Émir Abd-El-Kader  : Célébrité militaire de l' Algérie - Ami de la France[1]

Émir Abd-el-Kader

Origine et enfance

Né à Mascara (Algérie) le 01/01/1808 ; Mort à Damas (Syrie) le 26/05/1883

Il naquit à la Zaayah (Zaouïa), ou école religieuse de la Guyathnali (les Tentes), a quatre lieues de Mascara, à gauche de la route qui va d'Oran à cette ville.
La date la plus probable de sa naissance est le 6 mai 1807.

Abd-el-Kader "Serviteur du Puissant" ben-Mahy-ed-Din-Ould-Sidi-Kada-ben-Moktar, c'est-à-dire fils de Mahy-ed-Din et descendant de Sidi Kada-ben-Moktar, est né de Lella-Zohra-bent-Sidi-Omar-ben-Douba,(la seule femme savante de toute la contrée), troisième femme du marabout Sidi Mahy-ed-Din, très-vénéré chez les Hachems. Il n'a qu'une sœur utérine ; mais sa famille provenant des trois autres lits est fort considérable, et plus encore, celle de Sidi Aly-bou-Thaleb, son oncle. Dans l'une il a souvent trouvé d'amers chagrins, dans l'autre des ennemis inquiétants, à commencer par Sidi Ali-bou-Thaleb.

Abd-el-Kader était à peine âgé de huit ans que son père l'emmena avec lui dans un voyage qu'il fit à la Mecque. A leur retour, Achmed-Bilhar, homme lettré et frère de Mahy-ed-Din, prit chez lui le jeune pèlerin et se chargea de son éducation, qui consista dans l'étude du Coran, les principes des sciences physiques et morales, de la géométrie et de l'astronomie, la gymnastique, l'exercice du cheval et le maniement des armes.

Mahy-ed-Din envoya ensuite son fils à Oran, chez Sidi-Achmed-ben-Kodja, qui le garda dix-huit mois et lui enseigna la politique.

Portrait

Son portrait : Taille moyenne, un visage pâle aux traits fins, souligné d’une barbe noire, de grands yeux bleus, impassibles pénétrant d’un seul coup le fond des consciences ; un front large, marqué entre les sourcils par un minuscule tatouage des Hachems (tribu à laquelle appartient sa famille originaire dit-on de Médine). C’est un mélange d’énergie guerrière et d’ascétisme religieux. Il a la parole brève et rapide. Son seul luxe : les belles armes et les chevaux.

Militaire proclamé Sultan

Abd el-Kader est né au sein d'une famille chérifienne (du Maroc) qui lui inculque très tôt le respect de la religion. Lorsque les Français foulent les terres de l'Algérie, il ne peut réprimer sa colère. Il profite de l'instabilité du pays pour convaincre les tribus de l'Oranie de le soutenir dans son combat.

Ces dernières le proclament alors Sultan. Peu à peu, il étend son pouvoir sur la région et se lance dans une guerre sainte qui durera quinze ans. Il perpétue de nombreuses attaques contre les français. Il leur inflige notamment la défaite de la Macta, en 1835.

La destruction, en juin 1835, d'une colonne française au défilé de La Macta et la mise à sac de Mascara à titre de représailles marquèrent alors le début d'une guerre qui ne pouvait se terminer que par la défaite totale de l'un des deux adversaires.

Le traité de La Tafna n'était pour Abd el-Kader qu'une trêve préludant à la reprise de la guerre sainte contre l'envahisseur.

La lutte reprit donc en 1839 mais les colonnes mobiles organisées par le général Bugeaud finirent par avoir le dessus sur un adversaire privé de points d'appui solides.

 

Prise de la Smala (peinture A.Decaen)

Sous son commandement, le duc d'Aumale prend la smala d'Abd el-Kader en 1843, obligeant ce dernier à s'enfuir au Maroc.

Le fugitif y trouve un soutien considérable, mais la défaite de la bataille de l'Isly (4 août 1844) contraint le sultan marocain à l'expulser.

De retour en Algérie, Abd el-Kader poursuit sa lutte mais est arrêté en 1847 et emprisonné en France.

Napoléon III le libère en 1852.

Il mène une fin de vie tranquille à Damas en se consacrant à la méditation et à l'écriture mystique.

Son parcours avec la France

Abd-el-Kader (Ben Mabi Eddin), fils d'un marabout, élevé à l'ombre d'une Zaouïa dans une tribu guerrière, également fait pour la vie contemplative et le gouvernement d'un peuple, ennemi acharné de la France dans la première partie de sa vie, son admirateur et même son défenseur dans la dernière, est un de ses hommes qui ont suivi dans ce siècle avec le plus de fermeté la ligne que leur traçait leur devoir.

Son apparition subite, ses victoires, son règne d'un jour, sa défaite, sa captivité, son repos final dans l'étude des sciences et dans la lecture des livres saints, ont excité suivant les temps la surprise, la haine et l'admiration.

Ses aïeux étaient, dit-on, originaires de Médine (Arabie saoudite); ils avaient habité le Maroc, puis s'étaient établis dans la province Oran sur le territoire de la tribu des Hachem.

Son père, Mahi Eddin, y dirigeait un établissement religieux, demi-couvent, demi-école, à la Guetna de l'Ouâd-el Hamman, en 1830.

Il était le troisième fils de Madi-Eddin ; il avait vingt-quatre ans en 1832.

Les Hachem, conduits par leur marabout, s'étaient lancés contre les avant-postes entre Oran et Mascara et Abd-el-Kader avait paru aux premiers rangs, cavalier incomparable. Une acclamation bruyante l'avait salué Sultan.

Il avait accepté ce titre sans regarder autour de lui, ni devant lui, résolu seulement à s'en rendra digne. Il n'était poussé par aucune ambition personnelle.

Elle lui paraissait exiger d'abord, cette loi, des combats sans nombre contre les ennemis de l'Islam, et la constitution d'un État qui fût pour tous les musulmans une maison de refuge, sans souillure et sans mélange étranger.

Il emprunta à la civilisation moderne tout de qui pouvait lui être utile, sa discipline, ses règlements, et même ses ouvriers ; il fit revivre autour de lui la foi ardente et les lois des premiers temps de l'Islam. Il jeta le tout à la fonte, et l' Europe vit avec étonnement une forme d'État nouvelle sortir des mains de ce jeune pasteur de trente ans.

Il était cependant, à cause même de son origine et de la diversité des idées et des races qui s'agitaient autour de lui, pris dans son extraordinaire puissance comme dans un piège. Fils de marabout, il avait contre lui tous les marabouts jaloux de sa famille. Les confréries musulmanes, qui n'admettent pas que la religion serve d'instrument aux grandeurs de ce monde, lui étaient franchement hostiles, et il lui fallut aller détruire Aïn-Madhi, la ville sainte des Tidjanya, apôtres intransigeants du Sahara. Exécuteur de la loi islamique, il se heurtait à une infinité de coutumes barbares. Arabe ou se disant tel, il avait contre lui tous les Kabyles ; nomade, tous les sédentaires, sultan, toutes les petites républiques batailleuses qui pullulaient dans le massif du Djurdjura. Ses lieutenants, quelques braves qu'ils fussent lui obéissaient mal, sa famille elle même discutait, nouait et dénouait des intrigues autour de lui.

Aucun de ses adversaires, rompus, eux aussi à des fatigues inouïes et quelques fois mortelles, n'a pu s'empêcher de l'admirer alors comme maître.

Mais, à partir de 1840, la France s'engage dans la conquête du pays tout entier, menant pendant plusieurs années une guerre sans merci à l'Émir, affaibli après la spectaculaire prise de sa smala en 1843, et définitivement vaincu en 1847.

La mort héroïque du colonel de Montagnac et de tous les siens, un massacre de prisonniers qu'il n'ordonna pas, mais dont il demeure responsable, jetèrent une lueur tragique sur cette résistance désespérée. Rejeté dans le Maroc, il voulut revenir sur sa terre, et, comme les Marocains, lui barraient la route, passa comme un lion à travers une haie de sabres. Il n'avait plus d'hommes quand il se rendit, mais il était sans reproche ; il fait cadeau de son cheval noir au Duc d'Aumale, c'était son dernier bien.

Malgré la promesse qui lui est faite d’une captivité en terre d’Islam, Abd el-Kader arrive à Toulon, le 10 janvier 1848, en compagnie de sa famille. Il demeurera près de cinq années prisonnier en France, de janvier 1848 à septembre 1852. Après trois mois passés au fort Lamalgue, à Toulon, l’Émir est transféré au château d'Henri IV à Pau, avant d’être installé au mois de novembre 1848 à Amboise.

 

Abd-el-Kader par Ange Tissier (1852)Versailles Musée National du Château

Là, il reçoit le 16 octobre 1852 la visite de Napoléon III, qui l’invite à Paris. L’hôte de l’Empereur des Français, après un séjour dans la capitale, gagne Marseille au cours d’un voyage triomphal, d’où il s’embarque pour la Turquie, le 21 décembre 1852.

A Istanbul, le 7 janvier 1853, Abd el-Kader se rend ensuite à Bursa, au sud de la mer de Marmara. Il y résidera deux années, grâce notamment, à une pension de 150.000 F. versée par le gouvernement français. Après la destruction de la ville par un tremblement de Terre et une visite à Paris lors de l'exposition universelle de 1855, Abd el-Kader s’établit à Damas en novembre 1855, se rapprochant ainsi des Lieux Saints de l'Islam.

 

Retenu d'abord, puis décidemment captif à Pau (un de ses gardiens : Escoffier ) et à Amboise, enfin délivré et honoré par ses vainqueurs dans la personne de leur souverain, salué même et acclamé dans les rues de Paris et au théâtre, récompense singulière, mais précieuse de son abnégation et de son courage, il redevint le marabout de Guetna, et ne garda dans son coeur aucune amertume. Il le purifia même dans le calme de la paix de toutes les illusions de la guerre : sa société favorite à Amboise avait été celle des religieux.

Il compara l'Évangile à la Bible, il médita de nouveau le Coran, et quand Napoléon III lui donna, suivant son désir, la Syrie pour retraite, en lui servant une pension conforme à sa dignité, il se renferma dans le monde idéal des penseurs et des saints qui concourent fraternellement, souvent sans le savoir, au bien des âmes et à la glorification de la Divinité.

Il ne conserva bientôt plus de ses attaches avec le monde que quelques amitiés et le souvenir cher d'un grand peuple qu'il avait appris à connaître en mesurant sa force et sa générosité.

Il acquit à Damas même une maison princière difficile à forcer, et il vécut là, laissant les années accroître sa sagesse et ses mérites par devant Dieu jusqu'au dernier jour.

Une fois cependant, il reprit les armes, pour défendre les Chrétiens menacés par une populace fanatique.

"Si j' en étais chargé, a-t-il écrit dans un de ses livres, je crois que je réconcilierais tous les chrétiens, tous les juifs et tous les musulmans : car la religion de Moïse est la religion extérieure, celle de Jésus la religion intérieure, et le Coran réunit les deux."

Ami de la France

Un vieux serviteur Abou Léhyé doué d'une mémoire remarquable et d'un incomparable talent de conteur raconte aux descendants d'Adb-el-Kader l'histoire de leur aïeul :

"Le grand Abd-el-Kader, que j'ai eu l'honneur de servir dans ce palais dont vous avez d'ailleurs le témoignage de ses hauts faits d'armes dans le musée, installé dans le grand salon avec ses armes, ses selles et ses portraits avait les plus beaux chevaux de Syrie et donc du monde.

"Mon meilleur souvenir de cette époque, c'est de l'avoir aidé à secourir les Chrétiens lors du grand massacre de Damas.

"Hadj Abd-el-Kader est intervenu alors pour les sauver, car disait-il : "l'homme de bien s'honore en protégeant le faible et le malheureux, surtout s'il s'expose au danger"

"Il avait été un grand chef de guerre en Algérie, l'Émir au cheval noir, le Commandeur des Croyants. Pendant dix-sept ans, il avait lutté contre l'armée française, qui était la plus puissante du monde à ce moment. Puis avait été vaincu par le nombre. Il avait demandé l'aman aux militaires français, qui l'avaient traité avec beaucoup d'égards parce qu'il avait été un adversaire loyal. Mais les politiciens l'avaient gardé prisonnier pendant cinq années. C'est alors que le nouvel empereur de Français Napoléon III, l'a libéré.

"El Hadj Abd-el-Kader a été reconnaissant aux Français de lui avoir rendu sa dignité d'homme libre et il est devenu leur ami. C'est alors qu'il est venu vivre à Damas.

"A l'époque, il y avait beaucoup de haine chez certains Musulmans, les Druzes, contre les Chrétiens. Ils insultaient les Européens. Mon maître avait plusieurs fois mis en garde les consuls des pays d'Europe contre les agissements d'Ahmed pacha, le gouverneur turc de Damas, un chien, qui a été fusillé par la suite pour sa mauvaise conduite, mais on ne l'avait pas écouté.

"Un jour, en plein été, on apprend qu'il y avait de terribles massacres dans la plaine de la Bekaa au Liban, tout près de Damas. Du coup la folie gagne la ville. On tue, on pille, on brûle. Partout du sang et des flammes, des gens terrorisés, qui appellent au secours.

"L'Émir Abd-el-Kader était à Doummar, sa résidence d'été. Il rameute tous ses hommes, fait seller les chevaux et galope jusqu'ici. J'étais avec lui et je n'avais pas peur, parce que je savais qu'avec lui j'avais la baraka !

