Obama et la question israélo-palestinienne[1]
Noam Chomsky
Tout le monde s’accorde à reconnaître en Barack Obama un homme à l’intelligence aiguisée, et un juriste chevronné particulièrement précis dans le choix de ses mots. On doit donc prendre Obama au sérieux – tant dans ce qu’il dit que dans ce qu’il tait. D’une signification particulière, sa première déclaration substantielle en matière d’affaires étrangères, le 22 janvier, au Département d’État : il intronisait alors George Mitchell, duquel il faisait son envoyé spécial au Moyen-Orient.
On attend de Mitchell qu’il focalise son attention sur le problème israélo-palestinien, au lendemain de la récente invasion américano-israélienne de Gaza. Durant cet assaut meurtrier, Obama est resté silencieux, n’émettant que quelques platitudes, au motif, disait-il, qu’il n’y aurait eu qu’un seul président des États-unis – alors que cela ne l’avait jamais incité à se taire sur bien d’autres questions.
Sa campagne, en revanche, avait lourdement insisté sur cette déclaration du même Obama : "Si des roquettes tombaient là où mes deux filles dorment, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour arrêter ça !". Il faisait allusion aux enfants israéliens (est-il besoin de le préciser ?), et non aux centaines d’enfants palestiniens en train d’être massacrés par des armes de fabrication américaine, dont, évidemment, il ne pouvait pas parler, puisque – combien de fois faudra-t-il vous le répéter ? – il n’y avait qu’un seul président qui fût en mesure de le faire (mais qui n’en avait nulle envie) ?!
Toutefois, le 22 janvier, le seul et unique président des États-unis est devenu un certain Barack Obama. Par conséquent, celui-ci pouvait désormais parler librement de ce genre de question – en évitant soigneusement, bien sûr, l’agression contre Gaza, qui venait de prendre fin, par le plus grand des hasards ( !). Juste à la veille de son intronisation !
Le discours d’Obama a mis l’accent sur son engagement en vue d’un règlement pacifique. Il en a laissé les délinéaments dans le vague, excepté une proposition spécifique : "L’initiative de paix arabe", a dit Obama, "comporte des éléments constructifs qui pourraient contribuer à faire progresser ces efforts. Le temps est venu, pour les pays arabes, d’agir selon la promesse de cette initiative en soutenant le gouvernement palestinien sous la direction du président Abbas et du Premier ministre Fayyad, en allant de l’avant dans la normalisation de leurs relations avec Israël et en luttant contre l’extrémisme qui nous menace tous."
Obama, on le voit, ne falsifie pas tout de go la proposition de la Ligue arabe, mais son entourloupe, soigneusement ciselée, est hautement instructive.
La proposition de paix de la Ligue arabe appelle effectivement à une normalisation des relations avec Israël – dans le contexte – je répète : dans le contexte – d’un solution à deux Etats dans les termes du consensus international réuni de longue date, que les États-unis et Israël bloquent depuis plus de trente ans, dans un isolement international total, chose qu’ils continuent à faire aujourd’hui. Le noyau de la proposition de la Ligue arabe, comme Obama est ses conseillers ès-Moyen-Orient le savent parfaitement, c’est son appel à un règlement politique pacifique dans ces termes, bien connus désormais, dont il est reconnu qu’ils sont la seule base possible pour le règlement pacifique auquel Obama professe être attaché. L’omission de ce fait crucial ne saurait être purement accidentelle : elle signale de manière très claire qu’Obama n’envisage nullement de se départir du rejectionnisme américain. L’appel qu’il lance aux pays arabes, les exhortant à mettre en actes un corollaire de leur proposition, tandis que les États-unis continuent à ignorer jusqu’à l’existence de son contenu fondamental, qui bien entendu pré-conditionne le corollaire, dépasse les bornes du cynisme.
Les actes les plus significatifs de nature à saper tout règlement pacifique sont les agissements quotidiens soutenus par les États-unis dans les territoires occupés, tous reconnus comme des agissements criminels : confiscations de terres arables et de ressources et construction de ce que l’architecte-en-chef du plan, Ariel Sharon, appelait des "bantoustans" pour Palestiniens – ce qui était d’ailleurs une comparaison injuste, car les bantoustans sud-africains étaient autrement plus viables que les fragments de la Palestine concédés aux Palestiniens dans la conception sharonienne des choses, en train de se réaliser sur le terrain. Mais les États-unis et Israël vont même jusqu’à continuer à refuser un règlement politique en pures paroles verbales, encore tout récemment, en décembre 2008, les États-unis et Israël (ah, j’allais oublier… ainsi que quelques minuscules îles du Pacifique) ayant voté contre une résolution de l’Onu soutenant "le droit du peuple palestinien à l’autodétermination" (votée à 173 voix pour, 5 contre, et le veto des Etats-Unis-Israël, sous des prétextes évasifs).
Obama n’a pas eu un seul mot au sujet des constructions de colonies et d’infrastructures (réservées aux colons) en Cisjordanie, ni des mesures complexes visant à contrôler l’existence des Palestiniens et conçues de manière à saper les perspectives de toute solution pacifique à deux États. Son silence est une réfutation sinistre de ses envolées lyriques sur la manière dont il va "entretenir un engagement actif à rechercher deux États vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité".
Il n’a pas mentionné, non plus, l’utilisation d’armes américaines à Gaza, en violation non seulement du droit international, mais aussi de la loi américaine. Ni l’expédition de nouvelles armes américaines par Washington à Israël, au plus fort de l’agression américano-israélienne, chose que n’ignoraient certainement pas les conseillers es-questions moyen-orientales d’Obama.
Sur un point, toutefois, Obama s’est montré intraitable : la contrebande d’armes à destination de Gaza doit être stoppée… Il avalise l’avis commun de Condoleezza Rice et de la ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni, selon lequel la frontière entre la bande de Gaza l’Égypte doit être hermétiquement scellée – remarquable exercice d’arrogance impériale, comme l’a fait observer le Financial Times : "Se congratulant mutuellement, à Washington, ces deux responsables semblaient oublier le fait qu’elles étaient en train de conclure un marché au sujet d’un commerce illégal à la frontière de quelqu’un d’autre : en l’occurrence, des Égyptiens. Le lendemain, un responsable égyptien qualifia leur mémorandum de "fictionnel". Mais cette objection égyptienne fut rejetée d’un revers de main…"
Revenons à l’allusion faite par Obama à la proposition "constructive" de la Ligue arabe ; comme l’indique le compte-rendu, Obama persiste à refuser de soutenir le parti vainqueur [Chomsky écrit, par erreur : "defeated party", ndt] des élections de janvier 2006 – les seules élections libres de tout le monde arabe – auxquelles les États-unis et Israël réagirent, immédiatement et ouvertement, en punissant sévèrement les Palestiniens de s’être opposés à la volonté des maîtres. Mais il y a un léger ‘hic’, c’est le fait que le mandat d’Abbas a pris fin le 9 janvier, et que Fayyad a été nommé sans avoir été confirmé par le Parlement palestinien (dont beaucoup des membres ont été kidnappés par Israël, où ils sont emprisonnés depuis lors). Le quotidien israélien Ha’aretz qualifie Fayyad de "drôle d’oiseau dans le monde politique palestinien. D’un côté, c’est l’homme politique palestinien le plus estimé en Israël et en Occident. De l’autre, toutefois, il n’a pas le moindre pouvoir électoral, ni dans la bande de Gaza, ni en Cisjordanie". Le rapport relève par ailleurs "la relation intime de Fayyad avec l’establishment israélien", et en particulier son amitié avec Dov Weisglass, un conseiller extrémiste de Sharon. Bien que dépourvu de tout soutien populaire, Fayyad est considéré compétent et intègre, ce qui n’est pas courant dans les secteurs politiques sponsorisés par les États-unis.
L’insistance mise par Obama à ne jurer que par les seuls Abbas et Fayyad ne fait que confirmer le mépris constant de l’Occident pour la démocratie, dès lors que celle-ci échappe à son contrôle.
Obama a fourni les raisons habituelles "justifiant" qu’on ignore le gouvernement élu dirigé par le Hamas. "Pour être un authentique partenaire de paix", a ainsi déclaré Obama, "le quartette [États-unis, Union européenne, Russie et Onu] a fait savoir très clairement que le Hamas doit répondre à des conditions très précises : reconnaître le droit à l’existence d’Israël ; renoncer à la violence ; respecter les accords déjà conclus." Passé sous silence, comme d’habitude, le fait gênant que les États-unis et Israël rejettent fermement la totalité de ces trois conditions. Seuls dans le monde, ils empêchent un règlement à deux États, dont un Etat palestinien ; bien entendu, ils ne renoncent pas à la violence ; et ils rejettent la proposition centrale du Quartette, à savoir la "feuille de route". Israël l’a certes acceptée, pour la forme, mais accompagnée de quatorze réserves qui, de fait, en éliminent le contenu (en cela, Israël était soutenu, tactiquement, par les États-unis). C’est le grand mérite de l’ouvrage de Jimmy Carter, Palestine : la paix, pas l’apartheid !, d’avoir porté ces faits à la connaissance de l’opinion publique pour la première fois – et à celle de l’opinion politiquement correcte, consensuelle, "mainstream", pour la seule et unique fois…
Par un raisonnement élémentaire, il s’ensuit que ni les États-unis, ni Israël ne sont des "partenaires de paix sincères". Mais ça, il ne le dira jamais. Cette phrase ne doit même pas exister, en anglais !
Il est peut-être injuste de critiquer Obama pour cette quintessence de cynisme, car elle est quasi universelle, à la différence de son éviscération méticuleuse de la composante centrale de la proposition de la Ligue arabe, qui est vraiment un apport innovateur qui lui revient en propre et qu’on ne saurait lui contester…
Quasi-universelles, elles aussi, ces références convenues au Hamas : organisation terroriste, vouée à la destruction d’Israël (à moins que ce ne soit à celle de tous les juifs ?). Sont omis les faits gênants (sans doute) que les Etats-Unis-Israël non seulement sont voués à la destruction de toute forme viable d’État palestinien, mais ne cessent de mener des politiques allant dans ce sens. Ou encore celui que, contrairement aux deux États réjectionnistes, le Hamas a appelé à une solution à deux États, dans les termes du consensus international : publiquement, explicitement et de manière répétée.
Obama a introduit ses observations ainsi : "Permettez-moi d’être clair : l’Amérique est garante de la sécurité d’Israël. Et nous soutiendrons toujours le droit qu’a Israël de se défendre contre des menaces illégitimes."
Au sujet du droit des Palestiniens à se défendre contre des menaces bien plus extrêmes, comme celles qui se produisent quotidiennement, avec le soutien des États-unis, dans les territoires occupés : rien ! Nada ! Mais, là encore, c’est la norme à laquelle nous sommes "habitués"…
Normale, là encore, l’énonciation du principe selon lequel Israël a le droit de se défendre. C’est correct. Mais c’est vide : se défendre, dans l’absolu, tout le monde en a le droit ! Mais dans son contexte, ce cliché est pire que vide : c’est une tromperie cynique supplémentaire.
La question n’est pas de savoir si Israël a le droit de se défendre, comme n’importe qui d’autre, mais s’il a le droit de le faire par la force. Personne, y compris Obama, ne pense qu’un pays puisse jouir d’un droit de valeur générale à se défendre par la force : tout d’abord, il est nécessaire de démontrer qu’il n’existe aucune alternative pacifique, que l’on pourrait expérimenter. Dans le cas qui nous occupe, il y a des alternatives, assurément.
Une alternative étriquée consisterait, pour Israël, à respecter un cessez-le-feu, comme, par exemple, le cessez-le-feu proposé par le chef politique du Hamas Khaled Meshaal quelques jours avant qu’Israël ne lance son agression, le 27 décembre. Meshaal a appelé à réinstaurer l’accord de 2005 ; cet accord préconisait une fin des violences et une ouverture permanente des frontières, accompagnées d’une garantie, par Israël, que les biens et les personnes pourraient circuler librement entre les deux parties de la Palestine occupée, à savoir la Cisjordanie et la bande de Gaza. Cet accord avait été rejeté au bout de quelques mois par les États-unis et Israël, après que les élections libres de janvier 2006 eurent "mal tourné". Les autres cas, tout aussi hautement significatifs, abondent.
