L'anthropophagie
existe encore... je l'ai rencontrée !
Préambule :
J’ai déjà entendu maintes parodies de telle sorte en wallon ou en
bruxellois, mais en français, je n’ai guère entendu qu’une parodie du
capitalisme façonnée à la façon d’une messe cath , mais
fort jubilatoire, sacré foutredieu ! Renseignements sur demande !
Eh bien, nous l’espérons,
cette lacune sera aisément comblée. C’est ainsi que je laisse la parole à
mon copain, ô combien intime! : Anatole !
Le rapporteur,
Bolet satan
Avertissement :
Je conçois parfaitement, ô êtres blasés, qu’il sera ardu de vous faire
part de basses considérations ne pouvant être qu’autant d’éjaculats émanant
d’un esprit primaire.
Parce qu’il me faut bien
avouer que, né de parents plus préoccupés de leurs stocks-options et de la
lecture des valeurs boursières, mon éducation a été quelque peu négligée.
D’où ma crasse ignorance des réalités de la vie. D’où parfois interprétations
curieuses de ma part…
Je me lance. Moi, Anatole
Hondulez, tiens ici à communiquer à toutes et à tous ce que je considère
comme l’épisode le plus mystérieux, et même le plus révulsant de ma vie.
Et je tiens également au passage à rendre grâce ici
à mon copain ô combien intime, Bolet satan, sans qui je pense,
je ne serais rien…
Anatole Hondulez
Or donc, que voilà lors d’une
promenade que j’espérais bénéfique pour mes pauvres poumons nicotinisés,
il se mit à pleuvoir. Et dru. Palsambleu, me dis-je. Moi qui n’avais point prévu
de protection adéquate à base de…baleines…terme curieux…, mais qu’ont
donc à voir ces sympathiques mammifères marins dans ma narration ? Oui,
on sort du sujet, je l’accorde très volontiers à qui de droit.
Mais que diantre !
bougonnai-je en scrutant fébrilement les environs…aucun abri aux alentours.
Et puis soudain…soudain…voilà
que j’aperçois vaguement un bizarre édifice, que péniblement, à travers la
bruine, (en plus je suis myope) je supposai être superposé d’une sorte de
toit pointu…mais surtout il me semblait voir à travers mes lunettes embuées,
maintes gens se presser à sa proximité.
Je m’approche. Je ne m’étais
pas trompé. De plus, les dites gens se succédaient pour pousser une espèce de
portail en bois vermoulu s’ouvrant dans un grand cri de charnières mal huilées,
et entrer à l’intérieur de l’édifice, sans même tenir le portail pour
laisser passer les autres. Bon me dis-je, vu la violence de cette averse
torrentielle, il n’est dès lors point étonnant que ces personnes courent
vers l’abri le plus proche. Je les imite donc, car c’était plus que ne
pouvait en supporter ma calvitie naissante. Tout en faisant bien attention à
mon appendice nasal, car la personne devant moi avait laissé le lourd portail
se refermer à mon approche.
Eh bien, nous n’avions pas de
chance. Il y avait certainement une panne d’électricité, car on avait allumé
des bougies.
Et alors là, vraiment, je
n’en reviens pas : les gens devant moi s’humectent le visage à
l’aide d’un liquide puisé dans un curieux récipient en pierre ! Vu le
temps qu’il régnait dehors, avouez que c’était pour le moins déconcertant !
Il y en a même un qui de sa main, me propose un peu de ce liquide, et donc de
faire de même ! Poliment, je décline son offre. Et voilà alors ce
monsieur qui me considère d’un air…outré, scandalisé ! Je n’ai
point le temps de lui en demander les raisons, que déjà il me tourne le dos et
s’en va plus avant.
Et plus avant…étrange
endroit, en vérité. Imaginez-vous une grande salle parsemée de chaises très
basses, mais point toutes tournées
dans le même sens, et sur lesquelles sont soit assis, soit agenouillés des
gens plutôt silencieux…et tous avec le même regard fixe…dirigé vers une
sorte de table tout au fond de la salle. J’y distingue, posé dessus, comme un
grand livre et une espèce de hanap surmonté d’un carton.
Eh bien me dis-je, nous allons
peut-être assister à une représentation théâtrale, certes point habituelle,
mais bon sait-on de nos jours, avec ces théâtres d’avant-garde …Et puis
cela semble gratuit, je n’ai pas vu de guichet à l’entrée…Peut-être une
jeune troupe qui fait dans l’expérimental !
Or donc, je m’assieds. Je préfère
çà à l’agenouillement et de loin, parce que ce n’est point dans mes
habitudes, et qu’en plus, mon récent épanchement de synovie ne me le permet
pas. Mais c’était assez inconfortable, je dois dire : drôle d’idée
ces sièges en osier grossièrement tressé, et tellement bas en plus, comme je
l’ai déjà dit…
En attendant que la pièce
commence, j’observe les alentours.
