Ici,
les nouveaux mondes
Nous connaissons la Terre de fond en comble.
Tous les océans ont été scrutés, et serons-nous vraiment étonnés si nous découvrons
encore une nouvelle race d'animal ou de végétal? Nous connaissons la logique,
rien ne nous étonnera plus. Et même si des extra-terrestres viennent troubler
notre ordre, ils ne seront toujours fait que de la même matière, disposée
différemment, s'adonnant à d'autres fonctions. Les restes de notre méconnaissance
seront balayés, systématiquement, par nos cartographes.
Le nouveau monde n'est ni tout à fait inconnu,
ni tout à fait connu. Nous savons qu'il existe sans trop savoir s'il offrira
tout ce qu'il promet, sans savoir sur quelle distance il s'étend. La
colonisation commence.
L'existence des mondes ne passera, toujours,
que par notre propre perception. Si nous avons conscience d'une réalité, c'est
que nos sens nous indiquent et nous décrivent ses aspects. Mais peu importe si
ce que nous voyons est réel ou non (ce n'est pas important, au fond!), si nous
le croyons réel, c'est l'équivalent.
Le (fameux) cyber-espace
Alors qu'il se concrétise peu à peu, et se définit,
il apprend à parfaire ses illusions, par les jeux vidéos qu'il nous offre, par
les animations qu'il crée. Il devient de plus en plus séduisant et invite les
personnes à s'y attacher, de plus en plus. Il nous offrira de nouveaux services
et peut-être qu'un jour, il suffira, lui-même, à nous fournir tout ce dont
nous avons besoin.
Les territoires. Alors qu'à une
certaine époque, la puissance était associée à la possession de territoires
et de ressources naturelles, désormais, la puissance est détenue par ceux qui
possèdent l'information, et l'informatique. Ce sont les gens les plus riches et
les plus influents. L'information est l'équivalent des territoires: elle est
leur description. Et en les décrivant, elle leur donne une existence, dans
l'imagination, dans l'irréel.
Les hackers. Ce sont les bandits de ces
nouveaux territoires. Ils braconnent, volent, pillent, comme dans tous les
nouveaux territoires. Et comme les pirates, les cow-boys et les bandits de
grands chemins, ils ont pu acquérir une expérience du terrain, et une
connaissance aigue du territoire, ce qui ne manqua pas d'aiguiser la curiosité
des puissants propriétaires qui les prirent souvent sous leur aile.
Les colons. De grands territoires, oui.
Mais quel intérêt si personne ne les cultivent ou en prend possession, concrètement?
Les propriétaires vendent leurs terrains aménagés, accessibles, à nous tous,
consommateurs, qui nous nous établissons et apprenons à nous diriger dans ce
monde.
L'irréel avalera bien, un jour, le réel.
C'est la tendance, pourtant, à la vitesse où les gens entrent dans les salles
de cinémas, jouent à des jeux vidéos, lisent, imaginent. Mais cela importe
peu, au fond: ce ne sera peut-être pas la première fois que cela arrivera.
Ici. Ce texte serait une ébauche de
description géo-politique de l'endroit.
L'économie
Un jour, sans que personne ne crie gare, sans
qu'un événement réel ne se produise, sans catastrophe, ni rien, l'économie
s'effondre. Les gens riches deviennent pauvres, les classes sociales sont
disjonctées. Lorsqu'une entreprise peut en avaler une autre, projetant toute
une région dans la désolation et l'oubli, et que de cet événement ne
subsiste que des feuilles de papier, c'est qu'un mal venu d'un autre monde est
venu s'effondrer sur le nôtre, sans qu'aucun humain ne le veuille ou ne l'aie détecté.
La constitution du bâtiment: Sur des
lois dites naturelles (celles de l'offre et de la demande, celles du marché),
on a bâti tout un système qui ne compte, comme ciment, que le consensus et
l'honneur. Les humains, sentant le besoin de contrôler cette force, ont sacré
les contrats, inventé les actions. L'argent, depuis son origine concrète
(celle du troc: un objet pour un autre, simplement), est passé vers la monnaie,
l'argent de papier, le crédit à la carte, et enfin l'argent informatique,
inexistant, virtuel, pris dans le consensus. L'économie, peu à peu, s'est élevée
au dessus de nous, s'est complexifiée et s'est auto-suffit, empêchant, par sa
richesse et ses méandres, d'être contrôlée par la volonté de peu d'humains.
L'économie est le rassemblement d'une infinité d'échanges, entre humains,
animaux, plantes, existences. Lorsque des catastrophes se produisent dans l'un
des deux mondes: économique ou réel, il a une influence sur l'autre. Les
mondes sont encore liés.
