – qui peuvent être maçons d'ailleurs –, voire des groupes, des associations, des "communautés"… d'individus, ledit "contre" pouvant impliquer l'arrestation, l'enfermement, le bannissement, l'exclusion, la relégation, le matraquage, la fusillade, l'exécution… de ces individus, actes commis en violation des Droits fondamentaux et des Libertés individuelles telles qu'instituées par la déclaration universelle des droits de l'Homme – dont se réclament TOU(TE)S les maçon(ne)s – et même, parfois, et même de plus en plus souvent, en violation des principes fondateurs du droit positif moderne ou même encore des lois et règlements en vigueur, c'est-à-dire de la… légalité dont se revendiquent les légalistes en question !

 

Avant d'entrer en maçonnerie, je faisais déjà clairement – depuis toujours en fait – la part des choses entre la "solidarité" et la "fraternité".

 

Souvent, la seconde est confondue avec la première, ce qui est tout simplement abusif et, pour tout dire,… scandaleux, révoltant. En effet, la fraternité est première et absolue ou n'est pas. Elle ne peut être… sélective, c'est-à-dire… ségrégationniste, sectariste, "partisane", clientéliste, affinitaire…, sauf à… ne pas être ! En revanche, la solidarité[14], parce qu'elle est un soutien n'impliquant aucune "reconnaissance", aucune "adhésion", est un acte[15] librement accompli en faveur d'un choix préalablement fait, ledit choix pouvant porter sur une cause, une "typologie" d'individu[16]. La solidarité est donc[17] sélective et peut ne pas être rendue, accordée. La solidarité peut être une composante de la fraternité mais ne se confond pas avec elle ou, plus exactement, la fraternité ne peut se réduire à la seule solidarité, sauf à ne pas être de la… fraternité.

 

Ces précisions faites, à la réflexion, force m'est de dire que, souvent, la "fraternité" qui m'a été témoignée[18] ne relevait en fait que d'une gesticulation [les accolades, les signes et attouchements…] et une énonciation automatiques, ritualisées au point de n'être qu'une forme de civilité sans aucun sens… maçonnique, une manière de salamalec[19], une "pantomime"[20], un… jeu de… rôles, une théâtralisation où l'on se donne… en représentation dans une relation de distanciation à l'Autre qui donne à voir et à entendre des "stéréotypes" mais qui ne dit rien de ce que l'on est, de ce que l'on pense, de ce que l'on ressent… vraiment, sincèrement,… fraternellement.

 

Par ailleurs, j'ai aussi pu constater que, souvent, très souvent, la fraternité est réduite à la seule solidarité, laquelle – et c'est bien là "chose" naturelle – est… sélective et à tendance à reproduire les "solidarités profanes" (politiques, partisanes, professionnelles, géographiques, sociales, culturelles, communautaires, affectives…) pratiquées dans la Cité – hors du temple, donc -, ce qui fait que, en fait, la fraternité revendiquée est aveugle et sourde à l'Autre ou, du moins, à celles et ceux qui ne sont pas membres de tel ou tel cercle (profane) de solidarité[21].

 

Enfin, et j'en terminerai (provisoirement) là aujourd'hui, si j'ai dit que la F\M\ n'est pas constitutive d'une élite, il n'en demeure pas moins qu'elle est, dans une large mesure, un "club" qui, à l'instar du Rotary, des Kiwi's…, du golf, de l'équitation… des croisières aux Bermudes, du ski à Megève… ne s'ouvre qu'à celles et ceux qui peuvent payer un "droit d'entrée"[22] hors de portée de celles et ceux qui ont à peine de quoi satisfaire les besoins (primaires[23]) de leur vie… profane. Et c'est là, à mon sens, bien dommageable pour la F\M\ car il y a fort à parier que les "petites gens", qui galèrent dans leur vie profane au point de se demander de quoi sera fait demain ou même s'il y aura un… demain, ont sûrement plus à cœur de travailler à l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale de l'humanité que celles et ceux qui, "à l'abri du besoin", n'ont pas forcément envie[24] à accomplir un tel travail qui pourrait, à l'usage, se montrer… révolutionnaire !

 

Une leçon pour moi : une belle cause – et la F\M\, à mes yeux, reste toujours une belle et "noble" cause – peut aveugler au point d'amener à… croire même un fieffé… mécréant ! Comme quoi, les sentiments peuvent provoquer l'endormissement de la raison, même si je reste persuadé qu'il n'y a de véritable intelligence (humaine et donc… humaniste) que de raison ET de cœur.

 

Alors, trois points de conclusion ou simplement de… suspension ?

 

Assurément, même si, "statutairement", "réglementairement", "juridiquement"… je ne suis plus maçon puisque je ne suis plus membre d'une L\ et donc d'une Obédience, je continue de me reconnaître comme maçon et des SS\ et des FF\ continuent de me reconnaître comme tel. Autrement dit, maçon je suis et maçon je resterai et c'est pourquoi, modestement, je continue de travailler à l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale de l'humanité, sauf que je ne le fais plus (virtuellement) en Loge mais dans la Cité et, plus exactement, dans la boue et dans la fange de la Cité auprès d'individus qui, pour diverses raisons et, notamment, de fric – mais pas seulement – sont exclu(e)s de la Cité et, au-delà, de l'Humanité.

