Lettre d’un père Jésuite à propos des avatars de la
grève du printemps 2003.
(Version
augmentée d’une deuxième homélie)
Extrait du
“ PETIT
BREVIAIRE A L’USAGE DU JESUITISME SYNDICAL… ”
Première
Homélie :
(vers de grands
résultats par des voies étroites)
Mes
biens chers frères,
Vous, qui représentez et animez avec tant d’abnégation tout au long de l’année, un véritable syndicalisme de “ service ” …
Vous
qui vous occupez avec tant de célérité des mutations, des passages en “ hors
classes ” pour les enseignants, du sapin de Noël du comité
d’entreprise et de tant d’autres petits soucis qui affectent si durement le
monde laborieux, soulageant ainsi ses peines…
Vous qui déployez tant d’énergie quand viennent les élections syndicales pour pouvoir passer ou rester devant vos concurrents…et ainsi obtenir les subsides nécessaires pour payer les permanents…
Vous
qui faites confiance à vos états majors syndicaux, vos leaders estampillés,
après de longues batailles, “ seuls interlocuteurs officiels ” du
pouvoir…
(
Sachez que nous utilisons tous les moyens légaux comme la loi Perben par
exemple pour empêcher que d’autres prennent nos places…).
Vous vous demandez effarés : Mais
que faire quand un mouvement d’une telle ampleur comme celui qui nous touche
aujourd’hui, démarre, se développe, s’amplifie et s’organise, même,
sans que nous n’y soyons pour rien ou du moins pour si peu ?
Aura
popularis
“ Le
vent populaire ” (expression métaphorique employée par Virgile dans
l’Enéide sur l’inconstance de la faveur populaire)
Ne risque–t-on pas, quand on s’apercevra que nous faisons
tout pour les canaliser, les freiner, les contrôler, de nous faire jeter un
jour de ces “ Assemblées Générales ” et ruiner ainsi tous
nos efforts quotidiens ?
N’y a-t-il pas grand danger pour nous, frères militants,
en ce moment particulier où de partout surgit d’entre nos brebis la clameur
d’une “ Grève Générale illimitée ” ?
Oui, mes biens chers frères, vous voyez juste il y a bien péril
en la demeure ! Nous avons eu bien du mal, en effet, à prendre en marche
le train de la grève reconductible mais il fallait en passer par là sous peine
d’être désavoués par “ nos bases ”.
Mais vous ne vous poseriez pas toutes ces questions, mes frères,
si vous aviez bien tous, dès le début, compris pourquoi nous devons empêcher
ces luttes d’arriver à leurs termes ! Dois-je vous rappeler que certains
de nos syndicats confédérés parmi les plus puissants adhèrent à
l’illustre Confédération Européenne des Syndicats ?
(Ceux qui n’y participent pas
encore sont néanmoins en complet accord avec ses objectifs).
Ils y ont obtenu une stature institutionnelle parmi toutes les autres
institutions européennes. Nous devons accompagner celles-ci pour garantir les
droits des travailleurs de notre continent… Ils sauront nous en être
reconnaissants soyez en sûrs. Mais de grâce n’imaginez surtout pas que nous
pourrions ou même devrions, aller à l’encontre d’un système libéral dont
personne (sauf des poètes peut-être) ne voit l’alternative…
Cela n’enchante guère nombre d’entre vous, je le sais,
mais à ceux-là je répondrai en employant cette expression populaire :
contentons-nous de limiter la casse ! Et
que vos consciences en soient apaisées…
L’Europe sociale à laquelle nous œuvrons c’est aussi
l’Europe du capital, ne soyons pas naïfs et de même qu’au niveau national,
nous pouvons y remplir parfaitement notre rôle de courtier de la main d’œuvre.
Car le capital ne saurait se passer de nous comme force régulatrice et négociatrice…
Allons mes frères le libéralisme nous réserve encore de beaux jours !
Courage !
Et c’est bien en ce sens que nous assumons d’une façon
responsable notre rôle actuel que
d’aucuns ne manqueront d’appeler perfidement “ briseur de grève ”.
