Albert Camus et les libertaires[1]

 

Lou Marin

 

 

Camus au marbre

Le 4 janvier 1960, Albert Camus est mort d’un accident de voiture. Pour commémorer cet événement quarante ans après, en 2000, la presse allemande a publié dans ses colonnes des souvenirs et des articles nécrologiques. Des journaux ont célébré le grand auteur, le dramaturge et même le combattant de la Résistance. Ses théories philosophiques donnèrent lieu à des débats critiques ; on les comparait avec celles de Sartre que certains jugeaient d’un meilleur niveau. Et on a réduit l’actualité du propos de Camus à sa seule dimension historique et politique, lui donnant le rôle d’un des premiers critiques du "totalitarisme" stalinien pendant la guerre froide. Cette attitude lui valut plus tard d’être célébré ou d’être regardé comme un idéologue décidément du côté de l’Ouest, voire comme un "colonialiste de bonne volonté"[2].

Et le Camus libertaire a été oublié une fois de plus.

La presse allemande a rarement jugé nécessaire de mentionner que ses contacts personnels, ses amitiés, sa pensée et ses actions permettaient probablement de classer Camus parmi les libertaires, et que c’était la toile de fond de son œuvre. Les journaux allemands essaient encore moins de faire ressortir les solutions libertaires et fédéralistes de Camus au problème de l’Algérie ; ce que des intellectuels maghrébins comme Assia Djebar[3] ou Abdelwahab Meddeb[4] ont proposé pour répondre aux événements algériens des années 1990.

Le mouvement politique anarchiste ne doit pas être confondu avec ce que les médias décrivent tous les jours comme "l’anarchie" : c’est-à-dire des tueries, le chaos, la violence – une situation à laquelle seules la police et l’armée peuvent mettre fin, en particulier l’Otan (voir le Kosovo, le Timor-Oriental, presque l’ensemble du continent africain, l’Afghanistan, l’Iraq).

Or les anarchistes pensent au contraire que ce sont ces forces qui créent cette situation qualifiée d’ "anarchie", tandis que l’on cherchera en vain des anarchistes dans les pays concernés.

L’anarchisme, c’est "la liberté et la loi dépourvues de violence" (Emmanuel Kant), et la plupart des mouvements anarchistes veulent atteindre cet objectif par des moyens non violents. Pour eux, si c’est la société qui engendre le pouvoir, cette société est aussi à même de le transformer : il faut cesser de se soumettre et de soutenir les personnes au pouvoir. Une quarantaine d’années après la mort de Camus, il peut sembler insolite de vouloir classer cet écrivain parmi les libertaires. Et souvent on évite de faire des choses insolites. Mais ici nous l’osons.

1. Camus et l’anarchisme non violent dans les pays germanophones

Parler dans les pays germanophones de l’importance libertaire d’un écrivain et journaliste politique suscite toujours de l’incompréhension. A la différence des pays francophones ou hispanophones, l’Allemagne a peu développé la théorie et la pratique anarchistes, sauf durant de courtes périodes.

En effet, l’Allemagne n’a pas de vieille tradition anarchiste qui permette la perception d’un Camus libertaire. Elle a connu temporairement une forme de renouveau anarchiste pendant les années 1920 et après 1968. Moi-même, j’ai pu observer ce phénomène durant mes dix-huit années de collaboration à "Graswurzelrevolution", journal anarchiste et non violent (qui existe depuis bien plus longtemps puisque fondé en 1972 à la fin du mouvement étudiant). Les groupes d’action non violents autour de "Graswurzelrevolution" ont, sur les plans théorique et pratique, donné le ton aux nouveaux mouvements sociaux allemands, en particulier à ceux dirigés contre les centrales nucléaires en RFA (Anti-AKW-Bewegung).

Ces groupes d’action ont lancé des idées nouvelles : par exemple l’occupation des chantiers de construction pour empêcher l’édification de la centrale nucléaire de Wyhl pendant les années 1970, la "République du Wendland libre" en 1980 et les actions dirigées contre les transports de matières nucléaires dans les années 1990, qui ont finalement abouti à l’arrêt de ces acheminements. Contrairement aux médias bourgeois, ces groupes d’action ont régulièrement insisté sur le lien entre l’anarchisme et la non-violence.

Parmi les diverses personnes qui ont inspiré ces mouvements, de différents pays et origines, on peut compter Etienne de La Boétie, le Mahatma Gandhi, Gustav Landauer, Pierre Ramus, Clara Wichmann, Henriette Roland-Holst, Martin Luther King, et aussi Albert Camus. Pour un grand nombre de militants non violents, en particuliers ceux de "Graswurzelrevolution", "l’Homme révolté" n’offre pas seulement un intérêt littéraire et philosophique ; il justifie également une révolte à concrétiser. Cette dernière a ensuite pris la forme d’actions directes dirigées contre un système d’État policier qui a montré son vrai visage après les luttes contre le nucléaire.

L’importance que revêt la pensée d’Albert Camus pour "Graswurzelrevolution" tient à cet esprit de révolte qui se marie très bien avec la négation catégorique caractéristique du mouvement anarchiste. Cette pensée particulière de Camus, j’en ai pris connaissance dans les récits de camarades et amis et à la lecture des publications. Ainsi la série d’articles de Camus intitulée "Ni victimes ni bourreaux", traduite en allemand par le Berlinois Wolfram Beyer, un anarchiste non violent également collaborateur de longue date de "Graswurzelrevolution"[5]. En tentant de décrire plus en détail le lien entre Camus et l’anarchisme, j’essaie seulement une fois de plus de définir la position libertaire et critique de Camus sur la violence[6]. Cependant, ces derniers temps, le silence sur le lien entre Camus et l’anarchisme (qui a duré une quinzaine d’années après la Seconde Guerre mondiale) a été brisé[7], pendant que philosophie et littérature évoluaient de façon positive. Horst Wernicke, en particulier, s’est appliqué à décrire dans son livre "Albert Camus. Aufklärer - Skeptiker - Sozialist" l’influence que l’anarcho-syndicalisme et les idées de P.-J. Proudhon et de Simone Weil ont exercée sur Camus. Wernicke a écrit aussi des articles portant sur des domaines de moindre importance ou sur des détails du mouvement libertaire, de même sur l’amitié entre Camus et le poète et résistant René Char[8]. Dans son dernier ouvrage, Heinz Robert Schlette écrit que le terme d’"anarchiste modéré" est probablement le plus approprié pour décrire Camus[9].