Mais une alternative plus large et plus significative consisterait, pour les États-unis et pour Israël, à abandonner leur isolationnisme extrême, et à rejoindre le reste du monde – dont les pays arabes et le Hamas – dans le soutien à un règlement à deux États conforme au consensus international. Il convient de noter qu’au cours des trente années écoulées, il n’y a eu qu’une unique occurrence d’abandon de l’isolationnisme américano-israélien : les négociations de Taba, en janvier 2001, qui semblèrent très proches d’une résolution pacifique du conflit, lorsqu’Israël les fit capoter prématurément. Il ne serait pas incongru, pour Obama, d’accepter de rejoindre le reste du monde, fût-ce dans le cadre de la politique américaine, encore faudrait-il que cela l’intéresse vraiment ?
En résumé : la réitération quelque peu forcée, par Obama, du droit d’Israël à l’autodéfense n’est rien d’autre qu’un énième exercice de tromperie cynique – même si, il faut le reconnaître, elle n’est pas quelque chose qui lui soit propre, s’agissant d’une tromperie virtuellement universelle.
Si, dans ce dernier cas, la tromperie est particulièrement frappante, c’est parce que l’occasion en fut la nomination de Mitchell au poste d’envoyé spécial. Le principal haut-fait de Mitchell fut son rôle éminent dans le règlement pacifique en Irlande du Nord. Celle-ci prôna la fin du terrorisme de l’IRA et de la violence britannique. Cela revenait à reconnaître, implicitement, que, si la Grande-Bretagne avait bien le droit de se défendre contre le terrorisme, elle n’avait aucun droit à le faire par la force, car il existait une alternative pacifique : la reconnaissance des griefs légitimes de la communauté irlandaise catholique, qui étaient à l’origine de la terreur de l’IRA. Dès l’instant où la Grande-Bretagne adopta cette attitude raisonnable, la terreur cessa. Les implications pour la mission de Mitchell, en matière de conflit israélo-palestinien, sont tellement évidentes qu’il n’est nul besoin de les rappeler. Et leur omission, là encore, est un indice frappant de l’inscription de l’administration Obama dans le rejectionnisme traditionnel des États-unis et dans leur opposition à la paix, à moins que ce ne soit à leurs propres conditions extrémistes.
Par ailleurs, Obama a rendu hommage à la Jordanie en raison de "son rôle constructif dans l’entraînement des forces de sécurité palestiniennes et dans l’entretien de ses bonnes relations avec Israël – ce qui contraste de manière frappante avec le refus américano-israélien de traiter avec le gouvernement palestinien démocratiquement élu, tout en punissant sauvagement les Palestiniens pour avoir élu ledit gouvernement pour des motifs qui, comme nous l’avons noté, ne soutiennent pas un simple examen de quelques secondes. Il est vrai que la Jordanie s’est jointe aux États-unis dans l’armement et l’entraînement des forces palestiniennes de sécurité, afin qu’elles soient en mesure d’interdire toute manifestation de soutien aux malheureuses victimes de l’agression américano-israélienne contre Gaza, et aussi en arrêtant des partisans du Hamas et l’éminent journaliste Khaled Amayreh, tout en montant de toutes pièces leurs propres manifestations de soutien à Abbas et au Fatah, dans lesquelles "la plupart des participants étaient des fonctionnaires et des écoliers ayant reçu de l’Autorité palestinienne l’ordre expresse d’y participer", d’après le quotidien Jerusalem Post. Cela, oui, d’accord : c’est le genre de démocratie qui est à notre goût…
Obama a fait un autre commentaire lourd de sens : "Dans le cadre d’un cessez-le-feu à long terme, les points de passage à travers la frontière de Gaza devront être ouverts afin de permettre le passage des aides et des marchandises, avec un régime de surveillance adéquat…" Bien entendu, il s’est bien gardé de mentionner que les États-unis et Israël avaient rejeté un accord quasi similaire après les élections de janvier 2006 et qu’Israël n’avait jamais respecté par le passé des accords du même type à ses frontières.
On notera aussi l’absence totale de réaction à l’annonce par Israël de son rejet de l’accord de cessez-le-feu, rendant du même coup toute perspective que ledit accord soit "de longue durée" inutile. Comme cela a été immédiatement rapporté par la presse, "le Ministre israélien Binyamin Ben-Eliezer, qui assiste aux délibérations du Conseil des ministres en matière sécuritaire, a déclaré à la Radio de l’Armée, mercredi, qu’Israël ne laisserait pas les points de passage vers Gaza rouvrir sans qu’ait été au préalable conclu un marché en vue de la libération de Gilad Shalit," (AP, 22 janvier) ; "Israël maintiendra les carrefours de Gaza fermés... Un responsable a dit que le gouvernement envisageait d'utiliser la question pour marchander la libération de Gilad Shalit, le soldat israélien prisonnier du groupe islamiste depuis 2006" (Financial Times, 23 janvier) ; "En début de semaine, la ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni a déclaré que des progrès en matière de libération du caporal Shalit seraient un préalable à l’ouverture des postes frontière restés fermés, la plupart du temps, depuis que le Hamas avait arraché le contrôle de la bande de Gaza à l’Autorité palestinienne, en 2007" (Christian Science Monitor, 23 janvier) ; "un responsable israélien a déclaré que des conditions très dures seraient mises à toute levée du blocus, qu’il a conditionnée elle-même à la libération de Gilad Shalit" [Financial Times, 23 janvier]. ; entre bien d’autres éléments.
La captivité de Shalit est une question prééminente en Occident : c’est là une énième "preuve" du caractère criminel du Hamas. Quoi que l’on puisse en penser, il est incontestable que la capture d’un militaire d’une année d’agression est un crime bien moindre que la capture de civils telle que la pratiquait exactement la veille l’armée israélienne, qui avait fait prisonniers deux frères qu’elle avait ensuite exfiltrés à travers la frontière, après quoi ils avaient disparu dans un camp d’emprisonnement israélien. Contrairement au cas beaucoup moins grave de Shalit, ce crime a pratiquement été passé sous silence, et il a fini par être oublié, en même temps que la pratique sur une base régulière, par Israël, depuis des décennies, du kidnapping de civils au Liban et en haute mer, suivie de leur dispersion dans diverses prisons israéliennes, où ils sont bien souvent maintenus prisonniers durant des années, en tant qu’otages. Mais la capture de Shalit, elle, c’est autre chose : elle interdit la conclusion d’un cessez-le-feu !
Le discours d’Obama, au département d’État, consacré au Moyen-Orient, se poursuivit avec "la situation en train de se dégrader en Afghanistan et au Pakistan… (deux pays qui sont) le front central de notre lutte constante contre le terrorisme et l’extrémisme". Quelques heures plus tard, des avions de guerre américains attaquaient un hameau principalement peuplé de bergers. "Des femmes et des enfants figurent parmi les vingt-deux tués, ont-ils indiqué, d’après Hamididan Abdul Rahmazai, le chef du conseil provincial." (Los Angeles Times, 24 janvier).
Le premier message qu’adressa Karzai, le président afghan, à Obama, après son élection, en novembre, fut une exhortation à arrêter les bombardements contre des civils afghans, une exhortation qu’il réitéra quelques heures avant qu’Obama ne prête serment. Cela fut considéré comme un appel significatif de Karzai au départ [de l’Afghanistan] des forces américaines et des autres forces armées étrangères. Les riches et les puissants ont leurs "responsabilités". Parmi celles-ci, a écrit le New York Times, il y a celle d’ "assurer la sécurité" dans le sud de l’Afghanistan, un pays où "les insurgés sont formés sur place et auto-entretenus". Air connu. Cela ressemble mot pour mot à ce que l’on pouvait lire dans la Pravda, dans les années 1980. Par exemple…
Samedi 27 décembre 2008 la dernière attaque en date est lancée contre les Palestiniens sans défenses. Elle fut minutieusement préparée, depuis plus de 6 mois selon la presse israélienne. Le plan comprend deux aspects, l’un militaire et l’autre de propagande. Il est basé sur les leçons de l’invasion israélienne du Liban en 2006, mal programmée et peu "expliquée" au public. Nous pouvons donc être certains que ce qui a été fait a été intentionnel et programmé.
Ainsi en est-il sûrement du moment de l’agression : un peu avant midi, quand les enfants sortent de l’école et que les foules s’affairent dans les rues de Gaza densément peuplée. Quelques minutes suffiront pour tuer plus de 225 personnes et en blesser 700. Début de bon augure au massacre en masse de civils sans défense, pris au piège dans une petite cage, sans moyen d’en échapper.
Dans sa rétrospective "inventaire des gains de la Guerre de Gaza" le correspondant du New York Times Ethan Bronner a classé cet acte comme une réussite des plus significatives. Israël a anticipé l’avantage de paraître "devenir fou" en causant une terreur totalement disproportionnée, doctrine qui remonte aux années 1950. "Les Palestiniens à Gaza ont reçu le message dès le premier jour" écrit Bronner, "quand les avions de guerre d’Israël ont frappé d’un coup de multiples cibles au beau milieu d’un samedi matin. Environ 200 furent tués instantanément, terrifiant le Hamas et bien sûr tout Gaza". La tactique du "devenir fou" semble avoir porté ses fruits conclut Bronner : il y a "certaines indications que les Gazaouis ressentent tellement de douleur qu’ils ne soutiendront plus le Hamas", gouvernement qu’ils ont élu. A ce propos, je ne me souviens pas de la rétrospective du Times "inventaire des gains de la Guerre de Tchétchénie", bien que les gains en furent élevés.
La préparation minutieuse comprenait aussi certainement la fin de l’agression, soigneusement planifiée, juste avant l’investiture d’Obama pour minimiser la menace (lointaine) qu’il puisse émettre quelques critiques sur ces crimes odieux soutenus par les USA.
Deux semaines après le début de ce Shabbat agressif, Gaza étant déjà ensevelie sous les décombres et le bilan humain avoisinant les 1000 morts, l’agence de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA), dont dépend la survie de la plupart des Gazaouis, annonce que l’armée israélienne lui refuse l’acheminement de l’aide vers Gaza, arguant que la frontière est fermée durant la fête du Shabbat. Pour honorer le jour saint, on refuse nourriture et médicaments aux Palestiniens sur le point de mourir, pendant que des centaines d’autres sont massacrés par les bombardiers et les hélicoptères de fabrication étasunienne.
Cette double norme de respect scrupuleux du Shabbat ne provoque que peu, ou pas du tout la critique. Cela s’explique. Dans les annales criminelles du couple Israël-Etats-Unis, cette cruauté et ce cynisme ne méritent pas même une note de bas de page. C’est trop courant. Pour citer un parallèle significatif, en juin 1982 l’invasion Israélienne du Liban, avalisée par les États-unis, commença par le bombardement des camps de réfugiés Palestiniens de Sabra et Shatila, qui devinrent ensuite les symboles des terribles massacres supervisés par les IDF (Forces de "Défense" Israéliennes). Le bombardement toucha l’hôpital local - l’hôpital Gaza - et tua plus de 200 personnes selon le témoignage d’un universitaire étasunien spécialiste du Moyen-Orient. Cette boucherie fut l’acte d’ouverture d’une hécatombe qui extermina quelque 15 à 20.000 personnes et détruisit la plus grande partie du Sud Liban et de Beyrouth, avec le soutien militaire et diplomatique des États-unis. Soutien sous forme de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU dont les résolutions visaient à bloquer cette agression criminelle menée en fait pour protéger Israël d’un règlement pacifique et politique, et non les Israéliens souffrant sous d’intenses tirs de roquettes, inventions commodes de l’imagination d’apologistes.
