Deux courts textes de Zo d'Axa

 Vous n'êtes que des poires[1]

 Citoyens,

On vous trompe. On vous dit que la dernière Chambre composée d'imbéciles et de filous, ne représentait pas la majorité des électeurs. C'est faux.

Une chambre composée de députés jocrisses et de députés truqueurs représente, au contraire, à merveille les électeurs que vous êtes. Ne protester pas: une nation a les délégués qu'elle mérite.

Pourquoi les avez-vous nommés ?

Vous ne vous gênez pas, entre vous, pour convenir que plus ça change, et plus c'est la même chose, que vos élus se moquent de vous et ne songent qu'à leurs intérêts, à la gloriole ou à l'argent.

Pourquoi les renommez-vous demain'?

Vous savez très bien que tout un lot de ceux que vous enverrez siéger vendront leurs voix contre un chèque et feront le commerce des emplois, fonctions et bureaux de tabac.

Mais pour qui les bureaux de tabac, les places, les sinécures si ce n'est pour les Comités d'électeurs que l'on paye ainsi ?

Les entraîneurs des Comités sont moins naïfs que le troupeau.

La Chambre représente l'ensemble.

I1 faut des sots et des roublards, il faut un parlement de ganaches et de Robert Macaire pour personnifier à la fois tous les votards professionnels et les prolétaires déprimés.

Et sa, c'est vous !

On vous trompe, bons électeurs, on vous berne, on vous flagorne quand on vous dit que vous êtes beaux, que vous êtes la justice, le droit, la souveraineté nationale, le peuple-roi, des hommes libres. On cueille vos votes et c'est tout. Vous n'êtes que des fruits... des Poires.

On vous trompe encore. On vous dit que la France est toujours la France. Ce n'est pas vrai.

La France perd, de jour en jour, toute signification dans le monde , toute signification libérale. Ce n'est plus le peuple hardi, coureur de risques, semeur d'idées, briseur de culte. C'est une Marianne agenouillée devant le trône des autocrates. C'est le caporalisme renaissant plus hypocrite qu'en Allemagne : une tonsure sous le képi.

On vous trompe, on vous trompe sans cesse. On vous parle de fraternité, et jamais la lutte pour le pain ne fut plus âpre et meurtrière.

On vous parle de patriotisme, de patrimoine sacré à vous qui ne possédez rien.

On vous parle de probité; et ce sont des écumeurs de presse, des journalistes à tout faire, maîtres fourbes ou maîtres chanteurs, qui chantent l'honneur national.

Les tenants de la République, les petits bourgeois, les petits seigneurs sont plus durs aux gueux que les maîtres de régimes anciens. On vit sous l'oeil des contremaîtres.

Les ouvriers aveulis, les producteurs qui ne consomment pas, se contentent de ronger patiemment l'os sans moelle qu'on leur a jeté, l'os du suffrage universel. Et c'est pour des boniments, des discussions électorales qu'ils remuent encore la mâchoire, la mâchoire qui ne sait plus mordre.

Quand parfois des enfants du peuple secouent leur torpeur, ils se trouvent, comme à Fourmies, en face de notre vaillante armée... Et le raisonnement des lebels leur met du plomb dans lit tête.

La Justice est égale pour tous. Les honorables chéquards du Panama roulent carrosse et ne connaissent pas le cabriolet. Mais les menottes serrent les poignets des vieux ouvriers que l'on arrête comme vagabonds !

L'ignominie de l'heure présente est telle qu'aucun candidat n'ose défendre cette Société. Les politiciens bourgeoisants, réactionnaires ou ralliés, masques ou faux-nez, républicains, vous crient qu'en votant pour eux ça marchera mieux, ça marchera bien. Ceux qui vous ont déjà tout pris vous demandent encore quelque chose:

Donnez vos voix, Citoyens !

Les mendigots, les candidats, les tirelaines, les soutire-voix ont tous un moyen spécial de faire et refaire le Bien public.

Ecoutez les braves ouvriers, les médicastres du parti: ils veulent conquérir les pouvoirs... afin de les mieux supprimer.

D'autres invoquent la Révolution, et ceux-là se trompent en vous trompant. Ce ne seront jamais les électeurs qui feront la Révolution. Le suffrage universel est créé précisément pour empêcher l'action virile. Charlot s'amuse à voter...

Et puis quand même quelque incident jetterait des hommes dans la rue, quand bien même, par un coup de force, une minorité ferait acte, qu'attendre ensuite et qu'espérer de la foule que nous voyons grouiller : la foule lâche et sans pensée.

Allez.! allez, gens de la foule ! Allez, électeurs ! aux urnes... Et ne vous plaignez plus. C'est assez. N'essayez pas d'apitoyer sur le sort que vous vous êtes fait. N'insultez pas, après coup, les Maîtres que vous vous donnez.

Ces Maîtres vous valent, s'ils vous volent. Ils valent sans doute davantage : ils valent vingt-cinq francs par jour, sans compter les petits profits. Et c'est très bien:

L'Electeur n'est qu'un Candidat raté.