2. La conception anarchiste de Camus et la presse libertaire

Une analyse systématique du rapport que Camus entretenait avec l’anarchisme ne devrait pas se limiter aux seuls aspects philosophiques et littéraires. On devrait insister sur les débats d’actualité. Et, en ce qui concerne Camus, ils ne sont guère compréhensibles à qui n’a pas une connaissance détaillée de son travail journalistique. C’est ici que s’ouvre le vaste champ des relations amicales qui liaient Camus à l’anarchisme français, un fait peu analysé jusqu’à présent. Car Camus s’est non seulement engagé dans des journaux anarchistes comme rédacteur et collaborateur permanent, pour "Témoins" par exemple, mais il a aussi agi : il a, en tant que témoin, défendu des libertaires devant les tribunaux ; ainsi de Maurice Laisant, à l’époque responsable "Monde libertaire", qui avait été accusé d’être l’instigateur d’une campagne d’affiches antimilitaristes et anticolonialistes contre la guerre d’Indochine de 1945[10].

Pendant les années 1940 et 1950, Camus entretint des sentiments amicaux et des liens avec des responsables de journaux anarchistes de pays francophones ou d’autres. Parmi eux, Rirette Maîtrejean, qui fut coéditrice du journal "l’Anarchie", et qui écrira plus tard pour "Témoins", Maurice Joyeux et Maurice Laisant du "Monde libertaire", Jean-Paul Samson et Robert Proix de la revue culturelle et antimilitariste "Témoins"[11], Pierre Monatte et André Rosmer de "la Révolution prolétarienne", Louis Lecoin de "Défense de l’homme" et de "Liberté", Gaston Leval et Georges Fontenis du "Libertaire", Giovanna Berneri de "Volontà" (en Italie) et José Ester Borràs de "Solidaridad Obrera (en Espagne). Camus avait en outre des contacts avec des journaux anarcho-syndicalistes suédois ("Arbetaren"), allemand ("Die freie Gesellschaft") et latino-américain ("Reconstruir" en Argentine[12]]. Ainsi, au cours d’une conversation sur la question de l’Algérie, Helmut Rüdiger témoigne des relations personnelles que Camus eut avec lui : "Dans un entretien, Camus me déclara sans ambages que le FLN était à son avis un mouvement totalitaire. Il peut y avoir différentes opinions sur cette question, la littérature et les publications du FLN peuvent être interprétées (sic). D’autre part, un grand nombre de syndicalistes partagent l’avis de Camus et pensent que l’avenir de l’Algérie ne peut être fondé que sur la coopération des mouvements rivaux qui s’entretuent aujourd’hui sans pitié[13]."

Malheureusement, cette référence est unique et peut donner lieu à discussions. Rüdiger collaborait à "Die freie Gesellschaft", journal allemand socialiste libertaire d’après-guerre, et également au journal anarcho-syndicaliste suédois "Arbetaren". Il vécut en Suède après 1939 et fut un des théoriciens les plus importants du mouvement anarcho-syndicaliste suédois. Selon les informations de Hans Jürgen Degen, qui mène des recherches sur Rüdiger, ce dernier a rencontré Camus à plusieurs reprises. En 1957, il a interviewé Camus en Suède pour "Arbetaren" ; d’autres entretiens auraient eu lieu à Paris. Il est probable que les connaissances de Camus sur l’anarcho-syndicalisme lui venaient entre autres des informations fournies par Rüdiger.

Dans mon livre "Ursprung der Revolte", j’ai analysé les divers contacts et liens avec les journaux anarchistes en m’appuyant sur deux publications. Il faut donc comprendre mon travail comme un début d’analyse systématique ou bien comme une incitation – engagée – à continuer dans cette voie. J’ai exploré plus profondément le contenu de l’article anarcho-pacifique de Camus extrait du "Soir républicain" qui paraissait en 1939-1940 à Alger, publié par Camus et Pascal Pia[14]. J’ai également étudié la collaboration de Camus à la revue "Témoins", éditée par Jean-Paul Samson à partir de son exil en Suisse. Samson s’y était réfugié pour échapper à la sanction consécutive à son insoumission durant la Première Guerre mondiale.[15] Ces deux publications ont façonné à leur manière la conception de l’anarcho-syndicalisme de Camus et revêtent donc une grande importance.

Après avoir exposé la contribution de Camus à ces périodiques, j’aimerais évoquer brièvement l’influence qu’il exerça sur la revue syndicaliste "la Révolution prolétarienne" et rapporter ensuite certains aspects touchant à ses amitiés libertaires.

