Anarchie et liberté
Dans le n° 17 d’Alternative
libertaire, le vrai journal des libertaires, j’avais tenté de faire sentir à
tous les lecteurs que la mécréance était la condition sine qua non à
l’appartenance anarchiste et je vous avais promis un élargissement de la
notion de liberté et quelques pistes de sensibilisation.
Hier soir, j’ai effectué un
grand "tour" en village et en campagne, avec Coca-Cola, mon chien
unique et préféré. J’ai pris la voiture. Des contraintes lourdes, j’en ai
subies. Tourner les clés, manier les leviers, tourner sur la bande macadamisée,
arrêter aux stops, laisser doubler les BMW, virer à droite dans les sens
giratoires (en me posant à chaque fois la question importante qui turlupinait
Lionel Jospin : " Où est la droite, où est la gauche ?").
Dans le village, défense de pisser contre les murs de l’église, défense de se garer devant la gare, défense de déposer les ordures devant la mairie, défense d’afficher sur le panneau des dazibaos municipaux, défense pour Coca de déféquer sur le trottoir, défense de stationner devant les portes cochères, défense de taguer, défense de fumer au bistrot, défense de marcher sur les pelouses, défense de toucher, défense d’entrer, défense d’engueuler le garde-champêtre suite à la conclusion évidente qu’il y a une différence notoire entre lui et un chameau : le chameau peut travailler 8 jours sans boire et le garde-champêtre peut boire 8 jours sans travailler, défense de pêcher à 100m en aval et 150m en amont comme si je savais ce que sont l’aval et l’amont, défense de consommer plus de 5 " pintches "... J’en passe et des bonnes.
Je suis allé en forêt et la série
a continu . Défense de marcher hors des allées, défense de laisser
chienchien divaguer, défense de cueillir les champipi, les champignons, surtout
les ammanites phalloïdes et les girolles, défense d ‘entrer chasse gardée
danger piégeage-attention au loup.
En arrivant, sur le tard, à la
maison, je fus reçu par un virulent "tu ne rentres pas, j’ai passé la
serpillère". Ma Dame avait toilé, serpilléré, wasingué la mechta.
Je me suis réfugié,
politiquement correct, dans le placard qui me sert de bureau et j’ai réfléchi
à la notion de " liberté ".Le mot
est porteur d’une idée
importante. Gravé sur le frontispice des monuments, il rappelle à tous les
citoyens un droit inaliénable et fondamental.
Mais…..
L’homme a une fâcheuse tendance, lorsqu’il aborde mentalement cette notion de liberté et émet le mot à SE considérer, corps et esprit, face à d’Autres corps et esprits. Et ce processus comparatif fâcheusement tendancieux l’amène immédiatement à faire monter son adrénaline et à se montrer agressif. D’où il s'ensuit des conséquences désastreuses pour les uns et les autres. On porte atteinte à Ma Liberté. Ma Liberté est bafouée par l’Etat, l’église, l’école, la famille et le voisin.
Chacun, s’estimant pouvoir
posséder la liberté donne sa
propre définition du mot et ses propres caractéristiques, ses extensions et
rarement ses restrictions.
La liberté d’un détenu
incarcéré devient le ciel bleu, la course des nuages et la mer infinie.
La liberté pour Papon reste la
nécessité du pouvoir sans atteinte et la non repentance.
La liberté pour Messier c’est
la possibilité de bâtir un empire de pognon par le trafic, le mensonge,
l’audace et le flouage organisé.
C’est tout le problème de la
liberté individuelle face à la liberté politique (la liberté des autres
citoyens de la ville).
Il semble que les Anars se
doivent de réfléchir à cette notion de liberté individuelle et à ses
fluctuations historico-philosophiques.
Pour moi, à l’instar des Stoïciens
de l’Antiquité ou de Spinoza, l’homme doit se conformer
aux lois ou conditions de la Nature. Plus il accepte avec sérénité son
sort naturel (pas celui imposé par les sociétés et leurs lois), plus il se
sent libre, plus il respire à pleins poumons.
