Le
punk-qui-se-débat
CHARLES
ZABRE
La naissance du punk-qui-se-débat
Pour qu'il survive, traitons-le comme Dieu.
Le punk-qui-se-débat a toujours existé. Il
n'est pas permis de le mettre en image parce que sa description ne peut être
complète si elle est composée d'éléments réels. Vous le savez, il est une légende
et c'est ainsi que survivent ces surréels. Laissons-le dans les aires de
l'imaginaire. Le punk se débat parce qu'il essaie de ne jamais rester laminé
par l'Histoire, et c'est plus un combat contre sa disparition qui le motive à
toujours se transformer. Voyez, un peu plus loin dans ce texte, comment on peut
le tuer, si vous avez besoin de plus d'explication. Pour l'instant, considérons
qu'il naquit de rien, seul, sans influence extérieure. Ce mouvement est arrivé
seul, n'a jamais été un enfant, a toujours eu raison.
Les pères du punk-qui-se-débat sont des surréalistes,
des dadaïstes et un homme futuriste qui n'a jamais cru au fascisme.
Le punk-qui-se-débat s'est arraché les
cheveux le jour où, en sortant de chez lui, il remarqua que la population entière
avait accepté son accoutrement et même adopté certains de ses attributs. Sans
qu'on l'en eut averti, il était devenu un membre de la banalité, de la réalité
acceptée. Sa tête déjà rasée, il s'enveloppa des vêtements les plus
hirsutes et bifurqua complètement de la tendance qu'il suivait, en mode
vestimentaire. Il se transforma.
Un jour encore, un autre, alors qu'il se déplaçait
dans les rues de Londres, la ville où il vécut toute son adolescence, après
être déménagé de New-York, un touriste l'interpella, l'accrocha par le bras
et sourit. Sa femme faisait la mise au point de son appareil pour prendre une
photo du couple formé. Il était devenu typique et savoureusement prévisible.
C'en était trop. Le punk-qui-se-débat se débattit
encore, comme se débattirent tous ses compères, au travers du monde entier,
espérant venir à bout de l'habitude des gens, et enfin découvrir une vie ou
un univers qui n'aie pas encore été inventé ou arpenté, aller dans l'irréel.
Il en fut ainsi durant un moment. Tous les
punks se débattirent depuis vingt ans, prirent plusieurs allures, se succédant
les uns les autres, étant analysés les uns après les autres et tués les uns
après les autres, de la même façon.
Les années '60 et '70 avaient été carburées
par une espèce de positivisme qui commençait à s'user. Non seulement la naïveté
qui espérait changer en dix ans un monde qui était vieux de quatre cent siècles
commença à s'effriter mais on se rendit compte qu'un problème social succédera
toujours un autre, que ce qui motivait toutes les révolutions, quelles qu'elles
soient, était toujours une somme d'individualismes regroupés dans un même but
non-commun mais distribuable pour chacun des participants et que les vérités
immuables (la mort à éviter, l'étonnement, la nourriture, le sexe, la différence
et la nécessité d'exister à rechercher) à l'être humain ne peuvent être détournées
par des actions humaines.
Une nouvelle génération qui n'avait pas été
éduquée selon les modèles de rébellion développés par les hippies,
beatniks, psychédéliques et néo-socialistes construisirent un nouveau système
de remise en question qui devait attaquer non seulement la société
traditionnelle que la génération précédente n'avait pas réussi à retourner
complètement mais aussi cette rébellion des décennies précédentes. Le
punk-qui-se-débat se révolta contre la société et contre la révolte contre
la société, et contre lui-même et sa légende. En résulta un homme parodique
de tout ce qui existât depuis, et notamment de lui-même.
Aux longs cheveux et aux vêtements faits à la
main en matériaux naturels succéda des tissus de fabriques, développés
chimiquement, assemblés avec des broches métalliques et des coutures
machinales, industriellement, pour créer un vêtement urbain et coupé court
autour des membres. Aux cheveux longs bien peignés, séparés au milieu de la tête
et entourés d'un bandeaux, succéda une tête échevelée et bourrasque. À
l'art coloré et tout en courbe des dessins psychédéliques succéda un design
de découpures de journaux, de collages, de factures d'imprimeries merdiques.