3. L’engagement de Camus au "Soir républicain" et à "Témoins"

Quoique l’oncle de Camus, Acault, et son professeur d’université Jean Grenier l’aient prédisposé à s’intéresser au mouvement anarchiste, ce furent plus ses expériences pendant les années passées à Alger à la fin des années 1930 qui l’ont poussé vers des positions libertaires. Il a très vite été exclu du Parti communiste (1937). C’est au moins à partir de la révolte des mineurs asturiens en 1934 que Camus observa de près les événements de l’Espagne républicaine, fortement dominée par le mouvement anarcho-syndicaliste. En raison de ses liens avec Francine Faure (sa seconde épouse), il se rendit régulièrement dans les milieux des immigrés espagnols, en particulier ceux d’Oran. Le compte rendu de ces visites et la série d’articles dans "Alger républicain" sur l’exploitation coloniale de la population berbère, et finalement la censure qui frappa "le Soir républicain" l’amenèrent à soutenir des positions pacifistes libertaires. Cette attitude apparaît clairement dans ses articles du "Soir républicain" de 1939 et de 1940 qui furent souvent écrit en collaboration avec Pascal Pia. Dans le "Manifeste du conformisme intégral", Camus et Pia font une satire du conformisme étatique et de la censure. Dans "Profession de foi", ils se décrivent eux-mêmes comme des pacifistes et critiquent "le nationalisme professionnel" de la France. Dans "Notre position", ils défendent le droit individuel à l’objection de conscience pendant la Seconde Guerre mondiale, mais critiquent néanmoins le pacifisme gouvernemental et les accords de Munich de 1938.

Dans "Comment aller vers un ordre nouveau", Camus met en garde contre la dynamique et la cruauté de la guerre et plaide pour un cessez-le-feu. Cependant, la Tchécoslovaquie et la Pologne ne doivent pas en être les victimes. C’est déjà à cette époque que Camus lança l’idée d’une Société des nations qui ne devrait pas être soumise à la volonté des États nationaux. Dans la série d’articles de l’après-guerre "Ni victimes ni bourreaux", il plaida à nouveau en faveur d’un parlement mondial élu au suffrage direct. Les articles du "Soir républicain", souvent écrits sous des pseudonymes, n’étaient pas expressément anarchistes, et le journal ne se qualifiait pas officiellement de "libertaire". Son analyse politique de la structure de la société pouvait être partagée par des anarchistes de l’époque. C’est ce qui ressort d’ailleurs nettement des "Fondements juridiques de la liberté" où Camus et Pia étudient l’évolution interne de la France, constatant que les États capitalistes et démocratiques ne sont pas capables de se défendre contre les dictatures fascistes de l’époque et qu’en plus ils laissent eux-mêmes entrevoir une propension à la dictature. En France, cette tendance se manifesta par la promulgation de décrets gouvernementaux non démocratiques (comme en Allemagne avec Papen/Schleicher) et en Algérie sous la forme d’une dictature militaire déclarée. Ainsi, les démocraties bourgeoises et capitalistes ne sont pas comprises comme l’alternative au fascisme, mais comme un précurseur de celui-ci – ce qui a été une analyse anarchiste typique de cette époque qui s’était déjà manifestée lors des analyses de l’évolution allemande et italienne jusqu’au fascisme et national-socialisme.

Même si "le Soir républicain" ne s’est pas qualifié clairement d’anarchiste, l’analyse de ses articles justifie très bien la thèse du biographe Herbert R. Lottman qui soutenait le contraire[16]. C’est un reproche que le financier Jean-Pierre Faure avait également formulé ; choqué par le "cours anarchiste" du journal, il avait voulu arrêter son soutien financier au moment même où le censeur militaire l’interdisait[17]. Camus définissait lui-même son rôle au "Soir républicain" comme engendré par les événements politiques. Et cela l’ouvrit rapidement au mouvement anarchiste.

D’une certaine façon, "Témoins" fut pour Camus un prolongement du "Soir républicain", non plus sous forme pacifiste anarchiste mais sous forme de condamnation anarchiste et antimilitariste de la violence. On peut commencer une brève analyse des articles de Camus pour "Témoins" en 1954 avec "Calendrier de la liberté" où il souligne l’importance de deux dates pour l’histoire des mouvements libertaires : le 16 juillet 1936, début de la révolution espagnole, et le 17 juin 1953, révolte des travailleurs en RDA. Dans cet article, Camus associe déjà deux formes de révolte.

Après cela, Camus proposa de publier la lettre de Simone Weil adressée à Georges Bernanos, dans laquelle elle témoigne des excès commis par des anarchistes pendant la guerre d’Espagne. La publication de la lettre dans "Témoins" (n° 7, 1954) provoqua une discussion parmi les lecteurs libertaires français qui écrivirent à la rédaction de la revue. En même temps, ce fait démontre la capacité des anarchistes français à faire spontanément une autocritique à un moment où la gauche communiste et dogmatique nie ou défend l’existence de camps soviétiques.

"Témoins" publia par la suite "Le refus de la haine", préface de Camus au livre de Konrad Biber qui venait juste de paraître, "l’Allemagne vue par les écrivains de la Résistance française". Camus y actualise les principes de la Résistance : comme la Résistance avait à l’époque rejeté la conception bourgeoise et pacifique de la paix, il aurait fallu qu’elle refusât alors la conception communiste de la paix qui maintenait le statu quo autoritaire en Europe de l’Est. Par cette attitude, il s’oppose catégoriquement à la série d’articles de Sartre "Les communistes et la paix". L’éditeur de la revue catholique de gauche "Esprit", Jean-Marie Domenach, décrit de son côté par Samson comme "néo-stalinien"[18], écrivit une lettre de protestation. Camus défendit sa position dans le numéro suivant de "Témoins". La divergence avec Domenach montre que la controverse entre Sartre et Camus était un sujet débattu dans les journaux anarchistes de l’époque, dont la plupart soutenaient sans partage la position de Camus.

En 1956, Camus rédigea une préface pour une édition spéciale de "Témoins" à l’occasion du 20e anniversaire de la Révolution espagnole. Il y clame sa solidarité avec les étudiants et les travailleurs espagnols et critique les positions de Moscou, de Washington et de la gauche dogmatique française qui n’ont pas voulu la victoire du peuple espagnol. En automne 1956, "Témoins" publie plusieurs articles de Camus contre la répression de la révolte hongroise par les troupes soviétiques, dont l’un est la reprise du discours de la Salle Wagram du 15 mars 1957. De plus, "Témoins" publie un débat amical avec l’écrivain hongrois Miklos Molnar. Contrairement à Camus, Miklos croit toujours en la capacité réformatrice des socialismes d’Etat de l’Europe de l’Est.