Pour certains panthéistes, la
notion même de Dieu se confond avec la vie de la nature dans son ensemble. Jeux
de mots.
La personnalité de l’individu
est une magnifique mosaïque de composants : l’histoire personnelle, la
famille, le milieu, le corps, la raison, l’affect. Se conformer aux
prescriptions de la Nature signifie subir certains des composants mais aussi de
les transformer par des procédés on ne peut plus naturels. Ainsi on peut
former le corps par la culture physique, la mémoire par des exercices de mnémotechnie.
On peut apprendre à raisonner par déduction, on peut diriger son affection.
Il n’y a pas de fatalisme
absolu comme l’entend Diderot, même
s’il y a un grand degré de déterminisme dans le comportement.
Nietzsche nie la notion de
liberté. Il ne reste toujours à l’homme que l’illusion de sa liberté et
" rien n’échappe au monde de la nécessité ".
Pour les existentialistes –qui
restent mes modèles en croyance-, pour Kierkegaard, Sartre, Heidegger,
l’homme peut faire des choix, même s’ils sont relatifs. Pour eux, la liberté
consiste à se libérer de la vie quotidienne
et de l’insignifiance. Vaste programme qui sent un peu le pléonasme :
être libre, c’est se libérer. Mais c’est la vérité.
La liberté politique concerne
les rapports individus-société. Le Moi face aux Autres. JJ Rousseau affirme que, seul l’établissement des lois garantit la
liberté de chacun et "il n’y a personne au- dessus des lois",
même Chirac dans sa chiraquie, même Bush et sa boucherie. Ce qui ne convainc
personne, évidemment, bien évidemment.
Souvent, on entend dire "Ma
liberté s’arrête où commence celle des autres". Si j’en
retourne les termes, cela donne : "Ma liberté commence où
s’arrête celle des autres".
Comme la liberté de penser et
d’agir de beaucoup de bourgeois, de capitalistes bourgeois, de curaillons, de
maffiosi ne s’arrête jamais, jamais ne commence la respiration à pleins
poumons du prolétaire.
Mais qu’en est-il de
l’Anarchiste dans toutes ces considérations ? Où se situe l’Anarchie
dans ces concepts ? Pourquoi toujours lutter pour affirmer sa liberté
puisqu’il y a un déterminisme individuel et un barrage social : les
autres.
L’anarchiste est supposé
raisonner, réfléchir. Devant un choix, il est capable d’analyser les tenants
et aboutissants ; de mesurer le positif et le négatif, et d’en faire le
total.(même si l’action qui s’en suivra n’est pas conforme au résultat
de la sommation.
Le premier devoir du libertaire
est donc, à défaut de pouvoir tout changer dans la constellation de ses
composants, de se forger le raisonnement. De structurer ce raisonnement sur des
bases idéologiques solides.
A l’évidence, après 8 h de
boulot insipide, dans des conditions dignes d’épouvante ; après 2 h de
RATP, se plonger dans la lecture de Kant, Marx ou Bakounine n’est guère
effectuer un plongeon aisé. Il n’en reste pas moins vrai qu’un peu de
lecture adaptée à sa formation et à ses goûts est plus formateur pour la
raison que la déraison des Stars Academy, des Pop stars ou Koh-Lanta.
Et puis la participation aux réunions
est formateur. Écouter, réfléchir, répondre, débattre. Puis agir
solidairement.
Il n’est pas difficile de se
rendre compte, chez soi ou en orgas que les capitalistes travaillent à
l’augmentation exponentielle de leurs capitaux, que les religieux travaillent
à la mythification du peuple, que beaucoup de maîtres travaillent à l’abêtissement
du peuple et que de nombreux élus de qui de quoi travaillent au renforcement de
leurs pouvoirs, à la promulgation de lois scélérates et à la répression
tous azimuts.
Pour les libertaires, il
s’agit alors de chercher solidairement des soluces …et de les mettre en
application.
Pour sortir de
l’insignifiance.
Pour la défense de la liberté
individuelle fondue dans la liberté collective.
Écrit le 19 septembre 2002,
avec des références à Encarta
2001.
Maï