Montréal,  Mardi 9 octobre      
                                                                                                                                                                     
De Tazmamart à New York
 
Un jour de décembre 1984, Il devait être 9 heures du matin lorsqu’on est venu chercher le lieutenant  B’Barek Touil dans sa cellule.  Comme ses 57 camarades, il n’avait pas vu le soleil depuis 11 ans.  Quelques 400 kilomètres le séparaient de l’ambassade des État-unis à Rabat où il était attendu par l’ambassadeur en personne qui tenait à s’assurer de son état de santé.   Touil a défilé devant l’ambassadeur, déshabillé et les yeux bandés. Des photos ont été prises.  Le lendemain, à la même heure, le même hélicoptère qui l'avait décollé de Tazamamart l'avait ramené à la même prison. La même cellule 15.
 
Pourquoi l’ambassadeur s’intéressait au lieutenant M’barek Touil et pas aux 57 autres..? Ils étaient tous dans le même enfer : Tazmamart.  Une oubliette qu’Hassan II avait construit spécialement pour ces innocents militaires impliqués malgré eux dans les deux coups d’état de 1971 et 72.
 
Excepté quelques organismes des droits de l’Homme, l’opinion publique internationale (surtout en France) n’avaient jamais appris l’existence du bagne de Tazmamart.  C’est ‘’Notre ami le Roi’’ de Gilles Perrault  en 1990 qui l'a révélé au monde.  11 ans plus tard, un des survivants du bagne, Ahmed Marzouki publie avec l’autorisation du nouveau Roi Mohamed VI "Tazmamart cellule 10"[1]. Beaucoup de marocains découvrent enfin une partie de leur histoire récente qu’on appelle maintenant Les années de plomb.
 
 
En 1973,  suite a un procès au tribunal militaire de Rabat, le lieutenant M'baraek Touil a été condamné à 20 ans et détenu à la prison militaire de Kenitra.  La nuit du 7 août 1973, il était parmi les 58 détenus choisi arbitrairement pour passer 18 ans 49 jours dans une oubliette.  But de l’opération, donner exemple de la leçon qui attendrait n’importe quel militaire qui oserait penser à un autre jeu de renversement d’une monarchie vieille de 3 siècles. 
 
Les militaires connaissaient donc l’existence de Tazmamart.  Par contre, excepté quelques familles des condamnés, personne de la société civile marocaine ne savait rien sur Tazmamart.  Le bagne était situé loin des regards quelques part au milieu des montagnes de l’Atlas.
 
Mais, pourquoi les autorités américaines s’intéressaient soudainement au lieutenant M’barek Touil et pas aux 57 autres condamnés..?
 
Le destin a voulu que la femme du lieutenant Touil soit américaine.  Après le procès, Nancy qui n’a pas réussi à rendre visite à son mari, en soudoyant les gardiens, elle a fini par correspondre avec lui et même lui envoyer une photo de leur fils âgé de quelques mois.  Ça n’a pas duré longtemps. Soudain, plus de réponse, plus de nouvelles. Le silence. 
 
Fatiguée de rechercher son mari depuis sa disparition de la prison de Kenitra. Après d'incroyables efforts, Nancy a finit par désespérer. Elle est rentrée en Amérique avec l’enfant.  Des années plus tard, elle apprend par des organismes des droits de l’homme que son mari était à Tazmamart. Dès lors elle avait  tout fait pour que le Département d’État à Washington fasse pression sur Rabat d’où cet intérêt soudain de l’ambassadeur des États unis pour les droits d’un prisonnier marocain..! 
 
Suite à cette petite visite dans l’ambassade américaine, Touil a bénéficié d’un régime particulier. Il avait droit à des sorties matin et soir, a des médicaments et a des repas plus acceptables. Quand aux autres bagnards.. ? Rien ne leur a été accordé.  Touil cependant, a fait preuve d’une grande générosité en partageant  avec ses camarades le peu qu’il pouvait.  Parmi les survivants de Tazmamart, plusieurs doivent aujourd’hui, à lui et sa femme, la vie.
 
Les autorités américaines connaissaient donc l’existence de Tazmamart.   Pourquoi ont-ils laissé faire.. ?  Même pas une petite amélioration des conditions de vie n’a été recommandée pour les condamnés de Tazmamart. S’ils ont laissé des hommes mourir à petit feu, ce n’est pas à cause d’une politique de non ingérence, au contraire.
 
La guerre froide a duré de 1948, ( l'année de la déclaration des droits de l’Homme..!) à 1989 (l'année de la chute du mur de Berlin).  En 1984, nous sommes encore dans la guerre froide.  On était encore avec l’Amérique ou contre l’Amérique. Cela concernait autant les régimes politiques que tous les individus politiquement actifs.  Hassan II, Roi du Maroc depuis 1962, avait choisi son camp, et il l’avait bien prouvé en 1965 en ordonnant l’assassinat de son opposant le plus menaçant.

 

Mehdi Ben Barka a été kidnappé et assassiné en France. Un cou-monté en collaboration des services de renseignements  français, américains et israéliens.  Ben Barka était un démocrate révolutionnaire, tiers-mondiste reconnu internationalement par les forces militantes des nouveaux pays. Il n’était pas  menaçant seulement pour Hassan II.  Il faisait partie de la longue liste noire de la CIA.  La tragédie de Tazmamart n’est malheureusement pas l’unique exemple de l'horreur subie par des marocains et sur lequel les autorités américaines ont choisi de fermer l’œil.
 