La puissance: L'économie est un
consensus. Elle est la somme des micro-économies, qui sont la somme des échanges
à l'intérieur de la communauté. Pour posséder la puissance, il faudrait
pouvoir diriger une quantité assez grande d'échanges. Pour pouvoirs contrôler
les échanges, il faut contrôler les êtres qui les dirigent. Par exemple, en
convergeant les forces d'échange vers un seul but, celle de la production d'un
objet, et ensuite, en convainquant une grande partie de la population à échanger
cet objet contre d'autres biens, on concentre un grand nombre d'échanges vers
l'objet que l'on contrôle, et ainsi on contrôle ce que l'objet contrôle.
Les objets: Certains objets donnent la
puissance, donc. Mais leur possession n'est pas la même dans notre monde et
dans le monde de l'économie. Dans le monde réel, un objet peut être reproduit
des milliers de fois. Un disque, une boisson, un vêtement se multiplient en un
million de répliques. Si on possède un de ces disques (par exemple), on n'en
possède que la copie. La véritable possession d'un objet est d'un autre ordre.
Lorsque que l'on possède un tel objet, c'est que l'on possède son existence
dans le monde économique. Nous sommes les seuls à pouvoir les distribuer, à
accepter sa réplique dans le réel. Lorsqu'en faisant des recherches, on découvre
la concrétisation d'un objet, on le possède, à moins que nos explorations ne
soient financées par une métropole quelconque. Cette idée, Platon l'avait déjà
esquissée l'allégorie de la caverne.
La religion
Elle compte, chaque fois, un mode d'emploi
parsemé de règles, d'exemples et d'enseignements. Sa raison d'être repose sur
une vérité qui est inaccessible sans elle. Par la religion, dit-elle, par son
enseignement, on peut accéder à la vérité. Les mondes parallèles, qui se
situent dans des régions géographiques (grottes, collines, gouffres, ciel,
sous-sol, etc.), dans un passé infini (le déluge, l'origine des temps, la création
des pays, des villes), dans des régions à la limite du réel et de la
conscience (l'Olympe, le nirvana, le paradis, l'enfer, etc.) ont une double
identité. D'abord, ils sont irréels, car il est impossible d'entrer en contact
avec eux dans la non-connaissance de la religion qui les décrits. Ensuite, ils
sont réels, puisque les légendes qui les animent sont prétendument vraies et
concrètes. La religion en elle-même devient donc une porte vers les nouveaux
mondes. L'existence de l'inexistant, là où on peut situer tous nos espoirs et
nos cauchemars est la raison d'être de la religion et la raison pourquoi elle
crée un nouveau monde.
Les arts
Les grandes légendes et religions ont travaillé
et créé nos cultures. Et les oeuvres de fictions qui en ont surgis sont les
fruits de cette volonté de créer une fiction illusoire, irréelle, un
remplacement à notre propre réalité. Si on va au cinéma, si on lit des
livres, si on écoute de la musique, c'est souvent pour nous décrocher de notre
vie, cette vie qui nous offre des bonheurs mais aussi des problèmes, une toile
de relations sociales complexes que l'on voudrait parfois oublier. Si les salles
de cinémas sont sombres, si on préfère lire qu'avec une seule lampe au dessus
de notre épaule, si on savoure mieux la musique les yeux fermés, c'est parce
que l'on s'efforce d'accéder à un autre univers, personnellement. On plonge le
réel dans la noirceur pour enfin pouvoir concentrer notre perception sur ce
nouveau monde.
Les histoires fictives d'aujourd'hui perdent de
leurs caractères de nouveau monde parce qu'elles sont trop nouvelles, trop
proches de nous. On remarque trop facilement les différences d'avec notre réel
et on ne se prend pas au jeu. Pourtant, certains procédés et techniques ont
permis de donner à notre nouvelle fiction son caractère de nouveau monde:
Le recyclage des mythes anciens.
Inconsciemment ou consciemment, on reprend la structure et les éléments des
histoires qui font partie de notre patrimoine collectif. La culture chrétienne,
par exemple, affectionne beaucoup la résurrection de ses héros, les jugements
derniers à la fin de ses aventures, les épreuves de foi, les pèlerinages,
etc. En somme, dans les fictions nouvelles, on retrouve les légendes anciennes,
qui sont les dictats des religions. Leur nouvelle forme se veut alors une
actualisation, ou un camouflage, ou alors un témoin imposé de la vivacité
constante de notre culture religieuse.
Les histoires qui sont très reculées dans le
temps peuvent facilement être interprétées en faisant appel à une certaine
magie claire et à un surréel évident (récits de chevalerie, monstres
antiques, etc.). Il serait inopportun d'ajouter à des événements récents de
notre histoire, des éléments surréels. Ils sont trop proches de nous. Le récit
du meurtre de John F. Kennedy ne saurait tolérer l'arrivée d'un farfadet.
