"Je
cherche l'Or du Temps .."
André Breton
"C'est pourtant ici que je
vous invoque car j'ai conscience de ne plus rien pouvoir sans que vous vous
manifestiez, génies qui présidez secrètement à cette alchimie, vous, maîtres
de la vie poétique des choses." "/... / c'est pourtant à vous, génies,
qu'il est dévolu de vous porter jusqu'à ce coeur et, sans que rien n'en
transpire ni au-dehors ni pour lui-même, d'y mettre en marche vos
alambics."
André Breton, Arcane 17
Si, parmi les sciences dites
"occultes", l'attrait pour l'Alchimie s'afficha de manière privilégiée
chez André BRETON, c'est que, vraisemblablement, il dut y déceler - ou plutôt
y percevoir intuitivement - l'empreinte stellée des "Grands
Transparents" et de leur vérité sous-jacente qui, dans sa nudité, n'eut
de cesse de défier la pudeur rationnelle du scientisme confortable et ô
combien rassurant, celui-là même qui, dans sa véracité, masque sans doute
paradoxalement l'essentiel de notre existence; en d'autres termes, la
quintessence de
la Vie
, ou plus précisément encore l'Or du Temps. Ainsi, lorsque André BRETON écrit:
"Les Grands Transparents qui se manifestent obscurément à nous dans la
peur et le sentiment du hasard" (Prolégomènes, in Manifeste), fait-il
allusion à ces tranches de vie privilégiées qu'il convient d'appréhender par
la prise de conscience du " hasard Objectif " L'individu étant dès
lors soumis aux impondérables du "temps hors du temps", palpable et
insondable par essence, en ce lieu hors de tout espace communément admis, point
suprême où toutes choses "cessent d'être perçues
contradictoirement" (second Manifeste du Surréalisme). Selon toute
vraisemblance, aurait-il fait appel à l'instar de Mircea ELIADE, à la notion
du Sacré s'il n'en avait au préalable rejeté la transcendance. Là, réside
tout le paradoxe chez cet athée épris de merveilleux, voire de mysticisme, ce
poète qui exhorte ses contemporains à se remettre en quête d'absolu :
"chaque artiste doit reprendre seul la poursuite de
la Toison
d 'Or" (Prolégomènes, in Manifestes). La couleur est annoncée; André
BRETON ne désigne-t-il pas sans ambages par ces mots, le produit du Grand Œuvre:
la Pierre Philosophale
et la transmutation subséquente! Et c'est ici, dans l'esprit d'André BRETON,
tout le "mouvement surréaliste" qui se voit d'un coup engagé dans
cette perspective. La déclaration suivante de son chef de file est éloquente
à cet égard: je demande qu'on veuille bien observer que les recherches surréalistes
présentent avec les recherches alchimiques, une remarquable analogie de but:
la Pierre Philosophale
n'est rien autre que ce qui devait permettre à l'imagination de l'homme de
prendre sur toutes choses une revanche éclatante. Michel CARROUGES* a
parfaitement su en tirer l'enseignement: "/…/ les écrits des alchimistes
ont une allure nettement pré-surréaliste. Autant la poésie surréaliste est
loin de celle des classiques, autant elle se place exactement dans le
prolongement de celle des alchimistes." Ceci ne devant pas toutefois
occulter les références antérieures au surréalisme, à
la Philosophie
hermétique, notamment chez RIMBAUD que les Surréalistes hissèrent d'ailleurs
au rang de demi-dieu (de même que SADE et LAUTRÉAMONT pour d'autres raisons).
Empruntant à l'auteur de Voyelles son expression idoine " au pouvoir
d'incantation " (Nadja), André BRETON n'hésitera pas à affirmer :
"Alchimie du Verbe: ces mots qu'on va répétant, un peu au hasard,
aujourd'hui, demandent à être pris au pied de la lettre" (Manifestes).