"A peine arrivé, il convoque tous les Algériens de Damas, un millier d'hommes. Il court au Consulat de France et interpelle le consul :

"Tu m'as dit que partout où flotte le drapeau français, c'est la France ? Oui, lui répond le consul - Alors, prends ton drapeau et plante-le sur ma maison, pour qu'elle devienne la France"

"Il ramène chez lui tous les diplomates : de France, de Russie, d'Autriche, de Grèce. Il envoie deux de ses fils, Mohammed et Hachemi, avec des cavaliers pour sauver les Chrétiens et disperser les égorgeurs à coups de crosse et de plats de sabre. Ces Algériens étaient des guerriers, les voyous fuyaient à leur vue.

"J'ai accompagné l'Émir quand il a été, lui-même, chercher les communautés religieuses : les prêtres, les moines, les religieuses et les enfants des écoles chrétiennes. Tout le monde venait ici, il y en avait partout.

"Personne n'a jamais oublié la noble conduite de votre aïeul. Tous les pays d'Europe lui ont adressé des messages de félicitations et des décorations, des poèmes et des cadeaux.

Il a reçu l'Archevêque d' Alger en 1860, Monseigneur Cardinal Lavigerie

Écharpe rouge et décorations

"L'empereur des Français lui a fait apporter une belle croix d'honneur avec un grand ruban de soie rouge.

"Plus tard, quand il recevait des gens qui disaient du mal de la France, parce qu'elle avait perdu la guerre contre la Prusse, l'Émir Abd-el-Kader sortait quelques minutes puis revenait avec sa belle écharpe sur son burnous et les gens se taisaient, conscients d'avoir été insolents et blessants>>

Réponse au comte Bismarck

Lettre de l'Émir alors domicilié en Syrie au comte Bismarck qui lui avait demandé son aide contre la France en Août 1870 :

"Louange à Dieu !

"Excellence,

"Celui à qui vous avez adressé l'offre de marcher contre la très glorieuse et très généreuse France et de vous prêter le concours de sa loyale épée devrait, par mépris et dédain s'abstenir de vous répondre.

"Que nos chevaux arabes perdent tous leurs crinières avant qu'Abd el Kader ben Mahi ed-Din accepte de manquer à la reconnaissance qu'il a pour le très puissant empereur Napoléon III (que Dieu le protège !).

"Que votre arrogante et injuste nation soit ensevelie dans la poussière et que les armes de l' Armée française soient rougies du sang des Prussiens ( que leur orgueil soit puni !)

"Tel est le voeu du serviteur de Dieu""

signé : Abd-el-Kader ben Mahi ed-Din

Descendance française

"Avec mes frères, nous avons retenu la leçon d'Abou Léhyé. Nous avons choisi de devenir les fils de la France à un moment difficile.

Six descendants d'Abd-el-Kader, après avoir été élèves du Prytanée Militaire sont passés : quatre par Saint-Cyr, un par l'école de l'Air, un par Centrale de Lyon. L'un de nous, Ali est tombé au combat en Indochine le 15 mars 1949, pour la France et pour maintenir l'honneur chevaleresque des Abd-ek-Kader

Abd-el-Kader à Toulon

Pourquoi s’intéresser à Abd el-Kader à Toulon ?

Parce qu’à Toulon les populations originaires des deux rives de la Méditerranée se côtoient sans savoir qu’elles partagent une histoire commune : celle liée à l’aventure d’Abd el-Kader. La conquête de l’Algérie est partie de Toulon le 24 mai 1830 et c’est à Toulon qu’Abd el-Kader, le principal opposant à cette conquête, a séjourné en captivité durant 4 mois, au Fort Lamalgue. Il connaît l’épreuve de l’emprisonnement en violation de la parole donnée lors de sa reddition : le duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe, lui avait promis de l’envoyer en exil à Alexandrie. Ces quatre mois souvent passés sous silence sont décisifs car c’est au cours de cette épreuve que le combattant renonce à tout recours à la lutte armée et redevient l’homme d’études, de méditation religieuse qu’il était dans sa jeunesse avant l’expédition d’Alger. A Pau puis à Amboise après quatre années de captivité, il achèvera cette conversion amorcée à Toulon

L’Algérie actuelle s’appelait la Régence d’Alger (Berbérie). Elle faisait théoriquement partie de l’Empire Ottoman ; elle était dirigée par un Dey, fondé de pouvoir de la corporation des corsaires.

Cet État est né au XVIe siècle pour résister à la reconquête chrétienne menée par l’Espagne qui a chassé juifs et musulmans (que l’on retrouve dans les villes de la Régence et qui forment une bourgeoisie commerçante).

Si l’activité de course a été jusqu’en 1815 une ressource essentielle pour le Bey et son administration, elle était pratiquée également par les États chrétiens de la rive nord (les prisonniers dits barbaresques sur les galères du roi de France).

L’Algérie d’avant 1830 peut donc exporter du blé. La majorité de la population est arabo-berbère : activité semi-nomade agro-pastorale pour les premiers, arboriculture et agriculture sur les montagnes pour les seconds. Le sentiment anti-turc est vif dans une population attachée à ses chefs de tribus et ses confréries religieuses.

Les Algériens massacrent les soldats français en 1846. Ça nous éloigne des visions idylliques de l’œuvre civilisatrice française ou de la magnanimité d’Abd el-Kader.

La conquête qui se fait dans un contexte où l’esprit de croisade est encore vivace a été violente dès le début. Le pouvoir turc était certes arbitraire mais il était musulman.

Abd el-Kader qui avait fait preuve de magnanimité envers l’adversaire français (son traité sur le sort des prisonniers lui valut l’amitié de l’évêque d’Alger Mgr Dupuch) ne peut empêcher le massacre de prisonniers en 1846, par suite à un refus de Bugeaud de négocier un échange.

Abd el-Kader peut apparaître au premier abord comme un chef symbole de résistance pour le peuple arabe. Pourtant dans sa lutte, il se retrouve être un chef de tribu luttant contre les Ottomans et ses alliés, et combattu par l’empereur du Maroc. Dans quelle mesure a-t-il fédéré les aspirations indépendantistes du peuple algérien ?

Abd el-Kader a nettement tenté de dépasser le cadre tribal par le choix de ses conseillers, par la structure de son État où il y a des fonctionnaires, une armée de métier, etc., qui rompt avec le clientélisme. Il a jeté les bases d’un État autochtone dans un pays qui résiste à cette unification, à toute autorité étatique, d’où les désertions des tribus ralliées à lui y compris parmi les Kabyles. Le sultan du Maroc le soutient jusqu’à la bataille d’Isly en 1844 où la supériorité militaire de la France est telle qu’il finit par l’abandonner et le déclarer hors-la-loi.

Abd el-Kader se rend au duc d’Aumale en 1847 avec la promesse d’être exilé en terre d’Islam. C’est là qu’il se retrouve à Toulon. Comment se passe son séjour ?

Il est choqué au point qu’il refuse toute promenade et sortie, sauf la visite à l’arsenal. Tous les prisonniers souffrent de l’exiguïté des lieux. Abd el-Kader partage la nuit sa chambre avec plusieurs des siens. Le froid est tel qu’il perd un fidèle, le chef de son infanterie, et un enfant de sa suite (asphyxie en utilisant des braseros). Il refuse surtout toute proposition d’exil doré en France et de renoncer à exiger son départ en terre d’Islam, condition de sa reddition.

A Toulon, le nom d’Abd el-Kader est donné à une rue du Mourillon en mars 1942 par une commission municipale vichyste pour rendre hommage "à ce chef arabe qui opposa une résistance farouche aux troupes françaises".

Francs-maçons

L'émir quitte la France le 2 septembre, au moment où des maçons vitupèrent cet "enfant du désert africain qui n'a rien à gagner en venant parmi nous. Nous n'avons rien à apprendre de lui". Passons, nous sommes en 1865… Dans ses Lettres de Tokyo André Malraux écrira plus tard: "La plus grande découverte de notre siècle dans le domaine de la culture et de la pensée est la découverte de l'existence de plusieurs civilisations et non d'une. C'est seulement au moment où nous avons réalisé cette découverte que nous avons saisi la naissance de la civilisation universelle. Jusqu'à la réalisation de cette découverte, il était admis que les civilisations, en dehors de la nôtre, étaient des civilisations ennemies et celles antérieures, considérées comme primitives".

Retour à Damas où l'Émir retrouve ses disciples et sa chaire d'enseignement. Ses contacts avec la franc-maçonnerie se relâchent, mais la dimension humaine et humaniste du personnage perdure.

En 1867 deux de ses fils sont reçus et initiés à la loge "Palestine-Orient" de Beyrouth.

En 1901 un petit-fils entre à l'atelier "Enfants de Mars" de Philippeville.

Citons Paul Naudon : "Avec la IIIe République, le libéralisme anticlérical se reflète de plus en plus dans l'évolution des loges, alors que l'Église au contraire se montre ouvertement conservatrice et monarchique. La confusion des valeurs est alors extrême.

En 1877, un convent du GO décide de supprimer l'obligation dans les loges de travailler "à la gloire du Grand Architecte de l'Univers". La conséquence immédiate fut la rupture du GO avec le corps maçonnique universel, dont la GLU d'Angleterre. Autre conséquence, la césure de l'émir héritier de Ibn' Arabi avec la FM devient définitive.

Dans une lettre au GO il exprime sa désapprobation devant l'abandon de la notion de Grand Architecte.

En 1856, arrivant dans la capitale syrienne l'Émir se rend sur la tombe de son maître. Il décède en 1883 à Doumer, dans la banlieue de Damas à l’âge de 70 ans.

Il est enterré à proximité du tombeau de Cheikh Mohieddine ibn Arabi al Andaloussi . Sa dépouille est transférée à Alger en 1966.

Un message à toute l'humanité

La vie de l'Émir Abd el-Kader fut tellement riche qu'il n'est pas possible d'en faire le tour. Oublions vite la récupération politique avec le retour de ses cendres en Algérie. Je n'ai pas non plus insisté ici sur son éducation auprès de son père, une instruction religieuse approfondie inculquée par des professeurs de choix, le chef de guerre, la place des chevaux dans l'existence de ce cavalier émérite. En un temps où l'intolérance, l'aveuglement, la haine, la bêtise dressent des êtres humains les uns contre les autres, en un temps où les visages et les frontières se ferment, où nous assistons à des épurations ethniques, où "Ahmed m'a tuer", j'ai estimé que nous aurions tous à apprendre de ce pont jeté entre l'Orient et l'Occident que représente Abd el-Kader "Commandeur des croyants". Son message n'est adressé ni à l'Algérie, ni aux musulmans, mais à tous les hommes, ô vous frères humains!

Retour de ses cendres

Émir paradoxal, l'Algérie d'aujourd'hui en a fait sa grande figure nationaliste lui donnant même la place que naguère, du temps de la France, nous offrions à Bugeaud.

Le 5 juillet 1966, l'Algérie organisera en grandes pompes, le retour des cendres de l'Émir et son inhumation au carré des Héros du cimetière d' El Alia à Alger

Abd el-Kader a bien voulu une nation algérienne : en cela il peut légitimement être considéré comme un héros algérien mais à condition de ne pas en faire un nationaliste au sens actuel du terme. Il a voulu cette nation comme réponse à la conquête par la France mais à un moment où elle n’était pas encore possible.

A Toulon (j’ai pu le lire aux archives d’Aix dans ses lettres au roi et à E. Ollivier), il dit sa déception d’avoir été lâché par les siens (certaines tribus algériennes), le sultan ottoman et le sultan marocain eux-mêmes.

Il s’est toujours dit plus savant que guerrier, il découvre cela en captivité. Il n’est pas un nationaliste algérien, mais d’abord un maître soufi que les circonstances ont amené à prendre les armes.

Quand il a compris que ce combat était vain, son horizon s’est élargi à l’ensemble du monde arabo-musulman, il a rêvé alors d’un dialogue possible entre Orient et Occident, conforme en cela aux idées de son temps (cf. les Saint-simoniens). Il est un exemple pour nous à la condition qu’on en refasse un homme de son temps.

Commentaire

Abd el-Kader responsable de la conquête

L'économiste et historien Alfred Sauvy a pu écrire à propos de l'Algérie : "Le responsable de la conquête n'est pas Bugeaud, mais Abd el-Kader. Les pouvoirs publics français étaient prêts à se contenter de quelques ports marchands, quand la révolte a obligé l'armée à rétablir l'ordre et le Parlement à voter les crédits nécessaires".

Remarque

Mascara Monument

Bibliographie

 

Abd El-Kader[3]

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Abd el-Kader

L'émir Abd El-Kader (arabe : عبد القادر الجزائري) (né en 1808 près de Mascara en Algérie - décédé le 24 mai 1883 à Damas Syrie), est un théologien soufi algérien, également écrivain poète et philosophe, homme politique et résistant militaire face l'armée coloniale française.

Origines et éducation musulmane

Son père, Sidi Mahieddine, était un cheikh de l'ordre soufi Qadiri, et sa mère, Zora, une femme savante. Il naquit à La Zaayah, une école religieuse de la Guyathnali (les Tentes), dans la région de Mascara, à gauche de la route qui va d'Oran à cette ville. La date la plus probable de sa naissance est le 6 mai 1807. L'émir Abd El-Kader fait remonter ses origines aux tribus berbère des Banou Ifren du Moyen-Âge[4].

Il eut une éducation religieuse soufiste. Abd-el-Kader était âgé de huit ans lorsque son père l'emmena à la Mecque pour le Hajj (ou " pèlerinage "). À leur retour, Ahmed Bilhar, son oncle paternel, homme lettré, prit chez lui le jeune pèlerin et se chargea de son éducation, qui consista dans l'étude du Coran, les principes des sciences physiques et morales, de la géométrie et de l'astronomie, la gymnastique, l'exercice du cheval et le maniement des armes. Mahieddine envoya ensuite son fils à Oran, chez Sidi Ahmed ben-Kodja, qui le garda dix-huit mois et lui enseigna la politique.

