Ernest
Coeurderoy
Hurrah
!!! ou La Révolution par les Cosaques
Révolutionnaires
anarchistes, disons-le hautement: nous n'avons d'espoir que dans le déluge
humain; nous n'avons d'avenir que dans le chaos; nous n'avons de ressource que
dans une guerre générale qui, mêlant toutes les races et brisant tous les
rapports établis, retirera des mains des classes dominantes les instruments
d'oppression avec lesquels elles violent les libertés acquises au prix du sang.
Instaurons la révolution dans les faits, transfusons-la dans les institutions;
qu'elle soit inoculée par le glaive dans l'organisme des sociétés, afin qu'on
rie puisse plus la leur ravir! Que la mer humaine monte et déborde! Quand tous
les déshérités seront pris de famine, la propriété ne sera plus chose
sainte; dans le fracas des armes, le fer résonnera plus fort que l'argent;
quand chacun combattra pour sa propre cause, personne n'aura plus besoin d'être
représenté; au milieu de la confusion des langues, les avocats, les .journalistes,
les dictateurs de l'opinion perdront leurs discours. Entre ses doigts d'acier,
la révolution brise tous les noeuds gordiens; elle est sans entente avec le
Privilège, sans pitié pour l'hypocrisie, sans peur dans les batailles, Sans
fleur dans ses passions, ardente avec ses amants, implacable avec ses ennemis.
(...)
A ceux qui ,ont convaincus de la
nécessité de mettre la civilisation à feu et à sang ; - à ceux pour qui
tout est perdu, avoir et espérances-, - à ceux que la cupidité des riche, met
dans l'impossibilité de gagner leur Nie-, -à tous ceux-là, je dis :
Le
Désordre, c'est le salut, c'est l'Ordre. Que craignez-vous du soulèvement de
tous les peuples, du déchaînement de tous les instincts, du choc de toutes les
doctrines ? Qu'avez-vous à redouter des rugissements de la guerre et des
clameurs des canons altérés de sang ? Est-il, en vérité, désordre plus épouvantable
que celui qui vous réduit, vous et vos familles, à
un paupérisme sans remède, à une
mendicité sans fin ? Est-il confusion d'hommes, d'idées et de passions qui
puisse vous être plus funeste que la morale, la science, les lois et les hiérarchies
d'aujourd'hui ? Est-il guerre plus cruelle que celle de la concurrence où
vous vous avancez sans armes ? Est-il
mort plus atroce que celle par l'inanition qui
vous est fatalement réservée ? Aux
tortures de la faim ne préférez-vous pus les entailles de l'épée ? Voyez !
Tout est partagé, toutes les places sont prises ; dans ce monde trop plein vous
arrivez comme des étrangers. Dès le ventre de vos mères, vous êtes vaincus;
soyez donc révoltés dès le ventre de vos mères. Ou bien allez-vous-en, comme
dit Malthus, un homme que les Anglais ont trouvé choquant de cruauté.
Dans
presque tous les actes de ma vie, ce Dieu est plus fort que moi. Mais il est
plus faible aussi quand je le poursuis avec le stylet et la torche, quand il me
donne prise sur lui par ses exactions et
ses coups d'Etat.
D'où
résulte que, si j'ai u craindre
la force du Despotisme dans les temps ordinaires, je sais aussi que je puis
devenir redoutable pour lui dans beaucoup de circonstances. Loin donc de reconnaître
l'autorité supérieure du Despotisme et de lui rendre hommage par une inaction
lâche, mon esprit et mon bras seront toujours tendus vers les moyens de le détruire.
Je chanterai la puissance de l'homme rebelle, la plume ou l'épée dans la main.
Et pour que la lutte entreprise me soit favorable, je chercherai à diviser, dans sa cohésion, la Fatalité terrestre, et à défaire une de ses moitiés au moyen de l'autre. Si je ne suis pas le plus fort, je serai du moins le plus rusé. A la guerre comme à la guerre ! Tous moyens sont bons contre Dieu !!
Le despotisme est la Fatalité sur terre. Homme, sus à lui ! Tue ! tue !
Le peuple est devenu
terriblement jouisseur. Cela peut effrayer les Calebs de l'aristocratie légitime,
gens qui prétendent que les houppes nerveuses de la vile multitude
sont d'une texture plus grossière que les leurs... Mais cela est. Le
peuple veut le champ, la forêt, la maison commode, la cave fraîche et le
grenier spacieux, l'aisance, les fêtes, les théâtres, les femmes vêtues de
gaze rose, les joyeux banquets, les voyages sur les grandes mers, et les lacs de
cristal, et les montagnes blanches... absolument comme un gentilhomme de qualité.
