Les révérends pères
Béranger, 1819
[1]


Hommes noirs, d'où sortez-vous?
Nous sortons de dessous terre.
Moitié renards, moitié loups,
Notre règle est un mystère.
Nous sommes fils de Loyola ;
Vous savez pourquoi l'on nous exila.
Nous rentrons; songez à vous taire!
Et que vos enfants suivent nos leçons.

Refrain :
C'est nous qui fessons,
Et qui refessons
Les jolis petits, les jolis garçons.


Un pape nous abolit ;
Il mourut dans les coliques.
Un pape nous rétablit ;
Nous en ferons des reliques.
Confessons, pour être absolus ;
Henri IV est mort, qu'on n'en parle plus.
Vivent les rois bons catholiques,
Pour Ferdinand VII nous nous prononçons.

Et puis nous fessons...


Si tout ne changeait dans peu,
Si l'on croyait la canaille,
Et le monarque de paille.
Nous avons le secret d'en haut.
La Charte de paille est ce qu'il nous faut.
C'est litière pour la prêtraille ;
Elle aura la dîme, et nous les moissons.

Et puis nous fessons...

Du fond d'un certain palais
Nous dirigeons nos attaques.
Les moines sont nos valets :
On a refait leurs casaques.
Les missionnaires sont tous
Commis voyageurs trafiquant pour nous.
Les capucins sont nos cosaques.
A prendre Paris nous les exerçons.

Et puis nous fessons...


Enfin reconnaissez-nous
Aux âmes déjà séduites.
Escobar va sous nos coups
Voir nos écoles détruites.
Au pape rendez tous ses droits ;
Léguez-nous vos biens, et portez nos croix.
Nous sommes, nous sommes Jésuites ;
Français, tremblez tous: nous vous bénissons.

Et puis nous fessons...

 

Les missionnaires
Béranger 1819[2]


Satan dit un jour à ses pairs :
On en veut à nos hardes ;
C'est en éclairant l'univers
Qu'on éteint les discordes.
Par brevet d'invention
J'ordonne une mission.

Refrain :
En vendant des prières,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu,
Vite soufflons, soufflons, morbleu !
Éteignons les lumières
Et rallumons le feu.

Exploitons, en diables cafards,
Hameau, ville et banlieue.
D'Ignace imitons les renards,
Cachons bien notre queue.
Au nom du Père et du Fils,
Gagnons sur les crucifix.

En vendant des prières ...

Que de miracles on va voir
Si le ciel ne s'en mêle !
Sur des biens qu'on voudrait ravoir
Faisons tomber la grêle.
Publions que Jésus-Christ
Par la poste nous écrit.

En vendant des prières ...

Chassons les autres baladins,
Divisons les familles.
En jetant la pierre aux mondains,
Perdons femmes et filles.
Que tout le sexe enflammé
Nous chante un Asperges me.

En vendant des prières ...

Par Ravaillac et Jean Châtel,
Plaçons dans chaque prône,
Non point le trône sur l'autel,
Mais l'autel sur le trône.
Comme aux bons temps féodaux,
Que les rois scient nos bedeaux.

En vendant des prières...

L'Intolérance, front levé,
Reprendra son allure ;
Les protestants n'ont point trouvé
D'onguent pour la brûlure.
Les philosophes aussi.
Déjà sentent le roussi.

En vendant des prières...

Le diable, après ce mandement,
Vient convertir la France.
Guerre au nouvel enseignement,
Et gloire à l'ignorance !
Le jour fuit, et les cagots
Dansent autour des fagots.

Le Te Deum du Premier Janvier 1852
Victor Hugo, 1852[3]


Prêtre, ta messe, écho des feux de peloton,
Est une chose impie.
Derrière toi, le bras ployé sous le menton,
Rit la mort accroupie.
Prêtre, on voit frissonner, aux cieux d'où nous venons,
Les anges et les vierges.
Quand un évêque prend la mèche des canons
Pour allumer les cierges.
Tu veux être au Sénat, voir ton siège élevé
Et ta fortune accrue ;
Soit ; mais pour bénir l'homme, attends qu'on ait lavé
Le pavé de la rue.

