J'accuse…

 

Gérard Boutet

 

J'accuse la religion, toutes les religions, de diviser les peuples et de les dresser les uns contre les autres, en tenant le discours hypocrite de la fraternité universelle.

 

J'accuse la religion d'enchaîner les hommes, sous prétexte de les émanciper. J'accuse la religion de nous gaver d'idées prémachées, au lieu de nous encourager à penser par nous-mêmes. Le pape Clément VIII, au lendemain de l'édit de Nantes, déclarait que cet acte était le plus mauvais qui se pouvait imaginer ; permettant la liberté de conscience à tout un chacun qui est la pire chose au monde.

 

J'accuse les zélateurs, les prophètes, les prosélytes, les prédicants et les prédicateurs de se croire les seuls porteurs de la vraie parole. Ils ne cessent de condamner, de mortifier, d'excommunier, de prêcher carnages sur carnages, massacres sur massacres, dragonnades sur dragonnade. Je les accuse d'user, après coup, d'une facile absolution pour se laver de leurs crimes.

 

J'accuse les missionnaires, bottés ou non, d'avoir, par le cimeterre ou par la croix, anéanti des civilisations entières au nom de leur foi obscure, et d'avoir privé l'humanité de connaissances sacrifiées à jamais.

 

J'accuse les dignitaires ecclésiastiques de toutes bannières, les druides, les bonzes, les ayatollahs, les chamans, les gourous, les marabouts, les prélats revêtus de la pourpre cardinalice ou d'autres oripeaux, j'accuse tous ces fous de quelque dieu d'avoir constamment ensanglanté l'histoire, rempli les ergastules et les cachots, allumé les bûchers et tourmenté les esprits éclairés, les astronomes comme les alchimistes, les poètes comme les philosophes qui ne cherchaient, en tâtonnant, qu'à améliorer le sort de leurs frères humains. J'accuse ces intégristes de tous horizons d'avoir nié que la terre tournait, et, pis, d'avoir empêché le monde de tourner rond.

 

J'accuse les religieux de maintenir leurs ouailles dans les ténèbres épaisses de l'ignorance, sous couvert de divulguer la lumière divine. Je les accuse de faire accroire que, hormis les valeurs qu'ils professent, il n'est point d'autres principes auxquels le genre humain puisse adhérer.

 

J'accuse les prêtres de bénir les armes des soldats, de laisser graver leurs devises sur les lames des tortionnaires des SS aux yatagans des moudjahiddins, des machettes du Rwanda aux kriss du Sri lanka, des bombes de Belfast aux roquettes de Sarajevo. Je les accuse de se torcher avec le sixième commandement de l'Éternel, que beaucoup prétendent représenter. Je les accuse de berner l'opinion en invoquant la sainteté de certaines guerres, pour justifier l'asservissement, le meurtre et le génocide, depuis les croisades chrétiennes jusqu'aux djihads islamiques, et ainsi de contribuer à répandre le sang des hommes. J'accuse les aumôniers militaires de perpétuer la sinistre collusion du sabre et du goupillon, et de cautionner l'oeuvre sinistre des baroudeurs.

 

J'accuse les théologiens de pérenniser des histoires à dormir debout, et de prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. J'accuse les clergés d'avancer à visage masqué afin de mieux opprimer les nations, de semer la mort au nom de la vie éternelle, et la haine au nom de l'amour. Je les accuse de confondre le péché et le plaisir. J'accuse les prêtres d'imposer leurs conceptions d'éducation familiale, alors qu'ils n'ont ni épouse ni enfants déclarés. J'en accuse certains de préférer la calotte à la capote.

 

J'accuse les dévots de toutes les confessions, de toutes croyances, de toutes superstitions, de reléguer la femme au rang d'une créature fautive, imparfaite, impure, d'un holocauste à jamais marqué par la souillure originelle. Je les accuse de lui dénier une âme, parfois, et des droits égaux à ceux de l'homme, toujours, de la considérer souvent comme un être inférieur et domestique auquel on interdit la liberté de vivre sans l'autorité écrasante se son maître le mâle et qu'on viole, qu'on lapide, qu'on éventre ou qu'on égorge selon l'anathème du jour, ou qu'on enferme dans un couvent, ou dans quelque gynécée pour vestales.

 

J'accuse les bigots d'un conservatisme ridicule et d'une tartuferie qui ne sont plus à démontrer, d'une feinte compassion et d'une charité qui, tout compte fait, ne réconfortent qu'eux-mêmes.

 

Enfin, si un dieu existe quelque part, je ne sais où et ne voulant le savoir qu'après mon heure dernière, je le prie de bien vouloir supprimer ce besoin de religiosité qui fermente dans le coeur des hommes, et qui nous cause tant de drames. J'attends.


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