Paul Delesalle
Biographie
d’Émile Pouget (1860-1931)[1]
"Le cri du peuple", 1931
vendredi
18 février 2005.
Émile Pouget 1860-1931
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ÉMILE POUGET est né en
1860, près de Rodez, dans le département de l’Aveyron. Son père, qui était
notaire, mourut de bonne heure. Sa mère se remariera et, de ce fait, sa vie fut
en quelque sorte désaxée. Néanmoins, son beau-père, bon républicain de l’époque,
batailleur comme son beau-fils, perdit vite sa place de petit fonctionnaire pour
avoir écrit dans une petite feuille de combat qu’il avait du reste fondée.
C’est au lycée de Rodez où il commença ses études que naquit sa passion
pour le journalisme. Il fonda à quinze ans son premier journal, le Lycéen républicain.
Je n’ai pas besoin de dire comment ses maîtres accueillirent la petite
feuille. En 1875, son beau-père mourut. Il lui fallut quitter le lycée pour
gagner sa vie. Paris l’attira. [...] Employé dans un magasin de nouveautés,
il se mit, la tâche terminée, à courir les réunions publiques, les groupes
avancés et rapidement se donna tout entier à la propagande révolutionnaire.
Mais, déjà,
l’anarchisme purement spéculatif et idéaliste ne pouvait satisfaire un sens
social prononcé et, dès 1879, il prit part à la fondation, à Paris, du
premier syndicat d’employés. Il y a une telle unité de vie militante chez
Pouget qu’il sut bientôt décider son syndicat à publier la première en
date des brochures antimilitaristes. Inutile de dire que ce fut notre
syndicaliste qui la rédigea ; et j’ajoute qu’elle serait aujourd’hui
impubliable aussi bien par la véhémence de son texte que par les conseils dont
elle était largement émaillée. Vers les années 1882-1883, le chômage sévissait
à Paris avec une certaine intensité, si bien que le 8 mars 1883 la chambre
syndicale des Menuisiers convoquait les sans-travail à un meeting en plein air
qui devait se tenir sur l’esplanade des Invalides. Bien entendu, le meeting
fut rapidement dissous par la police, mais deux groupes importants de
manifestants se formèrent : l’un prit le chemin de l’Élysée et fut
rapidement dispersé, l’autre, avec Louise Michel et Pouget, dévala le
boulevard Saint-Germain. Rue du Four une boulangerie fut plus ou moins dévalisée.
Néanmoins, la manifestation continua et ce ne fut qu’arrivée place Maubert
qu’elle se trouva en présence d’une force de police importante. Les agents
s’étant précipités pour arrêter Louise Michel, Pouget s’efforça de la délivrer ;
il fut à son tour arrêté et conduit au poste. Quelques jours après, sous
l’inculpation, inexacte, de pillage à main armée, il passait en cour
d’assises. Louise était condamnée à douze ans de réclusion, Pouget à huit
ans, peine qu’il dut purger à la prison de droit commun de Melun. Il y
restera trois années pleines, et une amnistie intervenue à la suite d’une
action de Rochefort l’en tira au bout de ce temps. La prison, au contraire,
n’avait pas assagi le militant.
C’est le 24 février
1889 que parut le premier numéro du Père Peinard en petite brochure, rappelant
L’anarchisme de Pouget
est avant tout et surtout prolétarien. Dès les premiers numéros du Père
Peinard, il exalte les mouvements de grève, les numéros du 1er mai sont
uniquement consacrés à encourager "les copains" à y prendre part :Le
1er mai est une occasion qui peut tourner bien. Il suffirait pour cela que nos
frangins, les troubades, lèvent la crosse en l’air comme en février 1848,
comme au 18 mars 1871, et ça ne serait pas long du coup.
L’un des premiers, il
sent tout ce que l’on peut tirer de l’idée de grève générale et, dès
1889, il écrit : Oui, nom de Dieu, y a plus que ça aujourd’hui :
la grève générale !Voyez-vous ce qui arriverait si dans quinze jours il
n’y avait plus de charbon. Les usines s’arrêteraient, les grandes villes
n’auraient plus de gaz, les chemins de fer roupilleraient. Du coup, le populo
presque tout entier se reposerait. Ça lui donnerait le temps de réfléchir ;
il comprendrait qu’il est salement volé par les patrons et, dame, il se
pourrait bien qu’il leur secoue les puces dare-dare ! Et plus loin :Donc,
une fois que les mineurs seraient tous en l’air, que la grève serait quasi générale,
faudrait, nom de Dieu, qu’ils se foutent à turbiner pour leur propre compte ;
la mine est à eux, elle leur a été volée par les richards ; qu’ils
reprennent leur bien, mille bombes. Et, le jour où, assez marioles, y aura une
tripotée de bons bougres qui commenceront le chabanais dans ce sens, eh bien !
foi de Père Peinard, le commencement de la fin sera arrivé !
