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Le Défouloir des Précaires
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Rubrique :“Histoires,
énigmes & rébus du boulot”
Le
Sage et le singe
–
Maître, ô Maître, guidez-moi, mon Maître ! Que dois-je faire
pour donner un sens à ma vie ?
–
Tu dois prendre une pioche, une pelle et creuser pour chercher le trésor
de ta vie, petit singe.
–
Ah, bon ?! Maître ! Il y a un trésor sur cette île ? Où
ça ?!
–
Bien sûr, qu’il y en a un, petit singe. Mais il te faudra creuser,
pour le trouver.
Trois
mois plus tard :
–
Maître, j’ai creusé plein de tunnels, je commence à fatiguer et je
n’ai encore rien trouvé.
–
C’est parce que tu t’y prends mal, petit singe. Tu ne sais pas tenir
ta pioche et ta pelle, et puis tu creuses n’importe où. Il te faut apprendre
à creuser parce que tu ne sais pas. Sinon tu ne chercherais pas encore le trésor
de ta vie... Creuse donc sur place et rebouche le trou tous les jours pendant 6
mois pour apprendre à bien creuser. Après cela, tu auras forcément toute les
chances de trouver le trésor de ta vie.
Un
an plus tard :
–
Maître... ça fait plus d’un an que je creuse, que j’apprends à
creuser, que je recreuse de plus en plus profond, et que je fatigue... Je n’ai
toujours pas trouvé de trésor.
–
C’est parce que tu es démoralisé, petit singe, et parce que tu es
trop ambitieux. Il faut te redynamiser. Il faut te remettre en question en
faisant ta propre autocritique, tout en continuant à creuser pour rester en
contact avec le monde auquel tu appartiens et qui te respecte. Rassure-toi,
petit singe, je vais t’aider à reprendre confiance en toi.
–
Oui, mais... Maître ! pourquoi c’est toujours moi qui creuse et
pas vous ?...
Six
ans plus tard :
–
Maître, je pète les plombs ! Ça fait 6 ans que je cherche ce
putain de trésor et cette île est devenue un vrai fromage. Les taupes et les
castors en ont marre de me voir débouler : tout le monde me jette ou me
fuit et j’en suis toujours au même point. Si j’avais passé tout ce temps
à me construire un radeau, une cabane, un hamac et un jardin, je l’aurais,
mon trésor. D’ailleurs, ça fait un moment que je me demande pourquoi c’est
toujours vous qui êtes dans le hamac à bouffer tous les produits du jardin et
une partie de ceux des taupes, tout en me culpabilisant pour mieux
m’encourager à chercher quelque chose qui n’existe pas...
–
Allons, petit singe, si tu avais été capable de trouver le trésor de
ta vie tout seul, tu ne serais pas venu me demander conseil. Je n’ai fait que
répondre à tes demandes désespérées : tu attendais tellement de moi.
Et puis, te regarder creuser et ventiler mon île en m’appelant “Mon Maître”,
cela était finalement assez satisfaisant pour ma personne. Les ennemis que tu
t’es fait sont devenus mes amis sans que je fasse rien, le jardin aéré par
tes travaux inutiles m’a donné tout ce que je désirais sans trop forcer, le
loisir de guider ta vie a finalement donné un sens à la mienne qui n’en
avait pas davantage... Pauvre petit singe ! Bien sûr, qu’il n’y a
jamais eu de trésor sur cette île... Allons, va ! Ne sois donc pas ingrat :
tu y as mis le temps mais grâce à moi, tu as enfin compris que travailler pour
autrui n’a jamais nourri son homme, que l’on ne peut compter que sur soi
pour construire son propre trésor et que la dégradation de l’autre a au
moins le mérite de valoriser sans frais celui qui ne fait rien.
Deux
jours après ça :
– Finalement... c’est vrai, Maître. Vous m’avez beaucoup appris. Tout ce temps que j’ai perdu à réfléchir sur moi, grâce à vos bons conseils, et ce franc talent que j’ai acquis dans l’art de creuser des trous pour rien, j’ai décidé de les mettre à profit pour vous témoigner ma plus sincère reconnaissance... Je viens de creuser le plus beau trou de ma vie, Maître... Il est juste à votre taille.