Dossier : La peine de mort

Presque toutes les sociétés ont sanctionné les crimes les plus graves par la peine de mort. Pourtant, très tôt, on conteste sa capacité à dissuader chacun de commettre à nouveau les actes conduisant à un tel châtiment, et des arguments philosophiques, moraux ou religieux viennent s’opposer à une pratique considérée par certains comme barbare et indigne de l’humanité. Au cœur du débat, une question : " a-t-on le droit de tuer au nom de la justice ? ".

Pour l’exemple

Les civilisations les plus raffinées de l’Antiquité, que ce soit en Égypte, en Perse ou à Rome, punissent de la peine de mort ceux qui mettent en péril l’autorité ou l’ordre public. Les exécutions, lapidations, crucifixions et autres supplices ont lieu de préférence en public, remplissant ainsi une fonction dissuasive et, en même temps, cathartique et symbolique, l’assistance incarnant la société tout entière en train de se venger.

Les exécutions sont publiques en France jusqu’à une décapitation particulièrement horrible en 1939, pendant laquelle le bourreau doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour achever le condamné. Désormais, il est interdit au grand public, puis à la presse, d’assister aux exécutions. La société commence à douter de cette justice, au point qu’on la fait appliquer souvent en pleine nuit, ou à l’aube, et toujours loin des regards.

Les premiers abolitionnistes

 

Ph. (c) IGDA - G. Dagli Orti 

Portrait de Condorcet, un farouche opposant à la peine de mort

(peinture de l'École française du XVIIIe siècle.

 Musée national du château de Versailles).

De l’orateur Diodote – qui, en 427 av. J.-C., plaide devant l’Assemblée athénienne contre l’application de la peine capitale dont il nie l’effet dissuasif – aux vaudois qui, dès le XIIe siècle, en demandent la prohibition, ils sont nombreux dans l’histoire à avoir protesté contre ce " droit de tuer " au nom de la justice.


Cependant, ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on assiste à une remise en cause véritable du principe même de la peine capitale, et plus encore de la barbarie des exécutions. Tout commence en Italie, avec un traité publié en 1764 par le marquis Cesare de Beccaria. Dans Des délits et des peines, ce juriste de 26 ans dénonce la peine de mort, en premier lieu parce qu’elle signifie " la fin du contrat social ", la société abandonnant tout espoir de réintégrer le condamné. En outre, selon Beccaria, une peine prolongée est bien plus dissuasive qu’une peine intense mais momentanée. " Si je prouve que cette peine n’est ni utile, ni nécessaire, alors j’aurai fait triompher la cause de l’humanité ", écrit-il. Son traité connaît un énorme succès et suscite des commentaires passionnés des grands esprits du siècle des Lumières, de Voltaire et Diderot à Condorcet.

Vers des peines de substitution

Dès l’Antiquité, puis aux époques médiévales en Occident, les condamnés à mort se voient quelquefois offrir une chance de payer pour leur faute sans que ce soit de leur vie. Ces décisions sont prises pour des motifs religieux (les dieux vengeurs font place à des dieux plus cléments) ou plus pragmatiques, le coupable payant sa dette à la société sous forme d’amendes ou de travaux forcés. Certains sont contraints à l’exil.

 

©Ph. IGDA - G. Dagli Orti 

Le ferrement des prisonniers dans la cour de la prison de Bicêtre, au XIXe siècle. Musée Carnavalet, Paris.

C’est ce problème de l’amendement qui résume le mieux la problématique de l’abolition de la peine de mort. Si la société choisit de garder en vie des personnes au comportement nuisible, ce ne peut être en effet pour en faire des lions condamnés à la cage pour toujours. En supprimant la peine de mort, la société fait donc le pari qu’elle peut soigner et sauver ses membres déviants. Malheureusement, les moyens nécessaires à une réinsertion correcte des prisonniers sont presque toujours insuffisants. Les coûts financiers importants sont mal compris de l’opinion publique : on se souvient du tollé qui accompagne en France, dans les années 1980, l’installation de postes de télévision dans les établissements pénitentiaires. Il n’est pas rare d’entendre dénoncer les " prisons 4 étoiles " de la République…

Dès l’Antiquité, puis aux époques médiévales en Occident, les condamnés à mort se voient quelquefois offrir une chance de payer pour leur faute sans que ce soit de leur vie. Ces décisions sont prises pour des motifs religieux (les dieux vengeurs font place à des dieux plus cléments) ou plus pragmatiques, le coupable payant sa dette à la société sous forme d’amendes ou de travaux forcés. Certains sont contraints à l’exil.

