Dieu[1]
"Dieu est le nom que depuis le commencement des temps jusqu’à nos jours les hommes ont donné à leur ignorance." (Encyclopédie anarchiste, p. 172.) De quel dieu les anarchistes sont-ils les athées ? Dans l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure, Camillo Berneri décrit le concept de Dieu d’après ce qu’en disent les différents systèmes philosophiques et religieux. Dieu peut être conçu comme créateur de la matière ou comme son ordonnateur, comme inhérent à l’univers ou distinct de lui ; "on peut lui nier toute action sur le monde et sur l’homme [...], et on peut en faire une entité personnelle, intelligente, qui intervient incessamment dans les événements naturels et humains." Athées de tous les dieux, les anarchistes ont fait le choix de l’athéisme absolu : "Ni dieu ni maître !" répètent-ils après Blanqui. Pour eux, la théologie, c’est la science du rien.
Si, selon Bakounine (In "Dieu et l’État, Pari"s, Mille et une nuits, 1996) , l’"idée divine [...] est une erreur historiquement nécessaire dans le développement de l’humanité", le dieu qu’il récuse, c’est essentiellement le "fantôme divin" Jéhovah, le dieu chrétien (mais aussi celui des juifs et des musulmans), le dieu "créateur, ordonnateur, juge, maître, maudisseur, sauveur et bienfaiteur du monde", synonyme de "l’asservissement et [de] l’anéantissement du l’humanité au profit de la divinité".
"L’idée de Dieu [...] est la négation la plus décisive de la liberté humaine"
"Si Dieu est, l’homme est esclave."
"Si Dieu existait, il faudrait l’abolir."
Des religions, autres que la juive, la chrétienne ou la musulmane, ont pu concevoir un dieu tellement indifférent au monde que l’homme en serait totalement libéré ? D’autres affirment que Dieu, lassé de son œuvre, aurait abandonné le monde laissant l’homme à sa plus grande liberté.
Qui fait profession de foi athéiste n’en applique pas pour autant une morale anarchiste : on peut être athée et fasciste, l’athéisme est éthiquement neutre. Et, au risque d’aller contre la pensée de Bakounine et contre celle de la grande majorité de mes amis libertaires, j’affirme que la pratique nous montre que la croyance en une "divinité" quelconque peut coïncider avec des comportements parfaitement libertaires. Toujours dans l’Encyclopédie anarchiste, L. Barbedette dit des quakers que s’ils ne se donnent pas l’étiquette libertaire, ils en possèdent effectivement l’esprit.
Près de nous
(mais cet état d’esprit a toujours existé chez les tolstoïens, les
anarchistes-catholiques des États-Unis et chez bien d’autres), on peut
constater plus qu’un intérêt pour l’anarchisme de la part de croyants, intérêt
qui, actuellement, peut s’expliquer après l’implosion des régimes dits
communistes qui entraîna par là même le rejet d’un certain marxisme qui
resta longtemps porteur d’un espoir social. Dans un passé récent pour
quelques-uns d’entre nous, lors de la guerre d’Algérie, 1954-1962, le
combat commun contre cette guerre et les risques pris ensemble (anars,
"parpaillots" et "papistes") ont tissé des liens,
disons-le, fraternels. D’un côté, les soutanes ne se sont pas transformées
en drapeaux de révolte ; de l’autre, l’oppression morale et mentale subie
dans le passé, et qui encore maintenant perdure, alimente et alimentera notre
haine du joug clérical. Et tant que ces amis croyants n’auront pas fait le ménage
chez eux (comme nous-mêmes avons à en faire chez nous), ils seront rejetés de
nos milieux et des organisations spécifiquement anarchistes (à noter que
Le rejet idéologique
de l’hypothèse Dieu est une chose. La lutte contre l’institution hiérarchique
de la papauté et contre toutes les positions réactionnaires ou contre les
pratiques des talibans ou les actions des intégristes, plus près de nous, qui
s’opposent à la libre disposition de nos corps et de nos esprits, en est une
autre. Je pense que l’anticléricalisme primaire est une erreur politique que
ne s’est pas privé de pratiquer André Lorulot dans
Berneri écrit, lui, dans "Le prolétariat ne se nourrit pas de curés" (œuvres choisies, éditions du Monde libertaire, p. 149) que : "Les organisations syndicales catholiques se sont démontrées capables, comme à Lomellina, de grèves, de sabotages, d’occupations de terres, et dans la révolution de demain, il serait stupide de se mettre à dos, à cause d’un jacobinisme anticlérical, une grande partie du prolétariat rural en mesure d’entrer dans le jeu des forces révolutionnaires et socialistes."
Toujours
Berneri pendant
La plupart des anarchistes se sont débarrassés, comme on se mouche, du fantôme divin. On peut en rester là. On peut aussi être à l’écoute d’une parole sincère qui n’est pas la nôtre. Prenant la suite de compagnons plus avisés que moi, je ne souhaite que reposer le problème.
André
Bernard