Tout cela est normal et commenté assez ouvertement par de hauts dignitaires israéliens. Il y a 30 ans, le chef d’état-major Mordechai Gur observait que depuis 1948 "nous avons combattu une population habitant des villages et des villes". Ou, résumé par le plus notoire des analystes militaires israéliens Zeev Schiff, "l’armée israélienne a toujours, délibérément et consciemment visé les populations civiles … l’armée n’a jamais distingué les cibles civiles [des militaires…mais] intentionnellement attaqué des objectifs civils". Les raisons furent expliquées par l’éminent homme politique Abba Eban : "il y avait un but rationnel, atteint en définitive, de toucher les populations civiles afin qu’elles exercent une pression pour l’arrêt des hostilités". Le résultat, comme l’avait bien compris Eban, devait permettre à Israël de mettre en œuvre sans obstacles son plan d’expansion illégale et de répression brutale. Eban commentait l’analyse par le premier Ministre Begin des attaques du gouvernement Travailliste contre des civils ; Begin, selon les mots d’Eban, donnait une image "d’Israël infligeant sans raison la mort et l’angoisse à des populations civiles comme le firent des régimes que ni Mr Begin ni moi n’oserions appeler par leur nom". Eban ne contestait pas les faits qu’analysait Begin, mais le critiquait de les exposer publiquement. Cela ne concernait pas non plus Eban, ni ses admirateurs, que son plaidoyer en faveur d’une terreur d’état massive puisse lui-même remémorer des régimes dont il n’oserait prononcer le nom.
Les justifications d’Eban de la terreur d’état sont perçues comme convaincantes par des autorités respectées. Pendant que l’attaque israélo-étasunienne récente faisait encore rage, le chroniqueur du Times Thomas Friedman expliquait que la tactique d’Israël, comme celle adoptée au cours de l’invasion du Liban en 2006, est basée sur un principe sain : "essayer "d’éduquer" le Hamas en infligeant de lourdes pertes à ses militants et des souffrances terribles à la population de Gaza". Cela se comprend d’un point de vue pratique, comme ce fut le cas au Liban où "la seule dissuasion à long terme fut d’exposer les civils - les familles et employeurs des militants - à de telles calamités pour qu’ils ne soutiennent plus le Hezbollah dans le futur". Avec une telle logique, les efforts de Ben Laden pour "éduquer" les étasuniens le 11/09 étaient aussi dignes d’éloges, tout comme les attaques Nazies à Lidice et Oradour, la destruction de Grozny par Poutine et d’autres tentatives notoires "d’éducation".
Israël a fait beaucoup d’efforts pour afficher son attachement à ces principes directeurs. Le correspondant du New York Times, Stephen Erlanger, rapporte que les associations de défense des Droits de l’Homme sont "troublés par les frappes d’Israël sur des bâtiments censément civils, comme le Parlement, les commissariats et le Palais Présidentiel" et, pourrions nous ajouter, les villages, les maisons, les camps de réfugiés densément peuplés, les systèmes d’adduction et d’épuration d’eau, les hôpitaux, les écoles et les universités, les mosquées, les installations de secours des Nations Unies, les ambulances et en fait tout ce qui peut soulager la douleur de victimes insignifiantes. Un haut officier du renseignement israélien a expliqué que l’armée israélienne avait attaqué "deux facettes du Hamas - la résistance c’est-à-dire son aile militaire, et sa dawa[3], c’est-à-dire son aile sociale", cette dernière étant un euphémisme pour désigner la société civile. Il a fait valoir que "le Hamas était un seul bloc," et de continuer, "dans une guerre, les instruments de contrôle politique et social sont des cibles aussi légitimes que les caches de roquettes". Erlanger et ses éditeurs ne font aucun commentaire sur l’apologie directe et la pratique massive du terrorisme visant des civils, et, comme on l’a déjà noté, les correspondants et chroniqueurs acceptent ou justifient explicitement les crimes de guerre. Mais, selon la norme, Erlanger ne manque pas de souligner que les roquettes du Hamas sont "une violation flagrante du principe de discrimination, correspondant à la définition classique du terrorisme." Comme d’autres familiers de la région, le spécialiste du Moyen-Orient Fawwaz Gerges observe : "Ce que les responsables israéliens et leurs alliés étasuniens ne comprennent pas c’est que le Hamas n’est pas seulement une milice armée, mais un mouvement social avec une large base populaire, profondément ancré dans la société". Donc, quand ils déploient leurs plans pour détruire "l’aile sociale" du Hamas, ils détruisent en fait la société palestinienne.
Gerges est peut-être trop gentil. Il est hautement improbable que les responsables étasuniens et israéliens - ou les médias et autres commentateurs - ne comprennent pas ces faits. Au contraire, ils adoptent implicitement la posture habituelle de ceux qui monopolisent les moyens de la violence : d’un coup de poing nous pouvons écraser toute opposition, et si le bilan civil de nos attaques brutales est lourd, c’est aussi bien : peut-être les survivants seront-ils convenablement éduqués.
Les officiers des IDF savent très bien qu’ils détruisent la société civile. Ethan Bronner cite un colonel israélien qui dit que lui et ses hommes ne sont pas très "impressionnés par les combattants du Hamas". "Ce sont des villageois avec des armes", a déclaré un tireur sur un blindé de transport de troupe. Ils ressemblent à ces victimes des criminelles IDF durant l’opération "poigne de fer" en 1985 dans le Sud Liban occupé, dirigée par Shimon Peres, l’un des plus grands chefs terroristes de l’ère de la "Guerre contre la Terreur" de Reagan. Au cours de ces opérations, des commandants israéliens et des analystes stratégiques ont expliqué que les victimes étaient des "terroristes villageois", difficile à éradiquer parce que "ces terroristes opèrent avec le soutien de la majorité de la population locale".
Un commandant israélien se plaint que "le terroriste ... a de nombreux yeux, car il vit ici". Dans le même temps, le correspondant militaire du Jérusalem Post décrit les problèmes rencontrés par les forces israéliennes dans sa lutte contre les "terroristes mercenaires", "fanatiques assez dévoués à leurs causes pour prendre le risque d’être tués en se battant contre l’armée israélienne", qui doit "maintenir l’ordre et la sécurité" dans le Sud Liban occupé, malgré "le prix que les habitants devront payer". Le problème a été familier aux Etasuniens dans le Sud Vietnam, aux Russes en Afghanistan, aux Allemands dans l’Europe occupée, et a d’autres agresseurs qui se rejoignent dans la mise en œuvre de la doctrine Gur-Eban-Friedman.
Gerges estime que la terreur d’État israélienne va échouer : le Hamas, écrit-il, "ne peut pas être effacé sans massacrer un demi-million de Palestiniens. Si Israël réussit à tuer les hauts dirigeants du Hamas, une nouvelle génération plus radicale que l’actuelle les remplacera rapidement. Le Hamas est une réalité de la vie. Il ne partira pas, et ne hissera pas le drapeau blanc, quel que soit le nombre de victimes qu’il ait à déplorer".
Peut-être, mais il y a souvent une tendance à sous-estimer l’efficacité de la violence. Il est particulièrement étrange que cette croyance se développe aux États-unis. Pourquoi en sommes-nous là ?
Le Hamas est régulièrement dépeint comme "le Hamas soutenu par l’Iran, qui se consacre à la destruction d’Israël". On le trouvera difficilement décrit comme "le Hamas démocratiquement élu, qui a longtemps été en faveur d’un règlement à deux États, en accord avec le consensus international" - bloqué depuis plus de 30 ans par les États-Unis et Israël qui rejettent catégoriquement et explicitement le droit des Palestiniens à l’autodétermination. Tout cela est vrai, mais inutile à la Ligne du Parti, donc superflu.
Les détails mentionnés plus haut, bien que mineurs, nous apprennent néanmoins quelque chose sur nous-mêmes et nos clients. Comme d’autres détails. Par exemple, quand la dernière agression américano-israélienne sur la bande de Gaza a commencé, un petit bateau, la Dignité, faisait route de Chypre vers Gaza. A bord, les médecins et les militants des Droits de l’Homme avaient l’intention de briser le blocus criminel imposé par Israël et d’apporter de l’aide médicale à la population emprisonnée. Le navire a été intercepté dans les eaux internationales par la marine israélienne qui l’avait déjà sévèrement percuté, le coulant presque, mais il a réussi à se traîner jusqu’au Liban. Israël a publié ses mensonges ordinaires, réfutés par les journalistes et les passagers à bord, y compris le correspondant de CNN Karl Penhaul et l’ancien représentant des États-Unis et candidat présidentiel du Parti Vert, Cynthia McKinney. C’est un crime grave - bien pire par exemple que le détournement de bateaux au large des côtes de la Somalie. Il est passé, sans attirer beaucoup l’attention. L’acceptation tacite de tels crimes reflète celle que la bande de Gaza est un territoire occupé, qu’Israël est en droit de l’assiéger avec l’aval des gardiens de l’ordre international pour perpétrer des crimes en haute mer et mettre en œuvre ses actions punitives envers la population civile qui désobéirait à ses ordres - sous des prétextes auxquels nous revenons toujours, presque universellement acceptés, mais clairement intenables.
De nouveau ce manque d’attention a du sens. Pendant des décennies, Israël a détourné des bateaux dans les eaux internationales entre Chypre et le Liban, tuant ou enlevant leurs passagers, les transférant parfois dans des prisons en Israël, y compris des prisons secrètes ou chambres de torture, les détenant en otages pendant de nombreuses années. Étant donné que ces pratiques sont courantes, pourquoi traiter ces nouveaux crimes autrement qu’avec un bâillement ? Chypre et le Liban ont réagi très différemment, mais qui sont-ils dans l’ordre des choses ?
Qui se soucie par exemple que les rédacteurs du Daily Star au Liban, généralement pro-occidentaux, écrivent que "Près d’un million et demi de personnes dans la bande de Gaza sont soumis à la gestion meurtrière de l’un des pays à la technologie la plus avancée, mais à la morale de machines militaires des plus régressives. On suggère souvent que les Palestiniens sont devenus dans le Monde Arabe ce que les Juifs étaient en Europe avant la Seconde Guerre mondiale, et il y a une certaine vérité à cette interprétation. Il est donc approprié et totalement abject que, tout comme les Européens et les Nord Américains détournaient les yeux quand les nazis perpétraient l’Holocauste, les Arabes ne fassent rien pendant que les Israéliens massacrent les enfants Palestiniens". La brutale dictature Égyptienne qui bénéficie de l’aide militaire américaine la plus importante après Israël est peut-être le plus honteux des régimes Arabes.
Selon la presse libanaise, Israël continue "d’enlever régulièrement des civils libanais du côté libanais de la Ligne bleue [la frontière internationale], comme récemment en Décembre 2008". Et bien sûr "les avions israéliens violent quotidiennement l’espace aérien libanais, en violation de la Résolution 1701 des Nations Unies" (Amal Saad-Ghorayeb, chercheur libanais, Daily Star, 13 janvier). Cela aussi advient depuis longtemps. En condamnant l’invasion israélienne du Liban en 2006, l’éminent analyste stratégique israélien Zeev Maoz écrit dans la presse israélienne que "Israël a violé l’espace aérien libanais en effectuant des missions de reconnaissance aérienne presque chaque jour depuis son retrait du Sud Liban, il y a six ans. Certes, ces survols aériens n’ont pas fait de victimes libanaises, mais une violation des frontières reste une violation des frontières. Ici encore la morale d’Israël n’est pas des plus élevées". Et en général, il n’y a aucune justification au "consensus établi en Israël que la guerre contre le Hezbollah au Liban est une guerre juste et morale", un consensus “fondé sur une mémoire sélective à court terme, sur une vision du monde introverti, et sur des doubles standards. Ce n’est pas une guerre juste, l’utilisation de la force est excessive et aveugle, et son but ultime est l’appropriation.“
Comme Maoz le rappelle aussi au lecteur israélien, les survols avec bangs supersoniques pour terroriser les Libanais sont les moindres crimes israéliens au Liban, sans parler des cinq invasions depuis 1978 : "Le 28 Juillet 1988, les forces spéciales israéliennes ont enlevé le cheikh Obeid, et le Mai 21 1994 Israël a enlevé Mustafa Dirani, responsable de la capture du pilote israélien Ron Arad [quand il bombardait le Liban en 1986]. Israël les détient avec 20 autres Libanais capturés dans des conditions inconnues, et gardés longtemps en prison, sans jugement. Ils ont été détenus comme "monnaie d’échange" humaine. Apparemment, quand le Hezbollah enlève des Israéliens pour en faire des prisonniers d’échange cela est moralement répréhensible, et passible de sanctions militaires. Quand Israël le fait, c’est tout à fait normal", bien que ce soit sur une plus grande échelle et depuis de très nombreuses années.