Mais une telle propagande,
menée avec tant de vigueur, n’était certes pas sans inconvénients. Les
poursuites pleuvaient dru et, si ses gérants écopaient, Pouget, lui aussi,
allait faire de temps à autre des séjours à Sainte-Pélagie, la prison
politique de l’époque, ce qui n’empêchait pas le Père Peinard de paraître,
des copains allant à tour de rôle chercher la copie à la prison même. Une période
d’agitation aussi intense, et il faut bien le dire elle n’était pas seule,
avait exaspéré certaines individualités ; une série d’attentats
s’ensuivit avec, comme couronnement, l’assassinat à Lyon du président Sadi
Carnot. La bourgeoisie, excitée par la presse à son service, fut prise d’une
frousse telle qu’elle ne crut trouver son salut que dans le vote par les
parlements d’une série de lois de répression qualifiées justement, la peur
passée, de lois scélérates.
Les arrestations succédèrent
aux perquisitions qui eurent lieu par centaines à travers le pays, et un grand
procès, dit Procès des Trente", fut engagé. Pouget et pas mal d’autres
camarades mirent la frontière entre eux et leurs prétendus juges. L’exil
commençait pour lui et, le 21 février 1894, le 253e et dernier numéro de la
première série du Père Peinard paraissait. Réfugié à Londres où il
retrouva Louise Michel, ce serait mal connaître notre camarade que de croire
qu’il allait s’arrêter et, en septembre de la même année, le premier numéro
de la série londonienne du Père Peinard paraissait. Huit numéros parurent
jusqu’en janvier 1895. Mais un exil n’est pas une solution, la bourgeoisie
se sentait un peu rassurée, Pouget revint en France pour purger sa contumace et
fut acquitté comme l’avaient du reste été tous ses coaccusés du "Procès
des Trente".Toutes ces péripéties n’avaient en rien altéré l’ardeur
du militant, cela ne traîna pas, le 11 mai de la même année paraissait
Vint l’affaire Dreyfus
Pouget, là encore, ne pouvait pas rester indifférent. Il se jeta dans la
bataille, mais ce fut pour réclamer la justice aussi pour les anarchistes envoyés
au bagne et qui se mouraient aux Îles du Salut, qui leur étaient à cette époque
spécialement affectées. Par de multiples articles, par sa brochure, les Lois
scélérates, écrite en collaboration avec Francis de Pressencé, il réussit
à attirer l’attention des masses, et des gouvernants de l’époque durent
mettre en liberté quelques-uns de ceux qui restaient d’une prétendue révolte
habilement machinée antérieurement par l’administration pénitentiaire.
Nous sommes arrivés à
l’année 1898.
Il n’est donc pas exagéré
de dire que si, là où elle sut l’imposer intégralement, la classe ouvrière
jouit de la journée de huit heures, elle le doit pour une part assez appréciable
à Émile Pouget. Il suffit de reprendre la collection des congrès de
Il faut rappeler aussi, en
dehors des nombreuses brochures qu’il signa, sa collaboration à nombre de
petits journaux ouvriers et aussi ses grands articles parus dans Le Mouvement
socialiste d’Hubert Lagardelle, études si substantielles qu’il sera
impossible de les ignorer lorsque l’on voudra à l’avenir étudier plus que
superficiellement les origines et les méthodes du mouvement syndicaliste en
France.
Pouget eut toute sa vie
comme la hantise d’un journal quotidien, mais d’un journal prolétarien reflétant
exclusivement les aspirations de la classe ouvrière. C’est alors ce qu’il
tenta en fondant avec d’autres camarades
Je pourrais presque
m’arrêter ici mais il me faut rappeler l’affaire de
Villeneuve-Saint-Georges. Il semble bien en effet, avec le recul des années,
que cette misérable et triste journée ait été voulue par Clemenceau .C’était
du reste l’opinion de Griffuelhes autant que celle de Pouget. Des poursuites
furent engagées contre un certain nombre de militants et naturellement Pouget
était du nombre. Mais au bout de plus de deux mois passés à la prison de
Corbeil, l’accusation dut être abandonnée et il n’est pas exagéré de
dire que, si le procès était venu, le banc d’infamie n’aurait sans doute
pas été celui des accusés.
Mais déjà la santé de
Pouget, qui était notre aîné d’une bonne dizaine d’années, commençait
à laisser à désirer. À la longue, la lutte telle qu’il la comprenait usa
quelque peu son homme. Le repos pour lui consista alors à se remettre au
travail pour gagner sa vie et jusqu’au jour où la maladie le terrassa ;
il n’arrêta pas, bien qu’âgé de soixante et onze ans, de travailler.