C’est ce problème de l’amendement qui résume le mieux la problématique de l’abolition de la peine de mort. Si la société choisit de garder en vie des personnes au comportement nuisible, ce ne peut être en effet pour en faire des lions condamnés à la cage pour toujours. En supprimant la peine de mort, la société fait donc le pari qu’elle peut soigner et sauver ses membres déviants. Malheureusement, les moyens nécessaires à une réinsertion correcte des prisonniers sont presque toujours insuffisants. Les coûts financiers importants sont mal compris de l’opinion publique : on se souvient du tollé qui accompagne en France, dans les années 1980, l’installation de postes de télévision dans les établissements pénitentiaires. Il n’est pas rare d’entendre dénoncer les " prisons 4 étoiles " de la République…

Cependant, les États abolitionnistes se sont engagés dans des politiques de réinsertion, via par exemple le développement de la formation professionnelle. Mais des tabous demeurent. Ainsi, malgré plusieurs rapports d’experts favorables, le ministère français de la Justice a longtemps refusé la remise en liberté de Patrick Henry. Le meurtrier, véritablement sauvé par son avocat Robert Badinter qui lui a évité la condamnation à mort, avait pourtant passé plus de la moitié de sa vie en prison, s’y était amendé et y avait poursuivi des études supérieures d’informatique. Enfin, celui-ci s’est vu accorder une remise en liberté conditionnelle en avril 2001, liberté aujourd’hui remise en question depuis que l'ancien prisonnier a été pris en flagrant délit de vol dans un magasin (juillet 2002).

La peine de mort dans les Textes

Le discours de l’Église catholique n’a pas toujours été univoque. On trouve ainsi dans l’Ancien Testament à la fois la loi du Talion (" œil pour œil, dent pour dent ") et le cinquième Commandement, " Tu ne tueras point ". Dans l’histoire ont coexisté ceux qui estiment que seul Dieu peut reprendre ce qu’il a donné, et ceux qui estiment qu’au nom de Dieu justement les hommes indignes lui doivent d’être châtiés. C’était la conception, notamment, des Inquisiteurs.

Aujourd’hui encore, alors que le discours majoritaire du catholicisme est celui de l’opposition à la peine de mort, beaucoup de mouvements catholiques intégristes se déclarent en faveur de son application. Cependant, il existe plus que des nuances entre ce que dit le pape Jean-Paul II, qui a appelé plusieurs fois clairement à bannir la peine de mort et qui a pris la défense de certains condamnés américains, et ces lignes bien moins tranchées, extraites du catéchisme officiel de l’Église, publié en 1992 : " au nom de la défense du bien commun, il est légitime que l’autorité publique sévisse, par des peines proportionnelles à la gravité du délit, sans exclure, dans les cas d’une extrême gravité, la peine de mort ".

Quant au Coran, il prévoit explicitement la peine de mort pour les crimes les plus graves, détaillant même parfois la façon dont le coupable doit être exécuté. Il est donc impossible pour les États où l’islam est la religion officielle de supprimer cette peine – au mieux peuvent-ils, dans les faits, ne pas l’appliquer, ce qui est le cas du sultanat du Brunei. Toutefois, les États musulmans figurent généralement parmi les pays où les exécutions sont les plus nombreuses.

De A à Z, les pays où la peine de mort est maintenue

A comme Afghanistan, Algérie, Arabie saoudite.
B comme Bahamas, Bahreïn, Bangladesh, Biélorussie, Belize, Birmanie, Botswana, Burundi.
C comme Cameroun, Chine, Comores, République démocratique du Congo, Corée du Nord, Corée du Sud, Cuba.
D et E comme la Dominique, Égypte, Émirats arabes unis, Érythrée, États-Unis, Éthiopie.
G comme Gabon, Ghana, Guatemala, Guinée équatoriale, Guinée.
I et J comme Inde, Indonésie, Irak, Iran, Jamaïque, Japon, Jordanie.
K et L comme Kazakhstan, Kenya, Koweït, Laos, Lesotho, Liban, Liberia, Libye.
M comme Malaisie, Malawi, Maroc, Mauritanie, Mongolie.
N et O comme Nigeria, Oman, Ouganda, Ouzbékistan.
P, Q, R comme Pakistan, Palestine, Qatar, Rwanda.
S comme Sahara occidental, Sierra Leone, Singapour, Somalie, Soudan, Swaziland, Syrie.
T comme Tadjikistan, Taïwan, Tanzanie, Tchad, Thaïlande, Trinité-et-Tobago, Tunisie.

