L'AVE MARIA
Dans
un couvent, deux nonettes gentilles,
Mais dont l'esprit simple, doux, innocent,
Ne connaissait que le tour et les grilles,
Tenaient un jour propos intéressant
De confidence et d'amitié fort tendre.
Notez qu'aucun ne pouvait les entendre.
L'huit clos était. Fillettes de jaser,
De s'appeler et " ma chère " et " ma bonne "
De se donner saintement un baiser,
D'y revenir, sans qu'aucune soupçonne
Que le malin les induit à ce jeu.
Jésus ! ma sœur, dit la jeune Sophie,
Qu'on voit en vous les merveilles de Dieu !
Quelle beauté ! vous êtes accomplie.
Voyez ce sein ! le globe en est parfait .
Que ce bouton de rose là me plaît !
J'y vois la main de la Toute-Puissance.
- Et vous, mon cœur, reprend la sœur Constance,
Peut-on vous voir et ne pas l'adorer ?
Tout est parfait ; tout en vous m'édifie. "
Lors, le pieux examen sur Sophie
Va son chemin ; on admire ceci,
Et puis cela, tant que par aventure,
En certain que la folle nature
Fit à plaisir, l'examen vint aussi.
Pieux élan, obligeamment mystique,
Naît aussitôt de cet objet charmant !
" Ma chère sœur, l'agréable portique !
Le beau dessin ; qu'il est simple et piquant !
- Chez vous, ma sœur lui réplique Sophie,
Mêmes appas, mon âme en est ravie ;
Rien de si beau dit ne s'offrit à mes yeux.
Vous allez rire, il me prend une envie :
C'est de savoir qui de nous deux
A plus petit ce chef d'œuvre des cieux.
- C'est vous ma sœur. - Non ma sœur, je vous jure,
C'est vous. - Eh bien ! prenons en la mesure,
Notre rosaire est tout propre à cela.
On y procède. " Eh ! bien, dit Sophie,
Qui l'aurait cru ? Vous l'avez, chère amie,
Plus grand que moi d'un AVE MARIA ! "
ALEXIS PIRON (1669 - 1773 )