Les pratiques ordinaires d’Israël sont éloquentes au-delà même de ce qu’elles révèlent sur la criminalité d’Israël et le soutien de l’Occident. Comme l’indique Maoz, ces pratiques soulignent la parfaite hypocrisie de la revendication constante par Israël du droit d’envahir de nouveau le Liban en 2006, lorsque des soldats furent capturés à la frontière. C’était la première action transfrontalière du Hezbollah au cours des six années qui ont suivi le retrait d’Israël du Sud Liban, occupé en violation des ordres du Conseil de Sécurité datant de 22 ans, alors que pendant ces six années, Israël a violé la frontière presque tous les jours, avec impunité et dans notre silence.
De nouveau l’hypocrisie routinière. Ainsi Thomas Friedman tout en expliquant comment ces sous-races doivent être "éduquées" par la violence terroriste, écrit que l’invasion israélienne du Liban en 2006, détruisant encore une fois une bonne partie du Sud Liban et de Beyrouth, tuant un millier de civils, était un acte juste d’autodéfense en réponse au crime du Hezbollah "lançant sans raisons une guerre au-delà de la frontière reconnue par l’ONU entre Israël et le Liban, alors qu’Israël s’est retiré unilatéralement du Liban". Si l’on ignore le mensonge et use de la même logique, les attaques terroristes contre les Israéliens, jugées beaucoup plus destructrices et meurtrières que toutes autres, seraient pleinement justifiées en réponse aux pratiques criminelles d’Israël au Liban et en haute mer, qui dépassent largement le crime du Hezbollah de capturer deux soldats à la frontière. L’ancien spécialiste du Moyen-Orient du New York Times connaît très bien ces crimes, du moins s’il lit son journal : par exemple, le paragraphe 18 d’un article sur l’échange de prisonniers en Novembre 1983 remarque sans s’y attarder que les 37 prisonniers arabes "ont été capturés récemment par la marine israélienne alors qu’ils tentaient d’aller de Chypre à Tripoli", au nord de Beyrouth.
Bien sûr, toutes ces conclusions sur les actions appropriées contre les riches et les puissants sont fondées sur un vice fondamental : nous c’est nous et eux c’est eux. Ce principe essentiel, profondément enraciné dans la culture Occidentale, suffit à infirmer la comparaison la plus appropriée et le raisonnement le plus parfait.
Pendant que j’écris, un autre bateau est en route de Chypre vers Gaza, "transportant des aides médicales d’urgence dans des boîtes scellées, ayant passées les douanes de l’aéroport international et du port de Larnaca", selon les organisateurs. Les passagers comprennent des membres du Parlement européen et des médecins. Israël a été avisé de leur intention humanitaire. Avec une pression populaire suffisante, ils pourraient réaliser leur mission dans la paix.
Les nouveaux crimes que les États-unis et Israël ont commis dans la bande de Gaza au cours des dernières semaines ne rentrent pas facilement dans une catégorie standard - sauf dans la catégorie familière dont j’ai donné plusieurs exemples, et dont je donnerais d’autres. Littéralement, ces crimes relèvent de la définition officielle par le gouvernement nord américain de "terrorisme", mais cette désignation ne rend pas compte de leur énormité. Ils ne peuvent être appelés "agressions", parce qu’ils sont menés dans les territoires occupés, comme les États-unis le reconnaissent tacitement. Dans leur vaste érudition de l’histoire de la colonisation israélienne dans les territoires occupés, les Seigneurs de la Terre (Lords of the Land), Idit Zertal et Akiva Eldar remarquent qu’après qu’Israël a retiré ses forces de Gaza en août 2005, les ruines du territoire n’ont pas été libérées, "pas même un jour de l’emprise militaire d’Israël, ni du prix de l’occupation que les habitants paient chaque jour ... Israël a laissé derrière une terre brûlée, des services dévastés et un peuple sans présent ni avenir. Les colonies ont été détruites dans un retrait sans pitié par un occupant barbare qui en fait continue de contrôler le territoire et de tuer et harceler ses habitants grâce à sa formidable puissance militaire" - appliquée avec une extrême sauvagerie et avec le soutien sans faille et la participation des États-unis.
Les attaques israélo-étasuniennes sur Gaza se sont multipliées en janvier 2006, quelques mois après le retrait officiel, lorsque les Palestiniens ont commis un crime véritablement odieux : ils ont voté "dans la mauvaise direction", dans une élection libre. Comme d’autres, les Palestiniens ont appris que l’on ne désobéit pas impunément aux ordres du Maître, qui continue à fabuler sur son "aspiration à la démocratie", sans susciter le ridicule de l’élite, une autre réussite impressionnante.
Puisque les termes "agression" et "terrorisme" sont inadaptés, un nouveau terme est nécessaire pour décrire la torture sadique et lâche de personnes emprisonnées sans aucune possibilité de fuite, pendant qu’elles sont réduites en poussière par les produits les plus sophistiqués de la technologie militaire des États-unis - utilisées en violation du droit international et même de la loi étasunienne, mais contre un état unilatéralement déclaré hors-la-loi, ce qui est encore un autre détail technique mineur. Un autre détail technique mineur ; le 31 décembre, alors que les habitants de Gaza terrorisés cherchaient désespérément un abri contre l’impitoyable agression, Washington a engagé un navire marchand allemand pour transporter un lourd chargement de Grèce en Israël, 3.000 tonnes de "munitions" non identifiées. Cette expédition "faisait suite à l’affrètement d’un navire de commerce pour transporter des États-Unis vers Israël une cargaison plus importante de matériel militaire, avant les frappes aériennes de décembre sur la bande de Gaza", a indiqué Reuters. Tout cela en plus des 21 milliards de dollars en aide militaire américaine fournie par l’administration Bush à Israël, en majorité sous forme de subventions. "L’intervention d’Israël dans la bande de Gaza a été largement alimentée par des armes fournies par les États-unis, payées avec l’argent des contribuables", selon les informations de la New America Foundation, qui surveille le commerce des armes. La dernière expédition a été contrariée par la décision du gouvernement Grec d’interdire l’utilisation de ses ports "pour l’approvisionnement de l’armée israélienne".
La réponse de la Grèce aux crimes israéliens soutenus par les États-unis est assez différente de l’attitude soumise de la plupart des dirigeants d’Europe. Cette distinction montre que Washington a peut-être été très réaliste en considérant la Grèce comme faisant partie du Proche-Orient, et non de l’Europe, jusqu’à la chute en 1974 de la dictature fasciste soutenue par les États-unis. Peut-être que la Grèce est-elle trop civilisée pour faire partie de l’Europe.
Si d’aucun avait trouvé curieux le moment de ces livraisons d’armes à Israël et s’était informé plus avant, le Pentagone avait une réponse : la cargaison arriverait trop tard pour appuyer l’attaque de la bande de Gaza, et le matériel militaire quel qu’il soit, devait être pré-positionné en Israël en vue d’une éventuelle utilisation par l’armée étasunienne. C’est peut-être exact. L’un des nombreux services qu’Israël offre à son patron est de lui fournir une base militaire à la périphérie des plus grandes ressources énergétiques du monde. Il peut donc servir de base avancée pour une agression des États-Unis - ou pour utiliser des termes techniques, pour "défendre la région du Golfe" et "assurer sa stabilité".
L’énorme flux d’armes vers Israël sert beaucoup d’autres objectifs. L’analyste politique du Moyen-Orient Mouin Rabbani observe qu’Israël peut tester des armes nouvelles contre des cibles sans défense. Cela sert Israël et les États-unis "doublement en fait, puisque des versions moins performantes de ces mêmes armes sont ensuite vendues à prix fort aux États Arabes, qui contribuent efficacement à l’industrie militaire des États-unis et aux subventions militaires étasuniennes en Israël". C’est un rôle supplémentaire d’Israël dans un Moyen-Orient dominé par les États-Unis, et l’une des raisons pour lesquelles Israël est favorisé par les autorités Fédérales, ainsi que par un large éventail de sociétés de haute technologie des États-Unis et, bien sûr, l’industrie militaire et de renseignements.
Au-delà d’Israël, les États-Unis sont de loin les principaux fournisseurs d’armes au reste du monde. Le récent rapport de la Fondation New America conclut que "les armes et les Écoles Militaires des États-Unis ont joué un rôle dans 20 des 27 plus grandes guerres du monde en 2007", représentant 23 milliards de dollars de recettes, et 32 milliards en 2008. Il n’est pas étonnant que parmi les nombreuses résolutions auxquelles les États-Unis se sont opposés lors de la session de l’ONU de décembre 2008 figure un appel pour la réglementation du commerce des armes. En 2006, les États-Unis ont été les seuls à voter contre le traité, mais ils ont eu un partenaire en novembre 2008 : le Zimbabwe.
D’autres voix se sont fait entendre à la session des Nations Unies de décembre. Une résolution sur "le droit du peuple palestinien à l’autodétermination" a été adoptée par 173 voix contre 5 (États-Unis, Israël, et des dépendances des îles du Pacifique). Dans l’isolement international, le vote réaffirme avec force le rejectionisme américano-israélien. De même, une résolution sur "la liberté universelle de voyager et sur l’importance capitale du regroupement familial" a été adoptée avec l’opposition des États-Unis, d’Israël et des dépendances du Pacifique, vraisemblablement en pensant aux Palestiniens.
En votant contre le droit au développement les États-Unis ont perdu Israël, mais gagné l’Ukraine. En votant contre le "droit à l’alimentation", les États-Unis étaient seuls, un fait particulièrement frappant dans le contexte de la formidable crise alimentaire mondiale qui éclipse la crise financière pesant sur les économies occidentales.
Il y a de bonnes raisons pour que ces votes soient constamment cachés et enfouis par les médias et les intellectuels conformistes dans les replis profonds de la mémoire. Il ne serait pas sage de révéler au public ce qu’impliquent les votes de leurs représentants. Dans le cas présent, il serait évidemment contreproductif de faire savoir au public que le rejectionisme des États-unis et d’Israël, interdisant le règlement pacifique préconisé depuis longtemps par la communauté internationale, atteint un tel extrême qu’il refuse même aux Palestiniens le droit absolu à l’autodétermination.
A Gaza, un bénévole héroïque, le médecin norvégien Mads Gilbert, a décrit une vision d’horreur, une "Guerre totale contre la population civile de Gaza". Il a estimé que la moitié des victimes sont des femmes et des enfants. Les hommes aussi, selon les normes de notre culture, sont presque tous des civils. Gilbert signale qu’il a à peine vu un militaire parmi les centaines de blessés. Les IDF acquiescent ; le Hamas "combat de loin - ou pas du tout", dit Ethan Bronner dans son "inventaire des gains" de l’agression américano-israélienne. Donc, les forces humaines du Hamas restent intactes, et ce sont surtout les civils qui souffrent : un résultat positif, selon une doctrine largement répandue.
Ces estimations ont été confirmées par un responsable humanitaire de l’ONU John Holmes, qui a informé les journalistes qu’il était "assez probable" que la plupart des civils tués étaient des femmes et des enfants, dans cette crise humanitaire qui "empire de jour en jour tandis que la violence se poursuit". Mais nous pourrions être réconfortés par les paroles du ministre israélien des Affaires étrangères Tzipi Livni, la colombe en chef de la campagne électorale actuelle, qui a assuré au monde qu’il n’existe pas de "crise humanitaire" à Gaza, grâce à la bienveillance d’Israël. Comme d’autres qui se préoccupent des êtres humains et de leur sort, Gilbert et Holmes ont plaidé en faveur d’un cessez-le-feu. Pas immédiat cependant. "A l’ONU le samedi soir, les États-Unis ont empêché le Conseil de Sécurité d’émettre une déclaration officielle appelant à un cessez-le-feu immédiat", dit en passant le New York Times. La raison officielle était qu’ "il n’y avait aucune indication que le Hamas respecte un engagement". Dans les annales des justifications du plaisir de massacrer, celle-ci doit se classer parmi les plus cyniques. Cela bien sûr c’était sous Bush et Rice, qui seront bientôt remplacés par Obama qui répète avec compassion que "si les missiles tombaient où mes deux filles dorment, je ferais tout pour mettre fin à cela". Il fait référence aux enfants israéliens, non pas aux centaines d’êtres mis en lambeaux dans la bande de Gaza par les armes étasuniennes. A part cela, Obama garde le silence.