Peuples, gloire à Gessler ! meure Guillaume Tell !
Un râle sort de l'orgue.
Archevêque, on a pris, pour bâtir ton autel,
Les dalles de la morgue.

Quand tu dis : "Te Deum! nous vous louons, Dieu fort !
Sabaoth des armées !''
Il se mêle à l'encens une vapeur qui sort
Des fosses mal fermées.

On a tué, la nuit, on a tué, le jour,
L'homme, l'enfant, la femme!
Crime et deuil. Ce n'est plus l'aigle, c'est le vautour
Qui vole à Notre-Dame.

Va, prodigue au bandit les adorations ;
Martyrs, vous l'entendîtes !
Dieu te voit, et là-haut tes bénédictions,
O prêtre, sont maudites !

Les proscrits sont partis au flanc du ponton noir,
Pour Alger, pour Cayenne ;
Ils ont vu Bonaparte à Paris, ils vont voir
En Afrique l'hyène.

Ouvriers, paysans qu'on arrache au labour,
Le sombre exil vous fauche !
Bien, regarde à ta droite, archevêque Sibour,
Et regarde à ta gauche.

Ton diacre est Trahison et ton sous-diacre est Vol ;
Vends ton Dieu, vends ton âme,
Allons, coiffe ta mitre, allons, mets ton licol,
Chante, vieux prêtre infâme !

Le meurtre à tes côtés suit l'office divin,
Criant : Feu sur qui bouge !
Satan tient la burette, et ce n'est pas de vin
Que ton ciboire est rouge.

 

Chant des électeurs (La Marseillaise anticléricale)
Léo Taxil, 1881


Allons ! fils de la République,
Le jour du vote est arrivé !
Contre nous de la noire clique
L'oriflamme ignoble est levé (bis).
Entendez-vous tous ces infâmes
Croasser leurs stupides chants ?
Ils voudraient encore, les brigands,
Salir nos enfants et nos femmes !

Refrain :
Aux urnes, citoyens, contre les cléricaux !
Votons, votons et que nos voix dispersent les corbeaux !

Que veut cette maudite engeance,
Cette canaille à jupon noir ?
Elle veut étouffer la France sous l'éteignoir ! (bis)
Mais de nos bulletins de vote
Nous accablerons ces gredins,
Et les voix de tous nos scrutins
Leur crieront  : A bas la calotte !

Quoi ! ces curés et leurs vicaires
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi! ces assassins de nos pères
Seraient un jour nos meurtriers! (bis).
Car ces cafards, de vile race,
Sont nés pour être inquisiteurs...
A la porte, les imposteurs !
Place à la République ! place !

Tremblez, coquins ! cachez-vous, traîtres !
Disparaissez loin de nos yeux !
Le Peuple ne veut plus des prêtres ;
Patrie et Loi, voilà ses dieux (bis)
Assez de vos pratiques niaises !
Les vices sont vos qualités.
Vous réclamez des libertés ?...
Il n'en est pas pour les punaises !

Citoyens, punissons les crimes
De ces immondes calotins ;
N'ayons pitié que des victimes
Que la foi transforme en crétins (bis)
Mais les voleurs, les hypocrites,
Mais les gros moines fainéants,
Mais les escrocs, les charlatans...
Pas de pitié pour les jésuites !

Que la haine de l'imposture
Inspire nos votes vengeurs !
Expulsons l'horrible tonsure ;
Hors de France, les malfaiteurs ! (bis)
Formons l'union radicale ;
Allons au scrutin le front haut :
Pour sauver le pays, il faut
Une chambre anticléricale.