J’en viens d’ailleurs au conseil tant attendu de votre
part pour justement fermer leur caquet à ceux-là : non-syndiqués ou
syndiqués de fraîche date ou encore porte-voix de syndicats alternatifs… Car
il faut avec célérité s’employer à désamorcer la bombe que leurs
critiques pourraient faire exploser.
Lors de nos premières expéditions missionnaires au Japon
(16ème siècle) certains d’entre nous en ont rapporté l’art
subtil du jiu-jitsu. Un des principes fondamentaux en est qu’il ne faut pas
opposer la force à la force (surtout si
l’on ne fait pas le poids ! )
mais jouer sur le déséquilibre de l’adversaire utilisant même sa propre
inertie. En voici l’application :
Nolens,
volens
(de
gré ou de force)
1.
Les “ révolutionnaires ”
partisans de la démocratie directe en appellent toujours aux assemblées générales
souveraines. Cela à priori remet en cause notre rôle, on le sait, mais ces
assemblées se créent spontanément et nous n’y pouvons rien... Aussi,
n’allons pas à contre courant il suffit d’y être présents ! Vous
avez tous lu Platon dans le texte et vous n’ignorez pas que dans des lieux où
le pouvoir vient de la parole, ceux qui jactent le mieux tirent leur épingle du
jeu… Or n’êtes vous pas des spécialistes ? Considérez l’avantage
que vous avez sur ces néophytes qui s’exercent pour la première fois, ô
combien maladroitement, à s’exprimer en public !
Quid nescit dissimulare
nescit regnare
(Celui qui ne sait dissimuler ne
sait régner)
2.
Dites
oui aux A.G ! Résolument ! Et même allez plus loin ! Si l’on
vous demande pourquoi vous n’appelez pas à la grève Générale illimitée, ne
vous effrayez pas : retournez la force de votre contradicteur contre lui :
n’hésitez pas à dire haut et fort que si vous ne le faites pas c’est par
respect pour ces mêmes Assemblées qui seules ont le pouvoir de décider
d’une telle chose… C’est donc par respect pour la démocratie que vous
n’en faites rien ! Et le tour est joué !
3.
Remarquez
l’habileté de l’argument : d’une part vous apparaissez dans toute la
modestie d’un vrai représentant de “ la base ” mais en plus
vous ne manquerez pas de stigmatiser, à l’occasion, celui qui vous
demanderait des comptes comme un de ces aventuriers qui n’hésiterait pas,
lui, à se substituer à la volonté collective ! ! !
Voici donc une phrase-type
que vous pouvez utiliser partout : “ Nous
n’appelons pas à la grève générale car ce sont les assemblées qui décident
et nous ne saurions nous substituer à elles ! Nous respectons la démocratie,
nous ! ”
L’argument
portera d’autant plus que votre contradicteur sera le porte-parole d’un de
ces petits syndicats alternatifs qui pullulent depuis peu.
Ceux-ci,
en effet, sont prêts à en appeler aux Assemblées et même aux “ Coordinations ”
d’assemblées sans rechercher aucune reconnaissance particulière pour leurs
syndicats ! Cette position pourrait leur amener bon nombre de sympathies.
Ce qui apparaîtrait comme gage de leur honnêteté peut néanmoins se retourner
contre eux pour peu que l’on insinue adroitement qu’en fait ils se fondent
dans les assemblées pour mieux les manipuler, profitant du fait qu’ils sont
moins connus que nous qui ne pouvons nous cacher du fait de notre notoriété…
N’est
ce pas là une prise admirable digne des grands maîtres du jiu-jitsu ?
Allons,
le temps presse mes frères et la besogne est dure : Les grévistes
semblent déterminés à poursuivre leur mouvement et il est à espérer que
notre labeur soit récompensé ! Mais de toutes façons si ce n’est par
les uns ce sera par les autres…
Ah !
J’oubliais ! Ayez toujours à l’esprit le mot d’un de nos illustres
prédécesseurs le Père Maurice Thorez : “ Il faut savoir terminer
une grève ! ”
PS : Veuillez à ce que ce document ne
soit pas divulgué à de simples curés de campagne qui n’ont pas la formation
suffisante pour en comprendre la nature.