Voyages

Mahieddine fit une seconde fois le voyage de la Mecque avec son fils. C'était en 1820, le capitaine Jovas, commandant le Castor, brick du commerce français, prit à son bord le père et le fils, avec un certain nombre d'aspirants au titre de hadj, et les transporta à Alexandrie. Mahieddine et son fils, après avoir visité la Mecque et Médine, allèrent faire leurs dévotions à Bagdad, au tombeau du célèbre marabout Sidi Abdel-Kader el-Djelani, qui a des chapelles (koubbah) à travers toute l'Algérie et notamment à Alger. Ils recueillirent précieusement tout ce qui pouvait intéresser les populations du désert, et à leur retour ils racontèrent de vieilles légendes, d'anciennes prophéties, qui annonçaient qu'Abd-El-Kader deviendrait un jour le " sultan des Arabes ".

Pendant son séjour en Égypte, Abd-El-Kader fut frappé des changements que Méhémet Ali venait de faire subir à son armée et des améliorations apportées dans l'administration de ses états ; il se sentit un immense désir de le prendre pour modèle, et son père l'encouragea dans ses idées. Réfugiés tous deux dans leurs tentes, ils passaient leurs journées en prières. La vénération qu'ils s'étaient acquise avait tellement grandi que les population arrivaient en foule au douar des Hachem, apportant comme offrandes du grain, du bétail, des chevaux, de l'or, de l'argent et des armes. C'est de cette époque que datent les nombreuses richesses d'Abd-El-Kader et sa haute influence sur toute la contrée. Hassan-Bey, gouverneur d'Oran, voulant mettre enfin un terme à ces menées révolutionnaires, prononça la peine de mort contre le père d'Abd-el-Kader ; mais il était trop tard.

La colonisation française

La prise d'Alger par les Français en 1830 venait de porter un coup terrible à l'empire des deys et à la domination ottomane. Mahieddine, le vieux marabout, se mit alors à prêcher la " guerre sainte ". Des milliers de mulsulmans accoururent et se rangèrent sous ses ordres ; on vit bientôt le puissant gouverneur d'Oran, Hassan, réduit à demander asile à celui dont il avait mis la tête à prix. Le marabout allait lui offrir l'hospitalité et ses services mais Abd-el-Kader s'y opposa énergiquement, et le bey d'Oran dût se rendre quelques jours après aux troupes françaises. Mahieddine, choisi comme chef de l'insurrection, marcha avec ses troupes contre la garnison turque de Mascara, et la massacra sans pitié ; plus tard, il combattit les Français sous les murs d'Oran, et y déploya un grand courage. Le jeune Abd-El-Kader s'y distingua particulièrement ; il semblait être à l'abri des balles et des boulets ; il eut deux chevaux tués sous lui. Le burnous blanc qu'il y portait, et qui y fut rougi du sang des siens, a été conservé comme une relique.

Depuis la prise d'Alger, le parti musulmane semblait avoir recouvré sa liberté, mais il était pour ainsi dire sans chef : Mahieddine, tout influent qu'il était, n'était pas souverain. Quelques tribus ne lui obéissaient pas. D'un autre côté les populations musulmanes voyaient avec inquiétude la conquête française s'étendre. La soumission d'Ibrahim, bey de Mostaganem, acheva de les décourager ; il y eut une assemblée générale des chefs de tribus pour procéder à l'élection d'un sultan. Le rendez-vous eut lieu le 21 novembre 1832 dans la plaine de Ghris, dans un lieu nommé Ersebia. Il fut question de nommer Mahieddine, mais celui-ci leur dit que le marabout Sidi El-Arrach était plus digne que lui d'un si grand honneur. Le conseil se retira pour se réunir le lendemain. D'après la légende populaire, Sidi El-Arrach, tout juste arrivé, aurait déclarer en élevant les mains vers le Ciel : " Frères, cette nuit, le célèbre marabout Mahi Abd-el-Kader m'est apparu au milieu de sa gloire, et m'a dit : “Sidi El-Arrach, retiens bien ces paroles d'où dépend le salut de notre race. Je ne connais qu'un seul homme qui, par ses vertus, son courage et son intelligence-, soit digne de commander aux Arabes : c'est Abd-El-Kader, troisième fils de Mahieddine. Je t'ordonne donc de répéter demain au conseil ce que tu viens d'entendre. Allah et son prophète s'intéressent à la cause de ses enfants et veulent qu'elle triomphe.” ". Et Mahieddine d'ajouter : " J'ai entendu les mêmes paroles que Sidi El-Arrach, et j'ai reçu les mêmes ordres, mais je mourrai dans l'année qui suivra l'avènement de mon fils. Telle est la prophétie de mon aïeul. "

Sultan

En 1832, le titre de sultan fut alors accordé à Abd-El-Kader, les chefs s'inclinèrent et lui présentèrent le burnous violet. Le nouveau sultan se mit à son tour à prêcher la guerre sainte. Après que l'affaire de la Macta eut consolidé sa puissance, il songea à se créer une force militaire permanente. Voyant l'armée française composée en grande partie d'infanterie, il se forma un corps de cavalerie qui put attaquer, poursuivre ou éviter un combat inégal. Ce premier corps ne comptait d'abord que 400 hommes. Pour entretenir des bataillons réguliers, il mit des taxes sur les marchandises et il leva des impôts ; puis il fit bâtir des magasins de vivres, d'armes et de munitions. Lorsqu'il commença à faire la guerre aux Français dans l'ouest de l'Algérie, le général Louis Alexis Desmichels était gouverneur de la province d'Oran ; comme son prédécesseur, il était indépendant du général en chef. Au mois de mai 1833, il remporta plusieurs victoires sur Abd-El-Kader, et s'empara de Mostaganem. L'émir, indigné de voir les Musulmans venir approvisionner les marchés français, fit enlever le chef d'Arzew qui venait de se soumettre, et le conduisit à Mascara où il fut condamné à mort. Au mois d'octobre de la même année ses troupes attaquèrent l'escorte de la commission d'Afrique, forte de 1 800 hommes, mais il fut battu près de Aïn-el-Bidha.

Abd-El-Kader, à la mort de son père (1833), se retira quelque temps à Mascara, puis revint se mettre à la tête de ses troupes. Il fit bloquer la ville d'Oran par la tribu des Rharaba et couper toute communication avec Mostaganem par la tribu des Hachem. La tactique réussit, les arrivages cessèrent sur les marchés français. Les tribus soumises cherchèrent à se détacher des Français. Abd-El-Kader, profitant de l'état des esprits, tendit un piège aux Français dans lequel quatre d'entre eux furent faits prisonniers et un cinquième tué. Le général Desmichels lui écrivit pour réclamer les soldats, mais Abd El-Kader refusa de les rendre et termina sa réponse par un défi. Le général Desmichels ne fit pas longtemps attendre la réponse. Il fit, après le combat, renvoyer les femmes et les enfants des douars qui étaient tombés dans le pouvoir français ; et les indigènes, ne comprenant nullement le motif de cette mesure, pensaient que ceux-ci avaient agi non pas avec générosité, mais avec faiblesse.

Lorsqu'après cette sortie les marchés d'Oran se furent un peu approvisionnés, le général Desmichels écrivit de nouveau à Abd-El-Kader pour lui demander une entrevue. L'émir n'eut garde de se présenter lui-même, il se croyait trop au-dessus des généraux français par sa position souveraine : il n'a daigné accorder cette faveur qu'au maréchal Thomas-Robert Bugeaud, à Juchault de la Moricière et au duc d'Aumale. À la lettre du général Desmichels il répondit que l'Islam lui défendait de se soumettre aux envahisseurs, mais qu'il lui permettait d'accepter une paix si elle lui était proposée. Abd-El-Kader sentait alors le besoin de cesser les hostilités contre les Français, et malgré les revers que les Français éprouvèrent près d'Oran, dans un lieu nommé Dar-el-Bidah (" la Maison blanche "), il continua les négociations entamées, en engageant son agha, Mouloud ben Arrach et le caïd Ouled Mahmoud, pour s'entendre en dehors d'Oran, avec le séfarade Mandoukaï Amar, sur les bases d'un traité de paix qui allait être passé entre la France et les algériens. Abd-El-Kader insistait pour avoir Mostaganem, mais se voyant refuser sur ce point, il demanda Arzew, où il parvint à établir de fait son autorité sans l'accord des Français.

Ils arrivèrent à un accord sur les trois dispositions suivantes du traité :

  1. Soumission des Arabes à la France ;
  2. Liberté du commerce pleine et entière ;
  3. Remise immédiate des prisonniers.

Lorsque les envoyés d'Abd-el-Kader s'occupèrent de la rédaction de cet acte important, conjointement avec les principaux chefs civils et militaires de la province, ils déployèrent tant de ruse et d'habileté que les conditions principales posées par les Français étaient comme annulées, et que ce traité, que les Français imposaient, semblait être plus favorable à Abd-El-Kader.

Traité avec les Français

Ce traité fut signé le 24 février 1834. Abd-El-Kader, satisfait, croyait son repos assuré, lorsque de nouveaux ennemis vinrent l'attaquer dans sa retraite. L'agha Benaouda Mazari et Mustapha ben Ismael, chef des douars qui avait été agha avant la conquête, ne pouvait se résoudre à se soumettre à un usurpateur, ou, comme il disait, à un pâtre, fils de pâtre. Un autre chef, qui menait depuis longtemps une vie de brigandage, Kadour ben el-Morfy, placé à la tête des Bordja, ne pouvant s'accoutumer à la paix qui allait régner dans le pays, se réunit à Mustapha ben Ismael pour soulever les Beni-Amer, une des plus populeuses tribus de la province. Les hommes de cette tribu se refusèrent à payer l’achour, alléguant que la cessation de la guerre rendait cet impôt inutile, et qu'ils ne reconnaissaient pas pour leurs maîtres les infidèles et leurs alliés. Les Douayers et les Zmelas, tribus accoutumées à vivre au XIXe siècle de pillage, se joignirent aux Beni-Amer et commencèrent les hostilités.

Abd-El-Kader rassembla au plus vite ses cavaliers dans les environs de Mascara, marcha contre l'ennemi et surprit plusieurs villes laissées sans défense. Mais il eut l'imprudence d'établir son camp sur la lisière de la forêt de Zétoul, dans le pays des rebelles. Au milieu de la nuit, les Douayers mirent en fuite une partie de ses troupes, enlevèrent son camp au galop, et le forcèrent à rentrer presque seul à Mascara. À cette nouvelle, Sidi el-Arubi leva l'étendard de la révolte, les autres chefs des mécontents imitèrent son exemple, et Abd-El-Kader se vit entouré d'ennemis. Au lieu de profiter de ces divisions qui commençaient à naître parmi les tribus indigènes, et tirer parti du coup terrible qui venait d'être porté à l'émir par les Beni-Amer, les Français intervenaient de sorte qu'ils rendirent Abd-El-Kader plus puissant après cet échec qu'il ne l'était auparavant.

Mustapha ben Ismael et Kadour ben el-Morfy, instigateurs de l'insurrection, avaient écrit aux généraux Voirol et Desmichels qu'ils s'engageaient au nom des tribus insurgées à se reconnaître sujets de la France, à renverser Abd-El-Kader et à amener la soumission des troupes de l'émir. Mais le général Desmichels, au lieu d'accepter cette proposition, prit Abd-el-Kader sous sa protection. Celui-ci, se voyant soutenu par les Français et maître de la province d'Oran, c'est-à-dire de cette immense contrée qui s'étend depuis le Chlef jusqu'à l'empire du Maroc, suivit l'exemple du pacha d'Égypte, dont il avait étudié la politique, et il se constitua le négociant de ses États. Il était défendu aux musulmans de traiter directement avec les chrétiens. Abd-El-Kader ne s'en tint pas là : il s'opposa à ce que les Français puissent visiter Tlemcen, sous prétexte que les Arabes et les juifs n'aimaient pas à voir des étrangers chez eux. Bientôt il forma le projet de s'emparer de deux provinces de l'est et du centre, et constituer un état maure sur les hauts plateaux et de laisser aux Français la côte algérienne. Il prit un moyen détourné pour arriver à son but : il écrivit que, grâce à lui, toute la province d'Oran était maintenant pacifiée, que l'est commençait à s'agiter, mais qu'il engageait les généraux français à ne point s'y rendre, qu'il se chargeait de faire rentrer lui-même les tribus insurgées dans la soumission. Mais le général Voirol refusa ces propositions.

Une secte de fanatiques vint à se révolter contre Abd-El-Kader. Les Français prirent encore parti pour Abd-el-Kader. Cette secte s'était soulevée en prêchant la guerre sainte. D'importants personnages étaient à la tête de la ligue, et entre autres, le frère d'Abd-El-Kader, Sidi Mustapha, ancien caïd des Flittas. L'armée de l'émir parvint à vite matter la révolte. Abd-El-Kader cherchait depuis longtemps à sortir de sa province, un incident lui en donna l'occasion. Un chéliff nommé Hadji Mouça prétendait avoir trouvé le moyen d'empêcher les canons et les fusils des infidèles de partir. Le peuple ajouta foi à ses paroles. Mouça, à la tête d'importantes troupes, s'empara de Médéa et de Miliana, mais Abd-El-Kader l'attaqua et le défit entièrement. L'émir, en passant le Chéliff, avait violé les conventions. Néanmoins, vu le service qu'il venait de rendre, les Français lui laissèrent établir Hadj-el-S'ahit khalifet de Medeah, et réclamer le Yachour (" dîme "). Seulement, le comte d'Erlon, gouverneur général, envoya auprès de l'émir un officier d'état-major chargé de le tenir au courant de toutes les entreprises. L'officier, ne comprenant pas l'arabe, ne faisait guère ombrage à Abd-el-Kader, qui lui donnait facilement le change.