Quelques jours après, sous une intense pression internationale, les États-unis ont soutenu une résolution du Conseil de Sécurité appelant à un "cessez-le-feu durable". Adoptée 14-0, les États-Unis s’abstenant. Les faucons d’Israël et des États-unis étaient fâchés que les États-Unis n’y opposent pas leur veto, comme d’habitude. L’abstention cependant a suffi à donner à Israël, si ce n’est le feu vert, au moins le feu orange pour l’escalade de la violence à laquelle il s’est consacré comme prévu, jusqu’au moment de l’investiture d’Obama.
Le cessez-le-feu (théorique) étant entré en vigueur le 18 janvier, le Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme a publié ses chiffres pour le dernier jour de l’agression : 54 Palestiniens tués dont 43 civils désarmés, parmi lesquels 17 enfants. Pendant ce temps, les IDF ont continué à bombarder les maisons civiles et les écoles des Nations Unies. L’estimation du nombre total de morts atteint 1184, dont 844 civils comptant 281 enfants. Les FDI ont continué à utiliser des bombes incendiaires dans la bande de Gaza et à détruire des maisons et des terres agricoles, obligeant les civils à fuir leurs foyers. Quelques heures plus tard, Reuters signalait plus de 1300 tués. Le personnel du Centre Al Mezan, qui surveille attentivement les victimes et les destructions, a visité des zones auparavant inaccessibles en raison de bombardements massifs et incessants. Ils y ont découvert les cadavres de dizaines de civils en décomposition dans les décombres des maisons détruites ou rasées par les bulldozers israéliens. Des quartiers entiers avaient disparus.
Le nombre de morts et de blessés est certainement sous-estimé. Et il est peu probable qu’il y aura une enquête sur ces atrocités. Les crimes de nos ennemis officiels sont soumis à de rigoureuses enquêtes, mais les nôtres sont systématiquement ignorés. Une pratique générale, encore une fois, et compréhensible de la part des Maîtres.
La résolution du Conseil de Sécurité appelait à l’arrêt du trafic d’armes vers Gaza. Les États-Unis et Israël (Rice-Livni) se sont rapidement mis d’accord sur les mesures à adopter pour atteindre ce but, se concentrer sur les armes iraniennes. Il n’est pas nécessaire d’arrêter la contrebande d’armes étasuniennes vers Israël, car il n’y a pas de contrebande : l’énorme flux d’armes est tout à fait public, même s’il n’est pas signalé, comme dans le cas de la livraison d’armes prévue quand le massacre dans la bande de Gaza était en cours.
La résolution appelait également à "assurer la réouverture totale des points de passage, sur la base de l’Accord sur les Mouvements et l’Accès (AMA) signé en 2005 entre l’Autorité Palestinienne et Israël". Cet accord stipulait que les accès vers Gaza seraient ouverts de façon continue et qu’Israël permettrait le passage des biens et des personnes entre la Cisjordanie et la bande de Gaza.
L’accord Rice-Livni n’a rien à voir avec cet aspect de la résolution du Conseil de Sécurité. Les États-Unis et Israël avaient déjà abandonné l’accord de 2005 dans le cadre de leur punition contre le mauvais vote des Palestiniens lors de l’élection libre de janvier 2006. La conférence de presse de Rice après l’accord Rice-Livni a souligné les efforts constants de Washington pour saper les résultats d’une élection libre dans le monde arabe. "Il y a beaucoup à faire", a t-elle dit, "pour sortir Gaza de l’obscurité du règne du Hamas et lui montrer la lumière que peut apporter la très bonne gouvernance de l’Autorité Palestinienne", - c’est-à-dire, ce qu’elle peut apporter tant qu’elle reste un serviteur fidèle, minée par la corruption et résolue à mener à bien une répression sévère, en bref obéissante.
De retour d’une visite dans le monde arabe, Fawwaz Gerges réaffirma avec force ce que d’autres sur place avaient dit. L’offensive israélo-étasunienne sur la bande de Gaza a exaspéré les populations et suscité une haine amère contre les agresseurs et leurs collaborateurs. "Il suffit de dire que ceux que l’on appelle les États Arabes modérés [ceux qui prennent leurs ordres de Washington] sont sur la défensive, et que le front de résistance mené par l’Iran et la Syrie est le principal bénéficiaire. Une fois de plus, Israël et l’administration Bush ont donné une victoire facile aux dirigeants iraniens". En outre, "le Hamas va certainement devenir une force politique plus puissante que jamais, qui surpassera sûrement le Fatah, l’appareil de gouvernement de l’Autorité Palestinienne du Président Mahmoud Abbas", le favori de Rice.
Comme le dit le London Financial Times, il est bon de garder à l’esprit que grâce aux remarquables correspondants d’Al-Jazeera, des émissions de télévision en direct et régulières fournissent une "analyse calme et équilibrée du chaos et de la destruction" et offrent "une alternative sévère aux chaînes hertziennes", ne laissant pas le monde arabe strictement ignorant de ce qui se passe à Gaza. Dans les 105 pays où l’autocensure n’est pas si efficace que chez nous, les gens peuvent voir d’heure en heure ce qui se passe, et l’impact est très grand. Aux États-Unis, le New York Times suggère que "le black-out quasi-total d’Al-Jazeera ... est sans doute lié à sa forte critique du gouvernement des États-Unis au début de la guerre en Irak et à sa couverture de l’invasion américaine". Rumsfeld et Cheney l’ont contesté, donc de toute évidence les médias indépendants ne pouvaient qu’obéir.
Il existe un débat très mesuré sur ce que les assaillants espèrent obtenir. Parmi les objectifs qui sont discutés il y a le rétablissement de ce que l’on appelle "la force de dissuasion" qu’Israël a perdu à la suite de ses échecs au Liban en 2006 - c’est-à-dire la capacité de terroriser tout opposant potentiel et de le soumettre. Il existe cependant des objectifs plus fondamentaux qui ont tendance à être occultés, même s’ils semblent assez évidents à la vue de l’histoire récente.
Israël a quitté Gaza en septembre 2005. Les jusqu’au-boutistes rationnels israéliens, comme Ariel Sharon le saint patron des colons, ont compris l’absurdité de subventionner quelques milliers de colons israéliens illégaux dans les ruines de Gaza, protégés par les IDF, alors qu’ils profitaient de peu de terres, et de ressources limitées. Il était plus logique de faire de Gaza la plus grande prison du monde et de transférer les colons en Cisjordanie, territoire de grande valeur, où Israël est très explicite sur ses intentions, en paroles et évidemment en actes. L’un des buts est d’annexer les terres cultivables, les réserves d’eau, et les agréables banlieues de Jérusalem et de Tel-Aviv, dans l’enceinte du mur de séparation, déclaré illégal mal à propos par la Cour Internationale de Justice. Cela comprend un agrandissement conséquent de Jérusalem, en violation des directives, également mal à propos, du Conseil de Sécurité qui remontent à 40 ans. Israël a également pris le contrôle de la vallée du Jourdain, soit environ un tiers de la Cisjordanie. Ce qui subsiste est encerclé et coupé en trois par des extensions des colonies juives : l’une à l’est du Grand Jérusalem à travers la ville de Ma’aleh Adumim, développée dans les années Clinton pour diviser la Cisjordanie ; et deux au nord, à travers les villes d’Ariel et de Kedumim. Les morceaux qui restent aux Palestiniens sont séparés par des centaines de points de contrôle le plus souvent arbitraires.
Les points de contrôle n’ont aucun rapport avec la sécurité d’Israël, et si certains sont destinés à protéger les colons, ils sont simplement illégaux, comme l’a statué la Cour Internationale de Justice. En réalité, leur principal but est de harceler la population palestinienne et de fortifier ce que l’activiste israélien pour la paix Jeff Halper appelle la "matrice de contrôle", visant à rendre la vie insupportable aux "bêtes à deux pattes" qui seront comme des "cafards drogués courrant en rond dans une bouteille" s’ils cherchent à rester dans leurs maisons et sur leurs terres. Tout cela est assez juste, car ils sont "comme des sauterelles par rapport à nous", et leurs chefs pourront être "écrasé contre les rochers et les murs". La terminologie est celle des plus hauts dirigeants politiques et militaires israéliens, les "Princes" vénérés. Et ces attitudes façonnent les politiques.
Les délires des dirigeants politiques et militaires sont bénins par rapport aux prêches des autorités rabbiniques. Ce ne sont pas des personnalités marginales. Au contraire, elles sont très influentes dans l’armée et chez les colons, que Zertal et Eldar appellent les "Seigneurs de la Terre", et ont un immense impact politique. Les soldats combattant dans le nord de Gaza furent gratifiés d’une visite "charismatique" de deux grands rabbins, qui leur ont expliqué qu’il n’existe pas d’ "innocents" à Gaza, que tout le monde y est donc une cible légitime, en citant un célèbre passage des Psaumes priant le Seigneur de saisir les enfants des oppresseurs d’Israël et les jeter contre les rochers. Les rabbins ne marchaient pas en terre inconnue. Un an plus tôt, comme le rapporte le Jérusalem Post, l’ancien chef rabbin Séfarade a écrit au Premier ministre Olmert, l’informant que tous les civils dans la bande de Gaza sont collectivement coupables des tirs roquettes, ainsi il n’y a "absolument aucune interdiction morale au massacre aveugle de civils pendant une éventuelle offensive militaire massive sur la bande de Gaza visant à arrêter les tirs de fusées". Son fils, grand rabbin de Safed, a surenchéri : "S’ils ne s’arrêtent pas après que nous en ayons tué 100, alors nous devons en tuer 1.000, et s’ils ne s’arrêtent pas après 1.000, alors nous devons en tuer 10.000. S’ils ne s’arrêtent pas, nous devons en tuer 100.000, même un million. Ce qu’il faudra pour les faire cesser."
Des points de vue similaires sont exprimés par des personnalités laïques étasuniennes. Quand Israël a envahi le Liban en 2006, le professeur Alan Dershowitz de l’École de Droit de Harvard, a expliqué dans le journal libéral en ligne Huffington Post, que tous les Libanais sont des cibles légitimes de la violence israélienne. Les citoyens du Liban “payent le prix“ de leur soutien au "terrorisme" - c’est-à-dire leur soutien à la résistance à l’invasion israélienne. En conséquence, les civils libanais ne sont pas plus protégés des attaques que les Autrichiens qui soutenaient les nazis. La fatwa du rabbin séfarade s’applique à eux. Dans une vidéo sur le site Internet du Jérusalem Post, Dershowitz continua à ridiculiser les propos sur le rapport excessif entre les morts Palestiniens et Israéliens : il doit être porté à 1.000 pour un, dit-il, ou même 1.000 pour zéro, signifiant que les brutes devaient être complètement exterminées. Bien sûr, il se réfère à des "terroristes", une vaste catégorie qui inclut les victimes du pouvoir israélien, car "Israël n’a jamais pour cible des civils", déclara-t-il avec insistance. Il s’ensuit que les Palestiniens, les Libanais, les Tunisiens, ou quiconque se trouve sur le chemin de l’impitoyable armée du Saint État est un terroriste, ou une victime accidentelle de leurs justes crimes.
Il n’est pas facile de trouver de contreparties historiques à de telles prestations. Il est peut-être instructif qu’elles semblent couler de source dans la culture intellectuelle et morale dominante - quand elles émanent de "notre côté". Dans la bouche d’ennemis officiels, de tels mots susciteraient une juste indignation et des appels à la vengeance sous forme de violences préventives massives.
L’affirmation selon laquelle "notre camp" ne vise jamais les civils est une doctrine familière à ceux qui monopolisent les moyens de la violence. Et elle contient une part de vérité. Nous n’essayons pas en général, de tuer des civils déterminés. Au contraire, nos actions sont meurtrières, nous le savons, elles tuent de nombreux civils, mais sans intention spécifique d’en tuer un en particulier. En droit, ces pratiques courantes pourraient relever de la catégorie de non-assistance à personne en danger, mais ce n’est pas une désignation correcte pour la pratique et la doctrine impériale standard. Ce serait plutôt comme marcher dans une rue en sachant que l’on peut tuer des fourmis, mais sans intention de le faire, parce qu’elles sont si insignifiantes que ça n’a pas d’importance. Il en est de même quand Israël effectue des actions sachant qu’il va tuer des "sauterelles" et des "bêtes à deux pattes" qui infestent les terres qu’il "libère". Il n’y a pas de bon terme pour désigner cette forme de dépravation morale par trop familière et sans doute pire que le meurtre délibéré.