La vérité incroyable. Certains humains
ont eu des vies extraordinaires où le pouvoir laissait parfois place à une
sorte de clairvoyance louche et fascinante. Ce sont des artistes, des
politiciens, des sportifs, des demi-dieux qui ont répétés les exploits des
oracles, titans et dieux des temps anciens. Mais pourtant, ils ont existés! Et
leur existence peut être soutenue par la rigueur scientifique, des documents
historiques, des témoignages fiables. Il est alors facile d'afficher l'histoire
de ces humains, lui donner le lustre surréel qu'elle mérite et en faire un
miracle qui eut bel et bien lieu. Il n'est pas étonnant que les biographies
soient si populaires: on adore enfin pouvoir croire, en toute impunité, que
l'incroyable peut exister. On peut d'ailleurs ajouter à ce phénomène, les récits
des mystères modernes (ovnis, monstres aquatiques, meurtres mystérieux). Ils
se situent, eux aussi à la limite de la vérité. On ne possède qu'une partie
du réel. Libre à nous de remplir le reste de tous nos rêves et peurs...
Les star-system. Les acteurs font plus
d'un film. On va voir ces travaux pour voir l'acteur et on l'imagine, dans la
vie réelle, comme on l'a vu dans ses films. C'est pour cette raison qu'il est
difficile, pour un acteur, de changer de registre, aux yeux du public: l'image
qu'il projette dans ses réalisations est si proche de celle qu'il nous offre
dans la vie de tous les jours car tout ce que nous connaissons de lui provient
de ses films, là où il s'ouvre le coeur à plusieurs reprises, dans la peau de
ses personnages!.. Tous ces acteurs, toutes ces images se rassemblent enfin dans
un monde (Hollywood, Londres, Paris) où ils se rencontrent, fêtent, vivent des
intrigues amoureuses compliquées, comme le faisaient les dieux de l'Olympe. Des
médias d'information nous informent sur l'évolution du monde de ces dieux qui
semblent si puissants, si influents, si voluptueux et parfaits. Ils nous
dirigent grâce à leurs déclarations, aux vêtements qu'ils portent. Ils nous
enseignent, dans leurs oeuvres, les vérités sur la vie. Cette mythologie
nouvelle est issue de l'Amérique, un continent neuf où une spiritualité spécifique,
comme le nationalisme, la philosophie et le reste, restaient à être
construits.
Les reality show. Complètement à
contre-courant de la mythologie hollywoodienne, le phénomène des reality show,
qui sont une fiction fabriquée par de faux comédiens, des situations banales,
quotidiennes et une scénarisation sobre, se veut une négation de l'irréel.
C'est une célébration de l'Ancien monde issue d'une peur ou de l'anticipation
d'une perte de l'humanité dans son amour pour ce qui n'existe pas. Il est vrai
qu'en valorisant l'irréel, le réel devient plutôt triste et morne. Il est
alors simple d'accéder à une volonté de quitter le réel. La célébration de
la réalité va de pair avec une envie du bonheur, sur Terre, maintenant.
Les grandes oeuvres. Sans avoir à
rappeler d'autres oeuvres, sans avoir besoin de s'accrocher au génie de
d'autres textes, les grandes oeuvres, en elles-mêmes, détiennent une valeur
irréelle et miraculeuse qui leur assurera l'immortalité. Elles sont rares et
chaque siècle en compte trois ou quatre.
Ici.
Ces nouveaux mondes sont construits à peu près
de la même façon: ils sont un fruit de l'imagination qui est distribué et
sous le contrôle d'une grande quantité de gens. Personne ne peut véritablement
décider de la destinée générale de l'ensemble mais peut en influencer une
partie. Comme le monde réel, les nouveaux mondes sont conçus par la somme des
volontés individuelles.
L'important, c'est d'y croire, à ce qu'il paraît...
Ici, le sabotage. Ce texte est en quelque sorte
une volonté de construire un irréel, en mettant en relief les mondes en
construction. Ce n'est pas idiot. Peut-être serons-nous un jour avalés par
tous ces mondes. C'est en tous cas la peur de tous les humains si on tient
compte du succès de ces films paranoïaques (Truman show, Matrix, Pleasantville,
etc.) qui sont venus envahir nos écrans. L'humain essaie de se situer dans le réel
et dans l'imaginaire. Les deux instances font appel à la même perception. S'il
pouvait un jour, les différencier sans problème!
Sortir
On veut sortir.
On se souvient d'une époque où notre perception était la même que celle de
notre mère.
On se souvient que nous croyions alors tout connaître.
On a cru mourir, mais l'espace s'est ouvert une première fois.
Le médecin nous a pris, a coupé le cordon et on a découvert le monde (?)
Croyons-nous encore tout connaître ?