Le remplacement du général Desmichels par le général Trézel fut le commencement des hostilités. Le premier soin du nouveau gouverneur fut de travailler à détacher les tribus les plus puissantes de la cause de l'émir. Les Douayers et les Smela se déclarèrent sujets de la France, sous la condition d'une protection efficace. Le comte d'Erlon refusa de sanctionner cette mesure, et Abd-El-Kader, instruit des dissensions qui existaient entre les généraux, persécuta les tribus soumises : celles-ci s'adressent au général Trézel, qui leur aurait alors répondu : " la parole d'un général français est sâcrée ; dans une heure, je serai au milieu de vous. ".

Et sans hésiter, il sort d'Oran à la tête de deux mille hommes bien armés, le 26 juin 1835. Il livre dans la forêt de Mousa-Ismaël un brillant combat, où le colonel Oudinot trouva la mort. Mais les Français perdirent la bataille et près de 800 hommes dont 15 officiers.

À la fin de 1835, le maréchal Clausel marcha sur Mascara à la tête de onze mille hommes. Le duc d'Orléans se distingua par sa bravoure dans cette expédition. Les troupes de l'émir, battues au Sig, à Abra, à Tafna, à Idbar, se dispersèrent et le laissèrent presque seul.

Le traité de la Tafna

Abd-El-Kader ne tarda pas à se faire de nouveaux partisans et à rappeler à lui les tribus qui l'avaient abandonné. Ayant appris le peu de succès de la première expédition de Constantine menée par les Français, il crut le moment propice pour commencer les hostilités dans la province d'Oran. Il sut bientôt que le général Bugeaud devait marcher contre lui ; mais ce général, éprouvant quelques difficultés dans les moyens de transport, et voulant restreindre les hostilités à la province de Constantine qui allait être le théâtre d'une seconde expédition, fit en 1837 avec l'émir le traité de Tafna, qui sera par la suite source de malentendus. Les critiques experts dirent que cette convention rendait l'émir maître de l'ancienne régence d'Alger, moins la province de Constantine, que dans chacun des articles on le traite d'égal à égal, et on reconnaît sa souveraineté indépendante, que la convention n'a aucune garantie, puisqu'elle repose uniquement sur le caractère moral et religieux d'Abd-el-Kader, etc.

Après l'échange du traité, le général Bugeaud fit proposer une entrevue à l'émir pour le lendemain. Le rendez-vous était à neuf heures du matin, près de Tafna. Le général y fut à neuf heures, accompagné de six bataillons d'infanterie, de dix escadrons de cavalerie et de quelques pièces de campagne. L'émir n'y vint pas à l'heure convenue. Vers deux heures, des cavaliers arabes annoncèrent qu'il avait été malade et marchait lentement. Les Français marchèrent sans défiance plus d'une heure dans le détour d'une gorge étroite, entrecoupée de collines. Enfin le général aperçut l'escorte de l'émir, rangée en bon ordre sur des mamelons épars. La maladie de l'émir était feinte, et le général français avait l'air d'être venu pour lui rendre hommage. Les officiers de l'escorte eurent quelques moments d'hésitation, se croyant dans un guet-apens; Bou-Amedy, chef de la tribu des Oulanahs, qui marchait au milieu d'eux, s'en aperçut et dit au général Bugeaud : " Sois tranquille, n'aie pas peur. — Je n'ai peur de rien, répondit le général, je suis accoutumé à vous voir en face. Seulement je trouve indécent que ton chef m'ait fait venir de si loin et m'ait fait attendre si longtemps. ". L'émir était entouré de 150 à 200 chefs, qu'il précédait de quelques pas, guidant un cheval noir. Dès qu'il fut à portée de voix, le général Bugeaud lance son cheval au galop, et arrive sur l'émir en lui tendant cavalièrement la main ; celui-ci la pressa fortement et lui demanda des nouvelles de sa santé. " Très-bonne, et la tienne ? " répondit le général, qui met pied à terre, engageant Abd-El-Kader à en faire autant. Après quelques minutes d'un entretien insignifiant : " As-tu ordonné, dit-il, de rétablir les relations commerciales à Alger et autour de toutes nos villes ?

Non, je le ferai dès que tu m'auras rendu Tlemcen.

Je ne puis le faire qu'avec l'approbation de mon roi.

Combien faut-il de temps pour avoir cette approbation ?

Il faut trois semaines.

C'est trop long, interrompit Ben-Arrach, lieutenant de l'émir, qui s'était approché : dix à quinze jours suffisent.

Est-ce que tu commandes à la mer ? répliqua Bugeaud.

Nous attendrons jusqu'à ce jour, dit l'émir.

Tu ne fais tort qu'aux tiens, répliqua Bugeaud, en les privant du commerce dont ils ont besoin. Quant à nous, nous pouvons nous en passer, puisque nous recevons par la mer tout ce qui nous est nécessaire. "

Ainsi se serait terminé cette entrevue qui fut sans résultat, car elle avait été sans but.

Par cette convention, la France reconnaissait son autorité sur l'ensemble du beilik de l'Ouest (sauf Oran, Arzew, Mostaganem et Mazagran), sur le beilik du Titteri et sur la province d'Alger (à l'exception d'Alger, de Blida ainsi que de la plaine de la Mitidja et du Sahel algérois). Dans ces territoires, les deux tiers de l'Algérie, Abd El-Kader s'efforce d'organiser un État indépendant et souverain, sur une base religieuse.

Reprise de la guerre avec la France

L'expédition des " Portes de fer ", en pays kabyle

Le 5 mai 1839, il demanda et obtint l'appui du sultan du Maroc, ainsi que la concession du territoire situé entre Oujda et Tafna. Il voulut annexer le Constantinois en y nommant un " khalifa ". En réaction, la France organisa l'expédition des " Portes de Fer " en octobre 1839, expédition qui fut considérée comme une violation du traité de Tafna. À partir de ce moment, la guerre reprit avec violence. Au mois d'octobre, dans l'ouest de la Mitidja, l'émir prend en embuscade le commandant Raffet et une centaine de soldats français ; ces derniers marchent contre lui et reprennent Cherchell, Mildah, Miliana, etc.

Gouvernorat du maréchal Bugeaud

Le tournant de la guerre fut la nomination du maréchal Bugeaud comme gouverneur général de l'Algérie en 1842. Celui-ci changea complètement de tactique de l'armée française, aidée de nombreuses troupes composées d'Algériens : troupes régulières (zouaves et spahis) et corps irréguliers : les goums). Il harcela les troupes d'Abd El-Kader, en cherchant à les couper de leur base. L'émir fut refoulé sur les hauts plateaux steppiques avec sa smala, capitale ambulante estimée à 30 000 personnes. Abd El-Kader essuya un grave revers le 16 mai 1843, avec la prise de la smala par le duc d'Aumale dans la région de Boghar. Il rassembla le reste de ses troupes, sous le nom de déïra, et se tourna vers le sultan du Maroc. Celui-ci, qui avait des visées sur l'ouest algérien, intervint mais fut défait à la bataille de l'Isly (oued près d'Oujda) le 14 août 1844. Dans le traité de Tanger du 10 septembre 1844, il fut convenu qu'Abd-el-Kader serait mis hors la loi aussi bien en Algérie que dans le Maroc. Il délimita en outre la frontière entre les deux pays. Les Français n'avaient pas oublié le guet-apens de Sidi-Brahim, où leurs soldats, commandés par le colonel Montagnac, furent égorgés sans pitié par les troupes de l'émir.

En 1845, beaucoup de tribus des hauts-plateaux s'étaient soumises aux Français. L'Émir tenta de les réprimer ; le Goum des Ouled Nail, sous le commandement de Si Chérif Bel Lahrech qu'Abd el-kader avait nommé khalifa, prit part à ces opérations. Cherchant des alliances, il alla ensuite en Kabylie, nouveau bastion de la résistance à l'armée française, où il participa à deux combats contre les Français en février 1846. L'Émir sillonna ensuite la région de Djelfa, plus au sud, poursuivi par les Français, mais aidé par la population. Des combats eurent lieu à Ain Kahla, à Zenina et à l'oued Boukahil. Abd El-Kader tenta de relancer la révolte en 1847, mais échouant finalement à rallier les tribus kabyles pour faire cause commune, il dut se réfugier au Maroc. Le général de Lamoricière apprit qu'Abd-El-Kader, refusant de se rendre au sultan du Maroc, s'était entendu avec ses principaux officiers, les fonctionnaires de la cour de Fès, pour tenter une dernière fois la fortune. Le 13 septembre, un ex-brigadier du 2° chasseurs d'Afrique qui s'était échappé de la Deïra, accourut annoncer au général que l'émir voulait livrer encore un combat avant de se retirer vers le Sud avec ceux qui voudront l'y suivre.

La défaite

Échappant aux troupes du Sultan marocain, le 21 décembre 1847, les troupes de l'émir passe la rivière Kiss et entre sur le territoire de l'ex-régence. Abd-el-Kader, seul à cheval, est en tête de l'émigration ; le général Lamoricière, prévenu à temps, ordonne à deux détachements de vingt spahis choisis, revêtus de burnous blancs et commandés par les lieutenants Bou-Krauïa et Brahim, de garder le passage que devait prendre l'émir. Pour parer à tout événement, il fait prendre les armes à sa colonne et se porte sur la frontière ; il avait à peine fait une lieue et demie que des cavaliers envoyés par Bou-Krauïa le prévinrent qu'il était en présence d'Abd-el-Kader. On vole aussitôt à son secours. Au bout de quelques instants, il rencontre Bou-Krauïa lui-même avec des hommes dévoués à Abd-el-Kader, chargés de porter sa soumission au général Lamoricière. L'émir avait remis à Bou-Krauïa une feuille de papier sur laquelle il n'avait fait qu'apposer son cachet, car le vent, la pluie et la nuit l'avaient empêché d'y rien écrire. Abd-el-Kader demandait une lettre d'aman ("assurances") pour lui et ceux qui l'accompagnaient. Le général ne pouvait, pour les mêmes causes, répondre à l'émir, mais il remit aux envoyés son sabre et le cachet du commandant Bazaïin, en leur donnant verbalement la promesse de l'aman le plus solennel. Abd-el-Kader renvoya ses deux officiers et le lieutenant Bou-Krauïa avec une lettre dans laquelle il demandait la condition qu'il serait conduit à Alexandrie ou à Saint-Jean-d'Acre. Le général Lamoricière y consentit par écrit.

Le 24 décembre, Abd-el-Kader fut reçu par les généraux Lamoricière et Cavaignac et le colonel Montauban, au marabout de Sidi-Brahim, théâtre de ses triomphes. On l'amena ensuite à Nemours (Dgemma-Ghazouat) devant le duc d'Aumale qui l'y attendait. Le prince ratifia la parole donnée par le général Lamoricière, en exprimant l'espoir que le roi lui donnerait sa sanction. Le gouverneur général annonça à l'émir qu'il le ferait embarquer le lendemain pour Oran, avec sa famille ; il s'y soumit sans émotion et sans répugnance. Avant de quitter le prince, Abd-el-Kader lui envoya un cheval de soumission, pour consacrer sa vassalité et sa reddition.

Prisonnier en France

L'émir demanda avec insistance la faveur de quitter Oran le plus tôt possible. On lui offrit de partir immédiatement sur la frégate à vapeur l'Asmodée, ce qu'il accepta. Le navire quitta Oran en emportant l'émir et sa suite, composée de 61 hommes, de 21 femmes et de 15 enfants des deux sexes, en tout 97 personnes. On y remarquait sa vieille mère, deux de ses beaux-frères, ses trois femmes et ses deux fils, dont le plus jeune avait huit ans. La traversée fut mauvaise et les captifs furent très fatigués. Arrivé à Toulon, Abd-el-Kader fut déposé au Lazaret, puis transféré au fort Lamalgue, puis au château de Pau où il séjourna jusqu'au 3 novembre 1848 et qu'il quitta ensuite pour le château d'Amboise. Son séjour à Pau a laissé aux palois un grand souvenir et lui-même a exprimé des regrets en quittant cette ville. Dans la diligence qui le conduit de Sète en Béarn, l'émir a ces mots pathétiques : " Je vois ces plaines verdoyantes, ces vergers, ces forêts, ces fleuves et ces rivières ; tant d'abondance ! Quel besoin ont les Français d'occuper mon Pays, de sable et de rochers ? "[5]. Durant toute sa captivité à Pau, du 29 avril au 3 novembre 1848, le grand guerrier ne bougera pas de ses appartements d'un château fraîchement rénové, refusant la promenade et ne quittant sa chère Smala que le soir pour aller dormir dans le donjon Fébus. " Je suis en deuil et un Arabe en deuil ne quitte pas sa tente ; je suis en deuil de ma Liberté, je ne quitterai donc pas ma chambre ".