Dans l’ancienne Palestine, les propriétaires légitimes (par décret divin, selon les "Seigneurs de la Terre") peuvent décider d’accorder aux cafards drogués quelques parcelles éparses. Pas par droit, cependant : "Je pensais, et à ce jour je crois encore, que notre peuple a un droit éternel et historique sur l’ensemble de cette terre", déclara en soulevant les applaudissements le Premier Ministre Olmert à une session plénière du Congrès en mai 2006. Dans le même temps, il annonçait son programme de "convergence" pour prendre le contrôle de tout ce qui a de la valeur en Cisjordanie, laissant les Palestiniens moisir dans des recoins isolés. Il n’a pas été précis sur les frontières de "l’ensemble du territoire", mais, pour de bonnes raisons, l’entreprise sioniste ne l’a jamais été : l’expansion permanente est une dynamique interne très importante. Si Olmert est toujours fidèle à ses origines dans le Likoud, il peut avoir voulu dire les deux côtés de la Jordanie, y compris l’état actuel de Jordanie, ou tout du moins les régions qui ont de la valeur.
Le "droit éternel et historique à l’ensemble de la terre" de notre peuple contraste radicalement avec l’absence de tout droit de l’autodétermination pour les habitants temporaires, les Palestiniens. Comme indiqué précédemment, cette dernière position a été réaffirmée, par Israël et son patron à Washington en décembre 2008, dans leur isolement habituel accompagné d’un silence retentissant.
Les plans esquissés par Olmert en 2006 ont depuis été abandonnés comme insuffisamment ambitieux. Mais ce qui remplace le programme de convergence et les actions qui s’ensuivent quotidiennement pour sa mise en œuvre sont approximativement les mêmes dans leur conception générale. Cela remonte aux premiers jours de l’occupation, lorsque le ministre de la Défense Moshe Dayan expliquait poétiquement que "la situation d’aujourd’hui ressemble à la relation complexe entre un bédouin et la jeune fille qu’il a ravie contre sa volonté ... Vous les Palestiniens, en tant que nation, ne voulez pas de nous aujourd’hui, mais nous allons changer votre attitude en vous imposant notre présence". Vous allez "vivre comme des chiens, et celui qui partira, partira", tandis que nous prendrons ce que nous voudrons.
Que ces programmes soient criminels n’a jamais été mis en doute. Immédiatement après la guerre de 1967, le gouvernement israélien a été informé par sa plus haute autorité juridique, Teodor Meron, que "la colonisation civile des territoires administrés contrevenait aux dispositions formulées par la quatrième Convention de Genève", le fondement du droit international humanitaire. Le ministre de la Justice d’Israël en convenait. La Cour Internationale de Justice a approuvé à l’unanimité cette conclusion essentielle en 2004, et la Haute Cour israélienne a approuvé techniquement tout en étant en désaccord dans la pratique, selon son style habituel.
En Cisjordanie, Israël peut poursuivre ses plans criminels avec l’appui des États-unis et sans être dérangé, grâce à l’efficacité de son contrôle militaire et maintenant grâce à l’aide des forces de sécurité palestiniennes collaborationnistes, armées et entraînées par les États-Unis et les dictatures alliées. Il peut aussi procéder régulièrement à des assassinats et autres crimes pendant que les colons sévissent sous la protection des IDF. Mais, alors que la Cisjordanie a été soumise par la terreur, il y a encore des résistances dans l’autre moitié de la Palestine, la bande de Gaza. Cela aussi doit être réprimé pour que les plans israélo-étasuniens d’annexion et de destruction de la Palestine puissent se développer sans gêne.
D’où l’invasion de Gaza.
Le moment de l’invasion a vraisemblablement été influencé par les prochaines élections israéliennes. Dès les premiers jours du carnage, le commentateur israélien Ran HaCohen a calculé qu’Ehud Barak qui reculait fortement dans les sondages a gagné un siège au Parlement pour 40 morts Arabes.
Cela peut changer cependant. Comme les crimes ont dépassé ce que la campagne de propagande israélienne soigneusement préparée a été en mesure de cacher, même des faucons israéliens avérés se sont inquiétés que le carnage "Détruit l’âme [d’Israël] et son image. Il le détruit sur les écrans de télévision du monde, dans les salons de la communauté internationale et surtout dans l’Amérique d’Obama (Ari Shavit)". Shavit était particulièrement préoccupé qu’Israël "bombarde une installation des Nations Unies ... le jour où le secrétaire général de l’ONU est en visite à Jérusalem", un acte "au-delà de folie" estima-t-il.
Pour ajouter quelques détails, cette "installation" était la base de l’ONU dans la ville de Gaza et contenait les entrepôts de l’UNRWA. Selon son directeur John Ging, le pilonnage a détruit "des centaines de tonnes de nourriture et de médicaments d’urgence qui devaient être distribuées aujourd’hui dans les abris, les hôpitaux et les centres d’alimentation". Les frappes militaires ont aussi détruit les deux étages de l’hôpital al-Qods, et y ont mis le feu, ainsi qu’à un deuxième entrepôt géré par le Croissant-Rouge palestinien. L’hôpital du quartier fortement peuplé de Tal-Hawa a été détruit par les chars israéliens "après que des centaines d’habitants de Gaza terrorisés y eurent trouvé refuge quand les forces terrestres israéliennes sont entrées dans le quartier", a indiqué l’Associated Press.
Il n’y avait plus rien à sauver à l’intérieur des ruines fumantes de l’hôpital. "Ils ont bombardé le bâtiment, le bâtiment de l’hôpital. Il a pris feu. Nous avons essayé d’évacuer les malades, les blessés et les personnes qui étaient là. Les pompiers sont arrivés et ont éteint le feu, qui a repris de nouveau et ils l’ont de nouveau éteint, et il s’est rallumé une troisième fois", a raconté l’auxiliaire médical Ahmad Al-Haz à l’AP. On soupçonne que l’incendie pourrait avoir été déclenché par le phosphore blanc, également mis en cause dans de nombreux autres incendies et brûlures graves.
Ces soupçons sont confirmés par Amnesty International après que l’arrêt des bombardements intensifs a permis d’enquêter. Avant, tandis qu’il perpétrait ses crimes dans une fureur sans frein, Israël avait évidemment interdit tout journaliste, même israélien. L’utilisation par Israël de phosphore blanc contre les civils de Gaza est "claire et indéniable", a indiqué Amnesty International. Son utilisation répétée dans des zones civiles densément peuplées "est un crime de guerre", a conclu Amnesty International. Les enquêteurs ont trouvé des éclats de phosphore blanc disséminés dans les bâtiments résidentiels toujours en feu, "mettant en danger d’autres résidants et leurs biens", en particulier les enfants "attirés par les débris d’armes et souvent ignorant des dangers". Les cibles principales, disent-ils, ont été l’enceinte de l’UNRWA, où le "phosphore blanc est tombé à côté de camions de carburant et a provoqué un immense incendie qui a détruit des tonnes d’aide humanitaire" bien que les autorités israéliennes "avaient assuré qu’aucune nouvelle attaque ne serait lancée sur le complexe". Le même jour, "un obus au phosphore blanc est tombé sur l’hôpital Al-Qods dans la ville de Gaza causant aussi un incendie qui a obligé le personnel de l’hôpital à évacuer les patients... le phosphore blanc qui tombe sur la peau brûle profondément, jusqu’aux muscles et même aux os, et brûle jusqu’à ce qu’il soit privé d’oxygène". Qu’ils soient commis intentionnellement ou par indifférence cynique, ces crimes sont inévitables quand une telle arme est utilisée dans des attaques sur les civils.
Il est toutefois erroné de se concentrer uniquement sur les violations flagrantes par Israël du jus in bello (le Droit pendant la Guerre, en latin), lois destinées à interdire des pratiques trop sauvages. L’invasion elle-même est un crime beaucoup plus grave. Et si Israël avait infligé des terribles dégâts avec des arcs et des flèches, ce serait toujours un acte criminel d’une extrême perversion.
Une agression a toujours un prétexte : dans ce cas, la patience d’Israël a été "poussée à bout" par les attaques à la roquette du Hamas, comme dit Barak. Mantra répété à l’infini sur le droit d’Israël d’utiliser la force pour se défendre. La thèse est partiellement défendable. Les tirs de roquettes sont criminels et il est vrai qu’un État a le droit de se défendre contre des attaques criminelles. Mais il ne s’ensuit pas qu’il a le droit de se défendre par la force. Cela va bien au-delà de tout principe que nous pourrions ou devrions accepter. L’Allemagne nazie n’avait pas le droit d’utiliser la force pour se défendre contre le terrorisme des partisans. La Nuit de Cristal n’est pas justifiée par l’assassinat par Herschel Grynszpan d’un membre de l’Ambassade d’Allemagne à Paris. Les Britanniques n’avaient pas le droit d’utiliser la force pour se défendre contre la (très réelle) terreur des colons américains cherchant l’indépendance, ou pour terroriser les Catholiques irlandais en réponse à la terreur de l’IRA - et quand ils ont finalement appliqué une politique sensée, tenant compte de revendications légitimes, la terreur a pris fin. Il ne s’agit pas de "proportionnalité", mais d’abord du choix de l’action : existe-t-il une alternative à la violence ?
Tout recours à la force doit s’appuyer sur des arguments indiscutables, et nous devons nous demander si Israël y satisfait en réprimant sans relâche depuis plus de 40 ans toute résistance à ses actions criminelles quotidiennes à Gaza et en Cisjordanie. Peut-être puis-je citer un de mes entretiens à la presse israélienne sur les plans de convergence pour la Cisjordanie annoncés par Olmert : "Les États-unis et Israël ne tolèrent aucune contestation à ces plans, et préfèrent laisser croire - à tort bien sûr - qu’ "il n’y a pas de partenaire", tout en continuant à appliquer ces plans depuis longtemps. On peut rappeler que la bande de Gaza et la Cisjordanie sont reconnues comme entité unique, et si la résistance aux programmes israélo-étasuniens d’annexion et de morcellement est légitime en Cisjordanie, il l’est aussi à Gaza".
Le journaliste américano-palestinien Ali Abunimah a fait remarquer ; "Il n’y a pas de roquettes tirées sur Israël depuis la Cisjordanie, et pourtant, les exécutions extrajudiciaires par Israël, le vol des terres, les pogroms et les enlèvements par les colons, n’ont jamais cessé un seul jour au cours de la trêve. L’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas soutenue par l’Occident a accepté toutes les exigences d’Israël. Sous le regard satisfait des conseillers militaires des États-Unis, Abbas a réuni ses "forces de sécurité" afin de lutter contre la résistance au nom d’Israël. Rien de cela n’a épargné un seul Palestinien de Cisjordanie de la colonisation sans relâche d’Israël" - avec l’appui sans faille des États-Unis. Le parlementaire palestinien respecté, le Dr. Mustapha Barghouti, ajoute qu’après la mascarade de Bush à Annapolis en novembre 2007, et sa rhétorique édifiante sur son dévouement à la paix et à la justice, les attaques israéliennes sur les Palestiniens ont fortement augmenté, de près de 50% en Cisjordanie, en même temps que le nombre de colonies israéliennes et les points de contrôle. Il est évident que ces actes criminels ne sont pas une réponse aux roquettes de Gaza, mais que ce pourrait être l’inverse, comme le suggère Barghouti.
Les réactions aux crimes d’une puissance d’occupation peuvent être condamnées comme criminelles et politiquement insensées, mais ceux qui n’offrent aucune alternative n’ont pas de raisons morales pour émettre de tels jugements. La conclusion vaut particulièrement pour ceux qui aux États-Unis choisissent d’être directement impliqués dans les crimes continus d’Israël - par leurs paroles, leurs actions, ou leur silence. D’autant plus parce qu’il y a très clairement des alternatives non-violentes - qui ont toutefois l’inconvénient d’aller à l’encontre des programmes d’expansion illégale.