Certes, cette notion plus familière à RIMBAUD qu'à CLAUDEL qui, nonobstant,
s'efforçait d'acquérir "l'or intérieur", était chère également
à NODIER, ou plus grandement encore à NERVAL qui influença tant BRETON en son
Arcane 17. Celui-là, considérant dans son œuvre ultime que "le Rêve est
une seconde vie" (Nerval, Aurélia),, ne pouvait manquer d'impressionner à
ce point le poète, à telle enseigne que l'interrogation majeure existentielle
introduit Nadja: "Qui suis je ? /… / pourquoi tout ne reviendrait-il pas
à savoir qui je hante ? je dois avouer que ce dernier mot m'égare /… / il me
fait jouer de mon vivant le rôle d'un fantôme, évidemment il fait allusion à
ce qu'il a fallu que je cessasse d'être, pour être qui je suis". N'est-ce
point ici analogue au je suis l'autre, en guise de réponse à la même
question, chez NERVAL ? La tradition ésotérique du double "qui marche et
agit" (Doppeigânger) inconsciemment est ici évidemment présente: cet
autre "moi" invisible et cependant si actif que les anciens Égyptiens
vénéraient sous le vocable du "ka". C'est à ce niveau que
la Psychanalyse
revêt toute son importance chez BRETON. Encore conviendrait-il de nuancer le
discours "freudien!' et de 1'éclairer considérablement par les apports de
Carl-Gustav JUNG, notamment en matière de "synchronicités" - ces
"hasards" apparents - et plus généralement d'intégration psychique,
par la méthode " d'individuation ". Aussi, n'est-il pas superflu de
noter que ce dernier allait associer sa vision singulière de la psychologie des
profondeurs à l'onirisme hermétique en une de ses études majeures
(Psychologie et Alchimie) où l'inconscient collectif se chargeait, selon lui,
du contenu des arcanes alchimiques fondamentaux. Si les éléments d'essence
proprement alchimique dans l'œuvre de BRETON avaient su quelque peu résister
à l'étude néanmoins magistrale de Michel CARROUGES,* il n'en va pas de même
avec l'auteur du présent ouvrage, Richard DANIER, qui, sans épuiser l'exégèse
hermétique de l'œuvre, nous fournit une très appréciable sinon exhaustive
interprétation des éléments alchimiques relevés. L'originalité d'une telle
entreprise réside déjà dans le rassemblement des symboles opératifs épars
dans l'œuvre du chef de file du Surréalisme, notamment dans trois textes
essentiels. Un des grands mérites de Richard DANIER est, outre le fait qu'il
souligne les allusions évidentes d'André BRETON au modus operandi alchimique
qui jalonnent ces textes, d'avoir su rendre parfaitement compte de la
progression de la voie hermétique ou de 1"intégration psychique" du
poète à travers la chronologie de son œuvre littéraire, à savoir
Nadja (1927), l'Amour fou (1936)
et Arcane 17 (1947).
Force est de constater que Nadja
qui ouvre le triptyque et dont le vocable s'apparente au début du mot "espérance"
en Russe - selon l'aveu de l'héroïne elle-même - constitue le parvis du Grand
OEuvre. Combien celle qui se présente telle "l'âme errante" ne cesse
d'évoquer pour l'hermétiste sa prima materia "nigra sum sed formosa"
(" je suis noire mais belle "). À cela, André BRETON se devait
d'ajouter sa conception esthétique : "
la Beauté
sera convulsive ou ne sera pas ", qu'il complétera d'ailleurs ultérieurement
: "
la Beauté
convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou
ne sera pas, (l'Amour fou). "Érotique-voilée" n'est-ce pas précisément
l'apparence sous laquelle la déesse Isis apparut à Saïs ou ailleurs et dont
nul mortel n'est censé être parvenu à soulever le voile! Cette fascination
exercée par la prima materia de même que par la femme mystérieusement élue,
pour le poète comme pour l'alchimiste, se revêt du "magique-circonstanciel"
accompagnant la rencontre. Encore serait-il pour le moins souhaitable que la réciprocité
du "coup de foudre" s'exerce. L'amour n'est-il pas " ce miracle
donné de vivre à deux"? Lui, incarnant - selon elle - le Soleil, parfois
noir et froid mais toujours doté de la main de feu et elle - vis-à-vis de lui
- un "génie de l'air", le Mercure subtil et volatil (Atalanta fugiens)
qui exige d'être capté magnétiquement. A cet égard, le dessin de Nadja
qu'elle intitule "
la Fleur
des amants" est éloquent puisque le papillon ainsi constitué par les
regards entrecroisés des deux amants, suggère la métamorphose de la
chrysalide (de chrusos, l'Or), sorte de poésie transmutatoire de l'âme et des
corps fusionnés, renouvelant par là même le mythe de Psyché. Cette
femme-fleur, femme-fée, femme-enfant " hantera ", toujours le poète
et l'on sait que le mot est d'importance chez BRETON qui, dès les premières
lignes de l'ouvrage s'estime "hanté".