P.S :
Dans les circonstances troublées que nous vivons permettez-moi de garder
l’anonymat mais je suis bien certain que vous avez tous reconnu le modeste
auteur de ces lignes… ( deuxième homélie
page suivante…)
Deuxième
Homélie (fin de la grève du printemps 2003) :
Mes biens chers frères,
Nombreux
parmi vous m’ont déclaré ne pas bien comprendre le latin, et cela,
sachez-le, me désole, et j’entends bien que l’Empire aujourd’hui parle en
anglais… Soit ! Mais étant votre doyen je continuerai à intituler les
parties de mon homélie comme nous l’avons toujours fait (cependant
devant une ignorance si crasse, je me suis résolu à vous les traduire)
et vous rappelle notre devise fondamentale :
Bon,
le danger est momentanément passé mais bientôt la rentrée mes agneaux !
Votre
révérend père Jésuite en charge des affaires syndicales.
Troisième
homélie printemps 2005
(Ceux
qui viennent tard à table ne trouvent plus que des os.)
Bien que
nos réunions soient secrètes je n’ai pas hésité à convoquer cette fois
des représentants d’appareils qui d’ordinaire n’en font un peu qu’à
leur tête. Mais il semble qu’ils aient compris maintenant que notre union
impose que les plus forts marquent le pas et que le temps est fini des velléités
d’indépendance partidaires et autres coquetteries… Je vois dans l’assemblée
jusqu’à des syndicats minoritaires qui commencent à comprendre qu’ils ont
là une occasion de sortir de leur confinement : Saine réaction !
Bienvenue aux “ Solidaires ” !
*
Voir en annexe mes premières homélies concernant cette période.
Les
arguments des uns et des autres ont été assénés ad nauseam aussi
semble-t-il oiseux d’y revenir, d’autant plus que nous avons “gagné ”…
Mais cette victoire risque fort d’être de courte durée et même de
s’achever sur un fiasco encore plus historique et définitif : celui de
notre pouvoir d’illusion et de notre retour en ordre sur le marché du
politique ! Or il faudra encore et encore ferrailler et notre position
risque de devenir vite pathétique si nous perdons de vue, comme je le pressens,
nos finalités et nos intérêts bien compris. Aussi me semble-t-il
indispensable de revenir sur certains arguments que vous avez mis en avant et
sur les critiques qu’ils continueront à soulever car dorénavant à la lumière
des conséquences prévisibles de cette “victoire ” nos cartes
pourraient être dévoilées. Mais n’ayez crainte j’en donnerai, comme
toujours, les arcanes…
“ La victoire du oui
graverait comme sur du marbre les principes du libéralisme ”…
Bien,
bien, bien ! Nous avons eu l’heureuse idée d’évacuer de notre
vocabulaire le terme de capitalisme ” pour désigner le système qui nous
régit et nous l’avons fait sagement car nous savons que ce système nous
profite et que nous y avons “spectaculairement ” * notre place.
Mais gare !… Car le mot revient en faveur parmi certains de nos
dirigeants quelque peu imprudents. Ils semblent parfois oublier que c’est grâce
à nous qu’ils sont encore là et feraient mieux de nous consulter avant de communiquer
aussi sottement avec la plèbe! C’est notre job, bordel !
Les
plus gauchistes parmi nous n’osent même plus employer ce terme de peur
d’effrayer ces classes moyennes dont ils sont issus et dont ils espèrent en
romantiques le soutien… Mais nous savons, nous, que le capital enfin “épanoui ”
ne peut-être que libéral (du contextuel au structurel en quelque sorte
comme disent bêtement les journalistes). Je sais que nos petits
altermondialistes enragent en entendant ces paroles mais s’ils avaient été,
comme nous, déjà associés directement à la gestion du pouvoir, ils sauraient
que leur prétention à créer un capitalisme à visage humain (et aussi
petite soit une telle ambition) n’est que foutaise et que notre rôle est
largement suffisant : simuler une opposition devant les regards ahuris des
masses, c’est déjà pas mal et là nous avons fait nos preuves. Ne changeons
pas de métier je vous en prie ! Continuons à faire ce que nous savons
faire et ce pour quoi nous sommes payés… Mais ces jeunes gens finiront par
comprendre je n’en doute pas !