Aux musiciens virtuoses a succédé des joueurs sachant à peine aligner
quelques accords. Au principe de mouvement de révolution et de changement succéda
une mode qui se ridiculise elle-même et grimace. À la volonté de changement
succéda la pensée de "No future". À la prise de drogue pour
s'illuminer et s'ouvrir à de nouveaux mondes succéda la prise de drogue dans
un but autodestructeur d'enfermement. Aux orgies amoureuses et aux spectacles
valorisant la philosophie "peace and love" succéda le "slam",
le "trash", etc.
La mort du punk-qui-se-débat
Plus tard, le mouvement fut assimilé et
ringardisé. Voici les cinq éléments qui détruisent une révolution
culturelle et le punk-qui-se-débat. Ils ont tous un point en commun: ils ramènent
l'événement de sa naissance et de sa vie au banal et au réel.
La peur qui meurt: Ce punk-qui-se-débat
qui se troue la peau avec des épingles à couches faisait d'abord peur aux
bonnes gens, qui craignaient d'abord de perdre, à cause de lui, leur mode de
vie qui les rendait heureux, leur place dans la société stable qu'ils
connaissaient. Peu à peu, on se rendit compte que cette peur n'était pas
vraiment fondée, que le punk-qui-se-débat n'avait aucune prétention à être
vraiment sérieux, que la vie continuait tout de même...
L'habitude publicitaire: Pour vendre un
produit, les publicitaires nous assomment avec des images de celui-ci partout où
l'on peut mettre le regard. Ainsi, pour vendre des vêtements, on tapisse les
murs de la ville de belles personnes portant ces frusques pour nous convaincre
que tout le monde porte ces coutures et que de ne pas les porter est avouer
notre archaïsme. De la même façon, les fripes du punk-qui-se-débat, qui se
voulaient d'abord une révolte, devinrent tellement exposées par les médias
qu'elles devinrent banales, habituelles. Elles devinrent bientôt une mode.
La perte de son caractère underground:
Lorsque le punk-qui-se-débat est à la vue de tous, ceux qui veulent se démarquer
par la connaissance de cet individu ne peuvent plus se vanter de comprendre sa
pensée. Ils doivent ainsi se tourner vers d'autres tendances que personne
n'adopte encore, les assimiler et les afficher devant les autres, afin de
montrer leur différence et le fait qu'ils ont accès aux groupes ouverts à
tous, à la société connue, mais aussi à la société alternative, plus sélective,
cachée, rebelle, clandestine.
Détournement de ses objectifs: Cette
cause est simple. Devant la popularité du punk-qui-se-débat, plusieurs ont
senti poindre une occasion de se faire des profits et lui ont fait signer des
contrats de disques, ouverts des magasins de mode inspirés par lui (l'un
d'entre eux, à New-York, fut saccagé par Salvador Dalì lors de son
inauguration). Le problème ici, n'est pas, strictement, de faire de l'argent.
C'est la question d'image publique qui s'estompe et mutationne. Premièrement,
profiter de ce que la structure actuelle de la société a à lui offrir est une
contradiction d'avec son but premier. Deuxièmement, on voit deux fruits à sa démarche:
l'argent et la révolution. Les gens ont peur que le premier supplante le
second. Tout le monde se demande comment rester intègre lorsqu'on a argent,
pouvoir, jeunesse et popularité... Les humains connaissent bien les humains...
L'intégration de l'analyse scientifique:
les chercheurs s'intéressent à l'Homme et étudient les nouveaux mouvements
qui le bousculent et l'animent. Dès qu'un nouvel être a l'air assez influent
et assez populaire, on se met à l'analyse. Les scientifiques trouvent les
causes des phénomènes. Ils laissent ainsi entendre qu'à avoir été attentif,
n'importe quel événement aurait pu être prévu et qu'il ne relève pas de la
spontanéité. Les psychologues décortiquent la pensée des insurgés punks,
banalisant leurs attitudes en leur enlevant leur responsabilité dans cet événement
de révolte, en soulignant des causes extérieures à eux, à leur seule volonté.