Dans certains pays, la peine de mort est inscrite dans les textes de loi, mais elle n’est plus appliquée depuis plusieurs années. Il s’agit des États suivants : Arménie (dernière exécution en 1991) ; Bhoutan (1964) ; Brunei (1957), Burkina Faso (1989), Congo (1982), Gambie (1981), Grenade (1978), Madagascar (1958), Maldives (1952), Mali (1980), Niger (1976), Papouasie-Nouvelle-Guinée (1950), République centrafricaine (1981), Sénégal (1967), Sri Lanka (1976), Suriname (1982), Togo (avant l’indépendance, acquise en 1960) et Turquie (1984).

 

©Ph. Cirip - A. Gesgon 

Affiche d'une exposition sur les droits de l'homme organisée par l'UNESCO en 1949.

Quels moyens d’agir ?

Si les organisations régionales, en Afrique ou sur le continent américain, ont travaillé sur des traités visant à supprimer la peine de mort, si même l’ONU dispose de textes sur le sujet, ce sont bien sûr les organisations non gouvernementales (ONG) qui font le plus gros travail de sensibilisation au jour le jour de l’opinion publique. Parmi elles se distingue sans conteste Amnesty International, au cœur de la lutte contre la peine de mort dans le monde, qui popularise la cause des personnes et dénonce les systèmes


La Fédération internationale des droits de l’homme, des associations nationales (comme Americans Against Death Penalty) ou certains organismes religieux (ACAT, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) font aussi un énorme travail d’information du grand public et de prévention politique. La plupart des ONG de médecins se sont également lancées dans la bataille. Campagnes de presse, pétitions, actions spectaculaires : tous les moyens sont bons pour les adversaires de la peine de mort pour faire avancer leur combat.

Les pays où les exécutions sont les plus nombreuses

 

Ph. (c) Magnum - S. Franklin 

La photo qui a fait la une de tous les journaux du monde, lors des événements de 1989 à Pékin, place Tian'anmen.

En 2001, sur les 3 048 exécutions qu’Amnesty International a pu recenser, 2 468 d’entre-elles ont eu lieu en Chine et, encore aujourd’hui, plus d’un condamné à mort sur deux dans le monde est chinois. Outre les condamnations de droit commun, de nombreuses personnes sont condamnées à la peine capitale pour des raisons politiques – il n’y a qu’à se souvenir des leaders du mouvement de la place Tian’anmen, en 1989.


La police est souvent accusée de torture et de traitements dégradants ; mais la pression politique des autres pays demeure faible, aucune puissance ne souhaitant se brouiller avec ce partenaire économique (réel ou potentiel), et seules quelques organisations non-gouvernementales suivent le dossier chinois, alertant régulièrement l’opinion internationale, mais sans grand succès.


Les pays musulmans appartiennent également au groupe de ceux qui appliquent le plus la peine de mort si on s’en tient aux chiffres bruts non rapportés à l’ensemble de la population. Le cas de l’Iran est régulièrement dénoncé et bien connu (plus de 165 personnes y ont été exécutées en 1999, 75 en 2000 et 139 en 2001) ; mais on sait moins que 126 individus ont été décapitées en Arabie saoudite la même année (63 en 2000 et 79 en 2001). Ou que les autorités du Tadjikistan ont récemment contraint une femme musulmane à avorter, pour pouvoir la condamner à mort. Dans quelques-uns de ces pays cependant, la situation évolue : ainsi le président pakistanais Pervez Moucharraf a annoncé le 10 décembre 2001 que toutes les condamnations à mort prononcées contre des mineurs étaient commuées en peines de réclusion à perpétuité.

Le cas américain

Alors que le peuple américain penche pour la suppression de la peine de mort dans les années 1960, et qu’elle est politiquement envisagée (elle est même suspendue dans certains États entre 1967 et 1976), un jugement de la Cour suprême en 1976 estimant qu’elle n’est pas anticonstitutionnelle, ouvre brusquement la porte à une réintroduction de la peine capitale, timide d’abord, de plus en plus massive ensuite : plus de 776 personnes ont été exécutées depuis cette date. Toutefois, le nombre d’exécutions est en légère diminution depuis deux ans : 98 pour la seule année 1999, 85 en 2000 et 66 en 2001.