Est-ce l'anima dont il s'agit,
de même que le mercure virginal et vitriolique hante l'alchimiste dans sa quête
du Grand Œuvre? Force est bien de répondre ici par l'affirmative même si la généralité
d'une telle assertion n'échappera point au lecteur de ces lignes. Mais, chez
André BRETON, le souci de singularité est manifeste et c'est bien davantage grâce
aux symboles et aux analogies diverses que s'exprime ce couple mystérieux,
ontologiquement alchimique. D'ailleurs, cette quête de l'Amour absolu commencée
ici, se poursuivra chez le poète à travers l'amour fou. "La voyageuse, la
jeune femme, la femme sans ombre" le conduira ici, à travers une forêt de
symboles, à une introspection des plus fécondes dans toute l'acception du
terme, puisque le couple (Soufre et Mercure alchimiques) donnera cette fois
naissance à l'Aube, prénom de l'enfant adulée à qui la dernière partie de
l'ouvrage s'adresse, lui souhaitant d'être follement aimée". S'émerveillant
du "cristal" et de la pureté des formes qui s'en dégage, André
BRETON se réfère aux murs de quartz de la "Grotte des Fées" (près
de Montpellier) ainsi qu'aux cubes de sel gemme de " la maison inhabitable
" qu'il affectionne tout particulièrement et dont la perfection archétypale
sied à cerner l'Amour absolu qu'il dépeint à l'enfant. Ce "cristal"
n'évoque-t-il pas en tous points les vertus que les alchimistes accordèrent à
leurs mystérieux sels de Rosée ! De même, parachevant le Grand Œuvre: "à
flanc d'abîme, construit en pierre philosophale, s'ouvre le château étoilé".
Cette référence au château étoilé, rattaché à la ville hermétique par
excellence: Prague, dotée de sa mirifique "ruelle de l'Or", évoquait
les préoccupations des alchimistes à la cour de l'empereur Rodolphe, dont l'un
des moindres ne fut certes pas John Dee. André BRETON avait reconnu en un objet
en forme d'étoile à huit pointes comportant vingt-quatre facettes, découvert
à Domine, en 1966,, l'image de ce mystérieux castel étoilé. La projection
volumique dans l'espace de l'hexagramme définissait en outre symboliquement la
pierre philosophale, la conversion des Éléments représentés graphiquement
par des triangles entrecroisés, réalisant par là même la plus parfaite
harmonie. Quel hiéroglyphe plus sublime, entaché de "magie transmutatoire"
avait pu percevoir le poète bien des années avant que celui-ci figurât sur
son ultime demeure, au cimetière des Batignolles, accompagné de l'épitaphe
lourde de sens . le cherche l'Or du Temps...
***
Mais revenons à
la Femme
(au Mercure volatil) par excellence, objet de convoitise du poète (et de
l'alchimiste); si elle affecte "l'air de nager" dans l'amour fou,
c'est parce qu'indubitablement c'est une ondine, la sirène sous l'apparence de
laquelle se représentait Nadja, dans l'un de ses dessins. Ne suggère-t-elle
pas ainsi
la Fée Mélusine
qui se refusait à son amant lors de sa secrète métamorphose hebdomadaire! Ce
thème récurrent de la sirène et de l'ondine à travers la légende de
Lusignan (de lux, la lumière) et des métamorphoses de Mélusine opérées le
jour du sabbat dans une tour, nous éclaire quant aux pérégrinations du poète,
dans son souci d'évoquer le mystère de la féminité et d'en placer le décor
dans la tour (athanor) des transmutations alchimiques. C'est encore la tour de Mélisande
où se déroule le draine de Maeterlinck : " Cette pâle tour, le long de
laquelle s'épand une cascade de blondeur qui vient se perdre dans le sable