- Le peuple se sent assez de force, d'intelligence, d'art et d'aspirations
sublimes pour absorber tout ce qu'il y a d'existence dans ce monde étroit. Il
veut rompre sa longue abstinence ; il a les reins forts, et les rouges désirs
brillent dans ses yeux ardents. Vous, avocats de la Bourgeoisie, diseurs à
belles robes d'hermine, à beaux rubans et floquarts, à galantes braguettes,
petits-maîtres qui dînez d'un cure-dent et portez raie derrière la tête,
moustache sous le nez !... malheur à vous si vous tentiez une fois encore de
tresser la crinière du lion et de rogner la corne aiguë de ses ongles! Car le
Lion est sorti de l'antre de sa misère, et il se retournera jusque dans les
entrailles de ceux qui voudraient lui défendre d'étancher sa soif dans le
sang. Ne jetez donc plus sur les barricades des feuilles de laurier, des fleurs
et des couronnes, car personne n'ira plus les ramasser au milieu des cadavres.
Ne faites plus de prosopopées à Maximilien de Robespierre, de proclamations
comme M. de I,amartine, de constitutions et de discours, car personne lie les écoutera
plus. N'agitez plus d'oripeaux rouges ou noirs, blancs ou tricolores, de
niveaux, de sceptres, de mitres ou de bonnets phrygiens. Car tous ces emblèmes
sont symboles d'autorité, et l'individu veut s'appartenir. Moi qui écris cela,
par exemple, je ne reconnais à personne le droit de me commander quoi que ce
soit! Et tous ceux qui me liront penseront de même ! - L'homme veut jouir,
vous dis-je, jouir de lui-même et jouir de sa vie! Et en vérité, en vérité,
l'homme jouira ! Le Bonheur, c'est la Loi ! Et l'Amour, c'est la Vie !!
(...) Par la jouissance,
l'homme centuplera les forces et les tendances qui sont en lui.
Et moi, je dis au peuple :
"Peuple, tu as raison ! Il te faut le beau froment qui mûrit au soleil
glorieux, et puis le vin vermeil, les fruits aux saveurs fines, les métaux
utiles et les pierres précieuses, les enivrants parfums, les tentures écarlates,
les manteaux de velours et de soie, les femmes aux seins rosés, les coursiers
hennissants, et la chasse et les fêtes, et les concerts, et les réjouissances
et les spectacles qui versent dans le coeur des flots d'amour et d'harmonie. Il
te faut tout cela à profusion pour accomplir ta destinée, pour développer
pleinement ta splendide existence. Et tu ne jouis pas même de l'air qui court,
du soleil qui répare, et du repos des nuits !
Et si l'on te refuse tout cela, Peuple, prends-le! Prends-le comme tu pourras, par la torche et le glaive, par le Cosaque et par le Braconnier. Réclame ton bien partout où tu le trouveras".
Démolir
l'autorité
Pour faire passer la Révolution,
comme un fer rouge, à travers ce siècle, une seule chose est à faire:
Démolir
l'Autorité.
Cette
proposition n'a pas besoin d'être démontrée. Que chacun s'interroge et qu'il
dise si c'est de gré ou de force qu'il supporte qu'un autre se proclame son maître
et agisse comme tel.
Qu'il
dise s'il ne croit pas valoir autant que tout autre.
Qu'il
dise s'il est d'humeur à entretenir toujours des papes, des empereurs, des
rois, des représentants, des monopoleurs, des médecins, des instituteurs, des
juges, des journalistes, des tribuns, des directeurs, des dictateurs.
Qu'il
dise s'il ne compte pas être délivré bientôt de tout cela.
Qu'il
dise s'il ne comprend pas mieux ses intérêts que tout autre, et si c'est
volontiers qu'il les remet à des mains étrangères.
Qu'il
dise s'il n'est pas intimement convaincu que charité bien ordonnée commence
par soi-même, et que son affaire passe avant celle des autres.
Et
je dirai à cet homme : tu as raison de faire passer ton intérêt avant celui
des autres; la nature te le crie.
Sache
donc pourquoi ton intérêt particulier est toujours absorbé par un intérêt
plus fort; apprends enfin ce qui t'isole de tes semblables.