L'image romanesque du grand chef vaincu, du patriote inflexible, attire les curieux en quête d'un frisson romanesque. À Pau, Abd el-Kader ne refuse pas les visites, bien au contraire. Au cours de ces entretiens, il ne cesse de rappeler à la France son manque de parole et d'en souligner la gravité. Très vite, l'image du chef de guerre exotique cède le pas à celle d'un hôte aimé, révéré. Au moment de partir pour Amboise, l'émir se retourne et déclare : " En quittant Pau, je laisse un morceau de mon cœur ". La parole de la France n'est pas tenue par les régimes et les gouvernements successifs. L'émir est retenu en captivité pendant cinq années. Dès son accession à la Présidence de la République, Louis-Napoléon Bonaparte songe à le libérer. En janvier 1849 il organise une réunion au Palais de Saint-Cloud, le maréchal Bugeaud est présent, mais les difficultés du nouveau président avec la Chambre et son Ministre de la Guerre lui font remettre à plus tard ce qu'il considère comme une affaire d'honneur.

La libération

 

Abd-El-Kadir à Damas, portant le grand cordon de la Légion d'Honneur, 1860.

Ce n'est que le 16 octobre 1852, au retour d'une tournée en France que le futur Napoléon III vient annoncer solennellement sa liberté à l'émir. Après avoir fait serment, de sa propre initiative, de ne plus perturber les opérations françaises en Algérie (décembre 1852), il part pour Brousse puis Damas. Il enseigne la théologie à la mosquée des Omeyyades. En juillet 1860, les troubles confessionnels du Mont Liban se sont étendues à Damas. Des musulmans et des druzes attaquent les quartiers chrétiens, tuant plus de trois mille habitants. L'émir intervient pour arrêter le massacre et protège au péril de sa vie la communauté des quinze mille chrétiens de Damas et les Européens qui y vivaient, grâce à son influence auprès des dignitaires de la ville. Il reçut la grand-croix de la Légion d'honneur et d'autres marques de reconnaissance venant du monde entier (notamment du Pape, du Tsar de Russie, etc.). En 1869, il participa aux festivités de l'inauguration du canal de Suez aux côtés de l'impératrice Eugénie.

Il consacre le reste de sa vie à des œuvres de bienfaisances, à l'étude des textes scientifiques et sacrés et à la méditation jusqu'à sa mort à Damas.Il respecta toujours la parole qu'il vait donné de ne pas revenir en Algérie. Son fils et surtout son petit-fils, l'Emir Khaled revint en Algérie.L'Emir Khaled fit une carriére de soldat français , mais eu ensuite une carriére politique et milita activement, parmi les premiers, pour l'indépendance de son pays. Les cendres d'Abdelkader furent récupérées en 1965 et se trouvent aujourd'hui au cimetière d'El-Alia à Alger. Ce transfert des cendres a Alger a été discuté, car Abd el-Kader avait clairement souhaité être inhumé a Damas auprès de son maître Ibn Arabi[6].

Un personnage complexe

Abd El-Kader est également le concepteur de la capitale mobile : la Smala. Pour la France coloniale de l'époque, il était le modèle de " l'indigène " éclairé et cultivé. Pour l'avoir combattu avec honneur, il fut respecté même par ses propres ennemis. C'était, de la part de la France, reconnaître l'ouverture d'esprit et la profonde humanité de l'homme d'honneur qu'il a été durant toute sa vie. Il a échangé une très prolifique correspondance avec des Français, dont la contribution apporté au livre du Général Daumas sur le cheval. Il faut citer également les relations et les entretiens qu'il eut avec Monseigneur Dupuch, évêque d'Alger{L'étude de la relation entre l'Émir et Monseigneur Dupuch est extrêmement intéressante et montre un esprit ouvert et tolérant dans une époque pourtant difficile. Il convient de citer ici le roman publié par un écrivain algérien, Waciny Laredj: Le livre de l'Émir aux éditions Actes Sud en2006 qui prend appui sur cette relation. On rappellera que Monseigneur Dupuch lui rendit visite lors de son emprisonnement à Pau et à Amboise et fit de nombreuses démarches pour le faire libérer, conformément aux engagements de la France.;{ref nécessaire}} Il se pose aussi la question de son appartenance à la franc-maçonnerie.Il semble , en effet, qu'il ait adhéré à la loge Henri IV du Grand Orient. Il existe, en effet, un échange de correspondance qui paraissent établir cette adhésion.(voir sur ce point les annexes du petit livre publié par Bruno Etienne et François Pouillon:" Abdelkader:le Magnanime." Gallimard Découvertes.2003. Certains algériens contestent le fait et estime que les lettres de l'Émir doivent s'analyser comme l'expression de la curiosité intellectuelle de l'Émir, mais pas comme la preuve d'une adhésion. Malgré ses contradictions, l'" Ami des Français ", comme aimaient à le qualifier les Européens, est aussi considéré en Algérie comme le père de la nation, le héros qui ne s'est rendu que pour préserver les Algériens d'un combat inégal et perdu d'avance. En Algérie, depuis quelques années, la figure du héros national s'est enrichie et les Algériens, grâce à toute une littérature mystique découvrent la dimension soufie du résistant à la conquête française.

Il est aussi et surtout l'un des plus grands mystiques du XIXe siècle, qui a laissé un ouvrage d'une profondeur rare sur son propre cheminement intérieur : le livre des Haltes, Qitab al-Mawaqif. René Guénon reconnaîtra en lui bien plus qu'un simple chef de guerre, mû par des principes d'un tout autre ordre, et un personnage d'une éminente stature akbarienne dans l'ordre du Tacawuff.

Source partielle

" Abd El-Kader ", dans Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, 1852 [détail édition](Wikisource)

Bibliographie

 

ABD EL-KADER[7]

(Mascara, 6 septembre 1808 - Damas, 26 mai 1883)

Par Marc Nadaux

Peinture d’Hocine Ziani, huile sur toile, 100 x 81 cm, 1984,  collection du Musée Central de l'Armée, Alger.

Abd el-Qadir Nasr-Ed-Din naît le 6 septembre 1808, dans la région de Mascara, à la Guetna de l'oued al-Hammam. Il est le quatrième fils de Zohra bint Sidi Omar Doukha et d'Abd el-Kader Mehi-Ed-Din. Ce dernier, qui est le moqaddem de la confrérie soufie des Qadiriyya, un chef religieux donc, destine l’enfant à lui succéder. Aussi Abd el-Kader reçoit une éducation religieuse, à Arzew en 1822, puis à Oran dans l'école de Si Ahmad ben Khodia, un grand intellectuel. A l'âge de quinze ans, il se marie à sa cousine, Leila Kheira bint Abu Taleb. Avec son père, le jeune musulman effectue en 1828 un pèlerinage à La Mecque, en Arabie, marqué également par un séjour à Damas, Bagdad et Jérusalem.

A leur retour, ils doivent faire face aux troupes françaises. En 1830, Abd el-Kader succède à son père à la tête des tribus de la région d'Oran et de Mascara et s’engage dans la lutte armée face à l’occupant. Le chef de guerre refuse de s’allier avec le bey d’Oran, qui est aussi le symbole de l'autorité turque, et reconnaît l’autorité du sultan du Maroc. Déçu par celui-ci, Mehi-Ed-Din proclame la Djihad, la guerre sainte, contre les Français, avant qu’une assemblée des tribus, le 22 novembre 1832, ne proclame son fils sultan. Abd el-Kader, qui préfère le titre d'émir, ambitionne dès lors de créer un État algérien. Alors que son prestige grandi, le général Desmichels accepte de traiter et de conclure avec lui un accord de paix, le 26 février 1834. Celui-ci devait permettre aux Français d’établir un protectorat sur le beylik d'Oran, après qu’Abd el-Kader eut fédéré les tribus rebelles sous son commandement. Aussi reçoit-il le titre de Commandeurs des Croyants.

Les hostilités reprennent rapidement cependant, le général Desmichels étant remplacé par le général Trézel. Abd el-Kader et ses troupes remportent une victoire face aux Français à la Macta, le 28 juin 1835. Ceux-ci mènent une contre-offensive et s’emparent en décembre de Mascara et de Tlemcen. L’année suivante, le général Bugeaud est nommé en Algérie. Le 6 juillet 1836, il remporte au bord de la Sikkak une importante victoire sur les hommes de l'émir. Le gouverneur général, le général Clauzel décide alors d’une expédition vers l’Est, sur Constantine. L'échec de l'entreprise décide de son remplacement par le général Damrémont. Rappelé en Algérie, Bugeaud négocie avec Abd el-Kader et signe le traité de la Tafna, le 20 mai 1837. Dans les mois qui suivent, si les Français s’emparent de Constantine, le 13 octobre 1837, l’émir en profite pour se donner une armée régulière de 10.000 hommes et pour organiser en huit califaliks son territoire.

Au mois d’octobre 1839, le nouveau gouverneur, Valée, décide d’une nouvelle expédition, sur Hamza cette fois-ci. Considérant l’offensive comme une violation du traité, Abd el-Kader et ses soldats gagnent la plaine de la Mitidja et y ruinent les établissements français. Nommé gouverneur général de l'Algérie, le 29 décembre 1840, le général Bugeaud décide d’une nouvelle stratégie face à l’émir, la guerre totale. Les Français s’en prennent en effet aux alliés d’Abd el-Kader, aux populations qui le soutiennent en confisquant les troupeaux, en détruisant les récoltes et les silos à grains. Sur le plan militaire, les effectifs des troupes présentes en Algérie sont renforcés et réorganisés. Afin de leur donner une plus grande mobilité, sont créées des colonnes de 6 à 7.000 hommes, à l’équipement allégé. Abd el-Kader est prêt lui aussi à soutenir un effort de guerre. Son administration lève l’impôt, frappe une monnaie - le boudiou -, tandis que sont installées des fabriques d’armes.

Après l’incendie de Tagdempt, la cité dont il a fait sa capitale, les villes sous l’autorité Abd el-Kader tombent aux mains des Français. Celui-ci est contraint à la mobilité, ses troupes renouant ainsi avec leur ancienne tradition de nomadisme. Son camp, la smala, dont la défense est assurée par des cercles concentriques de combattants, comptera 20 à 30.000 occupants. Le 16 mai 1843, les troupes du duc d'Aumale, le cinquième fils du roi Louis-Philippe, s’en emparent près du puits de Taguine, au Sud-Ouest de Bouge. L’année suivante, le 14 août, Bugeaud, devenu maréchal, remporte la bataille de l'Isly face aux Marocains. Abd el-Kader ne peut dès lors plus compter sur l’aide d’Abd er-Rahman, qui signe le traité de Tanger, le 10 septembre 1844, avec les autorités françaises. Réduit à opérer par coups de mains, le sultan algérien se rend le 23 décembre 1847 au duc d'Aumale, devenu gouverneur de l'Algérie, et au général Lamoricière, après trois années d’une lutte de guérillas.

Malgré la promesse qui lui est faite d’une captivité en terre d’Islam, Abd el-Kader arrive à Toulon, le 10 janvier 1848, en compagnie de sa famille. Il demeurera près de cinq années prisonnier en France, de janvier 1848 à septembre 1852. Après trois mois passés au fort Lamalgue, à Toulon, l’émir est transféré au château d'Henri IV à Pau, avant d’être installé au mois de novembre 1848 à Amboise. Là, il reçoit le 16 octobre 1852 la visite de Napoléon III, qui l’invite à Paris. L’hôte de l’Empereur des Français, après un séjour dans la capitale, gagne Marseille au cours d’un voyage triomphal, d’où il s’embarque pour la Turquie, le 21 décembre 1852. 

A Istanbul, le 7 janvier 1853, Abd el-Kader se rend ensuite à Bursa, au sud de la mer de Marmara. Il y résidera deux années, grâce notamment, à une pension de 150.000 F. versée par le gouvernement français. Après la destruction de la ville par un tremblement de Terre et une visite à Paris lors de l'exposition universelle de 1855, Abd el-Kader s’établit à Damas en novembre 1855, se rapprochant ainsi des Lieux Saints de l'Islam. Toujours aussi influent aux seins des populations musulmanes, il tente de protéger les Chrétiens maronites persécutés par les Druzes de Syrie, en juillet 1860. Ceux-ci ne sont-ils pas des dhimmi, que tout croyant doit respecter. En remerciement, Napoléon III lui décerne peu après la Légion d'Honneur.

Grand connaisseur de la civilisation européenne, Abd el-Kader entretient une correspondance avec les journaux français et anglais. Ceci lui vaut une grande popularité. En 1864, il est initié à la franc-maçonnerie par le Grand Orient de France, avant d’entamer son second pèlerinage à La Mecque. Abd el-Kader figure parmi les invités officiels de la France lors de l’inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869. Après la chute du Second Empire et la défaite de la France en 1870 face aux armées prussiennes, suivies de la révolte en 1872 en Kabylie et dans les Aurès, sévèrement réprimée, Abd el-Kader se retire de la vie publique et politique. Il se consacre désormais à la méditation et à la publication d’œuvres pieuses.

Abd el-Kader décède à Damas, le 26 mai 1883.

Abd el-Kader, lâché par le sultan du Maroc, est contraint de négocier. L'émir se rendra au général Lamoricière.

 

 

Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850 (Mullié)

 

C. Mullié

 

ABD-EL-KADER[8]

Fils de Sidi-Mahi-el-Diri, célèbre marabout, et de Zora, la seule femme savante de toute la contrée. — Il naquit à la Zaayah, ou école religieuse de la Guyathnali (les Tentes), à quatre lieues de Mascara, à gauche de la route qui va d'Oran à cette ville. La date la plus probable de sa naissance est le 6 mai 1807.