"(Arcane 17). Bien évidemment, le passage obligé nous ramène à
la Tour St-jacques
, souventefois évoquée, véritable archétype de la tour des métamorphoses
alchimiques et ce, dans toute l'acception du terme puisque même le
"tour" du potier s'y voit associer par le truchement de la
"cabale phonétique" ou langue des oiseaux. La fascination exercée
sur André BRETON par le seul vestige de l'église St-jacques
la Boucherie
n'eut d'égal que celle qu'elle exerçât sur l'alchimiste Nicolas Flamel, en
quête de
la Pierre
mirifique et dont le symbolique périple à Compostelle (compost stellae) :
" l'étoile du compost ", débute en ce lieu, passant par le charnier
des Innocents et Notre-Dame de Paris où planait l'ombre du corbeau et de son maître
de réputation sinistre, mais si indispensable à la bonne marche du Grand
OEuvre. De la putréfaction vient la génération et du corbeau, littéralement
naît le beau corps du "Mercure" alchimique. Assurément, André
BRETON abonde en ce sens, parachevant Arcane 17 en ses "ajours" mémorables
qui ne font ici nullement figure d'appendice. C'est Sarane ALEXANDRIAN, en vérité,
qui se targue en son Histoire de
la Philosophie Occulte
(éd. Seghers), d'avoir fait connaître les œuvres de FULCANELLI (Le Mystère
des Cathédrales et Les Demeures Philosophales) à André BRETON chez qui se vérifiait
en sa magie quotidienne " l'alchimique perception " du poète tel que
notre bon Maître de Savignies l'affirmait sans ambages. Inversant
judicieusement la place de l'épithète sibyllin, mais ô combien significatif,
Eugène Canseliet n'hésitait pas en effet à qualifier le père fondateur du
Surréalisme " d'hermétique poète " - à l'étoile scellée, de
surcroît - le distinguant de ce fait à peine de la longue chaîne "
d'auteurs hermétiques " dont il fournit dans ses ouvrages assez souvent
l'inventaire : Cervantès, Savinien de Cyrano Bergerac, Jonathan Swift, Gérard
de Nerval, pour ne citer que ceux-là; la plupart forgés aux rudiments du Grand
Œuvre et qui en masquaient subtilement les opérations clefs par le truchement
de leur poésie évocatrice des arcanes, emplie de symboles et d'aphorismes de
portée alchimique sous forme d'allusions en tous genres. Ainsi, écrivait-il à
propos de notre hermétique poète, en son Alchimie expliquée sur ses textes
classiques (éd. J.-J Pauvert) "Certainement, André Breton connaissait
bien Le Triomphe Hermétique d'Alexandre-Toussaint Limojon de Saint-Didier, dans
lequel il prit l'idée, hautement philosophique, de son Exposifion surréaliste,
et surtout celle d'imposer aux visiteurs, le piétinement dans le sable d'un étroit
passage en labyrinthe caverneux; Nous répétons à dessein l'image de Limojon:
" Nostre pratique en effet est un chemin dans des sables, où l'on doit se
conduire par l'estoile du Nord, plutost que par les vestiges qu'on y voit imprimés.
" Lors d'une des trop brèves rencontres qu'eut le disciple direct de
FULCANELLI avec André BRETON, il lui fit part de l'admiration qu'il vouait
alors à l'excentrique Raymond ROUSSEL : "nous ne dissimulâmes pas, à
l'auteur de Nadja, qu'au nombre des diverses gens, toujours de haute qualité,
que nous voyions auprès du Maître, avenue Montaigne, ce fut Raymond Roussel
qui nous impressionna le plus /... / Lorsque, huit ans plus tard, en 1927, nous
eûmes acheté
La Poussière
de Soleils, qui venait de sortir à la librairie Alphonse Lemerre, passage
Choiseul, nous eûmes bientôt l'explication du prestige, laquelle n'entraîna,
pour nous, la moindre des surprises.