Israël a un moyen évident de se défendre : mettre un terme à ses actions criminelles dans les territoires occupés et accepter le consensus international qui, de longue date, appelle à la coexistence de deux États. Ce règlement a été bloqué par les États-unis et Israël depuis plus de 30 ans, depuis le premier veto opposé par les États-unis à une résolution du Conseil de Sécurité de 1976 appelant en ces termes un règlement politique. Je ne vais pas une nouvelle fois détailler ce passé peu glorieux, mais il est important d’être conscient que le rejet israélo-étasunien d’aujourd’hui est encore plus flagrant que par le passé. La Ligue arabe est même allé au-delà du consensus qui appelle à la totale normalisation des relations avec Israël. Le Hamas a maintes fois appelé à un règlement à deux États selon ce consensus international. L’Iran et le Hezbollah ont clairement dit qu’ils respecteraient tout accord accepté par les Palestiniens. Cela laisse les États-Unis et Israël dans un splendide isolement, pas seulement verbal.
Un rappel plus précis est informatif. Le Conseil National Palestinien a accepté officiellement le consensus international en 1988. La réponse du gouvernement de coalition Shamir-Peres, confirmée par le Département d’État de James Baker, est qu’il ne peut y avoir un “État palestinien de plus“ entre Israël et la Jordanie - cette dernière étant déjà un État palestinien par décret des États-unis et d’Israël. Les accords d’Oslo qui ont suivi ont écarté toute possibilité pour des Droits Nationaux Palestiniens. La menace qu’ils puissent être obtenus sous une quelconque forme a été systématiquement écartée pendant l’année de négociation des Accords d’Oslo, par l’expansion constante et illégale des colonies de peuplement d’Israël. Colonisation qui s’accéléra en 2000, dernière année au pouvoir du Président Clinton et du Premier ministre Barak, pendant les négociations de Camp David qui se tinrent avec le même sous-entendu.
Après avoir blâmé Yasser Arafat pour la rupture des négociations de Camp David, Bill Clinton se rétracta et reconnut que les propositions des États-Unis et d’Israël étaient trop extrémistes pour les Palestiniens. En décembre 2000, il a présenté ses "mesures", vagues mais plus ouvertes. Il a ensuite annoncé que les deux parties avaient accepté les mesures, alors que toutes deux avaient exprimé des réserves. Les deux parties se sont rencontrées à Taba en Égypte en janvier 2001 et ont été très proches d’un accord, qu’elles auraient pu conclure en quelques jours, ont-ils déclaré dans leur dernière conférence de presse. Mais les négociations ont été annulées prématurément par Ehud Barak. Cette semaine à Taba est la seule pause en plus de 30 ans dans le rejectionisme américano-israélien. Il n’y a aucune raison pour que cela ne puisse se produire à nouveau.
La version préférée, rappelée récemment par Ethan Bronner, est que "Beaucoup à l’étranger se souviennent de M. Barak comme le Premier Ministre qui en 2000 est allée plus loin que n’importe quel dirigeant israélien dans les offres de paix aux Palestiniens. Mais il faut voir comment l’accord a capoté et a dégénéré dans un violent soulèvement palestinien, en l’excluant du pouvoir". Il est vrai que "beaucoup à l’étranger" croient à ce conte de fées trompeur, grâce à ce que Bronner et un trop grand nombre de ses collègues appellent le "journalisme".
Il est communément admis qu’une solution à deux États est désormais inaccessible, parce que si l’armée israélienne tentait d’expulser les colons, cela conduirait à une guerre civile. C’est peut-être vrai, mais d’autres arguments sont nécessaires. Sans recourir à la force pour expulser les colons illégaux, l’armée israélienne pourrait simplement se retirer dans les frontières établies par les négociations. Les colons au-delà de ces frontières auraient le choix entre quitter leurs maisons subventionnées pour retourner en Israël, ou y rester sous autorité palestinienne. Le schéma était identique lors de la mise en scène soignée du "traumatisme national" dans la bande de Gaza en 2005, si grossièrement trompeuse qu’elle fut raillée par les commentateurs israéliens. Il aurait suffi à Israël d’annoncer que les IDF se retiraient, pour que les colons subventionnés pour profiter de leur vie dans la bande de Gaza montent discrètement dans les camions mis à leur disposition pour se rendre à leur nouvelle résidence subventionnée en Cisjordanie. Mais cela n’aurait pas produit les images tragiques d’enfants angoissés ou d’exaltés criant "plus jamais ça".
En résumé, contrairement à l’affirmation constamment répétée, Israël n’a pas le droit d’utiliser la force pour se défendre contre les roquettes de la bande de Gaza, même si elles sont considérées comme des crimes terroristes. En outre, les raisons sont transparentes. Le prétexte pour le lancement de l’attaque est sans fondement.
Une question plus précise doit être posée. Israël a-t-il des alternatives pacifiques à court terme à l’utilisation de la force en réponse aux roquettes tirées de Gaza ? L’une d’elles serait d’accepter un cessez-le-feu. Israël l’a parfois fait, mais il l’a instantanément violé. Le plus récemment en juin 2008. Le cessez-le-feu prévoyait l’ouverture des frontières pour "permettre le transport de toutes les marchandises qui avaient été interdites ou limitées dans la bande de Gaza". Israël a formellement accepté, mais a immédiatement annoncé qu’il ne respecterait pas l’accord ni l’ouverture des frontières jusqu’à ce que le Hamas libère Gilad Shalit, un soldat israélien capturé par le Hamas en juin 2006.
Les roulements de tambour continus à propos de la capture de Shalit sont encore une fois une hypocrisie flagrante, même en oubliant qu’Israël a une longue histoire d’enlèvements. L’hypocrisie ne peut être plus flagrante que dans ce cas. La veille de la capture de Shalit par le Hamas, des soldats israéliens sont entrés dans la ville de Gaza et ont enlevé deux civils, les frères Muammar, les emmenant en Israël rejoindre les milliers d’autres prisonniers détenus là-bas sans aucune charge, près de 1.000. L’enlèvement de civils est un crime beaucoup plus grave que la capture d’un soldat d’une armée attaquante, mais de cela on ne parle jamais, seulement et toujours de la fureur provoquée par l’enlèvement de Shalit. Et tout ce qui reste en mémoire, la cause du blocage de la paix, c’est la capture de Shalit, un autre exemple de la différence entre les humains et les bêtes à deux pattes. Shalit doit être rendu - au cours d’un juste échange de prisonniers.
C’est après la capture de Shalit que les attaques militaires implacables d’Israël contre Gaza, de simplement vicieuses, sont devenues vraiment sadiques. Mais il faut rappeler que même avant la capture, après son retrait en septembre, Israël a tiré plus de 7.700 obus sur le nord de Gaza, ne suscitant pratiquement aucun commentaire.
Après le rejet du cessez-le-feu de juin 2008 qu’il avait officiellement accepté, Israël a maintenu son siège. Pouvons-nous rappeler qu’un siège est un acte de guerre. En fait, Israël a toujours insisté sur un principe encore plus fort : entraver l’accès au monde extérieur, même par un siège partiel, est un acte de guerre justifiant la violence massive en réponse. Les entraves à son passage par le détroit de Tiran ont fait partie des prétextes d’Israël pour envahir l’Égypte (avec la France et l’Angleterre) en 1956, et pour son entrée en guerre en juin 1967. Le siège de Gaza est total, pas partiel, à part quelques exceptions quand, selon leur bon vouloir les occupants le relâchent un peu. Et il est beaucoup plus préjudiciable à Gaza que la fermeture du détroit de Tiran l’était pour Israël. Les partisans de la doctrine et des actions israéliennes ne devraient donc avoir aucun problème à justifier les attaques à la roquette sur le territoire israélien depuis la bande de Gaza.
Bien sûr et encore, nous sommes confrontés au principe infirmatif : nous c’est nous, eux c’est eux.
Israël non seulement a maintenu le siège après juin 2008, mais il l’a fait avec une extrême rigueur. Il a même empêché l’UNRWA de reconstituer ses stocks, "de sorte que lorsque le cessez-le-feu a pris fin, nous avons manqué de nourriture pour les 750.000 personnes qui dépendent de nous", a déclaré le directeur de l’UNRWA John Ging à la BBC.
Malgré le siège israélien, les tirs de roquettes ont fortement diminué. Le cessez-le-feu a été rompu le 4 novembre par un raid israélien dans la bande de Gaza entraînant la mort de 6 Palestiniens, et des tirs de roquettes en représailles (aucune victime). Le prétexte invoqué pour justifier le raid était qu’Israël avait repéré un tunnel dans la bande de Gaza qui pourrait servir à capturer un autre soldat israélien. Comme un certain nombre de commentateurs l’ont noté, le prétexte est totalement absurde. Si ce tunnel existait et atteignait la frontière, Israël aurait pu facilement le boucher à cet endroit. Mais comme d’habitude, le faux prétexte israélien a été jugé crédible.
Quelle a été la vraie raison de l’attaque israélienne ? Nous n’avons pas d’éléments de preuve sur les plans d’Israël, mais nous savons que le raid est intervenu peu avant des entretiens prévus entre le Fatah et le Hamas au Caire, visant à "aplanir leurs divergences et à créer un gouvernement unifié", signale le correspondant britannique Rory McCarthy. Ce devait être la première rencontre Fatah-Hamas depuis la guerre civile de juin 2007 qui a donné le contrôle de la bande de Gaza au Hamas, et cela aurait été une étape importante pour la diplomatie. Israël a une longue histoire de provocations en vue de dissuader la menace diplomatique, certaines ayant déjà été mentionnées. Ceci en est sûrement une autre.
La guerre civile qui a laissé le contrôle de la bande de Gaza au Hamas est communément décrite comme un coup d’État militaire du Hamas, ce qui démontre à nouveau sa nature diabolique. Le monde réel est un peu différent. La guerre civile a été organisée par les États-Unis et Israël, dans une grossière tentative de coup d’État pour renverser le Hamas, porté au pouvoir par des élections libres. Cela est connu du public au moins depuis avril 2008, quand David Rose a publié dans Vanity Fair un rapport détaillé et documentée sur la façon dont Bush, Rice, et le sous-conseiller pour la sécurité nationale Elliott Abrams "ont soutenu la force armée aux ordres de l’homme fort du Fatah Muhammad Dahlan, déclenchant une guerre civile sanglante dans la bande de Gaza et en laissant le Hamas plus fort que jamais". Ce rapport a été récemment confirmé dans le Christian Science Monitor (12 janvier, 2009) par Norman Olsen, qui a travaillé 26 ans aux Affaires Étrangères, dont quatre dans la bande de Gaza et quatre autres à l’ambassade américaine à Tel-Aviv, puis est devenu coordinateur associé pour le contre-terrorisme au Département d’État. Olson et son fils détaillent les manigances du Département d’État destinées à assurer que leur candidat, Abbas, gagne les élections de janvier 2006 - ce qui aurait été salué comme un triomphe de la démocratie. Après ce bidouillage raté des élections, ils se sont tournés vers la répression des Palestiniens et l’armement d’une milice dirigée par l’homme fort du Fatah Mohammed Dahlan. Mais "les voyous de Dahlan ont agi trop tôt" et une action préventive du Hamas a fait échouer la tentative de coup d’État, menant à des mesures bien plus sévères de la part des États-unis et d’Israël pour punir la désobéissance du peuple de Gaza. La Ligne du Parti est plus crédible.
En novembre, après qu’Israël a rompu le cessez-le-feu de juin 2008 (quoiqu’il ait été), le siège a été encore renforcé, avec des conséquences encore plus désastreuses pour la population. Selon Sara Roy, une des meilleures spécialistes universitaires de la bande de Gaza, "Le 5 novembre, Israël a fermé tous les points de passage dans la bande de Gaza, réduisant considérablement, et parfois refusant, le passage de vivres, de médicaments, de carburant, de gaz de cuisine, et de pièces détachées pour l’adduction et l’assainissement de l’eau... Au cours de novembre, une moyenne de 4,6 camions de nourriture est entrée chaque jour d’Israël à Gaza comparée à 123 camions par jour en octobre. L’entrée de pièces de rechange pour la réparation et l’entretien des équipements d’eau a été refusée pendant plus d’un an. L’Organisation Mondiale de la Santé vient d’indiquer que la moitié des ambulances de la bande de Gaza est hors service" - les autres sont rapidement devenus des cibles pour les attaques israéliennes. La seule centrale électrique de Gaza a été contrainte de suspendre son activité, faute de carburant, et ne peut pas être démarrée par manque de pièces de rechange, en attente dans le port israélien d’Ashdod depuis 8 mois. La pénurie d’électricité a conduit à une augmentation de 300% des cas de brûlures à l’hôpital Shifaa dans la bande de Gaza, dues à l’utilisation de feux de bois. Israël interdit le passage du chlore, de sorte que d’ici à la mi-décembre, l’accès à l’eau dans la ville de Gaza et au nord a été limité à six heures tous les trois jours. Les pertes humaines induites ne sont pas comptabilisées dans les victimes palestiniennes de la terreur israélienne.