Les punks ne sont plus considérés comme auto-créés. Les sociologues
associent le mouvement à un ancien phénomène, sapant toute originalité de
celui-ci et le situent dans le contexte social présent, l'intégrant à ce
qu'on voulait détruire ou attaquer. Finalement, les historiens le classent dans
le temps, et puisque ces derniers sont les étudiants d'un temps passé, le
mouvement est automatiquement archivé dans les archaïsmes. Vient alors le
temps de définir un nouveau présent puisque ce mouvement est déjà passé.
L'analyse scientifique est en quelque sorte une banalisation de l'événement,
un enlèvement de sa nature sacrée et inattendue par une explication de ses
origines rationnelles et une intégration dans la société traditionnelle.
Mais la mort d'un mouvement, quelle qu'en soit
la cause, est une bonne chose car celui-ci laisse toujours place à une autre
philosophie et à une autre mode qui proviennent d'hommes qui ont appris du passé
et qui veulent proposer un autre remède à notre manque de guide dans ce monde
si vieux et qui est dirigé par des gens qui ne le connaissent que depuis à
peine cinquante ans...
C'est parce que sa révolte a été assimilée
que ce punk-qui-se-débat est devenu un attrait touristique. Il est intégré à
la culture populaire, au décor, à l'imaginaire du monde occidental.
Mais le punk se débattit encore. Les années
'80 le firent entrer dans les placards. Après une entrée avec tant de clairon,
l'annonce d'une révolution qui n'eut jamais lieu, on ne le prit plus au sérieux,
lui qui s'enterra pour se faire oublier un instant.
Pendant ce temps, à la surface, d'autres régnaient
en roi et maîtres. La musique rap s'affirma. Le temps passait. Le punk-qui-se-débat
attendait.
La résurrection du punk-qui-se-débat
On eut besoin du punk-qui-se-débat lorsque la
récession de 1987 avait tué toutes les motivations. On avait besoin de pureté,
d'authenticité, de plaisir, d'une libération contre l'austérité morose
ambiante. Il revint sous les traits d'un mouvement artistique et intellectuel.
Étudié, rentabilisé, popularisé, mit en réalité,
il mourut encore, jusqu'à la prochaine fois. On a besoin du punk-qui-se-débat
pour figurer le mal et l'indiscipline pour l'opposer à leurs contraires. On a
besoin de lui pour narrer les combats de la jeunesse, on a besoin de lui pour définir
le social par l'antisocial. C'est notre libérateur qui mourut, revit et
provoqua, dans ses spectacles des orgies de tout dont nous avions intensément
besoin.
Il provoqua la liberté totale que nous
recherchons lorsque nous allons à des raves, lorsque nous allons à des
spectacles pour crier dans l'anonymat. Lorsque l'on prend de la drogue pour
s'oublier, nous et notre raison, le temps de se permettre d'avoir du plaisir.
Opprimés par la banalité, le quotidien, les rêves
déchus, la nécessité de souffrir pour avoir du plaisir, nous avons besoin de
cette excitation culturelle qui vient titiller notre imaginaire.
Espérons que le punk-qui-se-débat reviendra,
survivra à cette analyse du bout des ongles et sera tout ce qui n'existe pas
encore. Nous sommes fatigués du réel. Chaque humain a l'intime connaissance de
sa mort et de sa souffrance. Elle est plus aiguë en temps de crise sociale et
économique car elle est plus difficile à cacher par les festivités.
Le punk-qui-se-débat est un personnage qui
vivra, mourra et ressuscitera pour conserver son éternité pour être la
soupape de notre mal de vivre causé par la réalité. C'est le but de toutes
les spiritualités.