La Poussière
de Soleils ! Le titre est singulier, bien sûr, exprimant, selon nous, la
division jusqu'à l'extrême, de l'or philosophique, qui est l'astre des sages,
celui des vrais poètes /... / Étonnamment doté de l'alchimique perception,
André Breton nous "envoya", au cours de l'été
1948, l
'exemplaire pur fil des Cahiers de
la Pléiade
, dans lequel Fronton Virage fournit l'aperçu convaincant d'une exégèse
insoupçonnée." "Deux Logis Alchimiques" Éd. J.-J. Pauvert il
est vrai qu'en matière d'hermétisme André BRETON ne pouvait se montrer plus
prolixe que dans Fronton Virage où il décrit abondamment - commentant "
La Poussière
de Soleils" de Raymond ROUSSEL - toutes les phases alchimiques évoquées
de manière allusive. Après avoir habilement suggéré que ROUSSEL avait dû être
fortement influencé par Cyrano de Bergerac et son langage des oiseaux, André
BRETON souligne que celui en qui il voit le plus grand magnétiseur des Temps
modernes, "s'est appliqué au moins ici, à nous fournir les rudiments nécessaires
à la réalisation de ce que les alchimistes entendent par le Grand CEuvre et
qu'il l'a fait après tant d'autres, par les seuls moyens traditionnellement
permis. Je cite à nouveau Fulcanelli, qui me semble la plus haute autorité
moderne à cet égard : "Notre intention se borne à éveiller la sagacité
de l'investigateur, le mettant à même d'acquérir, par un effort personnel,
cet enseignement secret dont les plus sincères auteurs n'ont jamais voulu découvrir
les éléments." (Fulcanelli, in Les Demeures Philosophales).
André BRETON se livre ensuite
à une "exégèse hermétique" de
La Poussière
de Soleils tout à la fois pertinente et insoupçonnée du grand public:
"Le crâne d'Ambrosi: je pense que l'accent doit être mis ici sur les mots
mort (tête de) et Renaissance. Le mot sépia : impossible d'éviter l'associafion
avec la seiche, qui se dérobe par l'émission d'un liquide noir. Ne semble-t-on
pas toucher à cette phase de l'opération alchimique dite sublimation qui prélude
à 1"'ascension du subtil" par la séparation de l'épais" ? La
pierre au ptérodactyle : le seul passage de ces mots " la pierre au "
éveillerait déjà quelque écho de l'expression: " la pierre au noir
", ou " au blanc ", ou " au rouge " qui revient si
souvent dans le vocabulaire alchimique. Mais je gage que le ptérodactyle
n'intervient pas ici pour des raisons purement pittoresques. Rappelons-nous, en
effet, que la substance primitive, à partir de laquelle doit s'accomplir le
Grand Œuvre, "est généralement figurée par un dragon noir et couvert d'écailles,
que les Chinois appellent Loung, et dont l'analogie est parfaite avec le monstre
hermétique. Comme lui, c'est une espèce de serpent ailé, à tête cornue,
jetant le feu et la flamme par les naseaux." /La dernière phrase étant de
Fulcanelli; op. cité/. Le lys séché tout imprégné de poudre d'or : une fois
de plus Fulcanelli s'offre à nous tirer de tout embarras. La poudre d'or est
ici, de toute évidence, " l'or de projection, c'est-à-dire alchimiquement
fabriqué " qui est, nous dit-il encore, la " troisième forme de la
pierre ". Quant à la fleur de lys, il nous révèle qu'elle correspond
" à la rose hermétique. Jointe à la croix, elle sert, comme la rose,
d'enseigne et de blason au chevalier pratiquant ayant, par la grâce divine, réalisé
la pierre philosophique ". Jointe à la croix ? Nous n'allons pas tarder à
la voir apparaître, en effet. La souscription au cube, à proximité d'une
croix gravée de trois étoiles : nous y voilà ! Le cube en question, comme
j'en avais eu jadis la très vague intuition, corroborée à souhait par Jean
Ferry, marque bien non seulement un des points culminants du souci de Roussel et
une des clés maîtresses de sa pièce, mais encore une des étapes capitales
signalées dans l'élaboration du Grand Œuvre. Ce cube, en effet, pour peu que
nous nous reportions encore aux mêmes sources, n'est autre que la "pierre
cubique", c'est-à-dire maintenant taillée sur ses six faces et qu'il ne
