Deux
courts textes de Zo d'Axa
Une chambre composée de députés
jocrisses et de députés truqueurs représente, au contraire, à merveille les
électeurs que vous êtes. Ne protester pas: une nation a les délégués
qu'elle mérite.
Pourquoi les avez-vous nommés ?
Vous ne vous gênez pas, entre
vous, pour convenir que plus ça change, et plus c'est la même chose, que vos
élus se moquent de vous et ne songent qu'à leurs intérêts, à la gloriole ou
à l'argent.
Pourquoi les renommez-vous
demain'?
Vous savez très bien que tout
un lot de ceux que vous enverrez siéger vendront leurs voix contre un chèque
et feront le commerce des emplois, fonctions et bureaux de tabac.
Mais pour qui les bureaux de
tabac, les places, les sinécures si ce n'est pour les Comités d'électeurs que l'on paye ainsi ?
Les entraîneurs des Comités sont moins naïfs que le troupeau.
La Chambre représente
l'ensemble.
I1 faut des sots et des
roublards, il faut un parlement de ganaches et de Robert Macaire pour
personnifier à la fois tous les votards professionnels et les prolétaires déprimés.
Et sa, c'est vous !
On vous trompe, bons électeurs,
on vous berne, on vous flagorne quand on vous dit que vous êtes beaux, que vous
êtes la justice, le droit, la souveraineté nationale, le peuple-roi, des
hommes libres. On cueille vos votes et c'est tout. Vous n'êtes que des
fruits... des Poires.
On vous trompe encore. On vous
dit que la France est toujours la France. Ce n'est pas vrai.
La France perd, de jour en jour,
toute signification dans le monde , toute signification libérale. Ce n'est plus
le peuple hardi, coureur de risques, semeur d'idées, briseur de culte. C'est
une Marianne agenouillée devant le trône des autocrates. C'est le caporalisme
renaissant plus hypocrite qu'en Allemagne : une
tonsure sous le képi.
On vous trompe, on vous trompe
sans cesse. On vous parle de fraternité, et jamais la lutte pour le pain ne fut plus âpre et meurtrière.
On vous parle de patriotisme, de
patrimoine sacré à vous qui ne possédez
rien.
On vous parle de probité; et ce
sont des écumeurs de presse, des journalistes à tout faire, maîtres fourbes
ou maîtres chanteurs, qui chantent l'honneur national.
Les tenants de la République,
les petits bourgeois, les petits seigneurs sont plus durs aux gueux que les maîtres
de régimes anciens. On vit sous l'oeil
des contremaîtres.
Les ouvriers aveulis, les
producteurs qui ne consomment pas, se contentent de ronger patiemment l'os sans
moelle qu'on leur a jeté, l'os du suffrage universel. Et c'est pour des
boniments, des discussions électorales qu'ils remuent encore la mâchoire, la mâchoire
qui ne sait plus mordre.
Quand parfois des enfants du
peuple secouent leur torpeur, ils se trouvent, comme à Fourmies, en face de notre vaillante armée... Et le
raisonnement des lebels leur met du plomb dans lit tête.
La Justice est égale pour tous.
Les honorables chéquards du Panama roulent carrosse et ne connaissent pas le
cabriolet. Mais les menottes serrent
les poignets des vieux ouvriers que l'on arrête comme vagabonds !
L'ignominie de l'heure présente
est telle qu'aucun candidat n'ose défendre cette Société. Les politiciens
bourgeoisants, réactionnaires ou ralliés, masques ou faux-nez, républicains,
vous crient qu'en votant pour eux ça marchera mieux, ça marchera bien. Ceux
qui vous ont déjà tout pris vous demandent encore quelque chose:
Donnez vos voix, Citoyens !
Les mendigots, les candidats,
les tirelaines, les soutire-voix ont tous un moyen spécial de faire et refaire
le Bien public.
Ecoutez les braves ouvriers, les
médicastres du parti: ils veulent conquérir les pouvoirs... afin de les mieux
supprimer.
D'autres invoquent la Révolution,
et ceux-là se trompent en vous trompant. Ce ne seront jamais les électeurs qui
feront la Révolution. Le suffrage
universel est créé précisément pour empêcher l'action virile. Charlot
s'amuse à voter...
Et puis quand même quelque
incident jetterait des hommes dans la rue, quand bien même, par un coup de
force, une minorité ferait acte, qu'attendre ensuite et qu'espérer de la foule
que nous voyons grouiller : la foule lâche
et sans pensée.
Allez.! allez, gens de la foule
! Allez, électeurs ! aux urnes... Et ne vous plaignez plus. C'est assez.
N'essayez pas d'apitoyer sur le sort que vous vous êtes fait. N'insultez pas,
après coup, les Maîtres que vous
vous donnez.
Ces Maîtres vous valent, s'ils vous volent. Ils valent sans doute
davantage : ils valent vingt-cinq francs par jour, sans compter les petits
profits. Et c'est très bien:
L'Electeur n'est qu'un Candidat raté.