 

La Marche Anticléricale
Montéhus[4]

I
Contre les vendeurs de bêtises,
Contre ceux qui faussent le cerveau,
Contre les tenanciers de l'Eglise,
De la raison levons le drapeau.
Au lieu d' bâtir des cathédrales.
Et d' faire des chapelles pour Jésus,
Nous voulons, chose plus idéale,
Faire des gîtes pour les pieds nus.

Refrain :
C'est la chute finale
De tous les calotins,
L'anticléricale
Voilà notre refrain.
C'est la chute finale,
De tous les f... tiens,
L'anticléricale
Fera le mond' païen (bis)

II
Assez de messes et de prières,
Nous ne somm's plus des résignés
Vous n'apaiserez pas nos colères,
Vous avez fini de régner.
Nous ne serons plus vos victimes,
La lumière a frappé nos yeux,
Et nous avons vu tous vos crimes,
Band' de jésuites, marchands d' bons dieux.

III
Nous ne voulons ni Dieu, ni prêtres,
Plus d' prejugés, plus d'religion,
La raison doit guider les êtres,
Hors de tout's les superstitions.
Des cerveaux, c'est la délivrance,
Des esprits, la tranquillité,
Et c'est la fin de l'ignorance,
Dans les ténèbres,c'est la clarté.

IV
Vous êt's les enn'mis de la science,
Vous êt's les enn'mis du genre humain,
Vous n'avez ni coeur ni conscience,
Vous n'aimez qu'une chose: le butin.
Nous démolirons vos bastilles,
Ces geôl's que l'on appelle couvents,
Hors du monde, les noires guenilles,
Vous avez vécu trop longtemps.

V

Eh! oui, nous ferons taire vos cloches,
Nous ferons sauter vos verrous,
Afin de faire vider vos poches,
A vous, syndicat de filous.
Pendant qu'le peuple das la misère,
Reste sans pain, sans gîte, sans feu,
Vous entassez, band' de vipères,
L'argent volé aux malheureux.

VI

Vous pouvez sortir vos bannières,
Crier à la profanation,
C'est pour l'humanité entière,
Qu'nous vouons votre abolition.
Pour fêter la chute finale,
Nous prendrons à vos cardinaux
Leur robe rouge et la Sociale
S'en fera de jolis drapeaux.

 

Les Eglises
Eugène Bizeau[5]

D'énormes monuments où des gredins sinistres,
D'un dieu mort sur la croix se disent les ministres,
Dans l'imbécillité des foules à genoux
Trouveront trop longtemps de quoi beurrer leurs choux.

D'énormes monuments que l'astuce des cuistres
Déchirant en secret d'accusateurs registres,
Ne lavera jamais du sang versé partout
Quand "l'infâme" était reine et le prêtre tabou.

D'énormes monuments éclos dans le domaine,
Hélas ! illimité, de la bêtise humaine...
D'énormes monuments, dont l'horreur des bûchers

Où flambaient des penseurs les dernières paroles,
Fait l'éclair de nos yeux menacer les coupoles
Et nos désirs vengeurs monter vers les clochers !...

 


Anonyme et sans titre 1905)

D'amour, O République!
Nous serions pénétrés
Si tu chassais la clique
Infâme des curés
Nos sacoches sont lasses
De se vider pour eux
Aussi noirs et rapaces
Qu'avares et crasseux

refrain:
Plus d'Eglise
De soeurs grises
De moines et de curés
Soeurs et prêtres
Que ces êtres
Du budget soient retirés

Je voudrais voir ces crânes
Noirs et blancs, tonsurés,
Abandonner soutanes
Et beaux salons dorés
Pour saisir la charrue
La faulx ou le rateau
Le câble et la grue
La lime ou le marteau

Ah ! si tu leur supprimes
La solde à ces corbeaux
Se posant en victimes
Ils perdront leurs airs beaux
Et leurs grosses bedaines
Aux
flo rissants contours
Car toutes les semaines
Ils jeuneront tous les jours.

