A
1948 ÉDITIONS SURRÉALISTES
IL A ÉTÉ TIRÉ
DE CE TRACT 30 EXEMPLAIRES SUR MARAIS CRÈVECOEUR, NUMÉROTÉS DE
"Ce monde, uniformément constitué, n'a été créé par aucun
dieu, ni par aucun homme. Mais il a toujours existé, il existe et existera
toujours, feu éternellement vivant, s'allumant avec mesure et s'éteignant avec
mesur"e. HÉRACLITE (trad. Yves Battistini, 33).
Alors que sur le front du
rationalisme fermé l'ennemi semble avoir décidément perdu toute espèce de
courage, une recrudescence d'activité se manifeste sur le front complémentaire
de la religion. Il y a dix-huit ans, l'un d'entre nous[1]
regrettait que Rimbaud fût coupable... de ne pas avoir rendu tout à fait
impossibles certaines interprétations déshonorantes de sa pensée, genre
Claudel. Si la lettre d'un tel
reproche semble devoir être aujourd'hui maintenue, c'est qu'elle témoigne
surtout de notre volonté constante de ne pas céder aux chiens les valeurs
dont, malgré des réservés, dans cet ordre, sévères où nos exigences de
pureté ne tolèrent pas la moindre compromission, nous entendons toujours nous
réclamer. Donnons acte en passant à M. Jacques Gengoux, auteur de
Mentionnons quelques-unes de ces
tentatives, du reste connues: en juillet 1947, dans la revue Témoignage, un bénédictin,
Dom Claude Jean-Nesmy, déclare: Le programme d'André Breton témoigne
d'aspirations qui sont tout à fait parallèles aux nôtres. En août, M.Claude
Mauriac écrit dans
Il ne saurait s'agir de
discuter. D'autant moins que dans ces écrits la pensée surréaliste n'est pas
toujours à proprement parler falsifiée. On ne peut guère accuser Carrouges,
par exemple, tout au moins dans son article sinon dans son livre, de falsifier
la pensée surréaliste. Mais toutes ces démarches procèdent, à des titres
divers, d'une tentative d'escroquerie généralisée dont l'instigatrice est
aujourd'hui comme toujours, la racaille des Églises. Les Églises, d'ailleurs,
depuis qu'elles ont perdu les secrets qu'elles ont pu momentanément usurper --
encore que dans le domaine religieux les véritables dépositaires de secrets
fussent généralement des hérétiques (avec lesquels la pensée surréaliste
accepte de se reconnaître certains points de contact) ne maintiennent plus leur
ascendant sur le monde des idées qu'à l'aide d'escroqueries de ce genre.
Carrouges reconnaît les prétentions surréalistes à l'athéisme. Il reconnaît
cet athéisme capable d'un mysticisme prométhéen, c'est-à-dire d'une
aspirations au salut dans le monde même de l'homme -- au sens feuerbachien de
ce dernier terme. A cette mystique humaniste, il oppose l'élévation judéo-chrétienne
vers
Et voilà comment l'exégèse chrétienne a trouvé le moyen, tout en continuant à s'exercer sur ce qu'elle appelle l'Écriture Sainte, de s'appliquer, pour en tirer les mêmes conclusions, aux textes dirigés contre l'Écriture Sainte. De telles démarches dialectiques, qui voudraient faire concourir, aussi bien que Sade et Rimbaud, sans parler de Lautréamont, les surréalistes à l'exaltation mystique d'un dieu prétendu, ne sont pas, comme on pourrait le croire, des initiatives provenant de chrétiens << d'avant-garde >>. Elles émanent d'une tendance très générale à admettre aussi bien l'antithèse que la thèse, non en vue de quelque synthèse mais d'un très conscient double-jeu, tendance observable en particulier dans les sphères éminentes de l'Église catholique. On connaît la position apparemment contradictoire, mais en fait complémentaire, adoptée par le clergé sous l'occupation. Dans l'article mentionné plus haut, M. de Cayeux fait état d'une lettre pastorale où le cardinal Suhard, interprétant dans un sens très large, semble-t-il, la bulle de boue de Léon XIII Eterni Patris, précise que le thomisme peut être apprécié contradictoirement par les fidèles selon qu'ils veulent se placer sur le terrain du dogme ou sur celui de la philosophie. A l'occasion du dernier Noël, la même bourrique écarlate lançait un appel où il était dit que la charité était un mal quand elle voulait dispenser de la justice et qu'il n'y avait d'autre solution humaine à l'infortune de l'homme qu'un nouvel ordre humain. Ne pas croire que la conception traditionnelle de la charité chrétienne est rejetée pour autant car il est loisible aux fidèles de se placer, là encore, d'un double point de vue apparemment contradictoire mais toujours complémentaire selon qu'ils cherchent une solution dans ce monde ou en dieu. Ne doivent-ils pas d'ailleurs appeler l'une et l'autre s'ils veulent à la fois se conformer au dogme et se prémunir contre la solution révolutionnaire?