 

Comment me prétendre maçon[25] et rester indifférent à l'injustice qui frappe, sous toutes ses formes, un nombre sans cesse plus grand de personnes ?

 

La révolte contre l'injustice, la révolte contre l'absence de Liberté, d'Égalité et de Fraternité est l'acte premier de l'engagement maçonnique. Camus disait : "je me révolte, donc nous sommes" et j'ajoute : "Je me révolte, donc je suis – et reste – humain".

 

Alors, pas même des points de… suspension mais des points marquant l'ouverture d'un autre… cheminement ou, plus exactement, du même cheminement mais sur d'autres… chemins !

22 août 2008


 

[1] Si j'insiste beaucoup sur ce point c'est que j'ai vraiment été "traumatisé" (le mot n'est sans doute pas trop fort, par l'incapacité que j'avais – et que j'ai toujours – de pouvoir apprendre par cœur et donc de réciter par cœur !

[2] Ce matin, ma fille m'a appelé de Prague pour me féliciter et me dire toute sa joie (Je ne sais comment elle a appris cela car j'avais oublié de le lui dire avant qu'elle ne parte en déplacement au début du mois). D'autres messages sont arrivés dans le même sens. L'élévation serait-elle une ascension au septième ciel ? je ne suis pas loin de le penser…

[3] Extrait du manuel du Maître du G\ O\ D\ F\.

[4] Au sens de : fadude fém. XIe; puis faü, feü; lat. pop. °fatutus "qui a accompli son destin", de fatum .

[5] JP dans "l’Équerre et le compas" Cahier du Maître – Le Maillon de la Chaîne Maçonnique.

[6] Perdu dans la double dimension de l'orientation et de… moi-même, c'est-à-dire de mon identité, de mon unicité.

[7] Le G\O\D\F\, à ce jour, bien que se voulant… universel, exclut toujours la moitié de l'humanité de ses colonnes et n'accepte les SS\\ - et encore, certaines LL\ refusant de le faire – que comme… simples visiteuses !

[8] Je suis disposé à continuer d'en parler avec toute S\ ou tout F\ qui souhaiterait le faire.

[9] J'emploie ce terme par commodité même si, bien entendu, il ne saurait y avoir une "norme" – autrement dit, une "normalité" et, a contrario, une "a-normalité" en matière de société humaine.

[10] La Cité des "beaux quartiers, des belles avenues, des grands boulevards… comme des ruelles, des impasses, des égouts, des… "quartiers"…

[11] Il est vrai que je suis parti dans le… silence car il m'a été demandé de rien dire en l\ des motifs de mon départ – ma démission – pour… ne pas mettre en péril la L\, ce que j'ai fait par respect et amour (fraternel) de "celui" qui me l'avait demandé.

[12] Sur une L\ comptant, sur le papier une septantaine de FF\ - et, en présence régulière, une trentaine -, les FF\ qui ont maintenu le contact avec moi se comptent sur els doigts d'une main !

[13] Lequel, d'une certaine manière, est aussi le parvis dudit temple et en fait donc partie intégrante.

[14] Qui ne se confond pas avec la… charité des sectes religieuses, même si, de plus en plus, sous la pression d'un libéralisme débridé, exacerbé – et exacerbant ! -, "démesuré", dominant… et, il faut bien le reconnaître, triomphant, l'État, supposé organiser, développer, protéger, défendre… la solidarité… nationale, la solidarité publique est de plus en plus renvoyée à la sphère (privée !) de la charité des gens !

[15] Peu importe sa nature.

[16] Les sans abri, les malades, les détenu(e)s, les insoumis(es)…

[17] Nécessairement pour une raison évidente de… "ressources".

[18] Mais c'est valable pour les autres, SS\ et FF\.

[19] Petit Robert : "1659; "salut turc" 1559; de l'ar. salâm alaïk "paix sur toi". Fam. (surtout plur.) Révérences, politesses exagérées. Faire des salamalecs (cf. Ronds* de jambe). "tous ces salamalecs convenus, souriants et mornes" (Goncourt).

[20] Petit Robert : "[…] Attitude affectée, outrée, manège ridicule. Que signifie cette pantomime ? comédie; fam. cirque."

[21] Une fraternité qui n'est pas aveugle et sourde interdit de mettre "en difficulté" la S\ ou le F\ qui, par exemple, ne peut pas rendre la "tournée à laquelle-auquel elle-il est invité(e) à la salle humide, salle humide qu'elle-il s'emploie à ne pas fréquenter faute de moyens… financiers. Une fraternité qui n'est pas aveugle et sourde interdit – autre exemple – de rouspéter, de tonitruer, de vociférer… contre la "faiblesse" de certaines oboles quand, relativement à la réalité du revenu des maçon(ne)s, les "petites oboles" sont bien plus "grandes" – et donc onéreuses, pour ne pas dire obérantes – et que, en définitive, les "grosses" ne pèsent rien pour les nanti(e)s.

[22] Un… octroi ?

[23] Logement, santé, habillement, nourriture…

[24] Et… intérêt !

[25] Et, au passage… anarchiste, les deux termes, pour moi, je tiens à le rappeler, étant synonymes.


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