S'il vous survient un moine
Ne le recevez pas
Soit qu'il s'appelle Antoine
Anselme ou Barabas
Il aurait le coeur lisse
Et comme le serpent
Qui dans les fleurs se glisse
Vous mordrait sûrement

Envoyons donc au diable
Tous ces ensoutanés
Fuyons leurs tabernacles
Par eux seuls profanés
Quand ils n'auront personne
Pour les faire mentir
Et leur faire l'aumône
Vos les verrez partir.


[1] Pierre Jean de Béranger (1780-1857), chansonnier parisien, témoin à 9 ans de la prise de la Bastille, auteur de nombreuses chansons bonapartistes, patriotiques, antiroyalistes, anticléricales.
"Saint" Ignace de Loyola (1491-1556) est le fondateur de l'ordre des jésuites, supprimé en 1773, puis rétabli en 1814. Pour vous parler d'Escobar, il me faudrait relire Les Provinciales.
Les jésuites sont soupçonnés d'avoir armé Ravaillac contre Henri IV et empoisonné les papes Clément XIII et Clément XIV. (Clément XIII devait annoncer la dissolution de la Compagnie de Jésus le 3.2.1769 ; la veille, il est trouvé mort empoisonné ; son successeur Clément XIV décide cette dissolution en 1773 ; malgré toutes sortes de précautions, il meurt empoisonné en 1774 au terme d'une agonie de 3 mois ; d'après L.Taxil, Calotte et Calotins, Paris,1880)
La Charte de 1814 est la "Constitution" du pouvoir monarchiste de la Restauration.
Ferdinand VII est roi d'Espagne (bigot) de 1808 à 1833.
Les punitions corporelles étaient de tradition dans les écoles des jésuites.
Les renards et les loups désignent les jésuites dans le folklore anticlérical (voir: R. Rémond, Histoire de l'anticléricalisme, 1985).
On trouve à partir du site Internet The Secular Web "Les instructions secrètes" des jésuites (1616), en anglais (chercher dans "Library : historical documents", auteur : "Unknown").

 

[2] Sur Béranger, et les jésuites, voir la note ci-dessus.
Les missions dont il s'agit ont eu lieu dans la France profonde et non outre-mer.
On colportait dans les campagnes une "lettre envoyée par Jésus-Christ".
Asperges me: se réfère à un rite de la messe : l'aspersion des fidèles par l'eau bénite. (Notez le symbolisme sexuel.)
Jean Châtel a été un prédécesseur de Ravaillac : il a tenté d'assassiner Henri IV ( merci à Francis Capy pour cette information).

 

[3] Un Te Deum est une cérémonie célébrée à l'issue d'une victoire militaire et destinée à remercier Dieu de son aide.Sabaoth est l'un des noms bibliques de Dieu lorsqu'il aide militairement les juifs. Le coup d'État du 2 Décembre 1851 de L-N. Bonaparte avait été béni par l'église catholique (400 morts à Paris, 27 000 personnes arrêtées en France, des milliers de déportés en Algérie). Uri Gessler est le bailli qui a ordonné à Guillaume Tell de viser la pomme sur la tête de son fils; c'est le type même du collabo. (Je remercie Olivier Gérard pour cette dernière information.)

 

[4] Chanson de Montéhus (1872-1952), sur l'air de l'Internationale. Malgré cette chanson et d'autres du même tonneau, il a été patriotard et militariste en 1914 ; sentant le vent tourner en 1917 il a écrit une chanson pacifiste.

 

[5] Ce texte est extrait du recueil "Verrues Sociales" (Christian Pirot ed., Veretz, 1988)
E. Bizeau (1883-1989) fut vigneron, poète et chansonnier antimilitariste. L'Association Laïque des amis d'Anne et Eugène Bizeau (c/o N. Charlaine, Rue P. et M. Curie, 15200 Mauriac) perpétue la mémoire d'Eugène et son épouse qui fut une active militante syndicale.

 


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