Et
tu verras que c'est la substitution du signe à la chose, de la fiction à la réalité,
de la propriété à la possession, de l'héritage à l'usufruit, de
l'encombrement à la circulation, du devoir au bonheur. (...)
Il
n'y a plus à hésiter. Nous n'avons pas le temps d'être eunuques. Affirmons
donc :
Que
ce qu'ils appellent Dieu, c'est l'autorité qui bénit le Crime; Que Ce qu'ils
appellent Prêtre, c'est l'autorité qui protège le Crime;
Que
ce qu'ils appellent Professeur, c'est l'autorité qui dresse au Crime; Que ce
qu'ils appellent Propriétaire, Banquier, Entrepreneur, Commissionnaire,
Bourgeois, Patron, Roi, Maître enfin, ce sont les autorités qui entretiennent
le Crime.
Nous
avions déjà demandé à Messieurs Mazzini, Louis Blanc, Ledru-Rollin, Etienne
Cabet et autres aspirants dictateurs s'ils oseraient dire à la civilisation :
Ta
propriété ! c'est le vol; elle engendre le vol - à détruire.
Ton
mariage ! c'est la prostitution; il perpétue la prostitution - à détruire.
Ta
famille ! c'est la tyrannie; elle motive la tyrannie - à détruire.
Ta
morale ! c'est la mutilation; elle reproduit la mutilation - à détruire.
Ton
devoir! c'est la souffrance; il répercute la souffrance - à détruire.
Ta
religion! c'est l'athéisme; elle enfante l'athéisme - à détruire.
Ta
justice! c'est l'injustice; elle justifie l'injustice - à détruire.
Ton
ordre ! c'est le désordre; il reproduit le désordre - à détruire - (Barrière
du combat.)
...
Ils ne l'ont pas osé!... Ils ne l'oseront pas!!...
Garde-toi,
surtout, Prolétaire! de marquer du stigmate de l'infamie ceux de tes frères
qu'ils appellent les Voleurs, les Assassins, les Prostituées, les Révolutionnaires,
les Galériens, les Infâmes. Cesse de les poursuivre de tes malédictions, ne
les couvre plus de boue, écarte de leur tête le couperet fatal.
Ne
vois-tu pas que le soldat t'approuve, que le magistrat t'appelle en témoignage,
que l'usurier te sourit, que le prêtre bat des mains, que le sergent de ville
t'excite ?
Insensé,
insensé ! ne sais-tu pas qu'avant d'abattre le taureau menaçant, le matador
sait faire briller dans le cirque les derniers efforts de sa rage ? Et qu'ils se
jouent de toi, comme on se joue du taureau, jusqu'à la mort ?
Réhabilite
les criminels, te dis-je, et tu te réhabiliteras. Sais-tu si demain
l'insatiable cupidité des riches ne te forcera pas à dérober le morceau de
pain sans lequel il faudrait mourir ?
Je
te le dis en vérité: tous ceux que les puissants condamnent, sont victimes de
l'iniquité des puissants. Quand un homme tue ou dérobe, on peut dire à coup sûr
que la société dirige son bras.
Si
le prolétaire ne veut pas mourir de misère ou de faim, il faut: ou qu'il
devienne la chose d'autrui, supplice mille fois plus affreux que la mort; - ou
qu'il s'insurge avec ses frères; - ou bien enfin, qu'il s'insurge seul, si les
autres refusent de partager sa résolution sublime. Et cette insurrection, ils
l'appellent Crime !
Toi,
son frère, qui le condamnes, dis-moi : vis-tu jamais la mort d'assez près pour
jeter la pierre au pauvre, parce que, sentant l'horrible étreinte, il déroba,
ou plongea le fer dans le ventre du riche qui l'empêchait de vivre ?
La
société ! la société ! voilà la criminelle, chargée d'ans et d'homicides,
qu'il faut exécuter sans pitié, sans retard. (...)
Je
dis encore: lâche est la victime qui demeure dans de pareils liens, qui consent
à vivre tous les jours de sa vie, malheureuse, hypocrite, mendiante, trompeuse,
prostituée publiquement, légalement, à perpétuité. Quand une femme de coeur
s'est dit une bonne fois : "Je ne puis plus exister ainsi; ma situation
torture horriblement mon esprit et mon âme"... quand elle s'est dit cela -
et combien l'ont dit plus souvent que madame Lafarge ! -... quand elle s'est dit
cela, elle s'est irrévocablement placée entre le Suicide et l'Homicide.