Dans "Témoins" n° 18-19, on peut lire un hommage littéraire de Camus, "Pour Dostoïevski", où il dit comprendre le repli de l’écrivain russe sur la religion. Ce dernier cherchait les valeurs morales non historiques auxquelles Camus tenait également mais qu’il ne comptait pas trouver par la voie religieuse.

En décembre 1958, Camus critiqua dans "Témoins" l’exécution d’Imre Nagy en Hongrie. Un appel à soutenir un "comité pour la sauvegarde des réfugiés espagnols", créé juste quelque temps auparavant, fut la dernière contribution de Camus à "Témoins".

A la mort de Camus, "Témoins" publia un numéro spécial avec des souvenirs et des hommages (n° 23 de mai 1960). On y trouve entre autres les témoignages d’amis anarcho-syndicalistes et d’ouvriers du Livre. Rirette Maîtrejean y dit la grande estime de Camus pour le révolutionnaire Victor Serge, poursuivi par Staline. Robert Proix raconte que Camus reconnaissait s’être trompé en soutenant la candidature de Pierre Mendès France en 1956 et qu’il s’était tourné à nouveau vers les objectifs libertaires. C’est sur la base de ces entretiens qu’a été publié plus tard le livre sous la direction de Robert Proix "A Albert Camus, ses amis du Livre"[19]. C’est probablement dans l’entourage de "Témoins", vers la fin des années 1950, que Camus s’est senti le plus à l’aise. La revue avait un tirage de moins de 1000 exemplaires. Camus assista à environ cinq ou six rencontres de la rédaction à Paris qui se tenaient pour la plupart chez Proix. En revanche, Samson, en raison de son insoumission, n’avait toujours pas le droit de rentrer en France sans encourir le risque d’être arrêté.

4. Camus et "la Révolution prolétarienne", ses amitiés

Albert Camus s’impliqua dans "la Révolution prolétarienne" avant "Témoins". Sa collaboration y fut moindre, tant par le nombre de ses contributions que par sa participation au sein de la rédaction. Ce fut par l’intermédiaire des organisations d’aide aux prisonniers politiques d’Espagne et d’Union soviétique, mais aussi d’autres régimes autoritaires, créées en 1948, le Groupe de liaison internationale (GLI), que Camus prit des contacts avec les syndicalistes révolutionnaires réunis autour de Pierre Monatte. Lors de discussions avec Camus, Monatte avait caractérisé les adeptes de Sartre de "papillons qui sont attirés par la lampe russe"[20]. Par cette formule, il avait clairement pris position pour Camus. Au sein du GLI, la critique ouvrière contre l’Union soviétique pouvait aller du trotskisme à l’anarcho-syndicalisme ; cependant, toutes ces tendances travaillaient de façon solidaire. L’anarcho-syndicaliste allemand Helmut Rüdiger, qui avait régulièrement écrit des articles dans "Die freie Gesellschaft" sous le pseudonyme "Observateur", avait rédigé à plusieurs reprises des rapports sur l’état du mouvement anarchiste français. Il décrit ainsi les membres de la rédaction de "la Révolution prolétarienne" : il s’agissait "de vieux marxistes et d’anarcho-syndicalistes de longue date qui, contrairement au gros du mouvement syndicaliste international, avaient appartenu un certain temps, pendant les années 1920, au Komintern, mais avaient rompu depuis"[21].

C’est avec Robert Louzon et Alfred Rosmer, qui fut plus tard un ami de la famille Camus, que Monatte édita avant 1914 "la Vie ouvrière". Après la première guerre, il vécut sa phase procommuniste, qui s’acheva en 1924 avec son exclusion du parti pour s’être opposé à sa bolchevisation. En 1925, il fonda "la Révolution prolétarienne", qui porta jusqu’en 1930 le sous-titre "revue syndicaliste-communiste", plus tard le sous-titre "revue syndicaliste révolutionnaire". Pendant la guerre froide, le journal, qui paraissait une fois par mois, prit position contre une nouvelle guerre mondiale qui menaçait et milita en faveur de la paix, en prenant clairement parti contre les staliniens[22]. Au début des années 1950, lorsque Camus écrivait dans ce journal, celui-ci comptait environ 1400 abonnés[23].

La première contribution de Camus parut en mai 1951 sous le titre "L’Europe de la fidélité". Quand des contacts officiels entre les États-Unis et l’Espagne de Franco s’établirent, Camus s’indigna qu’on utilisât un rallié aux vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale pour servir les objectifs de la guerre froide ; on pensait que la force militaire de l’Espagne méritait que ce pays soit partie prenante des futures hostilités à l’égard de l’Union soviétique : pour Camus, c’était une realpolitik inconcevable, mise en œuvre sur le dos des vaincus : la CNT anarcho-syndicaliste et les autres républicains espagnols. Camus rejette cette Europe de la duperie, de la trahison et de la pure politique. Il s’engage alors pour une Europe sans violence, pour une Europe pénétrée par le syndicalisme ouvrier. Il est opposé à une Europe du chaos et de l’insécurité qui est l’image même du régime de Franco. Il aspire à une Europe de la culture, l’opposé même de ce régime[24]. Dans le numéro de juillet 1952, "la Révolution prolétarienne" publia, en plus du sujet de l’intégration occidentale de l’Espagne de Franco, la lettre ouverte par laquelle Camus refusa d’accepter une invitation officielle de l’Unesco, qui le sollicitait pour participer à une commission sur la culture et l’éducation. Il refusa car cette organisation était justement en train d’intégrer l’Espagne de Franco en son sein[25].

