La plus criminelle des inventions


...Il a été déjà dit que les religions, toutes sans exception, n'ont jamais servi à rapprocher et réconcilier les hommes, bien au contraire. Elles ont été et continuent d'être la cause de souffrances indicibles, de carnages, de violences physiques et spirituelles monstrueuses constituant l'un des plus ténébreux chapitres de la misérable histoire humaine. Ne serait-ce qu'en signe de respect pour la vie on devrait avoir le courage de proclamer en toutes  circonstances cette vérité évidente et démontrable.


Pourtant, la plupart des croyants, quelle que soit leur religion, non seulement feignent de l'ignorer, mais se rebellent, courroucés et intolérants vis-à-vis de ceux pour qui Dieu n'est plus qu'un nom, rien qu'un nom, un nom que, par peur de mourir, on lui a attribué un jour et qui viendrait entraver la marche d'une humanité nouvelle. En échange, on nous a promis des paradis et menacés d'enfers, aussi faux les uns que les autres, insultes effrontées à l'intelligence et au bon sens que nous avons eu tant de difficulté à faire naître.


NIETZSCHE a dit que tout était permis si Dieu n'existait pas, et moi je réponds que c'est justement à cause et au nom de Dieu que tout a été permis et justifié, surtout le pire, surtout le plus horrible et le plus cruel. Pendant des siècles, l'Inquisition, comme aujourd'hui les talibans, était une organisation terroriste qui s'acharnait à pervertir des textes sacrés qui devraient mériter le respect de ceux-là mêmes qui prétendaient y croire, un monstrueux pacte conjugal entre la religion et l'État contre la liberté de conscience et contre le plus humain des droits : le droit de dire "non", le droit à l'hérésie, le droit de choisir, puisque c'est tout ce que le mot hérésie signifie.


Et cependant, Dieu est innocent. Innocent comme quelque chose qui n'existe pas, qui n'a pas existé ni n'existera jamais, innocent d'avoir créé l'univers pour y placer des êtres capables de commettre les pires crimes et de se justifier aussitôt en disant que ce sont les célébrations de son pouvoir et de sa gloire, pendant que les morts s'accumulent, ceux des tours jumelles à New York, et tous les autres qui, au nom d'un Dieu devenu assassin par la volonté et
l'action des hommes, couvrent et recouvrent de terreur et de sang les pages de l'Histoire.


Les dieux, je crois, n'existent que dans le cerveau humain, prospèrent ou dépérissent à l'intérieur même de l'univers qui les a inventés, mais le "facteur Dieu", lui, est présent dans la vie comme si effectivement il avait été son maître et son seigneur. Ce n'est pas un dieu, mais le "facteur Dieu" qui s'exhibe sur les dollars papier et s'affiche sur des pancartes qui demandent la bénédiction divine de l'Amérique (celle des États-Unis, pas l'autre...). Et c'est à travers le "facteur Dieu" que le dieu islamique c'est incarné. Il a jeté contre les murs du World Trade Center les avions de la révolte contre le mépris et de la vengeance contre les humiliations.

On dira qu'un dieu a semé le vent et un autre récolté la tempête. C'est possible, c'est même certain. Mais ce n'étaient pas eux, pauvres dieux non coupables, c'était le "facteur Dieu", celui qui est le même chez tous les êtres humains où qu'ils soient et indépendamment de toutes croyances, celui qui a intoxiqué la pensée et ouvert la porte aux intolérances les plus sordides, celui qui ne respecte que ce qu'il ordonne de croire, celui qui, présumé avoir
fait de la bête un homme, a fini par faire de l'homme une bête.


Au lecteur croyant (quelle que soit sa religion) qui a réussi à surmonter la répugnance que ces mots pouvaient lui inspirer, je ne demande pas de devenir athée comme celui qui les à écrits.
Simplement, je le prie de comprendre, par le biais de la sensibilité si cela s'avère impossible par celui de la raison, que si Dieu il y a, il est unique et que, dans son rapport avec lui, ce qui importe le moins, c'est le nom qu'on a appris à lui donner. Et qu'il se méfie
du "facteur Dieu".


L'esprit humain ne manque pas d'ennemis, mais celui-là est l'un des plus obstinés et corrosifs. Comme cela vient d'être démontré et comme, malheureusement, cela risque de l'être encore.



José SARAMAGO, écrivain, Prix Nobel de littérature 1998.

 


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