La revanche, c'est la révolution

 

Louise Michel

 

[…] Il me paraît malheureusement impossible que quelque chose survive de nous après la mort, pas plus que de la flamme quand la bougie est soufflée ; et si la partie qui pense peut disparaître, parcelle par parcelle, quand on enlève, les uns après les autres, les lobes du cerveau, nul doute que la mort, en grillant le cerveau, n'éteigne la pensée.

Pourtant, s'il y avait l'éternité, comme l'immensité avant et après nous, et que la partie qui pense s'en aille dans les courants inconnus de l'électricité, et s'y absorbe ainsi que les éléments du corps retournent aux éléments matériels, ce ne serait pas miracle. Visible ou invisible, ce ne serait que la nature encore, et je me suis souvent demandé pourquoi on s'imagine que cette électricité, inconsciente ou non, s'en allant à des creusets invisibles, prouverait Dieu plus que la naissance des organismes qui grouillent sur la terre.

Malheureusement, la pensée sécrétée par le cerveau ne peut subsister quand ce qui la produisait n'existe plus [...].

La revanche, c'est la Révolution , semant la liberté et la paix sur la terre entière.

Quand tout monte en sève, il faut prendre rang d'un côté ou de l'autre, s'entasser dans l'ornière avec sa caste ou secouer les délimitations absurdes de castes et prendre sa place au soleil avec l'étape humaine qui se lève.

On a vu, dit-on, à l'enterrement de Vallès, une multitude émue, sur laquelle flottaient les bannières noires et rouges.

Est-ce là toute l'armée révolutionnaire ? Est-ce l'avant-garde ? C'est à peine un bataillon.

Quand l'heure sera venue, avancée par les gouvernements féroces et stupides, ce ne sera pas un boulevard, mais la terre entière qui frémira sous la marche de la race humaine.

En attendant, plus large sera le fleuve de sang qui coule de l'échafaud où l'on assassine les nôtres, plus les prisons regorgeront, plus la misère sera grande, plus les tyrannies se feront lourdes et plus vite viendra l'heure, plus nombreux seront les combattants.

Combien d'indignés seront avec nous, jeunes gens, quand les bannières rouges et noires flotteront au vent de colère !

Quel raz de marée, mes amis, quand tout cela montera autour de la vieille épave'.

Comme ils fileront doux, les petits jeunes gens qui se prétendent étudiants et qui bornent la patrie aux boues de Sedan !

Nous voulons, nous, pour tous les peuples du monde la revanche de tous les Sedan, où les despotes et les imbéciles ont traîné l'humanité.

La bannière rouge qui fut toujours celle de la liberté effraie les bourreaux, tant elle est vermeille de notre sang.

Le drapeau noir crêpé de sang de ceux qui veulent vivre en travaillant, ou mourir en combattant, effraie ceux qui veulent vivre du travail des autres.

Oh !flottez sur nous, bannières noires et rouges ; flottez sur nos deuils et sur notre espoir dans l'aurore qui se lève !

Si l'on était libre dans un pays, libre d'arborer sa bannière où et comment on le voudrait, on verrait, mieux qu'à un vote quelconque, de quel côté se rangerait la foule ; il n'y aurait pas moyen de mettre quelques hommes dans sa poche comme on y met des poignées de bulletins.

Ce serait une bonne manière de s'assurer de la majorité non falsifiée, qui serait cette fois celle du peuple.

Mais il n'est permis d'arborer nos drapeaux que sur les morts. Nous ne sommes pas à Londres.

Cette idée me remet en mémoire la dernière conférence de Blanqui.

La salle était pavoisée de drapeaux tricolores. Il se dressa, le vieux brave, pour maudire les couleurs de Sedan et de Versailles qu'on faisait flotter devant lui, symboles de redditions et d'égorgements.

Cette séance fut la dernière, les hurlements de la réaction couvraient souvent les paroles du vieillard.

Mais souvent aussi le petit souffle de la poitrine de l'agonisant s'emplissait du souffle immense de l'avenir, dominait à son tour.

Après cette séance, il se mit au lit et ne se releva plus.

Ce n'est pas le drapeau vermeil faisant une aurore sous le soleil qu'on poursuit, c'est tout réveil de liberté, ancien et nouveau, ce sont les anciennes Communes de France, c'est 1793, c'est Juin, c'est 1871, c'est surtout la prochaine Révolution qui s'avance sous cette aurore. Et nous, c'est tout cela que nous défendons... […]

 

(Extrait des "Mémoires "de Louise Michel)


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