Antisémitisme : Entre mythes et réalités[1]

 

Mahieddine Khelifa[2]

 

Depuis la visite d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des mosquées, il ne se passe pas une semaine en France, sans que les médias fassent état d’actes ou d’écrits "antisémites".

Tout se passe comme si l’onde de choc, provoquée par les terribles images du conflit israélo-palestinien, venait se répercuter, par vagues successives, sur l’Hexagone qui abrite en son sein les plus grandes communautés juive et musulmane d’Europe.

La régularité de ce phénomène a contraint l'État français à promulguer une loi[3] visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe en y insérant la formule "à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée."

Qui est sémite ?

L’histoire nous enseigne que le qualificatif sémite a été conçu pour la première fois par un auteur allemand du nom de A. L. Schlogel en 1870 dans l’ouvrage Répertoire de la littérature biblique et orientale. Si pour le mot sémite, il est facile d’en deviner l’éponyme - Sem ayant été l’aîné des enfants de Noé -, il en est autrement du terme "aryen" qui désigne les tribus originaires de l’extrémité nord orientale du continent européen, qui ont franchi le Caucase, il y a de cela 4500 ans environ. En se référant toujours à la tradition biblique, c’est le qualificatif "japhetiste" qu’aurait dû utiliser cet auteur, puisque Japhet, troisième fils de Noé, serait le père fondateur des Grecs, des Antoliens et des Européens. En prenant en considération cette classification, les enfants de Sem seraient donc les Arabes et les Hébreux, étant tous deux descendants d’Abraham par Ismaël pour les premiers et par Isaac et son fils Jacob pour les seconds. Aujourd’hui, l’on se rend compte que le terme antisémite n’est réservé que pour désigner les actes ou propos dirigés contre la seule communauté juive, excluant du coup la communauté originaire des pays arabes. En réalité, cette "exclusion" à laquelle se laissent prendre, consciemment ou inconsciemment, bon nombre d’intellectuels occidentaux et orientaux n’est pas le fait du hasard. Que de fois n’ai-je vu lors de tables rondes télévisées, certains d’entre eux se faire taxer "d’antisémite" malgré leur origine sémite ! Le matraquage des médias allant dans ce sens a été tel que plus personne n’ose remettre en cause cette notion restrictive de l’antisémitisme.

Lors de la dernière manifestation du 16 mai 2004, organisée à Paris sur le thème de "La lutte contre l’antisémitisme", tout a été fait pour écarter les organisations luttant contre le racisme. Ces dernières n’étant censées s’occuper que "des Arabes, des Noirs et autres basanés". Cette mise à l’écart de la majeure partie des descendants de Sem, que sont les Arabes, rappelle curieusement l’exigence de pureté raciale formulée dans la Bible (Thora) pour protéger la "race sainte" des autres tribus :

"Ceux qui étaient de la race d’Israël se séparèrent de tous les étrangers" (Nehemie 9-2) ou encore :

"Lorsqu’ils eurent entendu cette loi, ils séparèrent d’Israël tout homme de sang mélangé" (Nehemie 13-3).

"...La race sainte s’est mêlée aux gens de pays" (Esdras 9-1 et 2). A l’aube du IIIe millénaire, la problématique se pose encore et malheureusement sur le thème racial.

Les Juifs sont ils tous des sémites ?

La population juive dans le monde comporte deux communautés bien distinctes : les Séfarades et les Ashkénazes. Les Séfarades sont les juifs originaires du Moyen-Orient qui ont émigré à une époque ou une autre de l’histoire vers d’autres pays. Ce sont les descendants d’Isaac par Jacob dont les douze enfants ont formé les douze tribus d’Israël. Les Séfarades ressemblent comme deux gouttes d’eau à leurs cousins arabes. Ils sont aujourd’hui minoritaires puisqu’ils constituent les 1/10 environ de la population juive recensée dans le monde. Quant aux juifs ashkénazes, ils sont originaires de l’extrémité nord orientale de l’Europe et ne sont, de ce fait, ni les descendants d’Abraham ni de Jacob. Ils constituent ce que Arthur Kessler appelle "la treizième tribu"[4]. Ce sont les descendants des Ouïgours, des Magyars, des Huns, des Bachires, des Petchenegues, des Tarmiaks et autres tribus appelées aussi les Gogs et Magogs[5] qui peuplaient les vastes plaines situées entre la Volga et le Caucase. Les historiens ont divisé ces peuplades en deux groupes : les Khazars, blonds et les Kara Khazars bruns.