Parmi les rares articles de Camus traduits en allemand, en voici deux : en septembre 1953 est publié "Restaurer la valeur de la liberté", en janvier 1958, "Hommage à un journaliste exilé" avec un éloge de la rédaction quand Camus reçut le prix Nobel. Dans les premières éditions de "Rowohlt Fragen der Zeit", ces deux textes portent les titres allemands "Brot und Freiheit" et "Ehrung eines Verbannten". Il est intéressant de noter que ces textes se retrouvent dans la table des matières de l’édition "Fragen der Zeit", qui n’a été publiée qu’en 1960, sous deux appellations distinctes : "Allocution du 10 mai 1953" et "Allocution inédite"[26].

Le discours que Camus a tenu à la Bourse du travail de Saint-Étienne en mai 1953, donc devant un public majoritairement de syndicalistes, est certainement l’une de ses contributions politiques les plus belles et les plus engagées pour le mouvement libertaire. Dans son allocution, Camus s’oppose au matérialisme social pour défendre une option plus idéale de la liberté obtenue par la lutte des opprimés, celle défendue par les gouvernements n’en étant pas une.

"La société de l’argent et de l’exploitation n’a jamais été chargée, que je sache, de faire régner la liberté et la justice. Les États policiers n’ont jamais été suspectés d’ouvrir des écoles de droit dans les sous-sols où ils interrogent leurs patients. Alors, quand ils oppriment et qu’ils exploitent, ils font leur métier et quiconque leur remet sans contrôle la disposition de la liberté n’a pas le droit de s’étonner qu’elle soit immédiatement déshonorée[27]."

Puis Camus reproche à Marx d’avoir commis une erreur fondamentale en sacrifiant le mythe des libertés civiques sur l’autel du concept de la liberté en soi :

"Il fallait dire justement que la liberté bourgeoise n’était pas la liberté, ou dans le meilleur des cas, qu’elle ne l’était pas encore. Mais qu’il y avait des libertés à conquérir et à ne jamais plus abandonner. [...] D’une juste et saine méfiance à l’égard des prostitutions que cette société bourgeoise infligeait à la liberté, on en est venu à se défier de la liberté même. Au mieux, on l’a renvoyée à la fin des temps, en priant que d’ici là on veuille bien ne plus en parler. [...] La liberté bourgeoise, elle, peut procéder en même temps à toutes ses mystifications[28]."

Camus critique ensuite la dialectique cynique de la guerre froide : "A celui qui présente l’esclave des colonies en criant justice, on montre le concentrationnaire russe, et inversement[29]."

Mais Camus ne veut pas échanger la justice contre la vraie liberté : "Les opprimés ne veulent pas seulement être libérés de leur faim, ils veulent l’être aussi de leurs maîtres. Ils savent bien qu’ils ne seront effectivement affranchis de la faim que lorsqu’ils tiendront leurs maîtres, tous leurs maîtres, en respect[30]."

La séparation de la liberté et de la justice équivaudrait à la séparation du travail et de la culture.

Le vrai travail devrait être aussi créatif que le travail d’un artiste. Puisque les gouvernements ne maintiennent pas les libertés démocratiques, mais que celles-ci sont conquises par les mouvements sociaux, les libertés restantes doivent toujours être défendues et même continuellement élargies par les travailleurs. Selon Camus, les libertés acquises ne sont pas de pures illusions, mais le résultat des luttes sociales contre le pouvoir.

"Hommage à un journaliste", pour la défense de la liberté de la presse, prend pour exemple l’exil forcé de l’ancien président colombien Eduardo Santos qui fut un président plutôt libéral (1938-1942) de la Colombie. Après lui, il y eut plusieurs régimes militaires en Colombie. Eduardo Santos les a critiqués, spécialement pour la suppression de la liberté de la presse. Début des années 1950, le régime militaire voulut se débarrasser de son critique en le nommant à un poste privilégié, l’ambassade de Colombie en France. Santos refusa et créa le quotidien "El Tiempo" à Bogotà qui fut considéré très vite comme le plus important d’Amérique latine. Eduardo Santos dut essuyé plusieurs tentatives d’attentat et, en août 1955, le journal fut interdit et Santos exilé. Camus utilise son cas pour réfléchir à la signification de la liberté de presse[31]. Avec ces deux textes, la rédaction avait publié un bref extrait de la préface de Camus pour le livre de l’ancien trotskiste Alfred Rosmer, "Moscou sous Lénine". Cet ouvrage est en gros une défense du léninisme par rapport au stalinisme. Dans l’extrait de la préface, Camus ne partage pas tout à fait la défense du léninisme soutenue par Rosmer. Il critique en particulier Rosmer qui approuva l’écrasement de Kronstadt en 1921 et sous-estima les effets de la dissolution du Parlement russe – prélude aux persécutions de l’ensemble des révolutionnaires. Sur ce sujet, Camus reste hésitant et préfère laisser la question ouverte plutôt que de prendre clairement position[32].

Dans le numéro 424, 1/1958, hormis l’hommage à Santos, on peut lire un appel de Camus critiquant vertement les attentats commis par le FLN, dirigés contre des syndicalistes. Camus se demande ici si ces attentats ne révèlent pas une tendance totalitaire dans le mouvement indépendantiste. Des syndicalistes étaient tués les uns après les autres et avec chaque mort l’aventure algérienne devenait un peu plus ténébreuse. Les libertaires se devaient de pousser un cri d’alarme afin de retirer aux anticolonialistes leur bonne conscience qui justifiait tout, en premier lieu les meurtres. En fait, ces attentats visaient des syndicalistes algériens partisans de Messali Hadj, ancien ami de Camus. Ils avaient lutté ensemble contre le colonialisme pendant les années trente[33].