Mourir
ou faire mourir. - To be or not to be - That is the question ! That is the question !
Car
la loi, la société ne veulent rien faire pour l'épouse contre son maître. Et
si elle leur demande satisfaction, elle n'aboutira qu'au dégradant scandale,
aux sifflets, aux huées. Car les femmes ne sont rien en civilisation que les
souffre-douleur du premier rustre venu. Et il n'est pas dans le caractère de
toutes femmes de se résigner, tant qu'il plaît à ce rustre de vivre en les
faisant mourir. Et si elle vient à désirer, à rêver la mort de ce rustre,
nulle femme ne peut répondre qu'un beau jour, à bout de patience, repoussée
de toutes parts, après quelque scène de désespoir, elle ne se fera justice de
ses propres mains !
Moi,
je soutiens que celle qui tue son mari est mille fois plus brave, franche,
estimable, honnête, digne que celle qui le déshonore. Je soutiens qu'en enchaînant
pour la vie deux
êtres antipathiques, la loi ne leur permet d'échapper que par la mort à son joug hébétant.
Le sanglant dilemme reste toujours posé : to
be or not to be - mourir ou faire
mourir - that is the question !
(...)
Ah!
Société civilisée ! Messaline obèse dont l'estomac et les sens ne s'éveillent
plus, ne se lassent plus ! C'est toi, la garçonnière, qui rapetisse la femme,
la rends coquette, jalouse, haineuse, vaniteuse, griffeuse comme la chatte
domestique et l'esclave de couleur. Et quand une nature privilégiée se dresse
contre tes rigueurs et se fait justice comme elle peut, c'est toi, la vraie
coupable, qui la poursuis, l'insultes, la pends, la décapites et flétris sa mémoire.
Ah! les juges qui ont condamné madame Lafarge, les chiequanous
! Je
ne voudrais pas être dans leurs fourrures d'hermine !
Ah! Société lâche,
impunie, voleuse, tu veux maintenir tes droits d'aubaine et toutes les unions
cimentées avec la fange de tes contrats, tu veux les maintenir quand
même ?... Eh bien donc tu courras tous les risques de révoltes; depuis l'émeute
qui chante innocemment, jusqu'à l'assassinat qui frappe sans parler !
En attendant, je veux
mourir hors l'opinion, la législation et la coutume ; libre comme j'ai vécu.
Je veux une sépulture ignorée, loin des vielles fangeuses, au plus froid du
glacier, au pied des saules, sous les futaies ou dans les ondes, ainsi que je
l'ai dit et écrit tant de fois.
Quand sera morte la
volonté de fer qui, si souvent, me préserva de souillure, je ne veux pas que
le caprice ou la crainte livre mon corps à une autorité quelconque. Nul de
vous n'a droit sur ma personne, domestiques du pouvoir ! Je suis mort
civilement, je ne suis plus du troupeau, je ne suis plus de l'abattoir, ni du
cimetière, je ne suis plus chose à enterrer, à dépecer, à tondre.
Arrière, froqués et défroqués
! Ne me touchez pas. Je n'ai besoin ni de vos enregistrements, ni de vos
parchemins, ni de vos actes. Vos cierges sentent le vieux bouc amoureux, votre
eau bénite est un poison, vos bureaux puent l'employé, vos prières résonnent
à mes oreilles comme des chapelets de blasphèmes! Vous faites payer tant pour
un crucifix de bois, et tant pour un crucifix d'argent ! Vous violez la suprême
égalité, l'égalité de la tombe! (...)
Ah!
si jamais vous introduisiez mon corps dans votre enfer d'église, la rage qui
m'a tant de fois excité pendant la vie serait assez forte encore pour me
galvaniser. Et me relevant de toute ma hauteur, yeux brillants, nu de bras, je déchirerais
vos oripeaux noirs et les disperserais aux quatre vents des cieux ! Et je m'écrierais
: Anathème, Forfaiture et Sacrilège ! Et vous vous sauveriez tous, la queue
entre les jambes, épouvantés d'avoir violé le secret d'un cercueil !!
Oui,
si vous l'osiez jamais, je serais mort à tenir ma parole de vivant ! Il y a je
ne sais quelle puissance surnaturelle en moi qui ferait ce miracle et vous
consternerait !
Jours
d'exil