Christian Druthnar d’Aquitaine, moine de Westphalie, écrivait en l’an 800 : "Il existe sous le ciel, dans des régions où ne se trouvent pas de chrétiens, des peuples dont le nom est Gog et Magog et qui sont des Huns. Parmi eux, il y a les Khazari qui sont circoncis et observent le judaïsme dans son entièreté."[6] Ces faits furent confirmés un siècle plus tard, en 951, par un certain Ibn Fadhlan, secrétaire d’ambassade. Ce diplomate raconte, dans ses notes de voyage[7], les péripéties vécues par la délégation dirigée par l’ambassadeur Hassan Er Rassi, chargé par le khalifa El Mouqtadir, de convaincre les Saqaliba (Slaves) d’avoir à traiter directement avec le khalifa, sans passer par l’intermédiaire Khazar judaïsé, dont le royaume était le vassal de Byzance. Cette conversion des peuples khazars au judaïsme s’explique par le fait que la Khazarie fut, durant de nombreux siècles, une terre d’accueil et d’asile pour les rabbins juifs qui fuyaient les persécutions de Byzance. Leur prosélytisme eut du succès tant auprès du roi des Khazars et de sa cour que de la population du royaume. Voila donc ce que disent les historiens sur l’origine des juifs ashkénazes.

Il est bien évident que l’évocation de cette origine non sémite des Ashkénazes n’est pas faite pour leur plaire. D’abord, parce qu’elle leur ôte toute auréole de "sainteté" puisqu’elle confirme que ce sont des juifs convertis, non descendants des douze tribus d’Israël dont fait mention la Bible. De plus, elle enlève à cette communauté toute justification biblique à l’occupation de la terre d’Israël dont ils se targuent souvent. Cela est d’autant plus dérangeant que les Ashkénazes représentent les 9/10 aussi bien de la population juive mondiale, estimée en 2002 à 12,5 millions d’habitants[8], que de celle de l'État d’Israël. Il est donc bien aisé de comprendre pourquoi l’étude du professeur Abraham Poliak, titulaire de la chaire d’histoire à l’université de Tel-Aviv, intitulée La conversion des Khazars au judaïsme (1941), fut accueillie avec beaucoup d’hostilité par la communauté ashkénaze. Son essai démolissait la "tradition sacrée" faisant remonter tous les juifs modernes aux 12 tribus bibliques d’Israël. En représailles, son nom fut supprimé de l’Encyclopedia Judaïca édition 1971-1972[9], c’est dire ! Aujourd’hui, les Ashkénazes qu’Arthur Kessler classe dans son ouvrage dans la catégorie des "Aryens", du fait de leur origine européenne établie, ont pris la place des Arabes "sémites" que l’on a "déporté" dans une autre catégorie raciale non encore définie et où figurent les peuples noirs et autres teints basanés. L’appropriation de la "race sémite" s’est faite de la même manière que celle de la Palestine, avec la bénédiction, consciente et parfois inconsciente, d’une bonne partie de l’intelligentsia occidentale. Ce n’est donc pas par hasard si le législateur français n’est pas entré dans le jeu malsain de la classification des hommes en races, ajoutant intelligemment la formule "en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée... à une race"...

"Le raïs français Ben Chirak"

Le Monde du 17 mai 2004 a publié un encart publicitaire sous le titre "Contre l’antisémitisme ! je marche !". On peut lire dans l’exposé des motifs "tombes profanées, synagogues taquées..., nous n’acceptons pas la haine du juif, la France que nous voulons, c’est la République du vivre ensemble".

