Marquis
de Sade
(1740 - 1814)
Histoire
de Juliette - Extraits
- Deuxième
partie : Sade, toujours aussi iconoclaste, s'attaque au péché
originel, dans le but de démontrer l'absurdité du dogme de l'enfer :
O mes amis ! je vous le demande, un homme
rempli de bonté planterait-il dans son jardin un arbre qui produirait des
fruits délicieux, mais empoisonnés, et se contenterait-il de défendre à
ses enfants d'en manger, en leur disant qu'ils mourront s'ils osent y
toucher ? S'il savait qu'il y eût un tel arbre dans son jardin, cet
homme prudent et sage n'aurait-il pas bien plutôt l'attention de le faire
abattre, surtout sachant très bien que, sans cette précaution, ses enfants
ne manqueraient pas de se faire périr en mangeant de son fruit, et d'entraîner
leur postérité dans la misère ? Cependant, Dieu sait que l'homme
sera perdu, lui et sa race, s'il mange de ce fruit, et non seulement il
place en lui le pouvoir de céder, mais il porte la méchanceté au point de
le faire séduire. Il succombe et il est perdu ; il fait ce que Dieu
permet qu'il fasse, ce que Dieu l'engage à faire, et le voilà éternellement
malheureux. Peut-on rien au monde de plus absurde et de plus cruel !
Sans doute, et je le répète, je ne prendrais pas la peine de combattre une
telle absurdité, si le dogme de l'enfer, dont je veux anéantir à vos yeux
jusqu'à la plus légère trace, n'en était une suite affreuse.
- Sixième partie : Un
passage empreint de lyrisme où Juliette et Clairwil projettent leur amie
Olympe Borghèse dans les laves du Vésuve...
- Confieras-tu nos projets à Borghèse ?
- Non, je ne l'aime plus, cette femme.
- Oh ! foutre, je la déteste, moi.
- Il faut s'en défaire le plus tôt possible.
- N'allons nous pas demain au Vésuve ?
- Tu as raison, il faut que les entrailles de ce
volcan lui servent de tombeau... Quelle mort !
[Juliette et Clairwil préparent leur excursion, et, le lendemain, après
avoir monté le volcan et congédié les guides, elles se retrouvent en
compagnie de leur amie au bord du cratère...]
- Userons-nous de ruse ? dis-je bas à mon
amie.
- Non, me dit-elle, de force...
Et nous élançant aussitôt toutes deux sur Olympe :
- Garce ! lui dîmes-nous, nous sommes lasses
de toi ; nous ne t'avons fait venir ici que pour te perdre... Nous
allons te précipiter toute vive dans les entrailles de ce volcan.
- Oh ! mes amies, qu'ai-je donc fait ?
- Rien. Tu nous lasses, n'en est-ce point assez ?...
Et lui enfonçant, en disant cela, un mouchoir dans
la bouche, nous interceptâmes sur-le-champ ses cris et ses jérémiades.
Alors Clairwil lui attacha les mains avec des cordons de soie qu'elle avait
apportés à ce dessein ; j'en fis autant de ses deux pieds ; et
quand elle fut hors de défense, nous nous amusâmes à la contempler ;
des larmes, s'échappant de ses beaux yeux, venaient retomber en perles sur
sa belle gorge. Nous la déshabillâmes, nous la maniâmes et la vexâmes
sur toutes les parties de son corps ; nous molestâmes sa belle gorge,
nous fustigeâmes son charmant cul, nous lui piquâmes les fesses, nous épilâmes
sa motte ; je lui mordis le clitoris jusqu'au sang.
Enfin, après deux heures d'horribles vexations,
nous l'enlevons par ses liens, et la précipitons au milieu du volcan, dans
lequel nous distinguâmes, plus de six minutes, le bruit de son corps
heurter et se précipiter par saccades sur les angles aigus qui le
rejetaient de l'un à l'autre, en la déchirant en détail. Peu à peu le
bruit diminua... nous finîmes par ne plus rien entendre.
- C'en est fait, dit Clairwil qui n'avait cessé de
se branler depuis qu'elle avait lâché le corps. Oh ! foutre, mon
amour, déchargeons maintenant toutes deux, étendues sur le bourrelet même
du volcan ! Nous venons d'y commettre un crime, une de ces actions délicieuses
que les hommes s'avisent d'appeler atroces : eh bien ! s'il est
vrai que cette action outrage la nature, qu'elle se venge, elle le peut ;
qu'une éruption se fasse à l'instant sous nous, qu'une lave s'ouvre et
nous engloutisse...
Je n'étais plus en état de répondre ; déjà
dans l'ivresse moi-même, je rendais au centuple, à mon amie, les
pollutions dont elle m'accablait. Nous ne parlions plus. Etroitement serrées
dans les bras l'une de l'autre, nous branlant comme deux tribades, il
semblait que nous voulions changer d'âme par le moyen de nos soupirs embrasés.
Quelques mots de lubricité, quelques blasphèmes étaient les seules
paroles qui nous échappaient. Nous insultions la nature, nous la bravions,
nous la défiions : et, triomphantes de l'impunité dans laquelle sa
faiblesse et son insouciance nous laissaient, nous n'avions l'air de
profiter de son indulgence que pour l'irriter plus grièvement.
- Eh bien ! me dit Clairwil, qui revient la
première de notre mutuel égarement, tu vois, Juliette, si la nature
s'irrite des prétendus crimes de l'homme : elle pouvait nous
engloutir, nous fussions mortes toutes deux dans le sein de la volupté...
L'a-t-elle fait ? Ah ! sois tranquille, il n'est aucun crime dans
le monde qui soit capable d'attirer la colère sur nous : tous les
crimes la servent, tous lui sont utiles, et quand elle nous les inspire, ne
doute pas qu'elle n'en ait besoin.
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