Au peuple du bas de laine, petite épargne, petite espérance, petits commerçants rapaces, lourd populo domestique, il faut un Parlement médiocre qui monnaie et qui synthétise toute la vilenie nationale.

Votez, électeurs ! Votez ! Les parlements émanent de vous. Une chose est parce quelle doit être, parce qu'elle ne peut pas être autrement. Faites la Chambre à votre image. Le chien retourne à son vomissement - retournez à vos députés...

 

Un sûr moyen de cueillir la joie tout de suite : détruire passionnément[2]

 La Bourse, le Palais de Justice et la Chambre des députés sont des édifices dont il a été beaucoup question ces jours-ci : ces trois maisons publiques ont été .spécialement menacées par trois jeunes hommes qui fort heureusement ont été arrêtés à temps.

II est impossible de rien cacher à messieurs les journalistes, ils ont dévoilé la triple conspiration et leurs confrères de la préfecture ont immédiatement appréhendé les conspirateurs.

Une fois de plus les gens de presse et de police ont bien mérité de cette partie de la population qui n'apprécie pas encore le charme pittoresque des palais en ruine et l'étrange beauté des effondrements.

Le public ne marchandera pas les actions de grâces. On reconnaîtra même en espèces sonnantes les services rendus. Il faut encourager les vertus civiques. Les fonds secrets vont danser et le cotillon sera conduit par les sauveurs de la société.

Tant mieux! car il est édifiant de constater que s'il est parmi nos adversaires un petit nombre d'exploiteurs malins, la grosse masse est composée d'imbéciles qui reculent à l'horizon les bornes de la naïveté.

Comment leur a-t-on fait croire, à ces disgraciés, qu'à l'heure présente les anarchistes pensaient à faire sauter le parlement.

A l'heure où les députés sont en vacances !

II faut être au-dessous de tout pour supposer que les révolutionnaires choisiraient un pareil moment.

Ne serait-ce que par courtoisie, on attendrait la rentrée.

Cependant les boutiquiers de Paris, en faisant leur étalage, l'autre matin, se sont dit avec leur robuste bon sens:

- II n'y a pas la moindre erreur, on veut saper les assises de nos monuments séculaires, nous sommes en face d'un nouveau complot.

Allons, allons, braves boutiquiers ! vous errez aux plaines de l'absurde. Songez un peu que la conspiration dont vous parlez n'est pas nouvelle; s'il s'agit de jeter bas les édifices vermoulus de la société que nous haïssons, il y a longtemps que cela se prépare.

C'est notre complot de toujours.

Et le temple de la Bourse où les catholiques fidèles aussi bien que les juifs fervents se donnent rendez-vous pour les rites et les trucs de leur petit commerce, le temple de la Bourse doit en effet disparaître - et bientôt.

Les manieurs d'argent seront à leur tour maniés par la lourde caresse des pierres qui s'écroulent.

Alors on ne jouera plus ce jeu de bourse, on ne fera plus ces coups habiles qui rapportent des millions à des sociétés anonymes dont la raison d'être consiste â spéculer sur le blé et à organiser des famines.

Les coulissiers et remisiers, tous les banquiers - les prêtres de l'Or -, dormiront leur dernier sommeil sous les décombres de leur temple.

Dans cette attitude de repos, les financiers nous plairont.

Quant aux magistrats, on le sait bien, ils ne sont jamais si beaux que lorsqu'ils marchent à la mort.

C'est un vrai plaisir de les voir.

L'histoire fourmille de trait, piquants en l'honneur des procureurs et de juges que le peuple, par moments, a fait sombrer dans les tourmentes. Ces hommes-là, il faut l'avouer, ont l'agonie décorative.

Et quel superbe spectacle ce serait : un branle-bas au Palais de Justice ! Quesnay gêné par une colonne qui lui aurait cassé les vertèbres, s'efforçant d'avoir la mine d'un Beaurepaire frappé aux Croisades ; Cabot, dans un dernier souffle citant encore du Balzac; et Anquetil, près du fin Croupi, s'écriant :

- Rien n'est perdu... nous couchons sous nos positions !

La scène aurait une telle grandeur que les bonnes âmes que nous sommes plaindraient sincèrement les vaincus. Nous ne voudrions plus nous souvenir de l'ignominie des robes rouges - teintes du sang des misérables. Nous oublierions que la magistrature fut lâche et cruelle.

Ce serait l'ineffable pardon.

Et si Atthalin lui-même, ce spécialiste pour procès de tendances, si Atthalin, le crâne légèrement fêlé, demandait à être conduit dans une maison de santé, on accéderait galamment au désir de ce malade.

En vérité, il n'est pas indispensable de se sentir anarchiste, pour être séduit par l'ensemble des prochaines démolitions.

Tous ceux que la société flagelle dans l'intimité de leur être veulent d'instinct les revanches aiguës.

Mille institutions du vieux, monde sont marquées d'un signe fatal.

Les affiliés du complot n'ont pas besoin d'espérer les lointains avenirs meilleurs, ils savent un sûr moyen de cueillir la joie tout de suite:

Détruire passionnément!



[1] In La Feuille, 1898.

[2] In L'En-dehors, 1892.


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