Des tableaux sombres ornent les
murs. Si sombres même, que je ne parviens absolument pas à distinguer ce
qu’ils représentent. Normal, avec cette panne d’électricité. Je remarque
deux statues : l’une représente un homme barbu et chevelu, vêtu d’une
cape rouge et d’une robe blanche. Tiens ? La pièce serait-elle donc
orientée suivant les valeurs hippie ou new-age ?
Et l’autre, c’est une femme
voilée, les mains jointes, le regard portant vers le haut (je lève
instinctivement le regard, je ne vois rien de particulier…mais, mais, constaté-je
soudain, point de lampes, de luminaires, de néons ! Qu’est-ce à dire ?
), et elle est vêtue de bleu et de blanc…Bon normal, me dis-je, même dans
une communauté new-age, on a, semble-t-il, un certain souci de vouloir
distinguer les sexes…Mais cela colle-t-il pour autant? J’ai beau
observer les gens à la dérobée, aucun(e) ne me semble vêtu(e) de la même façon
que ces deux figurines...
Au moment où les doutes
commencent à m’assaillir, un bruit se produit derrière nous, et tout le
monde se retourne.
C’était je pense, l’entrée
des acteurs. Curieux. D’habitude, c’est derrière la scène que cela se
fait.
Curieux acteurs aussi. D’abord
un gamin portant une bizarre hampe affublée de je ne sais quel humanoïde noirâtre,
les bras écartés, ensuite un vieil homme portant chapeau noir, brandissant une
espèce de brosse noire genre lave-vaisselle, l’agitant frénétiquement
autour de lui, et généreusement humidifiée, comme j’ai pu en juger aux
nombreuses gouttelettes qui m’ont aspergé le visage.
Ah ! L’imbécile,
pensais-je aussitôt ! Ignore-t-il le temps qu’il fait dehors ? Déjà
je commençais à en avoir assez. Mais poussé par le désir de saisir le sens
profond de cette pièce, je décidai de rester.
Et le voilà suivi de quatre ou
cinq autres gamins. Dont deux au moins plutôt rigolards.
Tous étaient vêtus de la même
façon : d’une robe noire et d’une espèce de chemise blanche.
Enfin bon me dis-je, les acteurs
doivent tout de même assumer les tenues que l’auteur impose dans son scénario.
Tout ce petit monde se disperse
aux environs de la table.
Le vieil homme dépose son
chapeau je ne sais où quelque part derrière la table, disparaît, et revient
sous l’apparence d’un marchand de tapis : il en avait effectivement, un
devant, un derrière !
Tout en agitant les mains en
tous sens, en lorgnant sans cesse vers le grand livre cité plus haut (un
amateur, me dis-je, pas même capable de retenir son texte ! Quel culot !
Alors que les acteurs habituels se contentent du trou du souffleur, au cas où !),
il se met alors à débiter toutes sortes de formules incantatoires du genre :
"Que le saigneur soit avec vous", "Elevons notre cœur"…et
les gens autour de moi de répondre (théâtre participatif ?) de manière
plutôt inattendue par : "Et
avec votre esprit", "Nous le tournons vers le saigneur".
Brusquement le vieux monsieur se
met à "chanter". D’une voix de fausset. Ben mon colon, heureusement
que c’est gratos ! Certain(e)s
autour de moi l’accompagnent. Peut-être pour ne point donner de complexe au
vieil homme ? Et cela donnait quelque chose comme :
"Qui rit et, et, et, et, et
, et laie y sonne…"…Mais qu’était-ce donc que cette épouvantable
narration où je ne sais quel cuistre s’esbaudit à assommer une malheureuse
femelle de sanglier ? Mais d’après ce que j’ai compris du reste de
cette, euh, chanson, ce triste sire serait un certain Chris…
Enfin cela se termine.
Sans transition, voilà qu’un
des gamins cités plus haut s’empare prestement du grand livre posé sur la
table, et s’en va le poser sur un support métallique situé tout à droite de
la scène.
Le vieux monsieur, visiblement,
en était très désappointé, mais tout en marmonnant entre ses dents, s’est
finalement décidé à rejoindre le livre en son nouvel emplacement.
Et là, il agite encore les
bras, et hurle quelque chose comme : "Eh ! Pitre ! Dessin pôle,
oh, eh fessiens !!!" J’ai beau regarder autour de moi, personne ne
fait le pitre. Au contraire, tout le monde s’assied bien sagement, ceux qui étaient
agenouillés retournent leur chaise à grand bruit…
Alors le vieil homme se met à débiter
toute une litanie de recommandations stupides, voire même grotesques. Du genre :
"La femme doit obéissance à son mari"…
Puis nouveaux mouvements de
bras, nouvelles formules incantatoires…Et entre-temps, voilà le gamin qui
reprend le livre, et le porte cette fois vers un autre support à gauche de la
scène !