Le dernier texte de Camus pour "la Révolution prolétarienne" fut publié après son accident de voiture et suivi d’un article nécrologique amical de Raymond Guilloré. C’est une lettre dans laquelle il s’exprime sur la littérature prolétarienne. Camus ne croit pas à une littérature spécifiquement prolétarienne. Comparant André Gide et Léon Tolstoï, il qualifie le premier d’élitiste bourgeois et il admire la capacité du second à pouvoir écrire de façon si simple et si agréable que sa littérature touche le cœur des hommes de toutes les couches de la société. Il s’agit ici d’un talent que Gorki, Istrati et d’autres écrivains possèdent aussi. L’objectif des gens au pouvoir, que ce soit des dictatures ou des démocraties régies par l’argent, est toujours de séparer la culture et le travail. En revanche, la littérature de Tolstoï transcende cette ligne de démarcation[34].

Il faut tenir compte des fréquentations et des amitiés de Camus à "la Révolution prolétarienne" pour bien comprendre le travail qu’il y a effectué. Le journal de Monatte est d’abord aussi le journal dans lequel Simone Weil, dont Camus était un grand admirateur, publia des articles dans les années 1930[35].

À l’époque où Camus commença d’écrire pour "la Révolution prolétarienne", il travaillait sur une édition des œuvres de Simone Weil qui devait paraître chez Gallimard. Dans les années 1950, "la Révolution prolétarienne" publiait régulièrement des souvenirs et des discussions sur les œuvres de Simone Weil – sur "l’Enracinement"[36] par exemple –, Camus a donc dû s’y sentir à l’aise. D’autant que le journal faisait paraître des commentaires élogieux sur ses propres livres : ainsi le compte rendu de Jacques Muglioni[37] sur "l’Homme révolté", ou bien celui relatant une rencontre de typographes et de correcteurs, arrangée par Nicolas Lazarevitch, chez Camus après que celui-ci eut reçu le prix Nobel. A cette occasion, Camus souligna l’importance d’une notion de créativité du travail – la vraie culture du travail – opposé à la séparation de la culture et du travail. Un travailleur libre doit être créatif comme un artiste, selon Camus. Dans la comparaison connue entre Gide et Tolstoï, Camus s’engage de nouveau en faveur d’une littérature touchant tous les hommes et refuse finalement d’avoir un rôle de dirigeant pour les travailleurs[38].

En lisant les numéros de "la Révolution prolétarienne" des années 1950, j’ai fait une découverte qui m’a surpris moi-même. En décembre 1951, un "cercle Zimmerwald" avait été créé sous l’impulsion de Monatte. Le nom de ce cercle était une allusion aux opposants socialistes et pacifistes de la Première Guerre mondiale qui s’étaient retrouvés lors d’une conférence à Zimmerwald. Contrairement à eux, le cercle, qui craignait une troisième guerre mondiale, cherchait à s’y opposer en propageant l’idée d’une nouvelle internationalisation et en affirmant son indépendance afin d’éviter toute nouvelle léninisation comme cela s’était produit la première fois.

Messali Hadj

Il est intéressant de constater que le fondateur et président du premier cercle de Zimmerwald, en dehors de Paris, était un vieil ami de Camus quand celui-ci vivait en Algérie : il s’agissait de Messali Hadj (Camus et Hadj militèrent ensemble au sein du PCF/PCA dans les années 1935-1937). Le socialiste algérien Hadj, exilé pour des raisons politiques, vivait à Niort avec une liberté de mouvement restreinte. Il avait non seulement entretenu des contacts avec des mouvements libertaires mais était lui-même engagé dans le mouvement syndicaliste. Les syndicalistes du cercle de Zimmerwald voyaient toujours un "camarade" en Messali Hadj. Celui-ci avait envoyé un hommage émouvant à l’assemblée plénière du cercle parisien de Zimmerwald de 1954. Il y promettait de poursuivre son engagement en faveur des travailleurs français "malgré les énormes difficultés qui surgissent parfois et malgré l’incompréhension du peuple français"[39] en faveur du mouvement indépendantiste algérien. Il cherchait le contact avec le mouvement libertaire des travailleurs français afin de nouer une alliance avec les travailleurs immigrés algériens, à l’époque tout de même au nombre de 500 000, dont 150 000 vivaient à Paris et aux alentours et dont la plupart appartenaient au Mouvement national algérien (MNA), son mouvement. Il voulait réduire le risque d’une fracture au sein tant de son organisation que du mouvement syndicaliste français – il s’agissait ici d’une conception de mouvement totalement différente de celle du FLN. Hadj, en désaccord avec un Ferhat Abbas modéré et représentant de la bourgeoisie algérienne, se posait plutôt en rival prolétaire et socialiste du FLN, et indépendant de Nasser au Caire et de l’Union soviétique[40].

Même si le nationalisme algérien de Messali Hadj ne concordait pas avec la pensée de certains camarades du cercle de Zimmerwald et de "la Révolution prolétarienne", en particulier, la critique du nationalisme de Roger Hagnauer[41], le dirigeant du MNA maintint son soutien à l’internationalisme et continua à coopérer avec eux. Rien qu’en France, 4000 Algériens furent tués dans les luttes fratricides entre FLN et MNA. En Algérie même, il y eut des massacres, comme celui de Mélouza, en 1957, dans lequel le FLN extermina 374 sympathisants messalistes[42]. Ce fut en particulier à cette époque que "la Révolution prolétarienne" s’engagea, comme Camus, pour que les autorités coloniales françaises cessent de persécuter Messali Hadj : en octobre 1954 contre l’expulsion de Hadj de France, ensuite contre son arrestation en Algérie[43].

L’avocat de Messali Hadj, Yves Dechezelles, proche de l’entourage de "la Révolution prolétarienne", a, en plus, été très clair lors de sa critique de "l’Algérie hors la loi" de Francis et Colette Jeanson (amis de Sartre), désapprouvant le soutien sans condition de la gauche au FLN. Il importe de rappeler que Francis Jeanson était l’auteur de la critique de "l’Homme révolté" dans "les Temps modernes". Celle-ci avait conduit à la rupture avec Sartre. C’est avec une grande lucidité que Dechezelles démontre, grâce à de longues citations, que Francis et Colette Jeanson avaient pour seul objectif de discréditer Messali Hadj auquel ils reprochaient contre toute réalité de n’avoir aucune influence, de coopérer avec la police coloniale française et finalement d’être trotskiste. En tenant ces propos diffamants, Jeanson et Sartre suivaient une ligne clairement orthodoxe et stalinienne[44].