Issu d'une famille de marabouts (saints) de la tribu des Hachem-Rh'erïce, située dans les environs de Mascara. Le nom entier de l'ex-émir est : Hadj Abd-el-Kader Oulid Sidi-el-Hadj Mahirel-Din ben Sidi Kadah ben Sidi-el-Mokiar ; ce qui signifie : Pèlerin serviteur du Tout-Puissant, fils du Seigneur Pèlerin qui vérifie la religion, fils du Seigneur Repos, fils du Seigneur le Choisi. Abd-el-Kader était à peine âgé de huit ans que son père l'emmena avec lui dans un voyage qu'il fit à la Mecque. A leur retour, Achmed-Bilhar, homme lettré et frère de Mahi-el-Din, prit chez lui le jeune pèlerin et se chargea de son éducation, qui consista dans l'étude du Koran, les principes des sciences physiques et morales, de la géométrie et de l'astronomie, la gymnastique, l'exercice du cheval et le maniement des armes.

Mahi-el-Din envoya ensuite son fils à Oran, chez Sidi-Achmed-ben-Kodja, qui le garda dix-huit mois et lui enseigna la politique.

Pendant ce temps, Mahi-el-Din raconta aux chefs des tribus voisines, des visions surnaturelles qu'il avait eues pendant son voyage à la Mecque et depuis son retour, touchant l'avènement de son fils. Ses prédictions obtinrent l'effet qu'il désirait : il avait conquis à sa cause de nombreux partisans, et les idées de réforme qu'il avait semées étaient prêtes à porter leurs fruits. Pensant que le moment d'agir était venu, il rappela son fils et le présenta aux Arabes comme le libérateur. Le bruit de cette conspiration s'étant répandu à Oran, le bey Hassan, turc d'origine, et gouverneur de la province, fit mettre en prison le vieux Mahi-el-Din. Celui-ci ayant su intéresser la femme du bey en sa faveur, par l'entremise des amis qu'il avait à Oran, obtint sa liberté à condition qu'il s'exilerait.

Mahi-el-Din fit une seconde fois le voyage de la Mecque avec son fils. C'était en 1820, le capitaine Jovas, commandant le Castor, brick du commerce français, prit à son bord le père et le fils, avec un certain nombre d'aspirants au titre de hadj, et les transporta à Alexandrie.

Mahi-el-Din et son fils, après avoir visité la Mecque et Médine, allèrent faire leurs dévotions à Bagdad, au tombeau du célèbre marabout Sidi Abd-el-Kader-el-Djelali, qui a des chapelles (koubbah) par toute l'Algérie et notamment à Alger. Ils recueillirent précieusement tout ce qui pouvait intéresser les populations du désert, et à leur retour ils racontèrent de vieilles légendes, d'anciennes prophéties, qui annonçaient qu'Abd-el-Kader deviendrait un jour le sultan des Arabes. Pendant son séjour en Égypte, Abd-el-Kader avait été frappé des changements que Méhémet-Ali venait de faire subir à son armée et des améliorations apportées dans l'administration de ses états; il se sentit un immense désir de le prendre pour modèle, et son père l'encouragea dans ses idées. Réfugiés tous deux dans leurs tentes, ils passaient leurs journées en prières. La vénération qu'ils s'étaient acquise avait tellement grandi, que les Arabes arrivaient en foule au Douar des Hachem, apportant comme offrandes du grain, du bétail, des chevaux, de l'or, de l'argent et des armes. C'est de cette époque que datent les nombreuses richesses d'Abd-el-Kader et sa haute influence sur toute la contrée.

Hassan-Bey, voulant mettre enfin un terme à ces menées révolutionnaires, prononça la peine de mort contre le père d'Abd-el-Kader ; mais il était trop tard.

La prise d'Alger par les Français venait de porter un coup terrible à l'empire des Deys et à la domination turque. Le vieux marabout déchira le voile qu'il n'avait fait qu'entr'ouvrir et se mit à prêcher la guerre sainte. Des milliers d'Arabes accoururent et se rangèrent sous ses ordres ; on vit bientôt le puissant gouverneur d'Oran, Hassan, réduit à demander asile à celui dont il avait mis la tête à prix. Le marabout allait lui offrir l'hospitalité et ses services; mais Abd-el-Kader s'y opposa énergiquement, et le bey d'Oran dût se rendre quelques jours après à nos troupes. Mahi-el-Din , choisi comme chef de l'insurrection arabe, marcha avec ses troupes contre la garnison turque de Mascara , et la massacra sans pitié ; plus tard il nous combattit sous les murs d'Oran, et y déploya un grand courage. Le jeune Abd-el-Kader s'y distingua particulièrement ; il semblait être à l'abri des balles et des boulets; il eut deux chevaux tués sous lui. Le burnous blanc qu'il y portait, et qui y fut rougi du sang des siens, a été conservé comme une relique.

Depuis la prise d'Alger, le parti arabe semblait avoir recouvré sa liberté, mais il était pour ainsi dire sans chef : Mahi-el-Din, tout influent qu'il était, n'était pas souverain. Quelques tribus ne lui obéissaient pas. D'un autre côté les Arabes voyaient avec inquiétude la conquête française s'étendre. La soumission d'Ibrahim, bey de Mostaganem, acheva de les décourager ; il y eut une assemblée générale des chefs de tribus pour procéder à l'élection du sultan des Arabes. Le rendez-vous eut lieu dans la plaine d'E-ghris, dans un lieu nommé Ersebia. Il fut question de nommer Mahi-el-Din ; mais celui-ci leur dit que le marabout Sidi-el-Arrach était plus digne que lui d'un si grand honneur. Le conseil se retira pour se réunir le lendemain. Ce jour-là, on vit arriver Sidi- el-Arrach : Frères, dit-il, en élevant les mains vers le Ciel, cette nuit, le célèbre marabout Mahi Abd-el-Kader m'est apparu au milieu de sa gloire, et m'a dit : "Sidi-el-Arrach , retiens bien ces paroles d'où dépend le salut de notre race. Je ne connais qu'un seul homme qui, par ses vertus, son courage et son intelligence-, soit digne de commander aux Arabes : c'est Abd-el-Kader, troisième fils de Mahi-el-Din. Je t'ordonne donc de répéter demain au conseil ce que tu viens d'entendre. Allah et son prophète s'intéressent à la cause de ses enfants et veulent qu'elle triomphe."

Mahi-el-Din intervint alors et ajouta : "J'ai entendu les mêmes paroles que Sidi-el-Arrach, et j'ai reçu les mêmes ordres, mais je mourrai dans l'année qui suivra l'avènement de mon fils. Telle est la prophétie de mon aïeul."

Le titre de sultan fut alors accordé à Abd-el-Kader, les chefs s'inclinèrent et lui présentèrent le burnous violet. Ceci se passait en l'an de l'hégire 1248, de l'ère vulgaire 1832, 28 septembre. Le nouveau sultan se mit à prêcher la guerre sainte, et il réunit autour de lui une foule d'hommes braves et dévoués. Après que l'affaire de la Macta eut consolidé sa puissance, il songea à se créer une force militaire permanente, déploya une grande habileté, et fit preuve d'une rare observation. Voyant notre armée composée en grande partie d'infanterie, il se forma un corps de cavalerie qui pût attaquer, poursuivre ou éviter un combat inégal. Ce premier corps ne montait d'abord qu'à 400 hommes qui rendirent de grands services au sultan. Pour entretenir des bataillons réguliers, il mit des taxes sur les marchandises, il leva des impôts; puis fit bâtir des magasins de vivres, d'armes et de munitions.

Lorsqu'il commença à nous faire la guerre dans l'ouest de l'Algérie, le général Desmichels était gouverneur de la province d'Oran ; comme son prédécesseur, il était indépendant du général en chef. Il crut pouvoir traiter les Arabes comme un peuple intelligent, et devant se laisser influencer par notre supériorité. Il se trompait; au mois de mai 1833 il battit plusieurs fois Abd-el-Kader, et s'empara de Mostaganem. L'émir, indigné de voir les Musulmans venir approvisionner nos marchés, fit enlever le chef d'Arzew qui venait de se soumettre, et le conduisit à Mascara où il fut étranglé. Au mois d'octobre de la même année ses troupes attaquèrent l'escorte de la commission d'Afrique, forte de 1.800 hommes, mais il fut battu près de Aïn-el-Bidha.

Abd-el-Kader, à la mort de son père (1333), se retira quelque temps à Mascara, puis revint se mettre à la tête de ses troupes, fit bloquer la ville d'Oran par la tribu des Rharaba et couper toute communication avec Mostaganem par celle des Hachem. La tactique réussit, les arrivages cessèrent sur nos marchés. Les tribus soumises cherchèrent à se détacher de nous. Abd-el-Kader, profitant de l'état des esprits, nous tendit un piége dans lequel quatre des nôtres furent faits prisonniers et un cinquième tué. Le général Desmichels lui écrivit pour réclamer les soldats victimes d'une trahison infâme, mais Abd-el-Kader refusa de les rendre et termina sa réponse par un défi.

Le général Desmichels ne fit pas longtemps attendre la réponse. L'affaire de Tamezouat n'avait pas encore intimidé les Arabes. On avait, après le combat, renvoyé les femmes et les enfants des douars qui étaient tombés en notre pouvoir ; et les indigènes, ne comprenant nullement le motif de cette mesure, pensaient que nous avions agi, non pas avec générosité, mais avec faiblesse.

Lorsque, après cette sortie, les marchés d'Oran se furent un peu approvisionnés, le général Desmichels écrivit de nouveau à Abd-el-Kader pour lui demander une entrevue. L'émir n'eut garde de se présenter lui-même, il se croyait trop au-dessus de nos généraux par sa position souveraine : il n'a daigné accorder cette faveur qu'au maréchal Bugeaud, à M. de Lamoricière et à M. le duc d'Aumale.

A la lettre du général Desmichels il répondit que sa religion lui défendait de demander la paix, mais qu'elle lui permettait de l'accepter si elle lui était proposée. Abd-el-Kader sentait alors le besoin de cesser les hostilités contre nous, et malgré le léger revers, que nous éprouvâmes près d'Oran, dans un lieu nommé Das-el-Bidah (la Maison blanche), il continua les négociations entamées, en engageant son Aga, Mouloud-bcn-Arrach et le Caïd Ouled-Mahmoud, pour s'entendre en dehors d'Oran, avec le juif Mandoukaï-Amar, sur les bases du traité de paix qui allait être passé entre la France et les Arabes. Abd-el-Kader insistait pour avoir Mostaganem, mais se voyant refuser sur ce point, il demanda Arzew, où il parvint à établir de fait son autorité sans en avoir obtenu le droit. Lorsqu'il fut question de rédiger ce traité, on vit combien la diplomatie arabe est supérieure à la nôtre. Nous commencions par reconnaître comme prince légitime un marabout qui n'était qu'usurpateur. Nous eûmes à nous en repentir plus tard.

On était d'accord sur les trois dispositions suivantes du traité : 1° soumission des Arabes à la France ; 2° liberté du commerce pleine et entière ; 3° remise immédiate des prisonniers. Lorsque les envoyés d'Abd-el-Kader s'occupèrent de la rédaction de cet acte important, conjointement avec les principaux chefs civils & militaires de la province, on y fit régner une telle obscurité, on négligea des points d'une si haute importance, tels, entre autres, que la délimitation du sol administré par Abd-el-Kader, enfin les envoyés de l'émir déployèrent tant de ruse et d'habileté, que les conditions principales posées par nous étaient comme annulées, et que ce traité, que nous leur imposions , semblait être plus favorable aux Arabes qu'à nous.

Ce traité fut signé le 24 février 1834. Abd-el-Kader, satisfait, croyait son repos assuré, lorsque de nouveaux ennemis vinrent l'attaquer dans sa retraite.

Mustapha-ben-Ismael, chef des douars, et qui avait été Aga avant la conquête, ne pouvait se résoudre à se soumettre à un usurpateur, ou, comme il disait, à un pâtre, fils de pâtre. Un autre chef, qui menait depuis longtemps une vie de brigandage, Kadour-ben-el-Morfy, placé à la tête des Bordja, ne pouvant s'accoutumer à la paix qui allait régner dans le pays, se réunit à Mustapha pour soulever les Beni-Amer, une des plus populeuses tribus de la province. Les Arabes de cette tribu se refusèrent à payer l'achour, alléguant que la cessation de la guerre rendait cet impôt inutile, et qu'ils ne reconnaissaient pas pour leurs maîtres les infidèles et leurs alliés. Les Douayers et les Zmelas, tribus accoutumées à vivre de pillage, se joignirent aux Beni-Amer et commencèrent les hostilités.

Abd-el-Kader rassemble au plus vite ses cavaliers dans les environs de Mascara, marche contre l'ennemi et surprend plusieurs villes laissées sans défense. Mais il eut l'imprudence d'établir son camp sur la lisière de la forêt de Zétoul, dans le pays des rebelles. Au milieu de la nuit, les Douayers mirent en fuite une partie de ses troupes, enlevèrent son camp au galop, et le forcèrent à rentrer presque seul à Mascara.

A cette nouvelle, Sidi-el-Arubi leva l'étendard de la révolte, les autres chefs des mécontents imitèrent son exemple, et Abd-el-Kader se vit entouré d'ennemis.

Au lieu de profiter de ces divisions qui commençaient à naître parmi les Arabes, et tirer parti du coup terrible qui venait d'être porté à l'émir, par les Beni-Amer, nous intervînmes si maladroitement que nous rendîmes Abd-el-Kader plus puissant après cet échec qu'il ne l'était auparavant.

