Extraits prémonitoires du livre " Notre jeu " (Our Game) de John Le Carré (Editions du Seuil, Coll. Points) . Préface, pages II et III :


Il est déjà évident, même pour un hérisson (comme disent les Russes), que les puissances occidentales n'ont jamais eu la moindre idée de ce qu'elles devaient faire de ce monde si elles le libéraient un jour du communisme.
Nous avons d'abord esquivé la question en prétendant qu'il n'y avait pas eu de victoire. Nous avons maintenu -ou du moins, nos vénérables services secrets l'ont fait pour nous- que la perestroïka n'était qu'une comédie, et que ces satanés bolcheviques tenteraient tout pour nous faire baisser notre garde. 
Mais peu à peu, malgré tous les efforts de nos experts -fonctionnaires et politiciens, qui défendaient leurs intérêts-, le bons sens s'est imposé, et nos leaders occidentaux ont dû reconnaître que l'ennemi avait plié bagage et abandonné le terrain. Cette révélation ne les a guère enchantés.

" Vous voulez dire qu'on doit vraiment faire quelque chose pour l'autre moitié du monde ? Ça tombe vraiment mal, au moment même où on était en train de devenir si riches. "

Sans céder à la panique, ils ont poursuivi calmement la guerre froide avec d'autres moyens : un isolationnisme quasi aveugle, et une volonté, si cruellement flagrante en Bosnie aujourd'hui, de nous occuper de nos nombreux problèmes personnels plutôt que de nous intéresser aux maux de ceux que nous avons libérés.
Pendant ce temps, souffrant toujours des symptômes de la guerre froide finissante, nous autres les vainqueurs priions pour qu'éclate un nouveau grand conflit qui nous rendrait notre sécurité. Beaucoup d'entre nous (notamment les politiciens) trouvaient plus confortable de se cacher derrière un énorme arsenal nucléaire et d'observer aux instruments ce monde cruel, que de sortir de nos bunkers pour tendre la main à nos anciens ennemis et assumer des problèmes politiquement et économiquement insolubles, comme la faim dans le monde, la pollution atmosphérique, le trafic d'armes contre la drogue, les guerres qui embrassent soudain les pays lointains, et le droit des petites nations à disposer d'elles-mêmes. Pourtant, ces problèmes ont beaucoup plus d'impact sur notre survie à long terme que la guerre froide n'en jamais eu.
Mais, comme disait Winston Churchill , le problème c'est qu'à long terme nous serons tous morts.

Contribution de Juan El Cubo


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