Au total, 38 États américains sur 50 appliquent la peine de mort aujourd’hui, dont certains de façon particulièrement active. C’est le cas du Texas : depuis 25 ans, plus d’une exécution américaine sur trois a eu lieu dans cet État, gouverné jusqu’à son élection à la présidence de la République par le républicain George W. Bush. La peine de mort a toujours concerné davantage les États du Sud que ceux du Nord. Encore aujourd’hui, hormis le Texas, c’est en Virginie, dans le Missouri, en Floride et en Louisiane qu’on exécute le plus fréquemment. La Californie est un cas un peu à part : les condamnations sont nombreuses (plus de 500), mais pas les exécutions (7 depuis 1992). En Pennsylvanie, le cas du journaliste militant noir Mumia Abou-Jamal, condamné à mort en 1982, est symbolique : sa notoriété et la pression internationale ont poussé le juge à lui accorder plusieurs sursis consécutifs, avant que sa condamnation à mort soit annulée, en décembre 2001.

Longtemps, la révélation de très nombreux dysfonctionnements dans l’application de la peine de mort (témoignages litigieux, avocats commis d’office très peu impliqués dans leurs dossiers parce que trop mal payés, preuves arrangées, composition biaisée des jurys…), comme la sur-représentation des minorités noires ou hispano-américaines parmi les condamnés n’ont pas incité les autorités américaines à remettre sérieusement en question cette pratique. Pourtant, cette situation, dénoncée par certains médias et intellectuels américains, commence aujourd’hui à évoluer : la Cour suprême des États-Unis a interdit en juin 2002 la condamnation à la peine capitale des personnes souffrant d’un retard mental et a renforcé le pouvoir des jurés dans la décision finale, qui n’était souvent le fait que d’un juge unique.

Les pays abolitionnistes pour tous les crimes

En 2001 : Chili
En 2000 : Côte d’Ivoire, Ukraine.
En 1999 : Albanie, Bermudes, Chypre, Lettonie, Timor oriental, Turkménistan.
En 1998 : Azerbaïdjan, Bulgarie, Canada, Estonie, Lituanie, Royaume-Uni.
En 1997 : Afrique du Sud, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Népal, Pologne.
En 1996 : Belgique.
En 1995 : Djibouti, Maurice, Moldavie, Espagne.
En 1994 : Italie.
En 1993 : Hong Kong, Grèce, Guinée-Bissau.
En 1992 : Angola, Paraguay, Suisse.
En 1991 : Macédoine.
En 1990 : Andorre, Croatie, Hongrie, Irlande, Mozambique, Namibie, République tchèque, São Tomé e Príncipe, Slovaquie.
En 1989 : Cambodge, Roumanie, Slovénie, Nouvelle-Zélande.
En 1987 : Haïti, Liechtenstein.
En 1985 : Australie.
En 1984 : Argentine.
En 1983 : Salvador.
En 1982 : Pays-Bas.
En 1981 : Cap-Vert, France.
En 1979 : Brésil, Fidji, Luxembourg, Nicaragua, Norvège, Pérou.
En 1978 : Danemark.
En 1976 : Portugal.
En 1972 : Finlande, Suède.
En 1971 : Malte.
En 1969 : Vatican.
En 1966 : Îles Salomon, République dominicaine.
En 1962 : Monaco.
En 1956 : Honduras.
En 1949 : Allemagne (RDA en 1987).
En 1937 : Mexique.
En 1928 : Islande.
En 1910 : Colombie.
En 1907 : Uruguay.
En 1906 : Équateur.
En 1903 : Panamá.
En 1877 : Costa Rica.
En 1863 : Venezuela.
En 1865 : Saint-Marin.

14 autres pays sont abolitionnistes de droit pour les crimes de droit commun, mais appliquent la peine capitale pour les crimes exceptionnels (par exemple ceux commis en temps de guerre). Ce sont l’Albanie, l’Argentine, la Bolivie, la Bosnie-Herzégovine, le Brésil, le Salvador, les Fidji, les îles Cook, Israël, la Lettonie, Malte, le Mexique, le Pérou et les Seychelles.


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