Après l’attaque israélienne du 4 novembre, la violence a augmenté des deux côtés (tous les morts sont palestiniens) jusqu’à ce que le cessez-le-feu prenne officiellement fin le 19 décembre et que le Premier Ministre Olmert autorise l’invasion à grande échelle.
Quelques jours plus tôt, le Hamas avait proposé de revenir à l’accord de cessez-le-feu de juillet, qu’Israël n’avait pas respecté. Robert Pastor, historien et ancien haut fonctionnaire de l’administration Carter a transmis la proposition à un "haut fonctionnaire" de l’armée israélienne, mais Israël n’a pas répondu. Au contraire, le chef du Shin Bet, l’organisme de sécurité intérieure d’Israël, cité le 21 décembre par des sources israéliennes, a dit que le Hamas est prêt à poursuivre la "trêve" avec Israël, alors que son aile militaire poursuit ses préparatifs de guerre.
"Il y avait clairement une alternative à l’approche militaire pour arrêter les tirs de roquettes", a déclaré Pastor, s’en tenant à la question restreinte de la bande de Gaza. Il y avait aussi une alternative de bien plus grande portée mais rarement évoquée : l’acceptation d’un règlement politique incluant tous les territoires occupés.
Le haut correspondant diplomatique d’Israël Akiva Eldar, rapporte que peu de temps avant qu’Israël lance son invasion à grande échelle, le samedi 27 décembre, "le chef du bureau politique du Hamas Khaled Mechaal avait annoncé sur le site Internet Iz al-Din al-Qassam, qu’il était prêt, non seulement à un "arrêt de l’agression" mais proposait de revenir à l’arrangement de Rafah de 2005, avant que le Hamas ne remporte les élections et ne s’empare de la région. Cet arrangement prévoyait que les points de passages seraient supervisés conjointement par l’Égypte, l’Union européenne, la présidence de l’Autorité palestinienne et le Hamas", et comme indiqué précédemment, a appelé à l’ouverture de passages pour les denrées faisant cruellement défaut.
Une des revendications des apologistes les plus simplistes de la violence israélienne est que dans le cas de l’attaque actuelle, "comme dans de nombreux autres cas dans le dernier demi-siècle - la guerre au Liban de 1982, le "gant de fer" qui répond à l’Intifada de 1988, la guerre au Liban de 2006 - les Israéliens ont réagi à des actes intolérables de terreur avec la volonté d’infliger des douleurs atroces, pour donner une leçon à l’ennemi" (David Remnick, éditeur du New Yorker). Comme cela a déjà été mentionné, l’invasion de 2006 ne peut être justifiée que par un cynisme épouvantable. La réponse vicieuse à l’Intifada de 1988 est trop amorale pour être discutée ; une interprétation bienveillante pourrait être qu’elle reflète une étonnante ignorance. Mais l’explication de Remnick de l’invasion de 1982 est tellement fréquente, une réussite remarquable de propagande ininterrompue, qu’elle mérite quelques rappels.
Sans aucun doute, la frontière israélo-libanaise a été calme pendant un an avant l’invasion israélienne, au moins à partir du Liban vers Israël, du nord au sud. Toute l’année, l’OLP a scrupuleusement observé un cessez-le-feu appuyé par les États-unis, en dépit de constantes provocations israéliennes, y compris des bombardements faisant de nombreuses victimes civiles, probablement destinées à susciter des réactions qui pourraient être utilisées par Israël pour justifier une invasion planifiée avec soin. Israël n’a obtenu que deux petites répliques symboliques. Il a alors lancé l’invasion avec un prétexte trop absurde pour d’être pris au sérieux.
L’invasion n’a effectivement rien à voir avec des "actes intolérables de terrorisme", mais avec des actes intolérables de diplomatie. Cela n’a jamais été un mystère. Peu après que l’invasion soutenue par les États-unis ait commencé, le meilleur spécialiste universitaire des Palestiniens en Israël, Yehoshua Porath - qui n’est pas une colombe - a écrit que la réussite d’Arafat à maintenir le cessez-le-feu constitue "une véritable catastrophe aux yeux du gouvernement israélien" car elle ouvre la voie à un règlement politique. Le gouvernement espérait que l’OLP recourrait au terrorisme, affaiblissant la menace qu’il puisse devenir "un partenaire légitime de négociations pour de futurs accords politiques."
Les faits ont été bien compris en Israël, et non dissimulés. Le Premier ministre Yitzhak Shamir a déclaré qu’Israël avait opté pour la guerre parce qu’il y avait "un terrible danger ... pas tant militaire que politique", incitant l’excellent satiriste israélien B. Michael à écrire "l’excuse boiteuse d’un danger militaire, ou d’un danger tout court, pour la Galilée est morte". Nous "avons effacé le danger politique" en frappant les premiers et à temps. Maintenant, "Dieu merci, il n’y a plus personne à qui parler". L’historien Benny Morris a reconnu que l’OLP avait observé le cessez-le-feu, et a expliqué que "le caractère inévitable de la guerre était l’OLP en tant que menace politique sur Israël, et la volonté d’Israël de garder les territoires occupés". D’autres encore ont franchement reconnu ces faits incontestés.
En première page dans un article de réflexion sur la dernière invasion de Gaza, le correspondant du New York Times, Steven Lee Meyers, écrit que "D’une certaine manière, les attaques sur Gaza rappellent le pari qu’Israël avait pris, et en grande partie perdu, au Liban en 1982 [quand] il l’a envahi pour éliminer la menace des forces de Yasser Arafat". Correct, mais pas dans le sens auquel il pense. En 1982, comme en 2008, les attaques ont été nécessaires pour éliminer la menace d’un règlement politique.
L’espoir de la propagande israélienne était que les intellectuels et les médias occidentaux achèteraient l’histoire qu’Israël n’avait fait que réagir à une pluie de roquettes sur la Galilée, "intolérables actes de terrorisme". Et ils n’ont pas été déçus.
Ce n’est pas qu’Israël ne veuille pas la paix, tout le monde veut la paix, même Hitler la voulait. La question est : à quelles conditions ? Depuis ses origines, le mouvement sioniste a compris que pour atteindre ses buts, la meilleure stratégie serait de retarder un règlement politique, tout en construisant des faits sur le terrain. Même les quelques accords, comme ceux de 1947, ont été conçus par la direction sioniste comme des étapes provisoires pour poursuivre l’expansion. La guerre du Liban de 1982 a été un exemple spectaculaire de la peur extrême de la diplomatie. Elle a été suivie par le soutien d’Israël au Hamas afin de saper l’OLP laïque et ses initiatives de paix irritantes. Un autre exemple qui devrait être familier est constitué par les provocations israéliennes avant la guerre de 1967 - au moins 80% des incidents, selon le ministre de la Défense Moshe Dayan - visant à déclencher une réponse syrienne qui aurait pu être utilisée comme prétexte à la violence et à la conquête d’autres terres.
L’histoire remonte loin en arrière. L’histoire officielle de la Haganah, la force militaire d’avant l’État Juif, raconte l’assassinat en 1924 du poète juif religieux Jacob de Haan, accusé d’avoir conspiré avec la communauté juive traditionnelle (la vieille Yichouv) et le Haut Comité Arabe contre les nouveaux immigrants et leur entreprise de colonisation. Et il y a eu de nombreux exemples depuis.
L’effort pour retarder un compromis politique a toujours eu un sens parfait, de même que les mensonges qui l’accompagnent sur le "manque de partenaire pour la paix". Il est difficile d’imaginer une autre façon de contrôler la terre où vous êtes indésirable.
Des raisons semblables sous tendent la préférence d’Israël pour l’expansion plutôt que pour la sécurité. Sa violation du cessez-le-feu le 4 novembre 2009 en est l’un des nombreux exemples récents.
Une chronologie d’Amnesty International montre que le cessez-le-feu de juin 2008 avait "apporté d’énormes améliorations dans la qualité de vie des habitants de Sderot et d’autres villages israéliens près de Gaza, où auparavant les gens vivaient dans la crainte des prochains tirs de roquettes palestiniens. Toutefois, à proximité, dans la bande de Gaza, le blocus israélien reste en place et la population n’a pas encore vu les bénéfices du cessez-le-feu". Mais les gains en matière de sécurité pour les villes d’Israël près de la bande de Gaza ont été manifestement dépassés par le besoin de dissuader les initiatives diplomatiques qui pourraient entraver l’expansion en Cisjordanie et d’écraser toute résistance résiduelle en Palestine.
La préférence pour l’expansion sur la sécurité a été particulièrement manifeste depuis la décision fatale d’Israël en 1971. Soutenu par Henry Kissinger, il a rejeté l’offre du président d’Égypte Sadate, d’un traité de paix global qui n’offrait rien aux Palestiniens - un accord que les États-unis et Israël ont été obligés d’accepter à Camp David, huit ans plus tard, après une guerre qui fut presque un désastre pour Israël. Un traité de paix avec l’Égypte aurait mis fin à toute menace à la sécurité, mais il y avait un quiproquo inacceptable : Israël aurait dû abandonner ses vastes programmes de peuplement dans le nord-est du Sinaï. La sécurité était, et est toujours, une priorité moindre que l’expansion. Des preuves évidentes de cette conclusion sont fournies par l’étude magistrale sur la sécurité et la politique étrangère d’Israël "Défense de la Terre Sainte", par Zeev Maoz.
Aujourd’hui, Israël pourrait avoir la sécurité et des relations normalisées et intégrées dans la région. Mais il préfère clairement l’expansion illégale, les conflits, et l’exercice répété de la violence. Actions qui ne sont pas seulement criminelles, meurtrières et destructrices, mais qui sapent sa propre sécurité à long terme. Le spécialiste militaire des États-unis et du Moyen-Orient Andrew Cordesman écrit qu’Israël peut être sûr de sa force militaire pour écraser la bande de Gaza sans défense. Mais il ajoute, "ni Israël ni les États-Unis ne peuvent profiter d’une guerre qui produit une réaction [amère] de l’une des voix les plus sages et les plus modérées du Monde Arabe, celle du Prince Turki al-Fayçal d’Arabie Saoudite, qui a dit le 6 janvier : "Avec ces massacres et effusions de sang d’innocents dans la bande de Gaza, l’administration Bush a laissé [à Obama] un héritage déplorable et une position dangereuse ... Assez, c’est assez ! Aujourd’hui nous sommes tous des Palestiniens et nous recherchons le martyre pour Dieu et pour la Palestine, en mémoire de ceux qui sont morts dans la bande de Gaza".
Une des voix les plus sages en Israël, celle d’Uri Avnery, dit qu’après la victoire militaire israélienne, "Une cicatrice restera dans la conscience du monde, l’image d’un monstre taché de sang, Israël, prêt à chaque instant à commettre des crimes de guerre et à refuser toute contrainte morale. Cela aura de graves conséquences pour notre futur, notre position dans le monde et nos chances de parvenir à la paix et au calme. En fin de compte, cette guerre est aussi un crime contre nous-mêmes, un crime contre l’État d’Israël".
Il y a de bonnes raisons de croire qu’il a raison. Israël est délibérément en train de devenir le pays le plus haï au monde. Israël est aussi en train de perdre la confiance de l’Occident, y compris celle des jeunes Juifs américains qui sont peu susceptibles de tolérer encore longtemps ses crimes choquants. Il y a quelques décennies, j’ai écrit que ceux qui se déclarent "partisans d’Israël" sont en réalité des partisans de sa dégénérescence morale et de sa destruction probable. Malheureusement, ce jugement semble de plus en plus crédible.
Pendant ce temps, nous observons tranquillement un événement rare dans l’histoire, ce que le défunt sociologue israélien Baruch Kimmerling appelait "politicide", le meurtre d’une nation - à notre porte.
Noam Chomsky
20 janvier 2009
[2] Source : http://www.legrandsoir.info/spip.php?article7972
Article original / http://www.zcommunications.org/znet/viewArticle/20316
Traduction par Laurent EMOR pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info
[3] NDT : en arabe, technique de prosélytisme religieux.