La critique de Camus à l’égard du FLN, qui se voulait le seul représentant du mouvement indépendantiste, se perçoit d’autant mieux si l’on prend en compte le combat contre les messalistes. Camus les préférait au FLN, jugé trop autoritaire et centraliste, Messali Hadj entretenant des contacts avec les groupes libertaires en France.

Quand le collaborateur de Camus, Jean de Maisonseul, fut interpellé après l’allocution de Camus en faveur d’une trêve en Algérie, Monatte avait annoncé qu’il pourrait organiser une campagne pour le faire libérer[45].

C’est seulement en tenant compte de ce cadre que la position libertaire de Camus s’offre en alternative à l’Occident capitaliste et à l’Est étatique.

5. Mettre Camus en pratique

Pour conclure, j’aimerais faire une remarque sur l’anarchisme, si on l’oppose au capitalisme et au marxisme. Je ne me considère ni comme un universitaire ni comme un homme de lettres, même si je cherche à écrire avec la plus grande clarté et en collant le plus possible à la réalité : je n’arrive pas à garder l’objectivité qui devrait satisfaire aux exigences scientifiques et d’esthétique littéraire.

Je m’intéresse à Camus sur un plan passionnel et pratique – lire les œuvres du théoricien de la révolte est une inspiration pour la mise en pratique de cette révolte. Le "non" de Camus à l’oppression est un modèle pour mon propre "non" anarchiste et une critique de la violence utilisée contre l’organisation sociale de la RFA : système du chômage, séparation du travail et de la culture, danger croissant du nationalisme et du racisme, xénophobie et expulsion institutionnalisée, État nucléaire toujours présent et armée fédérale sur le pied de guerre. J’interprète le "non" de Camus comme une incitation à s’engager pour la liberté et la révolte contre ce système.

Camus a été un écrivain politique, non, dans le sens de Sartre, comme quelqu’un qui a sacrifié ses propres positions aux nécessités d’un parti ou d’une idéologie, mais dans un sens libertaire en faveur d’une critique de l’idéologie, d’une critique de la violence, d’une critique du nationalisme. Il est difficile de comprendre le fond libertaire de Camus si l’on s’en tient à l’esthétique de son œuvre littéraire.

Les personnages des drames de Camus traduisent bien cet engagement politique : "les Justes", "le Malentendu", "les Possédés", "l’État de siège" ne peuvent pas être compris si l’on ne tient pas compte de son option politique qu’il entend soumettre à débat.

L’expert littéraire de la "Frankfurter Allgemeine Zeitung", Jürg Altweg, a écrit dans "Die langen Schatten von Vichy", paru en pleine phase de renouveau de Camus dans la France intellectuelle des années 1990, au chapitre le concernant : "La critique du totalitarisme par les nouveaux philosophes a provoqué un choc qui a suscité le renouveau de l’intérêt pour Camus, qui s’est maintenu puis amplifié lors de la publication du "Dernier Homme"[46]"

Nous pouvons nous réjouir en France du renouveau de la pensée de Camus, et en Algérie à cause de la guerre civile, de la réhabilitation de sa position critique sur la violence et le nationalisme du FLN. Cependant, nous devons aussi veiller à éviter que les nouveaux philosophes, apologistes du système, et les conservateurs ne l’instrumentalisent. Présenter Camus seulement comme un des premiers critiques du totalitarisme limiterait sa place au cadre de la guerre froide, ce qu’il a toujours voulu fuir, et négligerait la sensibilité libertaire profonde qui sous-tend son œuvre.

Lou Marin


 

[1] Source : http://anarchismenonviolence2.org/spip.php?article108. Publié le 27 octobre 2007.

[2] Lothar Baier, Sankt Albert. "Der Mythos von Camus’Größe vom Entstehen einer modernen Heiligenlegende", dans "SZ am Wochenende", n° 130, "Süddeutsche Zeitung", 8/9, juin 1996.

[3] Assia Djebar, "Weißes Algerien", Zürich, 1996.

[4] Abdel Wahab Meddeb, "Le partage" dans "Dédale", "Literaturzeitschrift", printemps 1996.

[5] Voir Wolfram Beyer, "Albert Camus – ein Libertärer", dans "Albert Camus, Weder Opfer noch Henker", Schriften des Libertären Forums Berlin, n° 1, édité par Internationale der Kriegsgegner/innen (IDK Berlin), Berlin, 1991 ; Wolfram Beyer, "Albert Camus. Weder Opfer noch Henker", dans "Grasswurzelrevolution Kalender 1991", Berlin, paru auparavant comme traduction allemande dans "Tintenfaß, Magazin für den überforderten Intellektuellen", édité par Franz Sutter, n° 11, Zürich, 1984, écourté un peu par la rédaction ; Wolfram Beyer/Normann Stock, "Albert Camus. Stichwort für das Lexikon der Anarchie", Berlin/Heidelberg, 1997.

[6] Voir Lou Marin, "Ursprung der Revolte. Albert Camus und der Anarchismus", Heidelberg 1998.

[7] Voir par exemple le recueil d’articles assemblés par Heinz Robert Schlette, "Wege der deutschen Camus-Rezeption", Darmstadt, 1975.

[8] Voir Horst Wernicke, "Albert Camus. Aufklärer - Skeptiker - Sozialist, Hildesheim/Zürich/New York, 1984 ; Horst Wernicke, "Albert Camus Novelle, Die Stummen" (1957). "Camus’ politische Positionen in den fünfziger Jahren", dans : Franz Josef Klehr/Heinz Robert Schlette, "Der Camus der fünfziger Jahre", Stuttgart, 1997, pp. 39-52 ; Horst Wernicke, "Geist und Mut. Albert Camus, René Char : Haltungen und Handeln im Widerstand", dans Heinz Robert Schlette, "Erkenntnis und Erinnerung. Albert Camus", Pest-Chronik, Bonn, 1998, pp. 35-36.