s'agit plus, en la fixant parfaitement au "vaisseau hermétique", que
de faire parvenir à bon port. Fulcanelli nous montre l'image de cette pierre
tout arrimée dans un bas-relief décorant la fontaine Saint-Martin, située rue
Saint-Martin à Paris, soit à deux pas du théâtre où se joua
la Poussière
de Soleils. Renvoyant les curieux à ses admirables et abondants commentaires
à ce sujet, je me borne à relater que le cube, image de la quintessence, est
ici lié obligatoirement à la croix, image de
la Passion. Les
trois étoiles peuvent impliquer la nécessité qui s'est avérée de jeter
trois fois les dés (de "redissoudre trois fois la pierre") mais
insistent en même temps sur l'anonymat que doit garder le chercheur. La fraise
: " Le terme de pierre philosophale signifie, d'après la langue sacrée,
pierre qui porte le signe du Soleil " (Et par là non seulement le nom de
Magès, personnage marqué de la fraise, s'illumine mais encore le titre de la
pièce de Raymond Roussel devient transparent)."/…/ Et de conclure cette
exégèse, ici bien évidemment abrégée pour la circonstance, par cette
phrase: "Grâce à jean FERRY (auteur d'une étude sur ROUSSEL et La poussière
de Soleils) qui l'a rendu possible, j'estime que l'œuvre de Raymond Roussel
demande à être réexaminée de fond en comble à partir de là." ANDRÉ
BRETON Antibes, 12-19 mars
1948 L
'interrogation d'André BRETON quant au bien fondé du "secret" véhiculé
par
La Poussière
de Soleils, vient ici à point nommé couronner l'œuvre : "Est-il bien
concevable qu'un homme, étranger à toute tradition initiatique, se considère
comme tenu à emporter dans la tombe un secret d'un autre ordre (qui ne serait
après tout que le sien seul), tout en fournissant des indications qui
paraissent témoigner d'un très vif désir de le faire retrouver Gageons que ce
" secret " était en l'occurrence d'une capitale importance puisqu'il
révélait, outre certaines phases du Grand Œuvre, l'identité réelle de
FULCANELLI dont le patronyme avait été volontairement dissimulé au public; hélas,
ne nous est-il pas permis d'en dire davantage à ce sujet, respectant en cela la
volonté d'anonymat du Maître, à part, bien entendu qu'il ne s'agissait
nullement de Raymond Roussel lui-même - ce dont le lecteur de ces lignes se
douterait - mais plutôt d'une personnalité du monde scientifique de l'époque,
qu'il avait été amené à rencontrer à plusieurs reprises, disons-le tout
net, du côté des Champs-Élysées !… Cette mise au point étant faite,
gardons-nous de quitter trop hâtivement l'Étoile puisqu'elle guide les pas du
poète et que la littérature hermétique se montre unanime a son sujet: "Largior
hic campos aether et lumine vestit Purpureo; solemque suum, sua sidera norunt."
Ici l'éther plus riche couvre les champs de lumière pourprée; Ils connurent
leur soleil et leurs étoiles (Virgile, l'Énéïde) L'alchimiste Limojon de
Saint-Didier quant à lui, indiquait: "Nostre pratique en effet est un
chemin dans des sables, où l'on doit se conduire par l'estoile du Nord, plutost
que par les vestiges qu'on y voit imprimés." (Lettre aux vrais Disciples
d'Hermès, in Le Triomphe Hermétique) Dans sa quête d'intemporalité, voire
d'immortalité, André BRETON suit inéluctablement son inaccessible Étoile
dont le reflet ici-bas est cette femme-fée "aux seins d'hermine"
femme-enfant : "de cette variété si particulière qui a toujours subjugué
les poètes parce que le temps sur elle n'a pas de prise.,, (Arcane 17). Et
c'est bien l'arcane 17, "les Étoiles" du Tarot initiatique, où l'on
peut admirer celle-ci dans sa provocante nudité, versant les fluides astraux:
la "Rosée célestielle" et en imbibant la terre. PARACELSE n'évoquait-il
pas cette précieuse liqueur comme issue de l'exsudation des astres ! La suavité
qui se dégage de ce tableau qui n'a d'égal que la sensualité qui le caractérise,
souligne les rapports étroits qui unissent la féminité au firmament constellé
où le rayonnement de l'être aimé focalise avec passion le regard de l'amant.