Mustapha-ben-Ismaè'l et Kadoïuvben-el-Morfy , instigateurs de la révolte, avaient écrit aux généraux Voirol et Desmichels qu'ils s'engageaient au nom des tribus insurgées à se reconnaître sujets de la France, à renverser Abd-el-Kader et à amener la soumission des troupes de l'émir. Mais le général Desmichels, au lieu d'accepter cette proposition, prit Abd-el-Kader sous sa protection. Celui-ci se voyant soutenu par nous et maître de la province d'Oran, c'est-à-dire de cette immense contrée qui s'étend depuis le Chéliff jusqu'à l'empire de Maroc, suivit l'exemple du pacha d'Égypte, dont il avait étudié la politique, et il se constitua Je négociant de ses États. On apprit qu'un Maure, placé par lui à Arzew, était chargé de lever les taxes sur le blé, l'orge et le sel qui étaient vendus à des taux exorbitants. Il prenait d'abord le droit de son maître, le sien, celui de son khpdjah, et enfin celui de son mesureur. Il était défendu aux Arabes de traiter directement avec les Européens, et Ui libre concurrencé était interdite sur les marchés.

Abd-el-Kader ne s'en tint pas là : il s'opposa à ce que nous allassions visiter Tlemcen, sous prétexte que les Arabes, n'aimaient pas à voir des étrangers chez eux.

Bientôt il forma le projet de s'emparer de deux provinces de l'est et du centre et de nous chasser du sol algérien. Il prit un moyen détourné pour arriver à son but : il écrivit que, grâce à lui, toute la province d'Oran était maintenant tranquille, que l'est commençait à s'agiter ; mais qu'il engageait les généraux français à ne point s'y rendre, qu'il se chargeait de faire rentrer lui-même les tribus insurgées dans la soumission. Le général Voirol ne se laissa pas prendre à ces astucieuses propositions. Il refusa net le concours que l'émir lui offrait.

Une secte de fanatiques vint à se révolter contre Abd-el-Kader. Au lieu de favoriser les révoltés, on prit encore parti contre eux pour Abd-el-Kader.

Cette secte s'était soulevée en prêchant la guerre sainte. D'importants personnages étaient à la tête de la ligue, et entre autres, le frère d'Abd-el-Kader, Sidi-Mustapha, ancien kaïd des Flittas. Grâce à l'énergie de l'émir, grâce surtout à l'appui des Français, cette révolte fut bientôt complètement écrasée, anéantie.

Abd-el-Kader cherchait depuis longtemps à sortir de sa province, un incident lui en donna l'occasion. Un chéliff, nommé Hadji-Mouça, prétendait avoir trouvé le moyen d'empêcher les canons et les fusils des infidèles de partir. Le peuple ajouta foi à ses paroles. Mouça, à la tête des fanatiques, s'empara de Medeah et de Milianah, mais Abd-el-Kader l'attaqua et le défit entièrement. Il lui prit 200 hommes, 95 femmes, et il coupa 50 têtes qu'il envoya à Mascara.

L'émir, en passant le Chéliff, avait violé les conventions. Néanmoins, vu le service qu'il venait de rendre, on lui, laissa établir Hadj-el-S'ahit kalifat de Medeah, et réclamer Yachour (dîme). Seulement, le comte d'Erlon, gouverneur général, envoya auprès de l'émir un officier d'état-major chargé de le tenir au courant de toutes les entreprises. L'officier ne sachant pas un mot d'arabe, ne faisait guère ombrage à Abd-el-Kader, qui lui donnait facilement le change.

Le remplacement du général Desmichels par le général Trézel fut le commencement des hostilités. Le premier soin du nouveau gouverneur fut de travailler à détacher les tribus les plus puissantes de la cause de l'émir. Les Douayers et les Smela se déclarèrent sujets de la France, sous la condition d'une protection efficace. Le comte d'Erlon refusa de sanctionner cette mesure, et Abd-el-Kader, instruit des dissentiments qui existaient entre les généraux, persécuta les tribus soumises : celles-ci s'adressent au général Trézel, qui leur répond : " la parole d'un général français est sacrée ; dans une heure, je serai au milieu de vous. "

Et sans hésiter, il sort d'Oran à la tête d'une armée, malheureusement trop faible, le 26 juin 1835. Il livre dans la forêt de Mousa-Ismaël un brillant combat, où le colonel Oudinot trouva une mort glorieuse. Pendant plusieurs jours une colonne de deux mille et quelques cents hommes luttèrent contre quinze mille Arabes. Nous perdîmes près de 800 hommes dont 15 officiers. Dans aucun combat l'émir n'avait perdu autant de monde.

A la fin de 1835, le maréchal Clausel marcha sur Mascara à la tête de onze mille hommes. Le duc d'Orléans se distingua par sa bravoure dans cette expédition. Les troupes de l'émir, battues au Sig, à l'Abra, à la Tafna, à Idbar, se dispersèrent et le laissèrent presque seul.

Abd-el-Kader ne tarda pas à se faire de nouveaux partisans et à rappeler à lui les tribus qui l'avaient abandonné. Ayant appris le peu de succès de notre première expédition de Constantine, il crut le moment propice pour commencer les hostilités dans la province d'Oran ; il sut bientôt que le général Bugeaud devait marcher contre lui ; mais ce général, éprouvant quelques difficultés dans les moyens de transport, et voulant restreindre les hostilités à la province de Constantine, _ qui allait être le théâtre d'une seconde expédition, fit en 1837, avec l'émir, le traité de la Tafna, qui nous créa par la suite des difficultés. Les critiques experts dirent que cette convention rendait l'émir maître de l'ancienne régence d'Alger, moins la province de Constantine ; que dans chacun des articles on le traite d'égal à égal, et on reconnaît sa souveraineté indépendante ; que la convention n'a aucune garantie, puisqu'elle repose uniquement sur le caractère moral et religieux d'Abd-el-Kader, etc., etc.

Après l'échange du traité, le général Bugeaud fit proposer une entrevue à l'émir pour le lendemain. Le rendez-vous était à neuf heures du matin, à trois lieues des bords de la Tafna. Le général y fut à neuf heures, accompagné de six bataillons d'infanterie, de dix escadrons de cavalerie et de quelques pièces de campagne. L'émir n'y vint pas à l'heure convenue. Vers deux heures, des cavaliers arabes annoncèrent qu'il avait été malade et marchait lentement} que si le général s'impatientait, il pouvait pousser en avant. On marche sans défiance plus d'une heure dans le détour d'une gorge étroite, entrecoupée de collines. Enfin le général aperçut l'armée arabe, rangée en bon ordre sur des mamelons épars. La maladie de l'émir était feinte, et le général français avait l'air d'être venu pour lui rendre hommage. Les officiers de l'escorte eurent quelques moments d'hésitation, se croyant dans un guet-apens; Bou-Amedy, chef de la tribu des Oulanahs, qui marchait au milieu d'eux, s'en aperçut et dit au général Bugeaud : o Sois tranquille, n'aie pas peur. — Je n'ai peur de rien, répondit le général, je suis accoutumé à vous voir en face. Seulement je trouve indécent que ton chef m'ait fait venir de si loin et m'ait fait attendre si longtemps. " L'émir était entouré de 150 à 200 chefs, revêtus de riches costumes et montés sur de magnifiques coursiers. Abd-el-Kader les précédait de quelques pas, guidant un beau cheval noir, merveilleusement dressé ; tantôt il l'enlevait des quatre pieds à la fois, tantôt il le faisait marcher sur les deux pieds dé derrière. Dès qu'il fut à portée de la voix, le général Bugeaud lance son cheval au galop, et arrive sur l'émir en lui tendant cavalièrement la main; celui-ci la presse fortement et lui demande des nouvelles de sa santé.

"Très bonne, et la tienne ?" répondit le général, qui met pied à terre et engage Abd-el-Kader à en faire autant. Après quelques minutes d'un entretien insignifiant : "As-tu ordonné, dit-il, de rétablir les relations commerciales à Alger et autour de toutes nos villes ?

— Non, je le ferai dès que tu m'auras rendu Tlemcen.

— Je ne puis le faire qu'avec l'approbation de mon roi.

— Combien faut-il de temps pour avoir cette approbation ?

— Il faut trois semaines.

— C'est trop long, interrompit Ben-Arrach, lieutenant de l'émir, qui s'était approché : dix à quinze jours suffisent.

— Est-ce que tu commandes à la mer ? répliqua Bugeaud.

— Nous attendrons jusqu'à ce jour, dit l'émir.

— Tu ne fais tort qu'aux tiens, répliqua Bugeaud, en les privant du commerce dont ils ont besoin. Quant à nous, nous pouvons nous en passer, puisque nous recevons par la mer tout ce qui nous est nécessaire."

Le général, ne voulant pas prolonger cet entretien plus longtemps, s'éleva brusquement : Abd-el-Kader restait toujours assis, et mettait une espèce d'affectation à échanger quelques paroles avec M. Bugeaud qui était debout devant lui ; mais ce dernier s'apercevant de l'intention, prit vivement l'émir par la main et l'enleva, en lui disant : "Parbleu ! Lorsqu'un général français se lève, tu peux bien aussi te lever, toi."

Ainsi se termina cette entrevue qui fut sans résultat, car elle avait été sans but. Abd-el-Kader, après avoir pendant deux ans châtié, avec la plus grande rigueur, les Turcs et les Koulouglis, taxé les tribus, pillé les villages et fait décapiter plusieurs kaïds, viola le traité et rompit brusquement avec nous.

Le 5 mai 1839, il demanda et obtint l'appui de l'empereur de Maroc, ainsi que la concession du territoire situé entre Ouchda et la Tafna. Au mois d'octobre, il fait égorger dans l'ouest de la Mitidja le commandant Raffet et 200 de nos soldats; on marche contre lui et l'on reprend Cherchell, Mildah, Milianah, etc.

En 1841, sous le gouvernement de M. Bugeaud, Mascara, Tlemcen, Borhan, Thazat, Tekdemt, Saïda et Tafraoùts tombèrent en nos mains. L'émir n'ayant plus ni villes, ni magasins, ni trésors, n'était plus qu'un chef de partisans. La prise de la smala par le duc d'Aumale lui porta un coup terrible ; et, poursuivi à outrance par le général Bugeaud, il fut forcé de chercher un refuge dans le Maroc. Là, il sut attacher à sa cause l'empereur Abd-er-Rhaman. Comme marabout, il prêcha l'extermination des infidèles et souleva de nombreuses tribus marocaines ; il parvint aussi à se faire écouter par les premiers fonctionnaires de la cour de Fez, qui ne cherchaient qu'un prétexte pour nous déclarer la guerre. — La victoire remportée à Isly par M. Bugeaud, créé maréchal après ce beau fait d'armes, ruina complètement son crédit.

Dans le traité de Tanger (10 septembre 1844), il fut convenu qu'Abd-el-Kader serait mis hors la loi dans le Maroc.

On n'a pas oublié l'horrible guet-apens de Sidi-Brahim, où nos soldats, commandée par le colonel Montagnac, furent égorgés sans pitié par les troupes de l'émir.

Depuis plus de six mois les bruits les plus contradictoires circulaient en France sur Abd-el-Kader, mais dans la province d'Oran sa position était mieux connue, car la plus grande surveillance était exercée sur la frontière.

Le général de Lamoricière avait appris qu'Abd-el-Kader, refusant de se rendre à l'empereur de Maroc, s'était entendu avec ses principaux officiers pour tenter une dernière fois la fortune. Le 13 septembre, un ex-brigadier du 2° chasseurs d'Afrique qui s'était échappé de la Deïra, accourt annoncer au général que l'émir veut livrer encore un combat avant de se retirer vers le Sud avec ceux qui voudront l'y suivre.

Le 21, à cinq heures, la Deïra passe la Kiss et entre sur notre territoire. Abd-el-Kader, seul à cheval, est en tête de l'émigration; le général Lamoricière, prévenu à temps, ordonne à deux détachements de vingt spahis choisis, revêtus de burnous blancs et commandés par les lieutenants Bou-Krauïa et Brahim, de garder le passage que devait prendre la Deïra; pour parer à tout événement, il fait prendre les armes à sa colonne et se porte sur la frontière ; il avait à peine fait une lieue et demie que des cavaliers envoyés par Bou-Krauïa le prévinrent qu'il était en présence d'Abd-el-Kader. On vole aussitôt à son secours. Au bout de quelques instants, il rencontre Bou-Krauïa lui-même avec des hommes dévoués à Abd-el-Kader, chargés de porter sa soumission à M. de Lamoricière.

L'émir avait remis à Bou-Krauïa une feuille de papier sur laquelle il n'avait fait qu'apposer son cachet, car le vent, la pluie et la nuit l'avaient empêché d'y rien écrire. Abd-el-Kader demandait une lettre d'aman pour lui et ceux qui l'accompagnaient.

Le général ne pouvait, pour les mêmes causes, répondre à l'émir ; mais il remit aux envoyés son sabre et le cachet du commandant Bazaïin, en leur donnant verbalement la promesse de l'aman le plus solennel.

Abd-el-Kader renvoya ses deux officiers et le lieutenant Bou-Krauïa avec une lettre dans laquelle il demandait l'aman, à condition qu'il serait conduit à Alexandrie ou à Saint-Jean-d'Acre. M. de Lamoricière y consentit par écrit. Le 24 décembre, Abd-el-Kader fut reçu par les généraux Lamoricière et Cavaignac et le colonel Montauban, au marabout de Sidi-Brahim, théâtre de ses triomphes. On l'amena ensuite à Nemours (Dgemma-Ghazouat) devant M. le duc d'Aumale qui l'y attendait. Le prince ratifia la parole donnée par le général Lamoricière, en exprimant l'espoir que le roi lui donnerait sa sanction. Le gouverneur général annonça à L'émir qu;il le ferait embarquer le lendemain pour Oran, avec sa famille ; il s'y soumit sans émotion et sans répugnance. Avant de quitter le prince, Abd-el-Kader lui envoya un cheval de soumission, pour consacrer son vasselage et sa reddition.