Au peuple du bas de laine,
petite épargne, petite espérance, petits commerçants rapaces, lourd populo
domestique, il faut un Parlement médiocre qui monnaie et qui synthétise toute
la vilenie nationale.
Votez, électeurs ! Votez ! Les parlements émanent de vous. Une chose est parce quelle doit être, parce qu'elle ne peut pas être autrement. Faites la Chambre à votre image. Le chien retourne à son vomissement - retournez à vos députés...
Un sûr moyen de cueillir la joie tout de suite : détruire passionnément[2]
II est impossible de rien cacher
à messieurs les journalistes, ils ont dévoilé la triple conspiration et leurs
confrères de la préfecture ont immédiatement appréhendé les conspirateurs.
Une fois de plus les gens de
presse et de police ont bien mérité de cette partie de la population qui
n'apprécie pas encore le charme pittoresque des palais en ruine et l'étrange
beauté des effondrements.
Le public ne marchandera pas les
actions de grâces. On reconnaîtra même en espèces sonnantes les services
rendus. Il faut encourager les vertus civiques. Les fonds secrets vont danser et
le cotillon sera conduit par les sauveurs de la société.
Tant mieux! car il est édifiant
de constater que s'il est parmi nos adversaires un petit nombre d'exploiteurs
malins, la grosse masse est composée d'imbéciles qui reculent à l'horizon les
bornes de la naïveté.
Comment leur a-t-on fait croire,
à ces disgraciés, qu'à l'heure présente les anarchistes pensaient à faire
sauter le parlement.
A l'heure où les députés sont
en vacances !
II faut être au-dessous de tout
pour supposer que les révolutionnaires choisiraient un pareil moment.
Ne serait-ce que par courtoisie,
on attendrait la rentrée.
Cependant les boutiquiers de
Paris, en faisant leur étalage, l'autre matin, se sont dit avec leur robuste
bon sens:
- II n'y a pas la moindre
erreur, on veut saper les assises de nos monuments séculaires, nous sommes en
face d'un nouveau complot.
Allons, allons, braves
boutiquiers ! vous errez aux plaines de l'absurde. Songez un peu que la
conspiration dont vous parlez n'est pas nouvelle; s'il s'agit de jeter bas les
édifices vermoulus de la société que nous haïssons, il y a longtemps que
cela se prépare.
C'est notre complot de toujours.
Et le temple de la Bourse où
les catholiques fidèles aussi bien que les juifs fervents se donnent
rendez-vous pour les rites et les trucs de leur petit commerce, le temple de la
Bourse doit en effet disparaître - et bientôt.
Les manieurs d'argent seront à
leur tour maniés par la lourde caresse des pierres qui s'écroulent.
Alors on ne jouera plus ce jeu
de bourse, on ne fera plus ces coups habiles qui rapportent des millions à des
sociétés anonymes dont la raison d'être consiste â spéculer sur le blé et
à organiser des famines.
Les coulissiers et remisiers,
tous les banquiers - les prêtres de l'Or -, dormiront leur dernier sommeil sous
les décombres de leur temple.
Dans cette attitude de repos,
les financiers nous plairont.
Quant aux magistrats, on le sait
bien, ils ne sont jamais si beaux que lorsqu'ils marchent à la mort.
C'est un vrai plaisir de les
voir.
L'histoire fourmille de trait,
piquants en l'honneur des procureurs et de juges que le peuple, par moments, a
fait sombrer dans les tourmentes. Ces hommes-là, il faut l'avouer, ont l'agonie
décorative.
Et quel superbe spectacle ce
serait : un branle-bas au Palais de Justice ! Quesnay gêné par une colonne qui
lui aurait cassé les vertèbres, s'efforçant d'avoir la mine d'un Beaurepaire
frappé aux Croisades ; Cabot, dans un dernier souffle citant encore du Balzac;
et Anquetil, près du fin Croupi, s'écriant :
- Rien n'est perdu... nous
couchons sous nos positions !
La scène aurait une telle
grandeur que les bonnes âmes que nous sommes plaindraient sincèrement les
vaincus. Nous ne voudrions plus nous souvenir de l'ignominie des robes rouges -
teintes du sang des misérables. Nous oublierions que la magistrature fut lâche
et cruelle.
Ce serait l'ineffable pardon.
Et si Atthalin lui-même, ce spécialiste
pour procès de tendances, si Atthalin, le crâne légèrement fêlé, demandait
à être conduit dans une maison de santé, on accéderait galamment au désir
de ce malade.
En vérité, il n'est pas
indispensable de se sentir anarchiste, pour être séduit par l'ensemble des
prochaines démolitions.
Tous ceux que la société
flagelle dans l'intimité de leur être veulent d'instinct les revanches aiguës.
Mille institutions du vieux,
monde sont marquées d'un signe fatal.
Les affiliés du complot n'ont
pas besoin d'espérer les lointains avenirs meilleurs, ils savent un sûr moyen
de cueillir la joie tout de suite:
Détruire passionnément!