Deux petits textes de
Laurent Tailhade
Un prêtre est un chien enragé que tout passant a le
devoir d'abattre (1902)
A Monsieur Joseph
Viollet, ratichon
19 décembre 1902.
Vous exercez, monsieur, la très
hilarante fonction d'accommoder pour les personnes pieuses des sandwichs
d'Absolu, que vous leur poussez dans le gaviot, non sans accomplir maintes génuflexions
et autres simagrées. Vous enseignez imperturbablement aux élèves confiés à
vos leçons qu'un ramier féconda, il y vingt siècles, une vierge déipare,
laquelle, ayant mis bas dans un chenil à bestiaux, vit sortir de ses flancs
Vous professez que
Vous tenez pour article de foi la
baleine de Jonas, le soleil de Josué, le poisson de Tobie et la mâchoire d'âne
qui concassa les Pelischim.
Vous cataloguez les
fables niaises de l'inepte Jésus; vous faites semblant de prendre au sérieux
les stupides historiettes du Nouveau Testament et de placer les évangiles bien
au-dessus du Grand Albert ou du
Langage des fleurs.
Comme vous
vivez dans une société laïque, ne déférant qu'à la raison,
à la science, vous tirez de votre métier les avantages les plus solides et les
plus nombreux. Tandis que
Quand vous passez dans la
rue, en cotillon noir, les flics vous cèdent le pas et les mouchards veillent
sur vous.
Vous êtes malfaisant,
venimeux et patenté. (...)
Quant
à vous, monsieur, jeune, fils de catholique notable, arriviste d'un cynisme très
nouveau jeu, vous poussez votre pointe et vous vous insinuez dans le monde par
des procédés beaucoup moins ingénus. Comme les bateleurs vos aînés, comme
les Gayraud, les Naudet, les Garnier, vous faites du socialisme pour le compte
de l'Église, non moins que pour votre avancement personnel. Vous assistez en
jupon aux conférences révolutionnaires; purs, sous couleur d'élucider quelque
point de doctrine, vous offrez votre orviétant, vous proposez
le remède catholique au mal social. Vous affirmez sans rire que la doctrine du
Pendu galiléen - pendu si à propos, d'ailleurs, par la civilisation romaine -
invite le riche à se dépouiller, le prêtre, accapareur de la fortune
publique, à prodiguer l'or aux malheureux. Vous exhibez ces effroyables
sornettes, flanqué de quelques jeunes idiots sortis des grenouillères de
Saint-Vincent-de-Paul ou des trous à rats de l'abbé Fonsagrives. On vous écoute;
des orateurs comme Sébastien Faure daignent vous prendre au sérieux. (...)
Quant
à la liberté de discussion dont si souvent, mal à propos, les libertaires ont
la bouche pleine, je ne vois à quel titre vous pourriez, la demander à vos
adversaires.
"Au
nom de leurs principes", alléguait le sinistre Veuillot. Si les principes,
les immortels principes de
Le
prêtre, par la honte de son état, la hideur infamante de son costume, vit en
dehors de la loi commune, de la solidarité. Contre lui, tout est permis, car la
civilisation est en droit de légitime défense; elle ne lui doit ni ménagement
ni pitié. C'est le chien enragé que tout passant a le devoir d'abattre, de
peur qu'il ne morde les hommes et n'infecte les troupeaux. Le prêtre, dans une
société basée sur la raison et la science, le prêtre survivant aux âges
nocturnes dont il fut un des plus redoutables produits, le prêtre n'aurait
d'autre place qu'à Bicêtre, dans le cabanon des fous dangereux. Exclusion,
ostracisme, prison perpétuelle, bagnes et cachots, tout est bon, tout est légitime
contre lui. Discuter avec ça! Non, mais le museler, mais le mettre à mort; car
la peine capitale, si odieuse qu'elle soit, n'est pas trop forte pour cet
empoisonneur plus effrayant que Borgia, plus infâme que Castaing. Le
respect de la vie humaine cesse envers ceux-là qui se sont mis volontairement
hors de l'hmanité.
[…]
Extrait du Triomphe
de
[…]
La domesticité française tient, à présent,
ses grands jours. Porte-coton, lécheurs de bottes, ceux de l'Académie et ceux
des maisons closes, les trigauds de la presse, les pouacres de l'État-Major,
les pieds-plats de l'Élysée et les bassets du Ministère, dans une épilepsie
unanime de domesticité, se ruent à deux genoux vers le tsar Nicolas. Car le
revoici, comme aux temps immémoriaux de Félix Faure, l'escroc impérial de
toutes les Russies, qui vient pour intimer quelques ordres à la française
platitude ou bien pour souricer encore un peu d'argent à la poltronnerie
exorbitante de l'"Epargne nationale". Occasion unique de profuser un
large numéraire, de gaspiller en feux d'artifices, en lampions, en
boustifailles serviles, autant d'or qu'il en faudrait pour abriter et nourrir,
pendant la saison mauvaise, un peuple entier de malheureux. Des courtauds de
boutique (garçons de magasin ou notables commerçants), des ronds-de-cuir, des
laveurs de vaisselle, des habitués de la comtesse de Martel, toutes sortes
d'espèces, dont l'intellectuel racorni, le coeur purulent et les nerfs en bois
de chaise percée n'éprouvent d'aucune façon, même la pitié quasi machinale
qui fait secourir un pauvre diable dans la rue -, des pouilleux vont se ruiner
en flammes de Bengale, en stéarine et chandelles romaines, en drapeaux
tricolores, en beaucéants noir et jaune dont les êtres un peu délicats ne
voudraient point, si je l'ose dire, pour éponger le carreau des lieux. Les
camelots sont aux anges. Les reporters, autres camelots, versent de la copie
comme un hareng laisse fuir sa laitance. (...)
Donc, à Reims, à Dunkerque, à Bétheny,
Et
vous paierez alors, en une fois, l'arriéré de vos dettes, ô bourgeois
capitalistes! ô bétail infâme des honnêtes gens! Vous rendrez cet or qu'une
sordide peur vous fait mettre sous la garde plus ou moins efficace du premier
despote venu. Alors, vos prétoriens, vos prêtres, vos juges sinistres et vos
soldats bestiaux resteront impuissants, ne pourront plus défendre l'idole
rebutante et cruelle que vous servez encore. Vous tomberez au pourrissoir,
dispersés par un vent de tempête, qui emportera vos demeures, vos trésors,
vos jouissances, comme un tas de fumier qui souillait la pureté du ciel et dont
l'orage seul des révoltés en marche peut laver la sournoise, la féroce, la ténébreuse
puanteur.
[…]