Cette ode à l'étoile-fée est toute entière contenue dans l'œuvre du poète
intitulée du même nom: Arcane 17. Et si, comme le fait remarquer l'auteur à
l'étoile scellée: " sur le plan symbolique pur, j'avais cheminé avec
Nerval le long du sillon doré. Mélusine, Esclarmonde de Foix,
la Reine
de Saba, Isis,
la Verseuse
du matin, les très belles dans leur ordre et leur unité n'en restent les plus
sûres garantes"; il n'en est pas moins vrai que Gérard de NERVAL
s'exclama en ses Chimères: " Ma seule étoile est morte, - et mon luth
constellé Porte le Soleil noir de
la Mélancolie
" (El Desdichado) tandis qu'à l'inverse, André BRETON achèvera l'œuvre
par ces mots: "Ma seule étoile vit... Ainsi, pour l'hermétiste comme pour
le poète, les apparitions de l'astre stellaire jalonnent la voie de
la Connaissance. Le
brusque surgissement de l'Étoile * permet de par sa radiance immaculée,
l'inoubliable accès à
la Vraye Vie
, le passage immédiat par l'éclat du diamant, dans l'autre Monde, l'autre réalité
des choses. L'apparition de l'Étoile * traduit l'irruption du "sur-réel"
dans le réel, ou l'expression d'une certaine transcendance dans la banalité
quotidienne désespérément ensommeillée au cœur de la nuit de l'existence.
Ainsi, l'hermétiste Eyrénée Philalèthe pouvait exhorter à bon droit
1"argonaute" à suivre l'astre polaire, dans sa course effrénée en
quête de
la Toison
dOr: "Naviguant sur cette vaste mer, pour aborder à l'une et à l'autre
des Indes, il gouverne sa course par l'aspect de l'étoile du nord que notre
Aimant te fera paraître". (L'Entrée ouverte au Palais fermé du Roi). Le
tout consistant à recueillir à la fin des Aigles ou sublimations alchimiques
le précieux "bouton de retour" métallurgique, remora ou dauphin minéral,
véritable germe de
la Pierre Philosophale.
Voilà bien en effet située la problématique de la navigation idoine du
"pilote de l'onde vive" que l'alchimiste et le Poète reconnaissent
intimement en leur for intérieur telle la difficulté majeure à surmonter grâce
à la puissance illuminatrice que suscite l'incandescence de l'engagement sur la
voie du Grand OEuvre. Est-ce un pur hasard si André BRETON avait noté l'écueil
de l'enlisement dans " l'Île du Sable ", à la fin de Nadja, de même
que son assimilation au dauphin : roitelet minéral (regulus): "Elle
/Nadia/ souligne que nous sommes venus de la place Dauphine au Dauphin. (Au jeu
de l'analogie dans la catégorie animale j'ai souvent été identifié au
dauphin)." Assurément, l'alchimique intuition du poète ne pouvait laisser
indifférent le lecteur de son œuvre, puisque déjà dans "Poisson
soluble" dont l'expression si évocatrice ne laissait insensible le
questeur de "dauphin minéral ou bouton de retour métallurgique, il écrivait
sans ambages : "je suis entré un jour dans une chambre dont la fenêtre était
constituée par un grand bouton transparent." De même ces vers sacrifiés
à la version définitive, bien que réalisés en écriture automatique:
"Le moyen d'égayer les rives de la mort ? je salue au passage un oiseau de
prière Mais la barque rapide avance dans le lierre Et les yeux de mes yeux rêvent
trop près du bord." Puisqu'il faut bien conclure, et avant de céder la
place à l'étude magistrale de Richard DANIER, appliquons au poète à l'étoile
scellée, "Soleil noir" tel l'Osiris des Mystères, épargnant sa
modestie tout en rendant gloire à son génie, cette phrase extraite des "
Pas perdus " et qui sied à lui-même: Puisqu'il faut bien conclure, et
avant de céder la place à l'étude magistrale de Richard DANIER, appliquons au
poète à l'étoile scellée, "Soleil noir" tel l'Osiris des Mystères,
épargnant sa modestie tout en rendant gloire à son génie, cette phrase
extraite des " Pas perdus " et qui sied à lui-même: Le 17 juillet
1997 *Michel CARROUGES: "André BRETON et les données fondamentales du
Surréalisme" ; "Surréalisme et Occultisme", in "Les
Cahiers d'Hermès" (n° 2), éd.
La Colombe
, Paris, 1947.
André BRETON: Soleil noir et
main de Feu"
Patrick RIVIÈRE
Préface de "L'HERMETISME
ALCHIMIQUE CHEZ ANDRE BRETON" Richard DANIER, Ed RAMUEL
Pour revenir à la rubrique "Divers" :
Pour revenir au Plan du site :
Pour revenir à la page d'accueil :