Un bien beau programme. Mais comment y croire, lorsque le slogan mobilisateur écarte d’emblée les musulmans originaires des pays arabes à qui l’on a fait gober l’équation antisémitisme = antijuif, et que le texte ne fait aucune allusion aux mosquées, dont certaines ont subi le même sort que certaines synagogues ? Parmi les signataires de l’appel, on trouve Bernard Henri Levy, dont la haine envers l’Islam et les Pakistanais a été dénoncée dans un article de William Dalrymple, paru dans Le Monde diplomatique de décembre 2003 ; Elie Chouraki, pris en flagrant délit de manipulation de jeunes collégiens par l’encadrement pédagogique. Les coupes dans les interviews, effectuées par le cinéaste et constatées lors du passage du reportage dans la sempiternelle émission "Envoyé spécial" sur France 2, ont provoqué une vigoureuse réprobation de la part du maire et des enseignants. Le fonds de commerce de l’Holocauste ne faisant plus recette, ce reportage avait en réalité pour objectif de faire "monter la mayonnaise antisémite" et faire oublier, auprès de l’opinion, les images inhumaines de la tragédie palestinienne sous les coups répétés de l’armée israélienne (Tsahal pour les intimes !).

Bizarrement, il manquait dans la liste "l’humanitaire" Bernard Kouchner qui, après avoir soutenu avec force arguments (sic) l’invasion américaine en Irak, a soudain perdu l’usage de la parole, malgré les milliers de morts et les sévices infligés aux prisonniers irakiens par la "plus grande démocratie du monde". Dans la rubrique, "Horizon" du même journal[10], toute une page est consacrée à une banale dispute entre adolescents. Pour avoir traité Jonathan de "sale juif", Noureddine a été placé en garde à vue au commissariat, et le père de la victime reçu trois jours plus tard, par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur ! Sollicitude à laquelle ne semble pas avoir eu droit le commissaire de police poignardé lâchement par un membre du Betar, lors de la manifestation du 7 avril 2002. L’avocat du jeune beur dit avoir été sidéré de découvrir qu’"on avait mis en cage des mineurs pour un petit accrochage sans intérêt monté en épingle par les médias". Et de poursuivre : "J’ai trouvé des jeunes embarqués dans l’horreur d’une garde à vue pour avoir lancé des mots auxquels ils ne comprenaient rien." Ouvrant son cœur à son défenseur, l’un des jeunes a déclaré qu’il s’était fait traiter de "fils de p...", mais qu’orphelin de mère, il aurait préféré "être traité de sale Arabe, ça je connais et je m’en fous" !

Une enquête de la Sofres[11] confirme les propos du jeune beur, sur sa connaissance du racisme antiarabe (antisémite ne voulant plus rien dire !). Il existe une hiérarchie du racisme : les Maghrébins viennent en tête avec 89%, ils sont suivis des Gitans 46%, des Noirs 37% et des juifs 10%. Encore que pour les chercheurs Maryse Esterie et Laurent Mucchielli, "il vaudrait mieux parler d’israélophobie, il n’y a pas d’antisémitisme au sens d’une haine des juifs"[12]. Pour étayer cette forte tendance au racisme antiarabe et antimusulman, il suffit de citer les déclarations de personnalités représentatives de la communauté juive de France. L’amiral Michel Darmont, président de l’Association France-Israël, soutient dans Témoignage Chrétien du 6 juin 2002, "depuis 10 ans, la communauté juive s’est trompée de combat. Ce n’est pas Le Pen notre ennemi, mais la politique étrangère de la France"[13] (suivez son regard !). Roger Cukierman, président du CRIF[14], est plus direct. Il qualifie le score réalisé par l’extrême droite, lors de l’élection présidentielle de 2002, de "message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles"[15].

Saisissant la balle au vol, Bruno Megret, en mal de popularité, reprend en écho : "Face à l’intégrisme islamique, nous partageons des inquiétudes communes avec les organisations représentatives des juifs de France."[16] Mais la palme revient à Jacques Kupfer, président du Likoud France qui s’en prend aux Palestiniens qu’il qualifie de "hordes sauvages... qui squattent les terres d’Israël". Et conclut : "Peut-être faut-il se rendre à la seule évidence : on ne peut plus vivre avec eux, si tant est qu’ils aient le droit de vivre. Ce sera donc eux ou nous.[17] On croirait lire un passage de Mein Kanpf ! L’exemple venant d’en haut, on ne voit pas ce qui pourrait retenir les excités de l’extrême droite juive et son bras armé, le Betar, de faire gicler leur venin contre l’Islam et les Arabes dans les différents sites Internet. Ainsi, le président français devient "le Raïs Français Ben Chirak", pour sa politique courageuse et équilibrée au Moyen-Orient ; l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Vedrine "Vedrine Hubert Alles" faisant référence au slogan nazi "Deutschland Uber Alles" (l’Allemagne au-dessus de tous). Les Arabes, quant à eux, sont traités de "déchets" et leurs assassinats se transforment en "élimination ou neutralisation". Pascal Boniface[18], Alain Lipietz et Roselyne Bachelot deviennent des "complices des déchets". Même le pape n’échappe pas à leur vindicte : "Fils de chien de Pape"[19]. Tous ces excités, épargnés curieusement par les émissions hebdomadaires d’"Envoyé spécial" sur France 2, se disent "fiers de combattre contre la France qui pue, petit pays merdeux où les antijuifs déchetophiles pullulent"[20]. Cette "France qui pue" qu’ils ne quitteraient pour rien au monde, pas même pour Israël, qualifié pourtant de "seule démocratie" du Moyen-Orien ! En effet, la démocratie du loup dans la bergerie.