Nouvelle fureur de la part du
vieil homme, évidemment ! Qui ne peut que suivre son scénario là où on
le met !
Puis soudain il hurle à nouveau :
"Eh ! Vends Gilles, seuls longs seins matent yeux !"
Dois-je comprendre par là
qu’il faut vendre Gilles (en tant qu’esclave ?), parce qu’il ferait
obstacle à des voyeurs n’aimant que les poitrines généreuses ?
Toujours est-il que tout le
monde se met debout. Et s’évente le visage, alors qu’il ne fait pas trop
chaud ici. Je reste assis. Mais les gens à mes côtés me considèrent alors
d’un air furibond ! J’ai peine à comprendre, d’habitude à un
spectacle on reste assis, non ? J’essaie de leur faire remarquer cette évidence,
mais non ! Ils me font des "chtt…" et
des chtt…" , et ils s’énervent de plus en plus !
C’était vrai par contre que
le vieil homme avait commencé son laïus.
Je l’entends parler d’un
type qui parvient à multiplier les pains et les poissons afin de nourrir une
foule. Et tout le monde d’écouter çà attentivement, et debout. Mais je
n’y vois vraiment rien d’extraordinaire…Je vois çà chaque jour, dans
n’importe quel Mac Do ou Quick !!!
Et là franchement, je continue
à me poser des questions ! Pourquoi manifester une telle déférence
envers UN marchand de bouffe particulier qui, que je sache, ne vend QUE des
King-Fish ?!?
Passons…
Parce que franchement, à partir
de ce moment, la suite de la pièce m’a vraiment laissé pantois.
Plus personne ne se rassied. On
reste soit debout, ou l’on s’agenouille à nouveau. Et moi qui suis resté
assis…eh bien, les regards autour de moi se font de plus en plus réprobateurs !
Et malgré mes invites suppliantes, personne, absolument personne, pour venir
m’expliquer ce que je devais faire !
Mais bientôt plus personne ne
fait attention à moi, car le vieil homme à sa table accapare je pense
l’attention générale !
Et il y a de quoi, en effet !
Car non seulement il se livre à d’étranges activités, mais de plus, à mon
indicible horreur, il nous incite à être anthropophages ! Cela vous paraîtra
sans doute incroyable, mais c’est ainsi, je vous le jure, je me limite
strictement à vous narrer ce que j’ai vu et entendu !!!
Il nous invite en effet à
manger de la chair d’un être humain et à boire son sang !
En effet, à l’appui de ses
effroyables dires, il se met à exhiber une espèce de rondelette blanche, et
nous la montre ostensiblement en
hurlant : "Voici le corps de Chris…prenez et mangez-en
tous…", puis, peu après, il enlève le carton du hanap posé sur la
table, se met à élever le récipient bien haut de ses bras maigrichons, et
d’éructer quelque chose comme : "De même à la fin du
repas…(Beeurkk…pardon !), il prit le cas lisse et dit :voici le
sang versé pour vous…prenez et buvez-en tous…" et toute l’assistance
de baisser ostensiblement la tête ! Sans aucune réaction de répulsion !
Quelle horreur, non mais quelle
horreur ! A quelles infâmes agapes vais-je donc assister ?
Et là, je n’y tiens plus. Un
haut-le-cœur m’envahit soudain ! Vite de l’air ! Je me lève précipitamment,
et je m’encours vers la sortie, suivi, oh je le sais, par moultes paires
d’yeux réprobateurs. Mais je n’en ai cure.
Enfin au dehors.
Aah… Oui. Oh oui. L’air
frais, quoique toujours aussi humide, me fait énormément de bien. Doucement,
je reprends mes esprits.
Malgré ma vive répulsion, je
ne puis m’empêcher de jeter un dernier coup d’œil à l’intérieur. Et je
vois alors tous ces gens, tous ces immondes cannibales, faire la file pour déguster
un petit morceau de ce malheureux Chris…
Depuis, je dois dire que je
désespère quelque peu de la nature humaine.
Le cannibalisme me semblait
depuis longtemps être passé de mode…Or, je viens par là d’apprendre que
non seulement il existe encore bel et bien, mais qu’en plus on l’accompagne
de maintes simagrées, de verbiages vides de sens, de simulacres de pannes d’électricité,
d’acteurs vêtus d’oripeaux ridicules, même pas capables de retenir un
texte…et si ce n’était que cela !
Maintes gens semblent en effet
se prêter de leur propre gré à semblable cérémonie barbare. Et de nos
jours, oui, maintenant et ici…
Anatole Hondulez, 18.8.2003.