Les exemples pourraient être multipliés. Ils prouvent que les chrétiens d'aujourd'hui disposent d'arguments pris dans des poubelles théologiques assez hétéroclites pour parer aux circonstances les plus diverses. Dans ces conditions, toute discussion est, faute de la moindre constance dans le langage par eux employé, c'est-à-dire en raison de leur duplicité fondamentale, impossible. Elle l'a d'ailleurs toujours été. Aussi bien, en dépit de ce que l'idée de dieu, considérée en tant que telle, ne parviendrait à nous arracher que des baillements d'ennui, mais parce que les circonstances où elle intervient sont toujours de nature à déchaîner notre colère, que les exégètes ne soient pas surpris de nous voir recourir encore aux << grossièretés >> de l'anticléricalisme primaire dont le Merde à dieu qui fut inscrit sur les édifices cultuels de Charleville reste l'exemple typique. Que les politiques d'entre eux renoncent par tactique à l'anathème ne suffit pas pour que nous renoncions à ce qu'ils nomment des blasphèmes, apostrophes qui sont évidemment dépourvues à nos yeux de tout objectif sur le plan divin mais qui continuent à exprimer notre aversion irréductible à l'égard de tout être agenouillé.
Adolphe Acker, Sarane Alexandrian, Maurice Baskine, Jean-Louis Bedouin, Hans Bellmer, Jean Bergstrasser, Roger Bergstrasser, Maurice Blanchard, Joe Bousquet, Francis Bouvet, Victor Brauner, André Breton, Jean Brun, Pierre Cuvillier, Pierre Demarne, Charles Duits, Jean Ferry, André Frederique, Guy Gillequin, Arthur Harfaux, Jindrich Heisler, Georges Henein, Maurice Henry, Jacques Herold, Véva Herold, Marcel Jean, Alain Jouffroy, Nadine Krainik, Jerzy Kujawski, Pierre Lé, Stan Lélio, Pierre Mabille, Jehan Mayoux, Francis Meunier, Nora Mitrani, Henri Parisot, Henri Pastoureau, Benjamin Péret, Gaston Puel, Louis Quesnel, Jean-Dominique Rey, Claude Richard, Jean Schuster, Iaroslav Serpan, Seigle, Hansrudy Stauffacher, Claude Tarnaud, Toyen, Clovis Trouille, Robert Valençay, Jean Vidal, Patrick Waldberg.
Paris, le 14 juin 1948.
[1] André Breton, Second Manifeste du Surréalisme.
[2] Nous apprenons en dernière heure que M. Jacques Gengoux, candidat jésuite, a abandonne le séminaire et ne prononcera pas ses vœux.
[3] Henri Pastoureau, Pour une offensive de grand style contre la civilisation chrétienne dans Le Surréalisme en 1947. Ed. Maeght.