Une seule race : La race Humaine

Les musulmans originaires des pays arabes ne sont pas les seuls à souffrir du racisme. André Chouraki, natif de Aïn Témouchent, devenu maire de Jérusalem, révèle dans sa magistrale étude sur Les juifs d’Afrique du Nord, que même en Israël, les juifs séfarades sont victimes du racisme des juifs ashkénazes venus d’Europe bien imbus de leur supériorité raciale. Celui que le président Ben Gourian avait fait nommer président du Conseil, pour la fusion des communautés séfarades et ashkénazes, raconte comment la communauté séfarade s’est révoltée contre l’"aflayah" (mot hébreu désignant un mélange d’arbitraire et de racisme) dont elle était l’objet de la part des Ashkénazes. Ces derniers, non seulement les méprisent, mais les traitent de "Noirs, d’attardés mentaux... souffrant de tares héréditaires", et vont même jusqu’à affirmer qu’au milieu d’eux, "ils se sentent comme au zoo"[21]. Ce racisme a dû quelque peu s’estomper du fait de l’état de guerre permanent avec les Palestiniens. Mais ce n’est que partie remise, car en attendant, les Séfarades ont été remplacés par les souffre-douleur palestiniens, leurs cousins ancestraux !

Voilà donc comment se comportent de par le monde certains représentants de la "treizième tribu" qui se proclame sémite alors qu’elle est originaire de l’extrémité nord-orientale de l’Europe, vis-à-vis des "vrais sémites" qu’ils soient descendants d’Ismaël ou d’Isaac. La race juive n’existe pas. Jamais une religion aussi ancienne soit-elle n’a donné naissance à une race. On est de confession juive, comme on peut être de confession chrétienne ou musulmane. Pour les hommes de paix, tous les hommes sont frères. La classification des êtres humains en races est un procédé fondamentalement raciste dont le but inavoué est d’instaurer une différence entre les hommes. Pour ma part, je ne connais qu’une seule race : la race humaine.



[1] Piqué sur : http://www.algerie-dz.com/article905.html

[2] Avocat agréé à la Cour suprême, El Watan.

[3] Loi 2003-88 du 3 février 1998.

[4] Arthur Kessler La treizième tribu. Ed Calman-Levy.

[5] Yajuj ou Majuj en arabe.

[6] Cité par Arthur Kessler op cit.

[7] Ibn Fadhlan dans Voyage chez les Bulgares de la Volga, ed. Sindbad.

[8] Chiffre donné par Jacques Attali dans Les juifs, le monde et l’argent.

[9] Faits soulignés par Arthur Kessler dans La treizième tribu Op cit.

[10] Le Monde du 17 avril 2004.

[11] Le Monde du 19 mars 2002.

[12] Le Monde du 24 mars 2001, cité par D. Vidal dans Le mal être juif.

[13] Cité par Dominique Vidal, dans Le mal-être juif.

[14] CRIF, Comité représentatif des institutions juives de France.

[15] Dans le quotidien Haaretz du 22 avril 2002, cité par D. Vidal op cit.

[16] Dans Le Parisien du 28 août 2002 cité par D. Vidal op cit.

[17] Site internet www.a7fr.com cité par D. Vidal op cit.

[18] Cité par D. Vidal dans Le mal-être juif op cit.

[19] Cité par D. Vidal op cit.

[20] Cité par André Chouraki dans Histoire des juifs d’Afrique du Nord.

[21] Directeur de l’Institut de recherches internationales et statistiques.


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