La gestion
étatique du capital, appelée autrefois soit socialisme soit communisme, a
rempli son rôle (qu’il est loin le temps de l’accumulation primitive…)
quant à la social-démocratie elle ne sert plus que comme alternance décorative
à usage des gogos (démocratie bidon oblige).
*
J’ai moi aussi, sacrifiant à la mode je l’avoue, lu en diagonal “
Gogos
ou Bobos (si je me peux me permettre une telle boutade) telle est notre
clientèle mais elle fait masse et c’est tant mieux ! Or nous voici mes
biens chers frères au pied du mur. A titre d’illustration et comme une galéjade
je vous propose une pure fiction : imaginez que l’ineffable Chirac dans
un délire éthylique ait entendu des voix (celles du peuple votant peut-être)
et qu’il ait décidé pour reformer son gouvernement de nommer comme premier
ministre notre chère Marie-georges Buffet, à l’intérieur le “ petit
postier ” Besancenot, et à la culture pourquoi pas… Arlette Laguiller !
Et ainsi de suite…cela aurait pour avantage de faire pisser de rire
Trêve de
plaisanterie nous avons eu raison de jouer sur la peur du plombier polonais. (Mais
si j’étais au commande du gouvernement polonais j’enverrais à la frontière
française dix mille plombiers avec leurs chalumeaux ! ). C’est là où
l’on voit qu’une vieille recette peut faire merveille. Souvenez vous de l’époque
ou nous faisions concurrence au Front National répondant à son mot d’ordre
de “ la France au français ” par un “ “ Produisons
français ” bien communiste, souvenez-vous comment nous avons introduit
et avec quel succès le thème des quotas d’immigrés dans une de nos mairies !
Mais souvenez-vous aussi comment, emportés par une telle victoire, le maire de
la même municipalité (un fidèle parmi les fidèles) envoyait une
veille de Noël 1980* les bulldozers pour déloger des travailleurs africains…
Là nous faillîmes nous dévoiler dangereusement ! Mais passons et
enterrons cet événement au plus profond des mémoires. N’en faisons donc pas
trop !
Mais alors
comment est-il possible qu’ils aient commis une telle gaffe ? Dans un
sens on ne peut leur en vouloir… En effet, qui s’oppose dans la galaxie
politique (et ce jusque dans nos oppositions de gauche bien entendu…) au
capitalisme ? Certainement pas les socialistes par exemple. (Je m’arrête
un instant sur le cas du brave Laurent Fabius : Ses prétentions à
devenir calife à la place du calife doivent être freinées : n’oublions
pas que pour tous nos votants il était à juste titre l’homme des stocks
option et des banques, il ne saurait donc faire illusion et ne peut en conséquence
nous servir à grand chose.)
(L'abîme
appelle l'abîme)
Mes sœurs,
mes frères, croyez-moi ça sent déjà le roussi : les journaux républicains
des États-unis comme ceux de la droite anglaise viennent de saluer, goguenards
la victoire du Non ! Oui nous n’avons pas hésité à faire le jeu des américains !
Nous le savions, mais heureusement la mémoire des peuples est courte et il est
loin le temps où nous étions les champions de l’anti-américanisme !
Monsieur Eltsine quant à lui , dialecticien formé à bonne école, se réjouit
déjà du retard que ce vote entraîne pour l’entrée de l’Ukraine et de
Je sais
que vous voulez couvrir le pays de comités divers, l’idée n’est pas
mauvaise car il va falloir faire patienter nos ouailles jusqu’aux prochaines
élections mais qu’adviendra-t-il lorsque l’on se rendra compte du peu que
nous avons à proposer en terme d’alternative ? Cette victoire risque
vite de nous être amère!
Pour tout contact avec le jésuite :
le.jesuite@laposte.net