Le livre d’Ahmed Marzouki raconte le plus fidèlement possible les 18 ans 49 jours passés à Tazmamart. 6550 nuits. En lisant le livre, on se croirait par moment dans un camp nazi.  Parmi les 28 survivants de Tazmamart, certains trouvent que Marzouki ne pouvait pas tout raconter parce que les scènes de cruauté étaient innombrables et certaines inconcevables. Mais  Marzouki est le premier des survivants de Tazmamart à témoigner en français dans un livre.  Le chapitre concernant le lieutenant M’barek Touil en dit long sur l’attitude des États-Unis devant les manquements aux droits de l’Homme dans les régimes considérés comme ses alliés.
 
Parce qu’il était marié à une américaine, Touil est devenu en quelque sorte lui-même américain digne d’un traitement particulier..  Devant ce traitement de faveur,  tous les condamnés de Tazmamart auraient aimé être mariés à des américaines.. !  Certains condamnés, qui avaient fait des stages militaires en terre d’Amérique,  regrettaient de ne pas avoir donner suite à leurs relations amoureuses.  La grâce de  Dieu n’existe que pour les américains et ceux qui marient leurs femmes.. !
 
Depuis l’attentat du 11 septembre, des voix se sont élevées pour rappeler que le drame des américains n’est rien comparé à ce que les autorités américaines ont fait, ou font encore subir à d’autres peuples.  À ces voix, il manque l’invasion des images d’enfants irakiens qui meurent par millier à cause de l’embargo.  Des images de frappes aériennes sur l’Irak qu’on devrait normalement nous montrer aux nouvelles puisque l’information est un droit, paraît-il.   Il manque aussi ce genre de petites anecdotes comme celle du silence américain face à  Tazmamart, qui illustrent plus que tout la complicité du régime américain aux crimes contre l’humanité commis par les despotes de ce monde. Deux cent mille opposants de gauche supprimés au Guatemala, près d'un million de communistes anéantis en Indonésie et la liste est longue.
 
Apparemment, jamais depuis l’attentat de New York l’antiaméricanisme ne s’est autant exprimé.  "Quand on joue avec le feu, on finit par se brûler", ont entend beaucoup ce genre d’arguments pour expliquer le drame de New York.  Mais, ces voix ont beau crié haut et fort pour alerter les opinions sur l’urgence d’une solution pacifique face au terrorisme, elles n’arrêtent pas la marche des boys vers le terrain de la guerre.  
L’antiaméricanisme est perçu comme un cliché, comme quelque chose qui revient à la mode mais qu’on supporte parce que les circonstances oblige une certaine liberté d’expression..  Après tout, nous sommes dans une démocratie.. ! Au fond, si ces voix n’ont pas d’impact réel pour stoper le lancement des missiles sur le territoire afghan, c’est parce qu’on n’assimile pas encore profondément la responsabilité des États unis dans ce qui leur arrive. Cela me rappelle certains marocains qui ne veulent pas lire ''Tazmamart cellule 10'' de peur de se sentir coupables.   Après la sortie du livre de Perrault certains marocains croyaient que Tazmamart était l'invention imaginaire des ennemis du Maroc. 
 
Faire connaître toutes les merdes que les États-Unis ont semé un peu partout sur la terre, avec des preuves en images à l’appui, nécessairement ça réveillerait  l'Américain moyen. Celui qui fait élire les vrais responsables du terrorisme.  Terrorisme d'État, mais terrorisme quand même. Certains trouveraient l’analyse simpliste. Elle n’est que simple.  Rappelez-vous que c’est ce même Américain moyen qui a arrêté la guerre du Vietnam (1962 – 1975).  Le conflit aura coûté la vie à 46 376 Américains morts au combat, 10 000 morts de causes étrangères et 300 000 blessés. C'en était trop pour le citoyen américain qui se croyait. 900 000 vietnamiens sont morts à cause de cette guerre.
 
Aujourd’hui, M'barek Touil vit Aux États unis avec sa femme et son fils.  Naturellement, il devrait se sentir en paix, loin de Tazmamart et la douleur des souvenirs.  Loin de l'horreur.   Avec l’attentat du 11 septembre 2001, pour lui, pour sa famille comme pour  tous les américains, voire les occidentaux, rien n'est plus sûr.  Quoi qu'en chante, la grâce de Dieu n'a rien avec l'affaire.  Les hommes aimeront ou n'aimeront pas.
 
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Si ne nous sommes pas des millions à manifester par tous les moyens pacifiques, contre l'intervention occidentale en Afghanistan,  nous aurons permis d'avance à d'autres terroristes de frapper fort.   Et n'importe qui parmi nous pourrait être touché.  Nous aurons surtout glisser encore plus loin vers la fin d'un projet inachevé qu'on appelle démocratie. 
 
Comme les victimes de World Trade Centre à New York,  les bagnards de Tazmamart eux aussi étaient des innocents.
 

Mohamed Lotfi anonymes@arobas.net ; www.souverains.qc.ca

 
Cliquez et écoutez Chroniques des années de plomb au Maroc :
http://radio-canada.ca/refuge/resultats.asp?recherche=nom&macadam=reportages&personne=10


[1] Référence : ‘’Tazmamart cellule 10’’  Ahmed Marzouki.  Les Écrits des hautes terres.  


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