On rapporte que, lorsqu'Abd-el-Kader remit ses armes au duc d'Aumale, le prince prit le pistolet en disant : " Ceci est pour le roi ! " puis il donna le sabre à M, de Lamoricière : "Ce sabre est pour vous, général, vous l'avez bien gagné."

L'émir demanda avec instance la faveur de quitter Oran.le plus tôt possible. On lui offrit de partir immédiatement sur la frégate à vapeur l'Asmodée, ce qu'il accepta. L'Asmodée mit à la voile emportant l'émir et sa suite, composée de 61 hommes, de 21 femmes et de 15 enfants des deux sexes, en tout 97 personnes. On y remarquait sa vieille mère, deux de ses beaux-frères, ses trois femmes et ses deux fils, dont le plus jeune avait huit ans. Parmi les femmes se trouvait une jeune française nommée Juliette, née à Arles, qui avait été faite prisonnière avec sa mère. La traversée fut mauvaise et les captifs arabes furent très fatigués. Arrivé à Toulon, Abd-el-Kader fut déposé au Lazaret, puis transféré au fort Lamalgue, et enfin au château d'Amboise.

 

Abd el-Kader franc-maçon[9]

Par BOUBAKAR ARIBOT (Revue maçonnique suisse: févier 2003)

Le 5 juillet 1830 Alger est prise par les troupes françaises, contre l'occupant turc ottoman. Soulèvements anti-turcs et anti-français divisent la population algérienne de l'époque. Le 21 novembre 1832 Abd el-Kader est nommé chef de guerre, émir des croyants.

Né en 1808, Abd el-Kader grandit dans la région d'Oran où il va à l'école. Là il découvre la domination turque et l'orgueil ottoman. De 1832 à 1847 il mène la lutte contre l'occupant. Défait, le gouvernement provisoire français de la IIe République interne l'émir et les siens à Toulon, puis au château de Pau, enfin au château d'Amboise. Cette assignation à résidence était contraire à la promesse faite par le général Lamoricière et le duc d'Aumale lors de la reddition de l'émir. Le 16 octobre 1852 le prince président Louis-Napoléon Bonaparte se montre généreux et tient la promesse faite au nom de la France. "Vous avez été l'ennemi de la France, mais je n'en rends pas moins justice à votre courage, à votre caractère et à votre résignation dans le malheur. C'est pourquoi je tiens à honneur de faire cesser votre captivité, ayant pleine foi de votre parole ". L'émir quitte la France pour Constantinople et Brousse, et enfin Damas où il retrouve d'anciens combattants émigrés.

De cet exil l'émir garde des contacts avec la France et reste informé de la politique internationale. En date du 10 juin 1860, il écrit à "L'Aigle de Paris": "En ce moment, un désordre épouvantable règne parmi les Druzes et les Maronites. Partout le mal a des racines profondes. On se tue et l'on égorge en tous lieux. Dieu veuille que les choses aient une meilleure fin. Salut de la part du pauvre devant Dieu le riche". L'émir écrit aussi: "Si quelqu'un d'entre vous voit un mal, qu'il intervienne pour le changer; s'il ne le peut pas, qu'il le condamne par la parole: s'il ne le peut non plus, qu'il le désapprouve, au moins en son cœur, c'est le moins qu'il puisse accomplir comme acte de foi…". Joignant l'acte à la parole, Abd el-Kader et ses combattants se portent au secours des chrétiens maronites de Damas en 1860. Des quatre coins du monde des témoignages de reconnaissance parviennent à l'émir. Le 20 septembre 1860 les membres de la loge "Henri IV" à Paris (Grand Orient de France) suggèrent, à la demande du frère Silbermann, de manifester sa reconnaissance à l'ancien reclus de Pau et d'Amboise pour "ses actes éminemment maçonniques". Ils lui offrent son affiliation à leur atelier. Datée du 16 novembre 1860, la missive est approuvée par le Grand Maître, qui y appose son sceau; elle est signée conjointement par les rédacteurs et les officiers de la loge. Au milieu du bijou de Maître qui accompagne la lettre figure un triangle d'or mat rayonnant portant les mots "Loge H IV, au Très Illustre Émir Abd el-Kader, Damas". L'envers montre le niveau et la devise "Liberté, Égalité, Fraternité". Le message sollicitant l'initiation de l'émir dit ceci: "La franc-maçonnerie qui a pour principe de morale l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, et pour base de ses actes l'amour de l'humanité, la pratique de la tolérance et la fraternité universelle, ne pouvait assister sans émotion au grand spectacle que vous donnez au monde. Elle reconnaît, elle revendique comme un de ses enfants (pour la communication d'idées tout au moins) l'homme qui sans ostentation et d'inspiration première, met si bien en pratique sa sublime devise: Un pour tous". Les signataires concluent ainsi: "Si vous daignez l'agréer, lorsque vos regards viendront à la rencontrer, vous qui direz de là-bas, bien loin de l'Occident, il y a des cœurs qui battent à l'unisson du vôtre, des hommes qui ont votre nom en vénération, des FF qui vous aiment déjà comme un des leurs et qui seraient fiers si des liens plus étroits leur permettaient de vous compter au nombre des adeptes de notre institution". En janvier 1861 l'émir répond en faisant part de sa "joie indicible" et de son désir de rejoindre la maçonnerie. "Le bijou reçu est une fleur universelle dont l'odeur symbolique surpasse celle de la précieuse rose et dont l'allusion à la Justice, à l'Égalité et à la Fraternité dépasse la sagesse d'Aristote".

Le 4 avril 1861 le Vénérable Maître Vannez informe sa loge de la démarche écrite qu'il vient de faire auprès du GM le prince Murat à propos des contacts pris avec Abd el-Kader et de sa future initiation. Debout dans un silence recueilli, un frère donne lecture de la réponse que l'intéressé a envoyé à Paris. Le 18 juillet de la même année on adresse à l'émir les quatre premiers articles de la Constitution qui condensent le code maçonnique. La loge "Henri IV" est autorisée à proposer à Abd el-Kader, qui se trouve à Damas, de répondre par écrit au questionnaire soumis d'ordinaire oralement à chaque nouvel adhérent. Il s'agit de savoir quels sont ses devoirs envers Dieu, ceux de l'homme envers ses semblables et envers lui-même. On lui demande également un exposé succinct sur l'immortalité de l'âme, l'égalité des races humaines aux yeux de Dieu, la manière de percevoir la repoussant d'eux le mal". En peu de mots l'émir synthétise là toute l'éthique musulmane, à savoir que l'individu doit agir selon des intérêts à court et à long termes. Sans référence aucune au Coran, on en trouve partout des réminiscences et il n'est pas certain que ses réponses toutes imprégnées de l'ésotérisme cher à Ibn'Arabi aient été comprises à l'époque. Abd el-Kader tend des perches à partir des épiphanies de la lumière, du nombre, du cercle. A travers les membres de "l'Orient d'Alexandrie" et, par-delà, à ceux de la loge "Henri IV" de Paris il s'adresse en réalité à chaque homme. Il y a là en condensé tout un exposé vulgarisé de la doctrine de l'unicité de l'existence. Le fundamentum d'Ibn'Arabi est présent "pour engendrer des êtres concrets, il faut être 3: les deux parents créent le corps et Dieu crée l'âme unique". S'agissant de la tolérance l'émir écrit qu' "elle consiste à ne pas s'en prendre à l'Homme d'une religion quelconque pour l'obliger à l'abandonner. Toutes les lois religieuses authentiques sont tolérantes, que ce soit l'islam ou d'autres. L'attitude la plus importante est d'être utile à sa foi".

Estime universellement partagée

Le 12 décembre 1861 une commission de quatre membres est chargée de préparer le programme de réception. Au même moment une crise importante secoue le Grand Orient. Napoléon III y met fin le 11 janvier de l'année suivante en nommant par décret un nouveau GM. L'initiation prévue a du plomb dans l'aile. L'atelier "Henri IV" s'adresse alors à la loge égyptienne sœur "Les Pyramides" à Alexandrie pour qu'elle veuille procéder pour son compte. Tous les éléments nécessaires parviennent à qui de droit. Enfin, le 18 juin 1864 à 21 heures la RL de saint Jean constituée à l'Orient d'Alexandrie commence ses travaux. L'orateur donne lecture des réponses de l'émir aux questions posées et celui-ci est introduit dans le temple afin d'y exécuter les voyages d'épreuve prescrits par le rituel et prêter le serment d'usage. Il est reconnu membre actif de "Henri IV" et des "Pyramides". Les trois grades lui sont conférés dans la même soirée. Le Vénérable dit en substance ceci: "N'est pas maçon celui qui se dit maçon, mais celui qui fait de son âme un temple assez pur pour que l'esprit divin s'y complaise, celui qui, mettant en action la sublime charité est prêt à donner son pain et à verser son sang pour ses frères. Il y a longtemps que vous êtes maçon". Cinq jours après son initiation Abd el-Kader quitte l'Égypte pour la Syrie où un accueil royal lui est réservé. Il partagera son temps entre Damas, Alexandrie et l'Europe.

Le Monde maçonnique du 27 juin 1865 annonce son arrivée prochaine à Paris, estimant que le Grand Temple sera certainement trop étroit pour contenir tous ceux qui voudront témoigner à leur frère leur estime pour sa conduite lors des massacres en Syrie. Il est logé par le ministère de la Guerre, le consul de France à Damas est son accompagnant! Auprès de Napoléon III qui le reçoit il défend la cause d'un soufi arrêté dans le Caucase. "Je me préoccupe de son sort parce qu'il a suivi la même voie que moi", dit-il. Après plusieurs journées de dupe Abd el-Kader est reçu dans sa loge le 30 août. Les grades décernés à Alexandrie sont confirmés par un diplôme de consécration.

L'émir quitte la France le 2 septembre, au moment où des maçons vitupèrent cet "enfant du désert africain qui n'a rien à gagner en venant parmi nous. Nous n'avons rien à apprendre de lui". Passons, nous sommes en 1865… Dans ses Lettres de Tokyo André Malraux écrira plus tard: "La plus grande découverte de notre siècle dans le domaine de la culture et de la pensée est la découverte de l'existence de plusieurs civilisations et non d'une. C'est seulement au moment où nous avons réalisé cette découverte que nous avons saisi la naissance de la civilisation universelle. Jusqu'à la réalisation de cette découverte, il était admis que les civilisations, en dehors de la nôtre, étaient des civilisations ennemies et celles antérieures, considérées comme primitives".

Retour à Damas où l'émir retrouve ses disciples et sa chaire d'enseignement. Ses contacts avec la franc-maçonnerie se relâchent, mais la dimension humaine et humaniste du personnage perdure. En 1867 deux de ses fils sont reçus et initiés à la loge "Palestine-Orient" de Beyrouth. En 1901 un petit-fils entre à l'atelier "Enfants de Mars" de Philippeville. Citons Paul Naudon: "Avec la IIIe République, le libéralisme anticlérical se reflète de plus en plus dans l'évolution des loges, alors que l'Église au contraire se montre ouvertement conservatrice et monarchique. La confusion des valeurs est alors extrême. En 1877, un convent du GO décide de supprimer l'obligation dans les loges de travailler "à la gloire du Grand Architecte de l'Univers". La conséquence immédiate fut la rupture du GO avec le corps maçonnique universel, dont la GLU d'Angleterre" Autre conséquence, la césure de l'émir héritier de Ibn' Arabi avec la FM devient définitive. Dans une lettre au GO il exprime sa désapprobation devant l'abandon de la notion de Grand Architecte. En 1856, arrivant dans la capitale syrienne l'émir se rend sur la tombe de son maître. C'est là qu'il sera enterré en 1883, âgé de 70 ans.

Un message à toute l'humanité

La vie de l'émir Abd el-Kader fut tellement riche qu'il n'est pas possible d'en faire le tour. Oublions vite la récupération politique avec le retour de ses cendres en Algérie. Je n'ai pas non plus insisté ici sur son éducation auprès de son père, une instruction religieuse approfondie inculquée par des professeurs de choix, le chef de guerre, la place des chevaux dans l'existence de ce cavalier émérite. En un temps où l'intolérance, l'aveuglement, la haine, la bêtise dressent des êtres humains les uns contre les autres, en un temps où les visages et les frontières se ferment, où nous assistons à des épurations ethniques, où "Ahmed m'a tuer", j'ai estimé que nous aurions tous à apprendre de ce pont jeté entre l'Orient et l'Occident que représentent Abd el-Kader "Commandeur des croyants". Son message n'est adressé ni à l'Algérie, ni aux musulmans, mais à tous les hommes, ô vous frères humains!


 

[1] Source : http://www.geneawiki.com/index.php/ABD_EL-KADER

[2] Abdelkader    Pour Abd(el), voir Abdelouhab. Le nom signifie serviteur du Puissant, de Celui qui est capable (qâdir).

[3] Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Abd_El-Kader

[4] L’univers ou histoire et description de tous les peuples, Auteur P. Rozet, page 193.

[5] "Abd el-Kader ", Pau.fr, 22 mars 2007.

[6] Lire à ce titre Le blanc de l'Algérie d'Assia Djebar, éd. Albin Michel, 1995.

[7] Source : http://mascara.p-rubira.com/abd_elkader.htm

[8] Source : http://fr.wikisource.org/wiki/Biographie_des_c%C3%A9l%C3%A9brit%C3%A9s_militaires_des_arm%C3%A9es_de_terre_et_de_mer_de_1789_%C3%A0_1850_%E2%80%94_A#ABD-EL-KADER

[9] Source : http://www.freimaurerei.ch/f/index-f.htm


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