[9] Voir Heinz Robert Schlette, "Der Sinn der Geschichte von morgen" "Albert Camus’ Hoffnung", Frankfurt a. M., 1995, p. 27.

[10] Voir "Maurice Laisant condamné" et "Le pacifiste" dans "Albert Camus et les Libertaires", "Volonté anarchiste", 26, Paris, 1984, p. 19 et p. 37.

[11] Lire la reproduction électronique de cette revue sur le site de la Presse anarchiste

[12] Voir Lou Marin (note 5), p. 65.

[13] Voir Helmut Rüdiger, "Albert Camus als politischer Denker", dans "Arbetaren", Stockholm, n° 2, 1960, en version allemande dans Helmut Rüdiger, "Sozialismus und Freiheit", Münster/Wetzlar, 1978, pp. 146-150, ici p. 148.

[14] Voir Marin (note 5), pp. 29-37. Les articles de Camus au "Soir républicain" sont tous publiés dans "Fragments d’un combat, 1938-1940, "Alger républicain", "le Soir républicain", "Cahiers Albert Camus", n° 3, deux tomes, ici tome 2, Paris, 1978.

[15] Ibid, pp. 101-122.

[16] Herbert R. Lottman, "Camus. Eine Biographie", Hamburg 1986, p. 184.

[17] Marin (note 5), p. 36.

[18] Ibid, p. 111.

[19] Robert Proix, "À Albert Camus, ses amis du Livre", Paris, 1962.

[20] Monatte, cité d’après Lou Marin (note 5), p. 56.

[21] Helmut Rüdiger en tant qu’"Observateur" : "Französische Diskussionen über Zimmerwald", dans "Die freie Gesellschaft", n° 29, 3/1952, p. 145.

[22] Charles Jacquier, "Avant-propos", dans Charles Jacquier, "Simone Weil, l’expérience de la vie et le travail de la pensée", Arles, 1998, p. 10.

[23] Chiffre trouvé dans les mentions légales de "la Révolution prolétarienne" à l’IISG, Amsterdam, juin 1999.

[24] Albert Camus, "L’Europe de la fidélité", dans "la Révolution prolétarienne" n° 351, 5/1951, p. 159.

[25] Albert Camus, "Franco, défenseur de la culture !", dans "la Révolution prolétarienne", n° 364, 7/1952.

[26] Albert Camus, "Fragen der Zeit", Reinbeck ,1960, 223.

[27] Ibid. p. 76 ou Albert Camus, "Restaurer la valeur de la liberté", dans "la Révolution prolétarienne", n° 376, 1953, p. 242.

[28] Ibid., p. 77.

[29] Ibid., p. 78.

[30] Ibid., p. 80.

[31] Albert Camus, "Ehrung eines Verbannten", dans "Fragen der Zeit" (note 24), pp. 83-89, en français : Albert Camus, "Hommage à un journaliste exilé", dans "la Révolution prolétarienne", n° 424, 1/1958, p. 218.

[32] Albert Camus, "Ceux qui ont refusé le déshonneur et la désertion", dans "la Révolution prolétarienne", n° 420, 9/1957, p. 170.

[33] Albert Camus, "Post Scriptum", dans "la Révolution prolétarienne", n° 424, 1/1958, p. 220.

[34] "Albert Camus et la littérature prolétarienne", dans "la Révolution prolétarienne", n° 447, 2/1960, p. 26.

[35] Patrice Rolland, "Simone Weil et le syndicalisme révolutionnaire", dans Charles Jacquier, "Simone Weil, l’expérience de la vie et du travail de la pensée, Arles, 1998, pp. 69-106.

[36] Voir A. Sousbie dans "la Révolution prolétarienne", n° 335, 1/1950, p. 24, voir aussi les analyses théoriques et les explications d’Albertine Thévenon, "Simone Weil que nous avons aimée, quand il était temps", dans "la Révolution prolétarienne", n° 357, 12/1951, p. 379, et la série d’articles d’Andrieux/Lignon : "Simone Weil et la condition ouvrière, dans "la Révolution prolétarienne", n° 367, 11/1952, 317-324 ; n° 368, 12/1952, 355-360 ; n° 370, 2/1953, pp. 33-36.

[37] Jacques Muglioni : "La Révolte contre l’histoire", dans "la Révolution prolétarienne", n° 358, 1/1952, p. 40.

[38] "Albert Camus chez les travailleurs du Livre", dans "la Révolution prolétarienne", n° 424, 1/1958, p. 23.

[39] Messali Hadj, "Message de sympathie à l’assemblée générale du cercle Zimmerwald à Paris", dans "la Révolution prolétarienne", n° 381, 2/1954, pp. 62 et 64 : "La Vie des cercles".

[40] Voir Lou Marin (note 5), pp. 141 et 158.

[41] H. Rüdiger, "Französische Diskussion über Zimmerwald" (note 19), p. 147.

[42] Voir Lou Marin (note 5), p. 141 et p. 158.

[43] Déclaration du cercle Zimmerwald sur la déportation de Messali Hadj, dans "la Révolution prolétarienne", n° 401, 12/1955, p. 287 et "Libérez Messali Hadj !", dans "la Révolution prolétarienne", n° 404, 3/1956, p. 22.

[44] Yves Dechezelles, "À propos d’un livre sur l’Algérie : lettre ouverte à Francis et Colette Jeanson", dans "la Révolution prolétarienne", n° 403, 2/1956, p. 45.

[45] Voir Lou Marin (note 5), p. 139.

[46] Jürg Altweg, "Die langen Schatten von Vichy", Wien, 1998, p. 193.


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